REVUE
BRITANNIOUE.
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University of Ottawa
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CHOIX D'ARTICLES
TRADUITS DES MEILLEURS ÉCRITS PÉRIODIQUES
DE LA GRANDE-BRETAGNE,
SUR LA LITTÉRATURE, LES BEAUX- ARTfi, LES ARTS INDUSTRIELS,
l'agriculture, la GÉOGRAPHIE , le COMMERCE, L'ÉCONOMIE POLI-
TIQUE , LES FINANCES , LA LEGISLATION , ETC. , ETC. ;
Par MM. SaulniER Fils , ancien préfet, de la Société Asiatique, directeur
de la Revue Britannique ; DoNDEY-DuPRÉ Fils , de la Société' Asiatique ;
Charles CoQUEREL ; Langrand ; L. Am. Sédillot; West, Docteur
en M.cf\e.cmç. {pour les articles relatifs aux sciences médicales) , etc., etc.
^rcisthne ۔)itian.
\DO\AA£/ ^x
nn0,
Au BUREAU DU JOURNAL, Rue de GRENELLE-St.-HoNORÉ, N» 29;
Chez DONDEY-bUPRÉ PÈRE ET FILS, Imp.-Lir. ,
Rue Saint-Louis , N» 46 , au Marais , ou lue Riclielicu , N'-i" Us.
1S25
ini'niMcnii d» rowDiT-DVi"Re>
JUIN 1S25.
REVUE
INDUSTRIE.
DU TRANSPORT PAR LES CAÎSÂUX , LES ROUTES A RAINURES
DE FER ET LES VOITURES A VAPEUR (l).
il eus vivons , il faut l'avouer, dans un tems d'expériences
et de spéculations. Ceux qui cultivent maintenant les arts et
les sciences , ne peuvent plus se plaindre du manque de
protection, soit de la part du gouvernement, soit de celle
des particuliers ; car il serait assurément fort injuste d'ac-
cuser les hommes auxquels leur rang ou leur fortune donne
de l'influence, de voir avec défaveur les innombrables pro-
jets qui paraissent chaque jour. Quoique plusieurs de ces
projets soient aussi extravagans que s'ils avaient été con-
çus par les académiciens que Gulliver rencontra à Laputa ,
c'est avec une sorte de frénésie qu'on les accueille, dès
( i) Note du Tr. Nous avons pense que cet article où les avanlac^cs
et les inconvcniens des difterens modes de transport sont habilement
discutés, pre'senterait un inte'rèt particulier dans un moment où l'on
examine si on joindra Paris au lîàvre par une route en fer , ou par un
canal qui serait accessible aux bàtimens de mer. Les observations gé-
nérales de l'auteur de l'article sur certaines spéculations qui se font
actuellement en Angleterre , et sur les vues toutes personnelles et la
mauvaise ioi des auteurs de ces projets , ne seront pas en France sans
utilité, car elles n'y seront ^oint sans application, S.
12 Du Transport par les Canaux , les Routes
(ju'ils sont présenlés, sous une forme palpable, comme
objets de spéculalioiis. « Y a-t-ll quelque nouveau projet
aujourd'hui? » Telle est la première question que Ton lait
en enti'ant à la Bourse. Les hommes à argent de la Cite
demandent des actions dans les nouvelles entreprises , avec
une ardeur au moins égale à celle que les Romains met-
taient jadis à demander leur paiiem et circenses. Et ce
n'est pas seulement dans la Cite que règne cette manie : les
oisifs qui fréquentent les clubs , nos jeunes officiers aux
gardes et les commis des administrations publiques, eu
sont également possédés î Nous craindrions même qu'elle
ne finît par dégénérer en affection chronique, si au fond
elle ne portait son remède avec elle, et si ce remède ne
devait pas bientôt opérer. La prospérité sans exemple du
pajs, l'exubérance des capitaux, et partant le taux peu
élevé de l'intérêt , doivent sans doute être placés au nom-
bre des causes de cette maladie. Mais c'est une autre cause
qui doit être moins durable , qui a plus particulièrement
contribué à la propager et à eu augmenter la violence :
nous voulons parler de la facilité que toutes les classes
trouvent à s'intéresser dans les nouvelles entreprises, à
cause de l'extrême modération des premières mises à faire j
quant à la possibilité de faire les secondes, c'est une chose
à laquelle on ne réfléchit pas.
Mais quelle que soit l'origine de celte rage de spéculer ,
qui pousse les différentes classes de la société à chercher
de l'emploi pour les capitaux hors des routes ordinaires,
il faut convenir qu'elles ne montrent guère de prudence et
de discrétion dans le choix des voies nouvelles qu'elles
adoptent. Peu importe sur quelle base reposent les pro-
jets; Il n'est même pas nécessaire qu'ils en aient <iucune :
la seule chose dont aient besoin ceux qui les ont conçus,
c'est d'avoir un agent rusé, remuant, impudent, qui se
charge de leur jirocurer un chat'r'nian, ou président d'uu
(} ramures de.Jtr et les Toitures à vapeur. i j
rang et d'une condilion honorables, si cela est possi-
ble j une douzaine de directeurs dont les noms aient quel-
que notoriété et soient convenablement saupoudrés de
M. P. (i) i un banquier, ce qui est très-facile ; et un ingé-
nieur qui ,' comme les médecins et certains avocats , soit
disposé à se charger de tous les cas désespérés , parce que>
comme eux , il est toujours sur d'en retirer quelqu'avan-
tage particulier. Lorsque ces drainatis perso nœ delà farce
sont trouvés et réunis, on lève le rideau, et la foule se
précipite pour jouer son rôle dans la nouvelle eul reprise et
pour y apporter son argent. Eu général, les nouveaux ve-
nus se contentent des rôles muets, et tous leurs niouve-
mens, comme les gestes des marionnettes, sont déterminés
par ceux qui tiennent les fils. Tout cela serait assez diver-
tissant , si on ne rélléchissait pas aux tristes conséquences
que doivent avoir tant de spéculations extravagantes. Au-
cun de ceux qui s'inléressent dans ces spéculations , ne
s'enquiert de leurs résultats probables et n'en calcule les
chances fâcheuses. Ils vont tous en avant . sans avoir près
d'eux personne qui les guide dans les routes sur les-
quelles ils se sont si imprudemment lancés. Ce sei'ait une
erreur de supposer que les auteurs de ces projets n'enten-
dent pas mieux leurs intérêts : si les actions dont i!s sont
toujours les plus forts détenteurs, peuvent se négocier
avec bénéfice, et cela est presqu'infailiible lorsqu'elles pa-
raissent pour la première fois à la Bourse , quelqu 'absurde
que soit d'ailleurs Tentreprise, ils se hâtent de s'en dé-
faire, et leur objet étant rempli, ils vont appliquer leur
coupable industrie à d'autres entreprises du même genre.
Lorsque l'affaire commence à languir, et que l'on fait de
nouveaux appels de fonds , les malheureux intéressés , datjs
(i) Note du Tr. Ces initiales sont celles que les incinlircs du Par-
lement sont dan» l'usage de joindre à leurs noms.
l4 Dii Transport par les Canaux^ les Routes
l'impossibilité de payer, et clans la ci'aiute que plus tard on
ne leur fasse encore d'autres demandes, sont obligés do
vendre. Le prix des actions fléchit , et les derniers acqué-
reurs , bientôt effrayés par des causes semblables , se tirent
d'embarras comme ils peuvent, en vendant à leur tour
avec une perte considérable. De plus en plus avilies, à
mesure qu'elles changent de mains , ces actions , qui d'a-
bord s'étaient négociées au-dessus du pair , finissent par
tomber à leur véritable niveau , c'est-à-dire à zéro : alors
la bulle de savon crève et se dissipe dans l'air , comme
les emprunts du roi Ferdinand ou les bons du Cacique du
Pojais (i).
Il n'est pas nécessaire , pour plusieurs de ces projets , de
réaliser un capital considérable ; car rexécution en est
(i) Note du Tr. L'auleur de l'article fait allusion à un aventurier
écossais qui , après avoir pris quelque part à la lutte engagée entre
l'Espagne et ses colonies e'mancipées, avait fait annoncer , en Angle-
terre , que les habitans du Poyais , vaste contre'c du Nouveau-Monde,
l'avalent choisi pour re'gner sur eux avec le titre américain de Cacique.
Lorsque cette histoire fut suffisamment accréditée , il ouvrit un em-
prunt à Londres, pour subvenir , disait-il, aux premiers besoins de
son gouvernement , négocia des actions de la Banque royale du
Poyais , donna ou vendit des commissions d'officiers dans ses armées ,
et détermina, par un brillant prospectus, un assez grand nombre de
personnes à lui acheter des terres plus ou moins considérables dans
ce qu'il appelait ses élats. Les concessionnaires de ces terres frétèrent
plusieurs navires , et mirent de suite à la voile pour se rendre au
Poyais , empressés qu'ils étaient de jouir des délices de ce nouvel Eden.
Mais, à leur arrivée, ils ne trouvèrent ni cacique, ni banque, ni
armée , ni gouvernement quelconque, et ils furent fort mal accueillis
par une tribu indienne , celle des Mosquitcs , qui ne vit que du produit
tic ses chasses, et qui s'irrita beaucoup de la prétention que témoi-
gnaient des étrangers, de mettre en culture les forêts dans lesquelles
elle cherchait sa subsistance. Après avoir été pillés par les Mosquitos ,
ces pauvres dupes, cruellement détrompées, se virent dans la néces-
sité de se rembarquer. Le Times assure que le Cacique du Poyais est ,
depuis quelque tems, à Paris, où S. A. vit dans le plus profond in-
à rainures de fer et les T'oïlures à vapeur. i5
nLindounée , tîès que ceux qui les onl conçus el les hommes
de Tart ou les gens d'affaires dont ils ont mis les noms en
.'ivant, se sont partagés le montant du premier versement
fait par les actionnaires. Mais c'est assez sur ce sujet ; et
assurément nous n'essaierons pas d'énumérer , et encort;
moins de faire connaître en détail les diverses spéculations
qui occupent , dans ce nioment, Tattentioa publique. JNous
observerons seulement que celles d'origine étrangère ob-
tiennent plus de vogue, par la raison qu'elles sont moins
comprises 5 ce sont, en général, les produits de la fraude
qui spécule sur l'avarice et la crédulité. On peut les classer
dans deux grandes divisions : les emprunts faits par les
nouveaux états qui se sont établis dans l'Amérique du Sud ,
et les prétendues associations pour l'exploitation des mines
des mêmes contrées (i). Tous les jours nous expédions
d immenses sommes , réalisées , en bons dollars , pour k-
coj^nito. Suivant le même journal , un des malheureux qu'il a ruim's
lui ayant e'crit dernièrement, afin d'obtenir une indemnité' pour les
perles qu'il avait faites, un individu qui prend le titre de comte, e(
qui se qualifie de directeur-général du département de l'intérieur du
Poyais, avait répondu au pétitionnaire, sous la date du -^o avril iS^S ,
avec les formes usitées dans les chancelleries européennes , « que lors-
qu'il aurait produit les pièces nécessaires pour établir la validité de la
réclamaiion qu'il avait adressée au Canitiue, S. A. R. se ferait rendre
compte de son affaire , et qu'il lui serait fait justice. »
(i) Note DT) Tr. Le Ouarterly Heview , auquel nous avons em-
prunté cet article , est considéré , en Angleterre , comme un des prin-
(ipaux organes du parti tory. Il a cependant beaucoup modifié ses
doctrines, depuis que le ministère a adopté en grande partie celles de
l'opposition. Mais les observations ci-dessus, si peu bienveillantes pour
les gouvernemens qui se sont récemment constitués en Amérique,
annoncent que ses rédacteurs n'ont pas encore pu parvenir à dépouiller
entièrement le vieil homme. Le président du bureau du commerce ,
M. Iliiskisson , manifestait, sur le même sujet, une opinion bien dif—
iérente, <]uand il se félicitait, à la chambre des communes, de voir la
lirandc-Brelagne devenir créancière hypothécaire dujXouvcau IMondc.
ïG J^u Transport par les Canaux , les Routes
Mexique , le Pe'rou, le Chili , la Colombie , le Bré.jil , d'où
ces dollars fureut prlmlth'ement tirés, et dont probable-
ment ils ne reviendront pas de sitôt. K'importe : le, taux.
é\e\é de rintérct attaché à ces emprunts, est payé réguliè-
rement pendant un certain tems , non parles emprunteurs,
mais avec une portion du capital des préteurs , réservée à
cet effet j car nous avons l'assurance positive que les états
qui ont contracté ces emprunts, n'ont pas encore renvové
un seul dollar en Europe. Malheur à ceux dans les mains
desquels se trouveront en dernier lieu tous ces bons amé-
ricains , si improprement nommés sécurités ! Occupet ex-
tremum scahies ( i ) .
Mais c'est principalement vers l'exploitation des mines
que se dirige la rage des spéculateurs. Au moyen des capi-
taux anglais, des ingénieurs anglais, des machines anglai-
ses, on espère arracher de leurs entrailles tout cet aurum
irreperium que les Espagnols y avaient laissé, parce qu'ils
ne voyaient plus d'avantages à l'en extraire. On est même
convaincu qu'on l'y trouvera en si grande quantité , que
déjà certains économistes gémissent de l'avilissemeat pro-
bable des métaux précieux , et que d'autres commencent à
craindre que le chancelier de l'Echiquier ne puisse rem-
bourser le capital de la dette publique; ce qui , sans aucun
doute, amènerait un grand bouleversement dans la société.
Mais , comme dit la Judicieuse mistriss Glass (2) , il faut
d'abord prendre le poisson. Que ne peut-on pas tenter de
persuader aux homnnes, quand nous voyons qu'une seule
(t) Note du Tr. On voit qu'au commencement de iSaS, l'auteur
de cet article avait prévu la crise commerciale qui devait désoler l'An-
gleterre en 1826, et la plus grande partie du continent.
(2) NoTF, DU Tr. Mistriss Glass est l'auteur d'un livre de cuisine
dont les formules sont les mêmes que celles de la Cuisinière bouri;coise.
Son article sur les matelotes commence ainsi : « Si vous voulez. ïaire
une matelote , il faut d'abord prendre du poisson. »
à rainures de fer et les Voitures à va]:eur. 1 7
action dans une mine nommée Real del Monte, pour la-
quelle on n'avait encore avancé que yoliv. st. (1,750 fr.), s'est
négocié avec un jDcnéfîce de i,4oo liv. st. ( 55, 000 fr. ) , ou
de 2,000 liv. st. (5o,ooo fr.) pour cent. L'histoire en cir-
culation sur cette mine est quun habitant de Mexico avait
acquis , en l'exploitant , une fortune si considérable, -que ,
pendant la dernière guerre , il avait fait présent au roi
d'Espagne de deux vaisseaux de ']l\. On serait tenté de
croire que les gentlemen qui fi'équenteut la Bourse ont
tout-à-fait perdu l'esprit , ou qu'ils ont retrouvé ce passage,
si long-tems et si vainement cherché, par lequel Candide
et son fidèle Cacambo pénétrèrent jadis dans la vallée d'El-
dorado j qu'ils se sont convaincus qu'en effet, pour se pro-
curer des cailloux d'or et de la boue jaune , il n'y avait
qu'à prendre la peine d'aller en chercher, et qu'on leur
aura dit : « Prenez-en tant qu'il vous plaira, et grand bien
vous fasse .' » comme disait jadis à l'Optimiste le roi de
cette heureuse contrée. Nous dirons à notre tour à ces
messieurs : Puissiez-vous long-tems prolonger vos songes
dores , amuser votre imagination de vos cailloux d'or et
de votre boue jaune, et ne pas être trop tôt délrompés des
illusions dont vous entretiennent ceux qui veulent persua-
der à leurs dupes qu'il existe certaines contrées où
« The mollcii silvcr
Pvuiis out like cream on cakes of golJ ;
AnJ rubies
Do grow like strawbeiTies (i). »
Presque toujours les premiers auteurs de ces associations
se tiennent en arrière , et les personnages qu'ils mettent en
avant ne sont eu état d'en discuter ni les iuconvcniens , ni
les avantages. Quant à ceux qui spéculent sur les actions,
('1) « L'argent liquide arrose , comme de In rrème, des gâteaux d'or,
cl les rubis poussent comme des fraises. »
1 8 l)u Transport par les Canaux , les Hontes
ils ne sont pas susceptibles de mettre l'ombre de prudenée
et de bon sens dans leurs opérations. D'ailleurs, des qua-
Htés aussi vulgaires ne seraient pas en harmonie avec l'es-
prit entreprenant qui caractérise notre époque. Les Espa-'
gnols qui exploitaient autrefois les mines, se ruinaient
presque tous ; si bien qu'il était passé en proverbe dans
les colonies qu'une mine d'argent conduisait à la pau-
vreté, et une mine d'or à la misère. Mais qu'est-ce que
cela fait à des gens qui ne s'inquiètent ni de ce qui a été
ni de ce qui peut être ? C'est tout au plus s'ils sont légère-
ment ébranlés , lorsque des actions qui , dans le cours
d'une seule Bourse , s'étaient élevées d'une liv. st. à trois
ott quatre cents , retombent le lendemain dans une propor-
tion encore plus forte j et cependant la plus simple ré- -
flexion devrait leur faire comprendre que ces oscillations
convulslves ne peuvent être que le résultat de faux rap-
ports, d'acquisitions et de ventes fictives, en un mot, de
tout le frauduleux manège de l'agiotage. Demandez aux
actionnaires dans quelle portion de TAmérique sont situées
leurs mines : ils n'en saA'ent pas un mot ; queis sont ceux
avec qui ils ont contracté : ils l'ignorent également j avec
quel combustible on alimentera les machines à vapeur, et
d'où on tirera ce Combustible : ils ne le savent pas davan-
tage. Nous nous rappelons avoir vu , dans de vieux livres
espagnols , des gravures qui représentaient de longues fdes
de mules gravissant les sentiers d'une montagne , et toutes
chargées , de chaque côté , d'un morceau de bois qu'elles
portaient à des mines. Alcedo assure qu'un morceau de *
bois propre à faire un essieu , coûte i,8oo ou 2,050 dollars, *
dans la partie des Cordillères où se trouvent les mines j
et c'est là que l'on espère que les machines à vapeur, que
toutes les mules du Tucuman ne parviendraient pas à y
transporter, feront des prodiges ! Les spéculateurs ne pa-
raissent pas avoir réfléchi à tous les hasards indispensables
à rainures dejer et ùis fm'fia-ss à ropeiir. iq
pour qu'ils piiisscMit recevoir quelfuie cliose en retour des
capitaux, qu'ils avancent clans ces opérations. Il semblerait
qu'ils n'ont jamais calculé : i° que la nature des choses
s'oppose à ce qu'ils puissent rien toucher avant plusieurs
années; 2° que les l'ésultats de l'exploitation des minés sont
toujours très-douteux ; 5" que les retours dépendront né-
cessairement de la bonne foi des nouveaux gouveruemens
et de leur durée. La réunion de tant de chances incertaines
est si difficile , qu'il y a tout à parler que ces projets au-
raient des résultats déplorables , si on devait réellement en
tenter l'exécution. Mais nous n'hésitons pas à affirmer
qu'en général ceux qui les ont conçus, ne songent pas sé-
rieusement à exploiter les mines d'Amérique. Ils ont une
mine bien plus sûre et bien plus productive à mettre en va-
leur : c'est la crédulité des habitués de la Bourse. Les pré-
tendues spéculations qu'ils proposent ne sont que de purs
jeux, et des jeux de la plus dangereuse espèce j car ils s'ar-
rangeut de manière à ne laisser aucune chance favorable à
leurs adversaires. Il vaudrait mieux cent fols jouer à la plus
courte paille, en donnant, à l'une des pailles, le nom de Can-
ierac, et à l'autre, celui da Bolivar. Dans le petit nombre
de projets que l'on veut véritablement mettre à exécution
il en est un cependant qui a quelques probabilités de succès :
nous voulons parler de celui qui a pour objet la pèche des
perles sur la côte de Panama. Il sera facile, avec des clo-
*clies, de protéger les plongeurs contre les requins qui ,
dit-on , avalent forcé les Espagnols de renoncer à cette pê-
che. Nous ferons également exception en faveur de la com-
pagnie établie sous le nom de MM. John Innés , Johii
Irvlngt llart Davis , etc. , pour l'exploilallon des mines du
Brésil : leurs noms (la plupart des autres compagnies sont
anonymes) excluent toute idée de fraude. Les mines du
, Brésil sont, d'ailleurs , facilement accessibles, tandis que
celles des Cordillères ne le sont pas.
20 Du Transport par les Canaux , les Routes
Mais laissons ces spéculalions étrangères clans tout l'éclat
de leur première vogue , et occupons-nous un peu des spé-
culations intérieures , non moins nombreuses et encore
plus variées. Nous avons , d'abord , des associations pour
rexploitatlon des mines d'Irlande , d'Ecosse et du pays de
Galles, auxquelles nous désirons vivement toute espèce de
succès. Nous en avons aussi qui s'occupent de suspendre
des ponts sur les rivières , et d^autres qui veulent creuser
des corridors sous leurs lits. Nous avons des machines à
vapeur de toutes les dimensions et pour toutes sortes d'ob-
jets : des vaisseaux à vapeur, des voilures à vapeur, des
canons à vapeur, des fours à vapeur pour faire éclore
les poulets , des cuisines à vapeur pour les cuire 5 des serres
à vapeur pour avoir des ananas et des raisins à la Noël ', des
buanderies à vapeur pour blanchir et pour user notre
linge. Nous avons la Compagnie Métropolitaine pour la pê-
che du poisson d'eau douce, et celles de TVestnn'nster, qui
tendent également leurs amorces aux goujons delà Tamise.
Nous en avons d'autres qui , avec le gaz du charbon de
terre , doivent nous faire faire quarante milles à l'heure dans
les nuages, et douze milles sur les routes qui auront, à l'a-
venir, des relais à cbaque distance de dix milles , abon-
damment fournis de gaz en bouteilles , au lieu de chevaux.
L'animal qui, en se nourrissant de gaz, doit nous faire vo-
ler sur nos routes , n'a pas encore été décrit : il sert
dit-on , de la famille des vélocipèdes, et il aura six ou hui
Jambes de chaque côté alternativement eu mouvement,
Quant à la compagnie qui se charge d'illuminer tout(
l'Europe continentale, nous ne savons pas encore si sor
gaz sera fabriqué en Angleterre, et expédié ensuite en bou
teilles , ou si nous ne fournirons que la matière brute
Comme, pendant la belle saison, la société quitte Londre;
pour aller s'établir sur les bords de la mer, on a Judicieuse
ment calculé que ce serait lui rendre service que de lui épar
â ramures dejer et les Voitures à vapeur. 1 1
gner la peine du voyage , en faisant venir la mer à Londres.
Enfin les intérêts des morts n ont pas été négligés par les
hommes à projets , et Ton se propose d'établir une ou deux
nécropolis sur riuclinaison des collines de Hampstead et de
Highgate , qui surpasseront de beaucoup en agrémens le
cimetière du Père Lacliaise à Paris.
Nous souhaitons de bon cœur que ces projets , et plu-
sieurs autres, également destinés à être mis à exécution au
milieu de nous , soient favorablement accueillis : ils auront
du moins l'avantage d'empêcher que les capitaux créés
par notre industrie et par une paix prolongée, aillent se
perdre dans les spéculations étrangères dont nous parlions
tout-à-l'heure. Des opérations îute'rleures , quelles qu'elles
soient, ne peuvent jamais tarder à être convenablement
appréciées j car elles sont placées sous la surveillance im-
médiate du public qui, dans ce moment, est entraîné dans
le tourbillon des spéculations, mais qui sera bientôt ramené
par le seullineut de ses intérêts , à discerner ce qui lui est
avantageux de ce qui lui est préjudiciable. Nous sommes
convaincus qu'il vaudrait beaucoup mieux que nos capi-
taux surabondans fussent employés , dans l'intérieur de la
Grande-Bretagne , aux entreprises les plus désespérées ,
que d'être versés dans des emprunts et dans des spécula-
tions qui ne peuvent profiter qu'à des étrangers nécessi-
teux , ou, parmi nous , à quelques fripons qui leur servent
d'agens. Aussi, quelqu'absurde que nous parût un projet, si
l'exécution devait eu avoir Heu en Angleterre, nous nous
garderions bien de le décourager, quand bien même oa
proposerait d'élever des kangarous (i) dans les bruyères
de Bagsbot-Ileath, ou , comme un plaisant du dix-septième
siècle, de
« Set Dut windinills
(i) KoTE DU Tr. Aiiiiinl de rAuslralic , qui u'exlslc dans aucune
autre partie de l'univers.
0,7. Du TranspOT't par les Canaux ^ les Route f
Upon Newmarket heath and Salisbury plaiil
To drain tlie fcns (i). »
Au fond riiomme est un animal spéculateur : qu'il soit
riche ou pauvre, civilise ou sauvage , c'est un besoin pour
lai , ou plutôt c'est une condition de sa nature de spéculer
sur des chances. Tout ce que Ton peut demander, c'est que
cette disposition soit dirigée de manière à ce que les classes
ouvrières aient du travail ; car alors , quels que soient les
résultats des spéculations , elles ont toujours conlribué au
bien public. D'ailleurs , il arrive souvent qu'une entre-
prise qui, au premier coup-d'oeil, paraissait frivole et même
ridicide, finit par être extrêmement utile. Tel projet qui
n'apoint réussi dans certaines mains, prospère dans les mains
d'un autre. Il est facile de plaisanter sur les laborieuses
bagatelles qui occupaient les anciens alchimistes; ce qui
n'empêche pas que la chimie moderne n'ait des obligations
immenses à l'alchimie. Cette flamme brillante , extraite du
charbon de terre, qui éclaire maintenant nos rues, et qui
les rend aussi sûres la nuit que le jour, produite parmi
nous, il y a encore un bien petit nombre d'années, par
im Allemand maladroit, y fut un objet de plaisantf ries. II
serait donc à désirer que toutes les inventions nouvelles
pussent être éprouvées, au lieu d'être découragées, à
cause de leur absurdité apparente ou de rinutillté qu'on
leur suppose.
D'un antre côté, il arrive aussi que les projets qui pré-
sentaient les plus flatteuses espérances , échouent com-
plètement et occasionent la ruine de ceux qui avaient con-
couru à los faire mettre à exécution. Mais ces revers
n'abattent pas le courage de nos compatriotes. Ce pays est
le seul sur la terre où de riches particuliers emploient une
(i) « Employer les nioulins à vent à dcîs-chcr le» matais de Ncw-
marlicl et de Saliîbury. »
rt rainures de fer et les ï^oitures à vapeur. 25
portion notable de leur fortune dans des travaux, d'utilité
publique qui, trop souvent, n'ont que des résultats stéri-
les pour les auteurs des projets et pour les capitalistes qui
ont avancé les fonds. Aussi croyona-nous qu'il y a des cas
où il conviendrait de les indemniser aux dépens du public
Ne serait-il pas juste , par exemple , qu'on retirât le péage
du pont de Waterloo , et qu'on indemnisât ceux qui ont
fait élever avec leurs capitaux cette magnifique construc-
tion , monument prodigieux de l'art et du travail hmnain
qui , selon la belle expression d'un écrivain français (i), in-
diquera un jour, par ses débris, la place où fut la moderne
ïyr ? Assurément il est loin d'ctre démontré que le canal
du Régent, le quai projeté du colonel Trench, la route
souterraine de la Tamise, et le canal accessible aux vais-
seaux , qui doit unir la IMauclie à la mer d'Irlande , indem-
nisent jamais complètement les souscripteurs ; et cepen-
dant qui consentirait à voir abandonner ces travaux ! Outre
que ces grandes entreprises sont glorieuses pour la nation
qui les exécute , elles fournissent d'abondantes ressources
aux classes ouvrières. Un grand nombre d'individus qui y
appartiennent seraient forcés , sans ces travaux , de vivre
aux dépens de leur paroisse. Ce sont ces considérations qui
nous font désirer que la législature n'apporte aucun obsta-
cle à toutes les spéculations intérieures qui n'ont point un
but nuisible.
Mais il est tems que nous nous occupions de l'objet prin-
cipal de cet article, c'est-à-dire de l'examen d'une vieille
découverte, tout récemment renouvelée, qui , dans ces der-
niers tems , n'a pas préoccupé moins vivement l'imagina-
tion des spéculateurs que les mines et les emprunts. Cet
examen intéresse également le commerce, l'agriculture,
l'industrie , et même tontes les classes de la société. Il serait
(i) M. Charles Dupin , de l'Acailémle des Sciences.
24 Dn Transport par les Canaujo , les Routes
superflu d'ajouter que nous faisons allusion aux améliora-
tions qu'on se propose crintroduire dans les communica-
tions intérieures du pays; améliorations au moyen des-
quelles on compte que le transport des marchandises ,
comme celui des personnes , s'effectuera à Taveair d'une
manière pius certaine, plus économique et plus prompte
que par le passé. Il serait superîlu de perdre notre tems à
chercher à démontrer ce qui est évident , qu'un semblable
résultat serait utile à tout le monde, au producteur comme
au consommateur, à celui qui voyage comme à celui qui
'^ste tranquillement chez lui.
Aujourd'hui que nous sommes accoutumés à parcourir
une distance de huit à neuf milles à l'heure, sur nos routes
si fermes et si unies, nous ne pouvons pas nous faire une
idée exacte de tous les désagrémens qu'avaient à sup-
porter nos grands- pères quand ils voyageaient. Ils étaient
obligés de trouver leur route à travers des sentiers bour-
beux , de passer des rivières à gué , de s'arrêter souvent
pendant plusieurs jours , lorsque les eaux étalent débor-
dées. Ils faisaient rarement pius de deux à trois milles à
-l'heure, et la crainte de tomber dans quelque fondrière ou
d'être noyés dans une inondation imprévue , les préoccu-
pait sans cesse.
Telle était la manière incommode dont nos ancêtres voya-
geaient f jusqu'à ce que les différens actes du parlement sur
les barrières améliorèrent graduellement, non-seulement
l'état des routes, mais en général celui du pays, en facili-
tant les communications et en donnant les moyens de trans-
porter les articles d'un poids et d'un volume considéra-
bles , qu'auparavant aucun effort n'aurait pu déplacer. Le
cheval de bât fut alors attelé au chariot , et les diligences et
les chaises de poste remplacèrent les chevaux de selle.
Quelqu'im parfaites que fussent la plupart de ces routes , et
malgré la négligence avec laquelle on les réparait , c'était
à rainures dejer et les Voitures à vapeur. -^5
cïcià une prodigieuse amélioration. On ne tarda pas cepen-
dant à en sentir l'insufEsaiice pour le transpoit des mar-
chandises d'un grand poids , et Ton commença à ouvrir des
canaux qui furent aux x^outes et aux voilures ce que celles-
ci avaient été aux sentiers bourbeux et aux chevaux de bât.
Mais on peut appliquer aux hommes à projets ce, mot
connu : .« Donnez-leur une bonne chose , ils ne la quittent
pas qu'ils n'en aient fait une sottise, n En effet, la manie
de la canalisation devint telle , qu'en peu d'années le pays
fut sillonné , dans tous les sens, par des canaux, et qu'on eu
ouvrit jusque dans des districts où il n'y avait rien ou pres-
que ràen à transporter. Il en résulta qu'un assez grand nom-
bre de canaux ne produisirent qu'un intérêt d'un pour cent ,
et que plusieurs n'en produisirent aucun , tandis que d'au-
tres , judicieusement dirigés à travers des contrées indus-
trieuses et bien peuplées , indemnisèrent amplement les
parties intéressées , et contribuèrent , en même tems , à la
richesse et à la prospérité de la nation.
Cependant ces dispendieux ouvrages , créés pour faciliter
le transport des produits agricoles , industriels ou commer-
ciaux , tout avantageux qu'ils sont, ne tarderont pas , se-
lon toute apparence , à être remplacés à leur tour par lu
vieille invention des routes a rainures de fer , anté-
rieure , de plus d'un siècle, à l'usage des canaux. On n'en-
tend plus parler que de routes à rainui-es \ les journaux
quotidiens sont remplis d'avis sur de nouvelles lignes qu'on
veut tracer dans chaque direction, et on publie tous les
jours des pamphlets pour démontrer l'utilité qu'il y aurait
à en établir dans la totalité du royaume. C'est fort tardi-
vement que cette utilité a été aperçue ; car , jusque dans
ces derniers tems, ou ne s'était guère servi de routes à
rainures que comme d^un moyen auxiliaire <\its, cauaux ,
potir y conduire des marchandises , ou pour transporter
xG Bu Transport par les Canaux, les Routes
cle la chaux , du fer, du charLon et autres protlulls des mi-
nss, au point le plus rapproché d'embarquement.
On demandera peut-être ce qui a donné une impulsion si
subite aux spéculations de ce genre, et déterminé, dans
moins d'un mois, la création d'associations et de compa-
gnies pour l'établissement d'environ trois mille railles de
routes en 1er qui doivent coûter vingt millions st. ( cinq
cents millions de fr. ) ? Ce ne sont pas les voitures à va-
peur^ car on ne serait pas plus fondé à considérer ces voi-
tures comme une nouvelle invention que les routes à rai-
nures elles-mêmes. En effet , M. Cumming ( i ) nous apprend
que ce fat en 1769 qu'on proposa d'employer la vapeur
pour faire mouvoir les voitures , et que ce fureut MM. Vi-
vian et Trevithick qui firent la première application de
celte découverte à Merthyr Tydvil , où une voiture à va-
peur en traînait d'autres portant environ dix tomieaux et
demi de fer et faisant plus de cinq milles à l'heure , pendant
un trajet de neuf milles, sans qu'il fût nécessaire de re-
mettre de l'eau dans la bouilloire. Il dit aussi , qu'il y a
déjà plusieurs années , sur un chemin à rainures très-uni
qui conduit aux mines de charbon de Middleton , près de
Lee Is , on se servait d'une voiture à vapeur qui pouvait
traîner trente autres voitures pesant ensemble cent cinq
tonneaux , et faisant trois railles et 'demi à l'heure. Il n'est
pas à notre connaissance qu'on ait mieux fait depuis.
La puissance de la machine à vapeur et la persuasion où
l'on est actuellement que nos moyens de transport, tout
avantageux qu'ils sont , peuvent être beaucoup améliorés ,
sont sans doute les causes principales qui ont imprimé cette
direction à l'activité des spéculateurs 5 mais il faut aussi
mettre au nombre de ces causes les encouragemens donnés
(1) Illustrations of the ori{>in and profères s o/rail and tram roads
and steani carriages , by T. G. Cuinmln!:;, Denbif^li , 1824.
à rainures dcjtr et les Voitures à vapeur, 27
par le premier ministre de la couronne et par ses collègues
( dans la réunion fini a eu lieu poux élever un monnment
à James Watt ) , à ceux qui s'occupent des moyens d'éten-
dre les applications de celte machine, et, en général, au^
inventeurs et promoteurs de toutes les découvertes utiles.
C'est avec raison qu'on a observé , dans la même réunion ,
que rien n'est trop grand ni trop petit pour cette merveil-
leuse machine qui, comme la trompe d'un éléphant, peut
déraciner un chêne et ramasser une épingle 5 forger avec
une égale facilité l'ancre la plus pesante et percer le trou
d'une aiguille ; tordre le cable ie plus fort ; filer le fil le plus
délicat j traîner un vaisseau de guerre sur l'Océan, mal-
gré les vents et les marées 5 et, de cette manière, rappro-
cher les différentes nations , en rendant leurs communica-
tions plus rapides, plus sûres et plus régulières.
Le président du bureau du commerce (i) se félicita, dans
cette réunion, de vivre à une époque où l'on recueillait
déjà les avantages de la naachiue à vapeur , et où l'on pou-
vait prédire avec confiance que l'on ne tarderait pas à en
obtenir , par de nouveaux efforts , des avantages encore
plus importans. I^e secrétaire d'état de l'intérieur (2) avoua
avec une modestie pleine de franchise, que c'était aux dé-
couveites et à l'industrie des autres qu'il devait toute sa
fortune, et il ajouta qu'il se considérerait comme indigne
de la position dans laquelle il se trouvait, s'il refusait son
appui et SCS encourageB^ens à ceux qui avaient tant contri-
bué à la fortune nationale et à son bien-être particulier. Sir
James Mackintosh , M. Wiiberforce et M. îîrougham ma-
nifestèrent, avec la même vivacité, des sentimens sembla-
bles , ce qui fit dire à lord Livcrpool que, lorsqu'on Angle-
terre il s'agissait de l'inlérét des arts, il n'y avait plus de
partis.
• (i) 31. HuskissoTi.
(■.() M. Pccl.
28 Du Transport par les Canaux , les Routes
Une telle unanimité de senlimens entre les minisires du
roi et lenrs adversaires habituels , a dû sans doute exciter
les facultés inventives de nos concitoyens. Il faut cependant
que ceux, qui ont conçu le projet des routes à rainm^es se
préparent à soutenir une lutte vigoureuse contre les pro-
priétaires de canaux , qui ne manqueront pas de chercher
à se prévaloir de ce qu'ils nommeront leurs droits acquis ;
quoiqu'il n'y ait pas une seule de ces mille rivières artiti-
cielles qui divisent l'Angleterre, qui n'ait aussi porté préju-
dice à des droits acquis, et dont l'exécution n'ait eu lieu aux
dépens du hien-être d'un grand nombre d'individus , et par
l'envahissement des propriétés particulières. Si donc on
peut démontrer que , soit par la force des chevaux , em-
ployée sur des routes à rainures, soit par celle de la va-
peur, le transport des marchandises s'effectuera, à l'avenir,
à moins de frais et d'une manière plus expéditive que par
le passé, il ne faut pas que les propriétaires de canaux es-
pèrent que l'on sacrifiera à leurs droits prétendus et à leur
intérêt particulier les avantages de tous. Mais , de même
que l'établissement des routes à barrières fit abandonner
l'usage des chevaux de bat , et que les intérêts des entre-
preneurs de roulage souffrirent ensuite du développement
de la navigation artificielle , il faut qu'à leur tour . les pro-
priétaires de canaux se résignent à voir préférer les routes à
rainures ou tout autre moyen de transport qui donnera des
facilités nouvelles aux manufactures et au commerce. ^
Nous ne voyons pas en effet de quel droit ils pourraient
se plaindre. Ils ont placé leurs capitaux dans ce qu'ils
supposaient êti*e de bonnes spéculations. Dans certains cas,
leurs espérances ont été remplies , et même au-delà ; dans
d'autres, elles ont été complètement trompées. Si ceux
qui ont réussi peuvent soutenir la concurrence des routes à
rainures, eu diminuant leurs péages, ce qu'ils perdront
sera un bénéfice très-légitinxe pour le public, et ils au-
à rainures de, fer et les Voitures à vapeur. 29
ront encoi'e un inlérét convenable de leur argent. Quant
aux autres, ce qu'ils ont de mieux à faire, c'est Je se re-
tirer d'une mauvaise opération pour s'intéresser dans une
autre susceptible d'être avantageuse. C'est avec plaisir que
nous apprenons qu'ils en auront la possibilité 5 car ou a déjà
proposé d'établir des routes à rainures dans le lit de plu-
sieurs canaux improductifs.
On serait , d'ailleurs , autorisé à repousser les prétentions
des propriétaires de canaux , rien qu'en alléguant les cbar-
ges exorbitantes qu ils ont fait peser sur le commerce. L'Im-
mense tonnage du charbon, du fer et de la vaisselle en
terre, dit M. Cumming, a permis aux actionnaires d'un
des canaux qui passent près de Blrmlngliam, de se partager
un dividende annuel de i4o liv. st., par chaque action
de \t\o 11 V. st. j ce qui a élevé le prix de ces actions , de leur
valeur primitive, à 5, 200 liv. st. ( 80,000 fr.) Un autre
canal du même district donne un dividende annuel de
160 liv. st. par action de 200 liv. st. Ces actions se négo-
cient maintenant au prix de 4jGoo liv. st. (iiSjOoofr.)
chacune î
Et ce ne sont pas des faits Isolés (i); M. Saudars nous
apprend que les trente-neuf actionnaires primitifs de l'un
des deux canaux qui unissent Llverpool à Manchester ,
avaient , pendant un demi-siècle , reçu chaque année un(^
somme égale à celle qu'ils avaient versée pour la construc-
tion de ce canal, et que l'autre canal qui appartenait au feu
duc de Bridgewater , lui avait procuré , pendant ces vlu:;t
dernières années, un revenu net d'environ 100,000 liv. st.
( 2,500,000 fr. ) par an !
Quelles que soient les plaintes et les réclamations des
propriétaires de canaux, il est impossible que la législature
{\)A letler on the subjcct of the piojected rail-road beUveen Livcr-
povl and Maiichesti'r , by Joseph SanJars, csq, Livcrpool, 1S25.
3o Du Transport par îcs Canaux , les Roules
consenle à leur garantir, à perpéluité et à l'exclusion de
toute concurrence , des profits aussi monstrueux, pris dans
la poche du public , quaiitl bien même ils pourraient exé-
cuter avec la régularité convenable la totalité des transports
des différens districts que leurs canaux traversent \ ce qui
n'est point, ainsi que nous le démontrerons tout-à-Theure.
Nous désirons vivement qu'en lisant ces observations,
on ne nous attribue pas de prévention contre les canaux.
Nous voulons seulement combattre les prétentions Injustes
de leurs propriétaires. Du reste, nous sommes bien éloignés
de cbercber à favoriser les projets de ceux qui voudraient
établir des routes à rainures dans chacune des parties du
royaume, et supprimer à la fois toTis les canaux, tous les
chariots, toutes les messageries , toutes les chaises de poste,
eu un mot tous les moyens de transport autres que les voi-
lures à vapeur. Nous croyons que Ton s'exagère beau-
coup les avantages , d'ailleurs incontestaljles , de ces voi-
tures ; et que ces exagérations conduiront à des spéculations
très-malheureuses. Que peut-on en effet de plus ridicule
(lue le paragraphe suivant d'un prospectus qu'on vient de
publier?
« D'après l'estimation faite par des ingénieurs expéri-
mentés , la dépense d'une route à rainures doit être de
b.ooo llv. £t. par mille (i). Mais t-upposons qu'il faille
lo ooo llv. st. par mille ( plaisante estimation pour des
ingénieurs expérimentés i ) j une route de ce genre entre
Londres et Woolwlch coûterait 100,000 l.st. (2,5oo,ooo f.)
Le nombre des petites voitures qui parcourent cette ligne
est environ de deux cent cinquante par jour. En admettant
<iue ces voilures, terme moyen , soient seulement à demi
remplies , les recettes annuelles pour le transport des voya-
geurs doivent se monter à 26,000 llv. st. Comme les voi-
(i) Tiois inilles font environ une lieue de poste.
47 rainures de Jer et les Voitures à vapeur. â i
turcs à vapeur parcourront la même dislance deux, fois plus
vile, el avec beaucoup plus de sûreté , elles feront bientôt
abandonner l'usage des autres voitures , et la compagnie
retirera probablement des voyageurs , indépendamment
de ce que produira le transport des bagages, un revenu de
^.0,000 liv. st. , ou de 20 p. 100 du capital de 100,000 liv. st.
supposé nécessaire pour établir la route à rainures de
Wooîwich. n
Nous ne sommes pas surpris que M. Peter Moore et quel-
ques autres de ses co-directeurs, qui probablement n'ont
jamais vu ni une machine à vapeur ni un chemin à rainures,
aient mis leurs noms à de pareilles absurdités 5 mais nous
ne devions pas nous alleudre à ce qu'un ingénieur, M. TeU
ford, consentirait à y donner la sanction du sien. Un cou-
citoyen de cet ingénieur nous assure aussi qu'au moyen de
la machine à haute pression , nous pourrons faire plus de
quatre cents milles par jour, ou quinze ou vingt milles à
l'heure, avec les mêmes aisances que dans les bateaux à
vapeur, mais sans le désagrément du mal de mer, et sans
courir le risque d'être brûlé ou submergé. Malgré toutes
ces garanties, nous pensons que les habitans de Woolwicli
aimeraient autant être lancés sur une fusée à la Congrève,
que de monter daus des voilures qui iraient d'un pareil
train. Peut-êlre consentiraient-ils à y charger leurs ba-
gages et leurs marchandises 5 mais tant qu'une des plus
belles rivières navigables du monde coulera parallèle-
ment à la route projetée, nous considérons les 5o p. 0/0
que les souscripteurs doivent recevoir pour le transport des
effets, comme aussi problématiques que les 20 p. 0/0 qu'ils
comptent percevoir sur les voyageurs.
Mais revenons à la queslion des avantages et des iucon-
vcniens des canaux et des routes à rainures ; question sur
la<juellc le public est encore si peu fixé. Il n'est pas possible
de lalre une comparaison exacte de leurs frais , attcmlu que
5-2 Du Transport par les Canaux ^ les Routes
ces frais' dépendent de circonslances essentiellement va-
riables. Mais on peut affirmer, en général, que les levées
et les profondes trancliées qu'il faut faire pour établir les
niveaux, des canaux. , eu, à défaut, les ponts et les éclu-
ses ; le haut prix qu'on est obligé de payer pour l'acqui-
sition des terres cultivables, à travers lesquelles la navi-
gation artificielle est ordinairement dirigée ; les réservoirs
nécessaires pour conserver Feau ; l'entretien des écluses et
des bords constamment exposés à l'action des eaux ou des
gelées j l'achat et la nourriture des chevaux. 5 la construc-
tion et les réparations des bateaux , et plusieurs autres frais
encore , doivent rendre un canal plus dispendieux qu'une
route à rainures qui viendrait aboutir aux mêmes points 5
quand bien même , ce qui arrivera presque toujours , le
canal , à cause des détours qu'on sera dans la nécessité de lui
faire faire, ne décrirait pas une ligne beaucoup plus longue.
ISous avons sous les yeux le devis des frais d'établissement
de soixante-quinze canaux, qui s'élèvent, prix moyen, à
7,946 llv. st. par mille ; et, comme les devis sont ordinai-
rement dépassés , nous pouvons estimer la dépense défi-
nitive à 9,000 liv. st. par mille. Nous avons aussi une liste
déroutes à rainures avec une double paire d'ornières, qui
présentent un développement total de 5oo milles , et dont
les frais de construction ne s'élèvent qu'à 4>ooo liv. st. par
înllle. Cependant , comme ces anciennes routes sont , en
général, très-imparfaites, on peut compter que la dépense
moyenne des nouvelles sera de 5, 000 liv. st. par mille. Le
devis pour la route à rainures, entre Liverpool et Man-
chester est, dit-on, de 12,000 liv. st. par mille 5 mais cette
route doit cire exécutée avec une grande magnificence :
elle aura soixante-six pieds de largeur \ on prendra les
meilleurs matériaux pour les ornières , et l'acquisition des
terrains, aux deux extrémités, ne pourra se faire qu'à des
prix énormes. D'ailleurs, dans cette estimation , se trouve
à rainures dej'cr e.l les T'oiturcs à rcipcjir. 55
compris le coût clfs maciiiiirs, ces voitm'es et des lïiaga-
■sins. Le caoal de lUnion a prcciscment coûté la même
somme; le Forth et Clytle, deux fois autant; et le canal
-Calédonien , quatre fois davantage. Nous devons aussi oL-
server que M. Jessop , après un examen minutieux du
projet de ia route à rainures cie Peak-Foresl , qui a pour
pati'on le duc de Devonshire , estime qu'elle coûtera
i49,2o6 liv. st. Un canal, pour établir les mêmes com-
munications , coulerait 65o;00oIîv. st. , c'est-à-dire quatre
fois plus, d'après le devis fait par M. Rennie, en 1810.
Les désavantages des canaux sont nombreux. Le froid ,
pendant une saison de l'année, empêche entièrement le
transport des marchandises, et, pendant une autre , la sé-
cheresse ne permet que de transporter des demi-charge-
mens. Une" route à ornières n'est point sujette à ces deux
graves inconvéuieus , et , lorsqu'il est tombé de la neige ,
il est très-facile de dégorger les rainures avec une râpe dis-
posée en avant de la voiture.
La marche d'une voilure, sur une route à rainures, peut
être réglée d'une manière constante et certaine , tandis que
les bateaux sont souvent arrêtés aux écluses des canaux
pendant plusieurs jours. D'ailleurs , la rapidité de la mar-
clie est nécessairement limitée sur les canaux , et elle est
illimitée sur les routes à rainures, tant que ia force de la
vapeur surpasse celle du frottement. Ce sera l'expérience
qui délermineiM le point où la rapidité du mouvement
cesse de se concilier avec la sûreté. Un autre avantage des
routes à rainures, c'est de pouvoir être exécutées dans
toutes les directions , et selon que les besoins du commerce
l'exigent. Une machine stationnaire portera les voilures
sur les cotes qui pourront se rencontrer sur la route , et les
en descendra. L'ouverture d'un canal, au contraire, est
su1)ordonnée aux mouvemens du terrain et à la possibilité
lie se procurer de l'eau.
T. 5
54 ^« Transport par les Canaux , les Routes
liCs canaux n'ont d'avantages sur les routes à raluures
que lorsqu'on ne fait pas plus de deux milles ^^-^ à l'heure ,
mais , au fond , cet avantage est plutôt apparent que réel ,
car il est à peu près annulé par les courbes que les canaux
décrivent , tandis que les routes à rainures vont en ligne
droite. Comme deux milles ,'^ à l'heure sont l'allure la plus
prompte d'un cheval ordinaire, qu'on l'emploie sur une
route à rainures ou sur un canal, et, comme lorsqu'on ne va
pas plus vite, la résistance de l'eau est moins considérable
que celle qui résulte du frottement des rainures , on con-
çoit pourquoi les canaux ont été préférés aux chemins à
ornières , tant qu'on n'a fait usage que de chevaux. Il nous
sera facile cependant, au mo_) en de quelques développe-
mens , de démontrer l'immense supériorité de ces chemins
sur la navigation artificielle.
Il n'y a pas deux estimations qui soient d'accord , quant
au poids qu'un chef al peut transporter sur une roule à rai-
nures, quoique le principe ait été soumis à l'exactitude des
calculs mathématiques : les différences résultent du plus
ou moins de soin avec lequel les routes ont été exécutées ,
de la forme de la rainure , de la dimension et de la cons-
truction des chariots, et de la force des chevaux. On a dit
qu'un cheval , sur une route à rainures qui aurait une incli-
naison de soixante pieds par mille, pourrait transporter
vingt tonneaux, en faisant trois milles à l'heure, et que ce
cheval transporterait le même poids avec la même rapidilé
sur un canal. M. Telford prétend qu'un cheval transpor-
tera de douze à quinze tonneaux sur une route à ornières ,
dont la pente sera de cinquante-cinq pieds par mille, et
pourra retourner avec quatre tonneaux. Sur le chemin à
rainures de sir John Hope, qui a à peu près deux milles ,
un cheval conduit douze tonneaux en moins d'une heure.
M. Cumming assure que , sur des routes à ornières du pays
de Galles , dont l'inclinaison est à peu près d'un pouce par
(l rainures de fer et le:> T'^oitures à vapeur. 55
Terge, un cîieval traîne de trente à quarante tonneaux,
indépendamment du poids des chariots. M. Wilkes , de
Measham, affirme qu'un cheval de la valeur de aoliv.st. ,
sur une route à rainures dont Tinclinaison est d'un pied
sur cent quinze, peut conduire trente-cinq tonneaux, qui
seront réduits à six un quart sur une route de niveau. Mais
un fait fort extraordinaire, et qui cependant est garanti par
M. Bankes et par d'autres témoignages , c'est un cheval qui
conduisait cinquante-cinq tonneaux sur la partie de la route
à rainures de Surrey , qui est de niveau ou très-légèrement
încline'e. En résumé, il paraît constant que , sur une route
bien construite et de niveau, un cheval ordinaire peut
traîner facilement un poids de sept à huit tonneaux , en
faisant deux milles et demi à l'heure , ou dix ou douze ton-
neaux, en faisant seulement deux milles. Le même cheval
en transporterait trois fois autant sur un canal , pendant 1«
même espace de tems. Mais c'est là que s'arrête l'avantage
des canaux sur les roules à rainures , et cet avantage est
contrebalancé par la construction plus dispendieuse du
canal et par les circuits qu'il fait presque toujours.
« Si un cheval en repos , dit M. Sylvester ( i) , peut em-
pêcher de tomber un poids de 169 livres , suspendu à une
poulie, sa force dlsponllile sera de 121 livres, s'il fait
deux milles à l'heure 5 de 100 livres, s'il fait trois milles
à l'heure 5 de 81 livres, s'il fait quatre milles j de 64 livres,
s'il fait cinq mlUesj de 49 livres, s'il fait six milles j de 36
livres , s'il fait sept milles ; de 25 livres , s'il fait huit milles;
de 16 livres, s'il fait neuf milles ; de 9 livres , s'il fait dix
milles; de 4 livres, s'il fait onze milles ; d'une livre, s'il
(1) Report of rails-road s and locoinotu'e cn^iiies, addresseil to thr
chairman and cornmittee of ific Liverpool and Blanchester projccicd
rail-road. Hy Charles Sylvester, civil enginecr, Liverpool, iSiS.
SG Bu Transport par les Canaux , les Rouies
fait douze milles; s'il en fait treize, toute sa force sera
absorbée par la rapidilé de sa course.
Mais celte dimlnuhon de force , en proportion de la ra-
pidité du mouvement, nest pas le seul inconvénient j la
résistance d'un corps qui flotte sur l'eau , s'aécroît comme
le carré de la vitesse. Ainsi, quelle que soit la force néces-
saire pour faire mouvoir un corps flottant avec une vitesse
donnée , il faudra quatre fois la même force pour le faire
mouvoir deux fois plus vite, et neuf fois la même force
pour tripler sa vitesse. Ce n'est pas tout. Un cheval, quand
il fait quatre milles à l'heure, ne peut exercer qu'une force
de soixante-une livres. Par conséquent, il faudra six che-
vaux pour faire faire quatre milles à l'heure à un fardeau
qu'un seul cheval , qui ne ferait que deux milles à l'heure ,
pourrait traîner.
L'application de la vapeur h la navigation des canaux,
si elle était praticable, reutédierait, jusqu'à un certain
point , à l'inconvénient dont nous venons de parler; c'est-
à-dire, qu'une machine qui aurait la force de seize chevaux
pourrait , en faisant six milles à l'heure , IraUier le même
poids qu'un cheval qui ne ferait que deux milles. Mais cela
serait trcs-préjudiciahle à la conservation du canal; car
l'agitation entretenue dans l'eau par la rapidité de mouve-
ment des roues, en dégraderait promptement les bords.
IHusieurs tentatives ont déjà été failes pour faire mouvoir
les barques sur les canaux sans troubler l'eau , et M. Per-
kins a imaginé pour cela un appareil ingénieux; mais le
problème est cependant bien loin encore d'être résolu , et
il est même très probable qu'il ne le sera jamais d'une ma-
nière parfaitement satisfaisante.
à rai/iures de fer ei les Voitures à lapeur. 5'j
M. Sylvester a dressé le tableau suivant des avantages
compares des routes ordinaires , des routes à vapeur et des
cauan^ :
VITESSE.
POIDS A IMOUVOIR.
MILLES
Sur
Sur
Sur
par lieures.
les Routes ordinaires.
les Routes à rainures.
les Canaux.
Livres.
Livres.
Livres.
1
3,024
11, ^oo
44,8oo
3
Même poids.
19,911
4
11,200
5
1,768
G
^'ItS
-
3,657
8
2,800
9
2,212
lo
i'7<)2
Il résulte de ce tableau que si , avec une vitesse donnée
de deux milles à Theure, la même force motrice est em-
ployée sur une route ordinaire , une route à rainures et
un canal , Tavantage du canal , sur les routes ordinaires ,
sera dans la proportion de quinze à un , et de deux à
m\ j sur les routes à rainures^ q"^? si la vitesse était de
deux, milles /^'^ à l'heure , le canal et la route à rainures
transporteraient à peu près le même poids j qu'à trois
milles à l'heure, la route à rainures aurait sur le canal un
avantage qui serait dans la proportion de vingt-deux mille
quatre cent à dix-neuf mille neuf cent onze , et qu'à neuf
milles à l'heure on ne pourrait plus transporter sur le canal
que deux mille deux cent douze livres, c'est-à-dire seule-
ment le huitième du poids que la même force transporterait
sur une route à rainures. Ces estimations sont le résultat
d'expériences faites avec soin.
58 Du Transport j)at les Canaux , les Rouies
Le transit des marchandises entre Liverpool et Manclies-
ter, ayant été souvent entravé par rinsuffisance des moyens
de transport et par rcxagéralion des péages, plusieurs
personnes se réunirent en comité pour prendre en consi-
dération l'uliUté que pourrait avoir une route à rainures.
Ce comité , avec la prudence et la circonspection que ré-
clament les grandes afîaires, commença d'abord par tâcher
de déterminer M. Bradshaw , agent du canal du feu duc
de Bridgewater, à augmenter les moyens de transport et
à réduire les droits de péage j ils n'en obtinrent qu'un re-
ins absolu. Lorsqu'ensuite ils l'entretinrent du projet qu'ils
avaient de faire une route à rainures , et qu'ils lui propo-
sèrent de prendre un fort intérêt dans cette opération , sa
réponse très-laconique fut : « Tout ou rien. » M. Bradshaw
se conduisit, dans cette occasion , comme les propriétaires
du canal de Slroud. Ils avaient rejeté bien loin toute
idée de réduction dans leurs péages j ils témoignaient une
confiance impolitique et présomptueuse dans la prolonga-
tion de leurs gros dividendes , et , de cette manière , ils
ont engendré eux-mêmes cette opposition, que d'abord ils
avaient commencé par tourner en ridicule, mais qu'ils re-
doutent aujourd'hui.
Après le rejet de ses propositions par M. Bradshaw ,
Je comité fit arpenter le pays entre Liverpool et Man-
chester, et il se convainquit que ce pays était très-fa-
vorable à l'établissement d'une route à rainures j qu'au
moyen de quelques travaux, peu considérables, l'inclinaison
de toute la ligne ne serait que d'un pied sur huit cents ; et
que par conséquent elle pourrait être regardée comme étant
de niveau. Il acquit également l'assurance qu'on ne pouvait
1 as élaljllr un nouveau canal entre ces deux viles , l'eau
étant ahsorbée par les canaux déjà existaus. Des commis-
saires se rendirent ensuite aux mines de charbon de Rll-
ling-worlh , pour examiner les routes à rainures et les voi-
à ramures dejcr et les Voitures à va-peur. 09
lures cl vapeur, depuis loiig-tems en usage tlaus ces lulnes.
Quoique les routes , les machines et les chariots fussent
tous susceptibles de grandes améliorations, ils eurent la sa-
tisfaction de voir un de ces chariots transporter quarante-
cinq tonneaux de charbon, en faisant quatre milles à l'heure
et ringcuieur de rétablissement leur apprit qu'une fois on
était parvenu à faire traîner, par la machine à vapeur,
neuf chariots pesant vingt-quatre tonneaux , qui avaient
•parcouru une distance d'un milie ( environ le tiers d'une
lieue ) en. cinq minutes et demie. Une expérience semblable
avait eu le même succès aux mines d'Helton.
■ Quand l'utilité de l'emploi de la machine à vapeur , sur
les routes à rainures , fut démontrée au comité , il publia
un prospectus dans lequel il proposait de faire un fonds de
400,000 liv. st. ( 10,000,000 fr.) divisé en quatre mille ac-
tions de 100 iiv. chacune. Les négocians et les fabricans
étaient si persuadés des avantages de cette entreprise, que
si la souscription eût été dix fois plus forte , elle n'en au-
rait pas moins été remplie immédiatement. En effet, l'uti-
lité en est évidente. Il serait assurément superflu d'ob-
server que le teins est une considération fort importante
dans toutes les affaires commerciales ; et que la sûreté ,
Yexactttude et X économie du transport des lettres, de l'ar-
gent et des marchandises ne sont pas moins nécessaires.
Or, jusqu'à présent, tous les articles lourds et volumineux
ont été transportos entre Liverpool et Manchester, par le
canal, de Bridgevpater, et par la Mersey et l'Irwell j et
dans l'un et l'autre cas, par une voie longue, difîlciie et
très-dangereuse dans les tems d'orages et par les grands ■
vents : car M. Sandars nous assure que, pendant les tem-
pêtes de novembre 1821 et du 5 décembre 1822, plus de
cinquante bâlimcns furent perdus, ou échouèrent sur les
bords de la Mersey, et, l'biver précédent, beaucoup de
'marchandises et plusieurs individus oui également péri.
4o Du Transport par les Canaïut , les Roules
Les circuits de l'une et de Faulre de ces voies , et la lenteur
avec laquelle les transports s'y opèrent, donnent aussi beau-
coup de facilité aux voleurs. Aucun de ces graves incon-
véniens n'existera quand les transports s'effectueront , dans
cinq heures au plus, sur une route à rainures.
Le manque d'exactitude n'a pas moins d'inconvéniens
que celui de sûreté et de célérité ; et les négocians des deux
villes en question sont toujours très- incertains sur l'époque
précise à laquelle leurs marchandises doivent arriver ; car '
les ballots qui, dans le cours ordinaire des choses, peuvent
être rendus dans moins de deux jours , sont souvent re-
tardés d'une semaine et même d'un mois , et quelquefois
Ijeauconp plus loug-lems, pendant les gelées et la sé-
cheresse. Il n'est même pas très- rare de voir des mar-
chandises embarquées à NcAV-York, arriver à Liverpool
avant d'autres, chargées à Manchester. Mais, en mettant
de côté ces cas extraordinaires, il résulte de la difficulté
L\\.i passage des écluses, de l'état des vents, etc., que la
durée moyenne du trajet est de trente-six heures. On a vir
plusieurs fois des fabricans de Manchester, expédier leurs
marchandises par le roulage , au prix énorme de •! et 5
livres st. par tonneau, afin qu'elles pussent être embar-
quées, à jour fixe, à T^iverpooK Elles auraient été trans-
]>ortées, sur une route à rainures, dans quatre ou cinq
heures à un prix fort au-dessous du fret des canaux , et
sans qu'on eût à craindre aucun retard.
Les propriétaires des deux canaux existans étaient d'au-
tant moins disposés à diminuer leurs péages, qu'ils aavaieat
bien qu'on ne pouvait pas ouvrir un autre canal, à cause
du manque d'eau , et que par conséquent , ils n'avaient au-
«luie concurrence à craindre de ce côté; et afin de lutter
avec toute espèce d'avantages contre celle du roulage, ils
se sont assurés de tous les quais et de tous les magasins, de
manière que lorsque les voitures consentent à transporter
à rciiniires de fer et les Voitures à vapeur. 4 '
tles marchandises de Liverpool à Rimcorn , sur le pied de
3 sh. par tonneau , tandis que les curateurs du canal du duc
et les actionnaires de l'autre canal exigent 5 sli. , le pro-
priétaire de marchandises, indépendamment des 2 sh. , doit
aussi payer les 5, sans quoi on ne lui permettrait pas de les
décharger sur les quais. Les administrateurs des deux ca-
naux se sont concertés, en i8io, pour régler d'un com-
mun accord , les tarifs de leurs péages.
On estime à mille tonneaux la quantité de marchandises
transportées , journellement , entre Liverpool et Manches-
ter ; ce transport coûte par an environ aoo,ooo liv. st. Sur
cette somme, les héritiers du duc prélèvent de 8o à ioo,ooo
liv.st. ; et les actionnaires de l'autre canal se sont partagés
chaque année , pendant un demi-siècle, le montant de leur
versement primitif.
Le commerce de Livei'pool et tle Manchester n'a eu jus-
qu'à présent aucune protection contre l'avidité des proprié-
taires des deux cunaux , et tels sont les eôets d'un mono-
pole heureux et paisible , que tandis que des plaintes
s'élevaient de tous côtés contre i'exorhilance des charges
qu'ils faisaient peser sur !e public, ils n'ont pas compris
que le meilleur moyen qu'ils eussent de perpétuer leurs
héuéfires, c'était de diminuer un peu ces ciiarges. II paraît
qu'aujourd'hui ils commencent à sentir la folie d'une sem-
hlal>le conduite , et il est question de la réduction de leurs
péages. Ces concessions , faites en tems utile et de bonne
grâce , auraient désarmé leurs adversaires : elles ne feront
acluel'ement que les encourager , parce qu'on les considé-
rera comme un signe de crainte et de faiblesse.
II nous reste à faire valoir , eu faveur de rétablissement
d'une route à minures entre les deux villes les plus com-
merçantes de l'empire, une dernière considération plus
puissante encore que toutes les raisons que nous venons
dex'poser : c'est la nécessiié absolue de la mesure, attendu
42 Du Transport par les Canaux , les Routes
qu'indépendamment de tous leurs autres incouvéniens, les
moyens actuels de transport sont devenus tout-à-fail insuf-
fîsans. M. Sandars assure que Ton a souvent éprouvé les ,
plus grandes difficultés pour expédier du blé et du bois de
charpente à Manchester , et que quelquefois même l'on a
été obligé de laisser séjourner des marchandises pendant
un mois , sur les quais de Liverpool , faute de moyens de
transport. Plusieurs des uégocians les plus respectables de
cette dernière ville , réunis eu comité , ont déclaré que ces
retards étalent extrêmement préjudiciables aux intérêts du
commerce du pays , et que les accroissemens si rapides et
si prodigieux de ce commerce rendaient indispensable l'é-
tablisseiuenl d'une nouvelle voie de communication. Afin
que nos lecteurs puisseut se former une idée de la prospé-
rité progressive de Liverpool et de Manchester, nous al-
lons leur présenter im extrait de documens authentiques
que nous avons , dans ce moment, sous les yeux.
Les villes de Manchester et de Salford , n'étant séparées
que par une petite rivière, ont toujours été considérées
comme n'en faisant qu'une seule.
En 1757 , le nombre des maisons était de 5,5i6, et la
population de 19,837.
En 1775 , maisons : 4)268 j habitans : 27,446-
En i8'ji, maisons : 2 1,1 50; habitans: 105,788.
En 1824, maisons : 25,910; habitans •• i65,888.
Ainsi , dans le cours de trois années , il y avait eu un
accroissement de plus de quatre mille maisons et de plus
de trente mille habitans î
En 181 5, la quantité des cotons façonnés à Manchester
s'éleva à cent dix millions de livres , et représentait une
valeur de 7,487,562 liv. st. Elle s'éleva en i823, à cent
quarante-cinq millions de livres , faisant une valeur de près
de 11,000,000 liv. st. (environ 275,000,000 de fr. ).
Ce fut eu 1790 qu'on employa la machine à vapeur,
à rainures de fer et les Voitures à rapeur. 4^
pour la première fois, à Manchester. Eu 1824 , il y en avait
plus (le deux, cents en activité. AujourtVliui il n'y a pas
moins de trente mille métiers mus par cette machine, et
en i8i4j il n'y en avait pas un seul.
Les accroissemens de Liverpool sont peut - être encore
plus extraordinaires. En i547 , lorsque la totalité des for-
cî^s navales de TAngleterre étaient réunies devant Calais ^
Londres avait fourni 25 bâtimensj Bristol, 24 ; Hull , 16;
Greal-Yarmouth , 481 j et la rivière de Mersey , un seul î
Liverpool avait :
NAVIRES.
TONNEAUX.
En 1618
24
4G2
1822
8,9'6
1,010,819
1825
9>5o7
1,120, 114
1824
10,001
1,180,914
Ainsi , dans le cours de la dernière année , le nombre des
navires s'est augmenté de quatre cent quatre-vingt-qua-
torze, et le tonnage de soixante mille deux cents !
Depuis i8i4 j l'augmentation du tonnage de Liverpool a
été dans la proportion de vingt à douze.
Eu iG36, lorsque Charles 1'=' mit un impôt sur les na-
vires , Bristol fut taxé à 1 ,000 liv. st. , et Liverpool seule-
ment à 25 liv.
En 1770 , le receveur John Colquitt s'écriait : « Que je
serai heureux , quand les douanes de Liverpool produiront
100,000 liv. ! » Elles ne produisaient alors qu'un peu plus
de 80,000 liv. par an.
Eu 1822 , elles produisirent : 1,591,123 liv. st.
En 1823 , 1 ,808,402 ( près de 46 millions de fr. )
Il y a donc eu , dans le cours d'une seule année, une aug-
mcnlalion de 217,279 liv. ( plus do 5 millions de fr. )
' En 1784? un vaisseau américain apporta, à Liverpool -
44 ^'^ Transport -par les Canaux , les Routes
huit balles de colon qui furent saisies , parce' qu'on supposa
qu'elles ne venaient pas d'Amérique. En i825, on débar-
qua dans ce port 668,400 balles , dont 409,670 venant des
États-Unis. De 1822 a 1825, l'importation s'est augmente'e
de i55,25o balles.
Voici quels ont été les mouveraens delà population.
MAISONS.
HABITANS.
En 1720
2,567
11,833
1760
5,1 56
25,787
1801
11,784
77,708
1811
16,162
94,376
1821
20,559
118,972
1824
22,756
1 55,000
lia l)anlieue , dans une étendue de trois milles , contient
vingt - neuf mille l)abitans ; ce qui fait un total de cent
soixante-quatre mille âmes.
Tl est inutile d'observer que les 9/10 du coton brut , men-
tionné ci-dessus, sont transportés à Manchester et dans les
districts voisins, d'où une partie considérable , après avoir
été tissée, est renvoyée à Liverpool , pour être embarquée
et exportée.
On conçoit qu'une teile augmentation dans la population
et dans la richesse de Liverpool et de Manchester, et les
besoins toujours croissans de leur commerce , aient rendu
indispensable l'établissement cVune nouvelle communica-
tion entre ces deux villes. Quant à la nature de cette com-
munication , il n'y a pas de choix à faire , puisque , comme
nous l'avons vu plus haut , l'établissement d'un troisième
canal est impossible. Mais , quand bien même on pourrait
choisir , ce serait encore une route à rainures qu'il faudrait
établir; car les avantages en sont évidens.
En eflet, la dislance entre I^lverpool et Manchester,
à rainures do fer et lex J'oilmvs à rnpcur. 4''
par rauclen canal, est de pins de cinquante milles. Il faut
près de deux Jours pour la franchir, et quelquei'ois même
il en faut bien davantage. Par une route à rainures, celle
distance sera réduite à trente-trois milles , que l'on fera fa-
cilement dans lin jour, soit avec des chevaux., soit avec
la machine à vapeur. Si Ton emploie ce dernier moyen , la
même machine pourra sans difficulté aller et revenir le
même jour. I^es communications ne seront jamais inter-
rompues sur la nouvelle voie , comme elles le sont sur les
canaux, par la gelée et la sécheresse, et Ton ne sera pas
exposé aux vents et aux orages qui rendent une partie de
la navigation de la Mersey si dangereuse. Au lieu de quinze
sh. par tonneau , les transports se feront à dix sh. , et pro-
bablement à moins. Les habitans de Liverpool et ceux des
dlslricts voisins de la ligne que la route à rainures suivra,
pourront acheter le charbon de terre , plusieurs sh. au-
dessous du prix qu'ils paient actuellement. Lorsque des
communications seront , de cette manière , établies entre
la mer et les mines de charbon , Ijiverpool deviendra
un des points les plus importans du royaume pour l'em-
barquement de ce combustible. En même tems que !e
chemin à ornières facilitera la circulation de cet article in-
dispensable, il facilitera également celle des produits agrico-
les, du fer , de la chaux , etc. , dans toutes les parties du
comté si in J.ustrieux de Laucastre , qui renferme une po-
pulation agglomérée de plus de cinq cent mille amcs , dont
Manchester peut être considéré comme le point centra!.
Mais Tutililé de la route à rainures ne sera pas seulement
locale. Au moyen de cette route, et des bâtimens à vapeur ,
le trajet de cette dernière ville à Dublin pourra se faire
dans dix-huit T)u vingt heures. Les transports entre Dublin
et IMauchester sont très-considérables , et s'augmentent tous
les jours. La nouvelle route fera nécessairement tomber ,
dans une forte proportion, les prix auxquels se vendent.
4G Du Tj-ansport par les Canaux , les Routes
dans le comté de Lancaslre , et clans le Yorkshire , les
grains, le chanvre, la toile et le beurre d'Irlande. Au milieu
de tous les plans conçus pour améliorer le sort de ce mal-
heureux pays , le projet du chemin à rainures n'est certai-
nement pas un des moins importans , et ses habitans eux-
mêmes en sont convaincus : i!s sentent qu'à l'égard des
transports, ce qui sert à abréger le tems, abrège parle
fait la distance, et que tout ce qu'on diminuera sur le
prix de ces transports sera un pur gain pour l'Irlande.
D'après ces considérations et d'autres encore, les prin-
cipaux négocians de Liverpool et quelques - uns des plus
riches fabricans de Manchester ont résolu de demander au
Parlement un acte qui les autorisât à mettre à exécution le
projet de celte route. On peut s'attendre qu'ils rencontre-
ront une forte opposition de la part de ceux qui sont inté-
ressés à conserver le monopote; 11 est vraisemblable qu'ils
n'auront pas seulement à combattre cette résistance par-
tielle , et que les propriétaires de tous les canaux uniront
leurs forces contre ce projet, dans l'espoir que, comme c'est
le premier soumis à la chambre des communes, s'il échoue,
ils n'auront plus rien à craindre des projets semblables qui
pourront être présentés à Tavenir. Ceux qui sont opposés à
la mesure ne manqueront pas de parler de droits acquis,
de crier à l'envahissement des propriétés particulières. Je
mettre en avant l'inconvénient de croiser , par la nouvelle
route , les routes ordinaires , les rivières et les canaux qui
seront dans leur direction. Ils pailleront aussi du désagré-
ment qu'éprouveront la noblesse et les gentilshommes de
campagne, lorsque ces routes seront dirigées à travers leurs
parcs , leurs avenues , leurs jardins , souvent à quelques
toises de leurs demeures , et que la machine locomotrice
les remplira de nuagrs de fumée. Peut-être même diront-ils
que ces machines effraieront les bestiaux attelés à la char-
rue, et ceux qui seront dispersés dans les pâturages. Si
à raimires de for et les T-^oitiires à o'apeiir. 47
cffecllvement leurs adversaires n'ont pas de meilleures
raisons à faire valoir , les liabitans de Liverpooi et de
IManchesler n'ont rien de mieux, à faire qu'à rester sur la
défensive, à se fier à la justice du tribunal qui doit pronon-
cer sur leur cause, et se reposer entièrement sur la nécessité
de la mesure dont ils demandent l'exécution. Nous ne croi-
rons jamais que celle même chambre des communes , qui
s'est signalée eu affrancliissant le commerce du royaume
des entraves qui gênaient la liberté de ses mouvemens,
puisse jamais consentir à le contrarier dans l'un de ses pre-
miers intérêts , en repoussant im projet dont le but est de
rendre les transports plus sûrs , plus prompts et plus écono-
miques.
On a dit que les propriétaires fonciers s'opposeraient
fortement à l'étab isseiucnt des roules à rainures ; mais cette
assertion est tellement absurde qu'elle tombe d'elle-même.
Si quelques-uns de ces propriétaires ne voient pas d'abord
leur véritable intérêt, leurs fermiers le verront pour eux :
ceux-ci sentiront promptement tout le parti qu'ils peuvent
tirer de ces routes , pour envoyer leurs productions au
marche, et pour en rapporter en retour les articles quj
leur sont nécessaires.
Les grands propriétaires fonciers qui se trouveraient sur
la ligne que suivrait la route à rainures de Liverpooi, sont
les lords Derby et Sefton. D'après le plan que nous avons
sous les yeux, il paraît que ce chemin ne s'approcherait
pas de plus d'un mille et demi de la demeure du comte de
Sefton, et qu'elle traverserait la propriété du comte do
Derby , sur les bruyères stériles de Knowsley , à environ
deux milles du château. Les voitures qui apportent le
charbon des raines , et d'autres voilures de roulage, passent
maintenant à quelques centaines de toises de rhabitatiou
de lord Sefton, et par conséquent il gagnerait à l'établisse-
m'ent d'im cliemin à ornières» Les paisibles jouissances du
48 Du Transport par les Canaux, les Rouf es
propriétaire Je RaoAVsley seraient encore moins troublées
par ce chemin , fort éloigné du château, et qni serait même
séparé du parc par la route ordinaire. Ainsi , la nou-
velle roule augmenterait considérahlement la valeur des
propriétés des deux nobles iords . sans les iucoaimoder en
aucune manière.
C'est à dessein que nous nous sommes abstenus , dans le
cours de cet article, de parler du transport des voyageurs.
Il n'y a aucun doute qu'un poids réduit puisse être trans-
porté avec un mouvement accéléré et une sûreté égale,
au moyen de la machine à vapeur j mais nous croyons
qu'il convient d'ajourner l'examen de cette partie de la
question jusqu'à ce que les routes à rainures et les machi-
nes locomotrices aient acquis ce degré de perfection auquel
elles doivent arriver un jour. Cependant, sans attendre ce
moment fort désirable , nous terminerons cet article par
l'extrait d'une brochure d'un partisan très-spirituel , quoi-
qu'un peu bizarre , des routes à rainures.
« Il est raisonnable de penser que les hommes dont la
susceptibilité nerveuse est la plus facilement excitable,
pourront avant peu se placer dans une voiture traînée ou
poussée par la machine locomotrice , avec plus de garan-
ties, de sûreté et moins d'inquiétudes , que lorsqu'ils mon-
tent aujourd'hui dans une voiture conduite par quatre che-
vaux dont la force et l'allure sont inégales, qui sont d'ailleurs
exposés à cetle mul.iluded'accidens qui menacent sans cesse
tout ce qui vit , et animés par des passions qu'une force
supérieure peut seule contenir. Sans contredit, une force
inanimée , qui n'a besoin pour être mise en action , dirigée
et arrêtée, que du doigt ou du pied d'un homme, doit ins-
pirer plus de confiance aux voyageurs que des animaux
dont les caprices peuvent compromettre son existence , si
un conducteur attentif et vigoureux, ne les réprime. Qu'on
se transporte en idée dans vingt ou trente ans , lorsque cet'.e
à rainures dejer et les T^oititres à vapeur. 4Q
snachine sombre , grossière , informe , qui choque main-
tenant nos regards , sera rei.^p^acée par mie autre (Vuue
construction élégante, parée de toutes les pompes du luxe,
et décorée d'écussons héraldiques , comme un caresse sorti
des ateliers de Long-Acre. Cette nouvelle machine ne bles-
sera pas l'odorat par les exhalaisons du charbon ou de
riiulle de baleine; mais elle embaun^.era l'air et flattera les
sens du voyageur par le parfum que la même force qui la
fera mouvoir, extraira , à peu de frais , de quelque produc-
tion de la terre. Au lieu du bruit monotone et étourdissant
de nos voitures actuelles, le jeu de ses ressorts produira
des sons harmonieux. Enfui, au moyen de cette même ma-
chine, on pourra préparer uu dîner plus somptueux et
plus coiijortahle que ceux que Ton sert, en i825, aux
voyageurs d'une diligence. Mais laissons-ià ces hypothèses ,
dont au surplus la cause que nous défendons n'a pas be-
soin, et bornons-nous à garantir que ni le sens de l'odorat,
ni ceux delà vue et de l'ouie, ne perdront au change, lors-
que les voitures à vapeur remplaceront celles qui sont en
usage aujourd'hui. » { Quarterly Review.^
FINANCES.
PRODUITS COMPARÉS DES TAXES ELEVEES ET DES
PETITES TAXES (l).
Nous ne nous occuperons aujourd'hui que de vérités
pratiques. Notre intention n'est pas de nous livrer à des
(i) Note du Tr. Cet article a paru au commencement de 1822,
dans la licvue d'Kdinboui {y. K retle C|io(jue , c'était M. Yansitlart
([ui remplissait les lonctions de cliancelier du l'Echiquier, et un
I, 4 •
5o Produits comparés des taxes élevées
recherches spéculatives \ nous désirons seulement cons-
tater un fait : c'est que Faugmentation tlu rcA'enu public
ne suit pas toujoui's celle des taxes, et qu'il arrive très-
souveut que les impôts sont réduits , sans que ce revenu
diminue. Les opinions erronées qui ont prévalu jusqu'ici
sur ce point important d'économie politique , ont été fé-
condes en résultats désastreux. Il est inutile de démontrer
que l'excessive élévation des droits ravit au peuple sou bien-
être , et corrompt sa moralité en encourageant les fausses
déclarations, la fraude et la contrebande. Ces vérités sont
généralement reconnues ; mais on répond que le mal est
sans remède, que les besoins du gouvernement ne permet-
tront plus à l'avenir de réduire les taxes ! Les réclamations
unanimes du peuple ont amené la diminution d'un sli. sur
les 7 sh. 6 sous qui pèsent sur chaque boisseau de drè-
che ( 1 ) ; mais les ministres ont déclaré qu'il était impossible
homme fatal , qui exerçait une influence prëpondéranle dans le conseil,
pre'sidait encore aux destinées de la Grande-Bretagne. Depuis, tout a
change' : M. Vansittart a été remplacé par M. Robinson, et M. Hus-
kisson est entre dans le ministère avec le titre de président du bureau
du commerce. Cette succession de sages mesures, qu'ils ont fait
adopter par le Parlement, n'est au fond que l'application des prin-
cipes posés dans l'article suivant. C'est la grande influence que sa
publication a exercée sur les déterminations du ministère anglais, qui
nous a décidés à en donner la traduction, quoique la date en soit déjà
assez ancienne. On peut, sans trop préjuger des hommes qui dirigent
aujourd'hui les affaires du continent , espérer que !a reproduction de
cet article dans notre recueil, ne sera pas sans quelqu'action sur eux.
Lorsqu'ils verront, par une série de faits authentiques et Incontesta-
bles, qu'il est en leur pouvoir de soulager les peuples, en diminuant
les Impôts, sans que pour cela les recettes diminuent, aucun d'eux ne
se refusera sans doute aux jouissances d'une popularité qui peut être
si facilement acquise. S.
(i) Le droit sur la drèche est de f)o sh. 6 d. par rjuar/er, savoir :
aSsh. de droit fixe, et lo sh. par baril sur chacun des trois barils i/4
de bière que produit le quarter de drèrlie.
et des petites taxes. 5 1
(le céder une obole de plus. Et quel est ieur motif pour
justifier les droits exorbitans qui sont imposés sur le sel ,
le cuir, le thé, le sucre eï autres articles nou moins indis-
pensables ? la.uécessilé préiendue de maintenir le revenu
au taux ou il est actuellement. Ils ne nient pas que ces
droits ne soient onéreux et appressifs ; mais ils disent que
le maintien du crédit public doit l'emporter sur toute autre
considération, et que, malgré les ressources qui proviennent
de l'élévation des taxes , les recettes suffisant à peine au
service courant et à Tobligation de conserver au moins
l'apparence d'un fonds d'amortissement , ils sont contraints
de repousser tous les efforts qu'on ferait pour les réduire.
Ce raisonnement des ministres et de leurs adhérens re-
pose tout entier sur cette assertion , que la réduction du
revenu est toujours la conséquence nécessaire de celle des
taxes. « Si vous réduisez les droits sur le sel de i5 sb. à
» losli. par boisseau, disait le chancelier de FEchiquier,
f> le seine nous donnera plus qu'âne recette de 1,000,000
» llv. st. , au lieu de i,5oo,ooo liv. Mais, dans les circons-
» tances où se trouve l'état , et lorsque le gouvernement
» s'est engagé lui-même à maintenir un fonds d'amortisse-
» ment de 5, 000, 000 , il m'est impossible de consentir
)) à une telle diminution. Certes, ajoutait-il, les ministres
» de S. M. éprouveraient une vive satisfaction s'ils pou-
» vaient , d'accord avec les intérêts réels de l'état, con-
» sentir à de plus grandes réductions ; mais après ce que le
» Parlement a déjà fait sur ce point ( en réduisant le droit
» Sur la drcche ) , il est impossible de ne pas s'opposer à
y> tout nouveau dégrèvement (i). »
Nous ne nous arrêterons pas à faire ressortir l'absurdité
qu'il }- a à supposer que la re'duction du fonds d'amortisse-
(i) Voyez les (l(fljats qui ont suivi la motion de M. Calcraft, ten-
dante à f.lirc révoquer graduellement le* droits sur le sel ; séance du
•i8 février i82.i.
iîîi Produits comparés des fa.res élevées
meut tic 5,000,000 à 47^00, 000 liv. entraînerait de funestes
conséquences. Il suffit d'observer qvie la nécessité de mam-
tenir intact ce fonds de 5, 000, 000 liv. , était la seule rai-
son alléguée par les ministres, en 181 9, pour proposer
5,000,000 liv. de nouvelles taxes , et que malgré ces taxes,
le principal et Tintérèt de Ja dette consolidée et de la
dette flottante se sont régulièrement accrus depuis cette
époque î Mais, en admettant Tutililé de créer un fonds d'a-
mortissement de 5,000,000 liv., et sans se faire une bien
haute idée de la sagacité de M. Vansittart et de ses collè-
gues, on pouvait supposer qu'ils calculeraient que la de-
inande d'un article taxédevalt nalurelleiueiit s'accroître par
la réduction de l'impôt el la diminution du prix. 11 est
certain toutefois qu'ils ont dédaigné cette considération,
ou bien qu'ils ont pensé que l'élévation ou la modération des
prix était sans Importance pour la grande masse de la nation.
Cependant II est évident que , si ia consommation des mar-
chandises imposées augmente en raison de la réduction du
droit, le revenu ne diminuera pas en proportion de cette
même réduction ; Il est même probable qu'il éprouvera
un accroissement positif et considérable. Si, après une
réductlou de 1 5 sh. à i osh. dans les droits sur lesel, ^ro/^ bois-
seaux étaient consommés au lieu de deux, Il n'y aurait pas de
diminution dans le revenu ; si deux boisseaux étaient con-
sommés au lieu d'?/«, il en résulterait une aii«gnientatIou
notable , et le gouvernement gagnerait 5oo,ooo liv. , au
moyen du dégrèvement qu'il aurait accordé aux contri-
buables. Nous ne craignons pas d'affirmer que tel sera
toujours le résultat d'une diminution dans les droits exces-
sifs Imposés sur les denrées d'un usage général ; nous som-
mes prêts à démontrer que , loin d'entraîner la moindre
diminution dans les recettes, elle t'ugmenlera Immédiate-
ment la consommation , et sera , par cela même , un des
moyens les plus efficaces d'accroître le revenu. La demande
et des petites taxes. 53
des articles que rélévaliou des frais de producliou niaiiuient
à un très-haut prix , sera toujours assez bornée , et ne s'é-
lèvera pas considérablement par suite d'une réduction dans
les droits que ces marchandises supportent ; mais les den-
rées dont l'usage est général et qui n'ont qu'une faible
valeur intrinsèque , figureront en bien plus grande quantité
dans la masse des consommations , du moment où on ré-
duira les impôts qu elles supportent. En effet , cette ré-
duction, eu même tems qu'elle donnera aux consomma-
teurs ordinaires les moyens d'eu consommer davantage,
mettra ces denrées à la portée de classes nouvelles, et bien
plus nomI)reuses de consommateurs. Que l'on consulte les
tableaux publiés par le docteur Colqulioun , et l'on versa
que la diminution de l'impôt ou du prix des marchandises,
qui n'étaient auparavant consoinmées que par les hautes
classes, eu augmentera la demande dans une proportion
géométrique, dès que les classes inférieures pourront à
leur tour en faire usage.
Ce qui s'est passé à l'égard des tissus de coton prouve ,
d'une manière frappante, la vérité de cette observation.
A l'avènement du feu roi , eu 1760, l'élévation des frais
de production de ces tissus les maintenait à un prix ex-
cessif, et il ne s'en vendait pas annuellement pour piusde
i),oo,ooo liv. ( 5,000,000 fr. ) (1). Maià, grâce au génie des
Margrave , des Arkwnght et des Watt , le prix des tissus
de coton a tellement baissé , qu'ils sont maintenant à la por-
tée des classes les plus jauvres , et tel a été l'immense
accroissement des demandes que , malgré cette réduction
de prix, la valeur des cotons manufacturés chaque année
dans la (irande- Bretagne , cl consommés dans l'inlérieur
ou exportés, s'élève, au plus bas, à la somme énorme de
(t) Annal s of Commerce , par Macpherson , vol. IV, pag. 161.
54 Produits comparés des taxes élevées
4o, 000,000 liv. ( un milliard de francs) (i). Il est évident
que j si cette même baisse , dans le prix des tissus de coton,
due au perfectionnement des machines , avait été produite
par une réduction équivalente dans l'impôt , on aurait ob-
tenu précisément les mêmes résultats , le nombre des de-
mandes se serait également augmenté et aurait plus que
compensé la diminution des droits.
Mais il n'est pas nécessaire , pour démontrer l'influence
de la modération des taxes sur le revenu public , de re-
courir à des argumeas tirés des principes généraux de l'é-
conomie politique ; elle est constatée par l'histoire ' de
l'impôt, en Angleterre et dans d'autres pays. Ainsi , par
exemple , avant 1743? l'accise qui était de 4 sh. par livre
de thé, rapportait, année commune , environ i5o,ooo liv. ,
ce qui , s'il n'y eût pas eu de fraude et de contrebande ,
n'aurait supposé qu'une consommation de 750,000 livres ;
mais il est notoire que la contrebande était à cette époque
extrêmement active ; et que la consommation réelle du thé
dépassait de beaucoup la consommation apparente. Pour ré-
primer cette importation clandestine, on présenta, en 174^^
d'après le vœu de la chambre des communes , un bill par
lequel le droit d'accise sur le thé fut réduit de 4 sh. à i sh. et
2 5 p. °lot^d valorem; cette mesure réussit au-delà de toute
espérance. En i74<3, la vente du thé , pour la consomma-
tion intérieure , s'éleva à plus de deiia; millions de livres
pesant, et le produit de la taxe à 243,5o9 liv. ! Pour mieux
préciser les effets d'une disposition aussi sage et aussi sa-
lutaire, nous allons offrir un relevé du produit net des droits
sur le thé , de 174^ à 1745 inclusivement.
(i)NOTE duTr. Depuis 1822, la vente des élolfes de coton s'est
encore prodigieusement accrue. En 1834» le commerce anglais en a
exporté pour près de 800,000,000 fr. , et la consommation intérieure
s'est élevée à une somme beaucoup plus considérable. Au commence-
et das petites taxes. 55
Eu 1 745 c^ produit s'éleva à 1 5 1 ,959 liv.
1^44 • • • • 17^,065
1745 145, 63o
1746 ( après la réduction du droit ). . 245, Sog
1747 • 2^7,947
1748 3o3,5i5 (1).
Mais celte démonstration sans réplique de la supériorité
des produits des droits modérés, était insuffisante pour ré-
primer l'esprit de fiscalité. Eu 1748, les droits furent éle-
vés de nouveau, et, depuis cette époque jusqu'en 1785;,
ils flottèrent de 64 à 1 1 p. Vq.
Les conséquences de cette augmentation désordonnée
- de l'impôt ne sont pas moins instructives que les résultats
de leur réduction. Le revenu n'augmenta pas dans une
proportion correspondante, et comme l'usage du thé était
alors devenu général , la contrebande fut portée à un degré
où on ne l'avait pas encore vue. De 1771 à 1780, environ
cent dix-huit millions de livres pesant de thé , furent expor-
tés de Chine en Europe, sur des navires du continent, et
cinquante millions seulement sur des bâtimens anglais. Mais
la consommation réelle fut en raison inverse des quantités
importées ; celle de la Grande - Bretagne s'éleva à treize
millions de livres , tandis que celle du continent n'excédait
pas cinq millions et demi. Il y eut donc par an un excédant
de six millions et demi, importé frauduleusement en An-
gleterre, malgré l'excessive vigilance des douaniers. Mais
ce n'était pas là le plus fâcheux résultat de l'exagération
des taxes. Plusieurs détailleurs , qui étaient dans l'usage
d'acheter directement à la Compagnie des Indes, se voyant
muni de iSaS, les demaiides étaienl si nombreuses , que les fabiicans
anglais avaient envoyé des agens dans tous les niaixlies de l'univers
pour y accanarcr la lotalitc des cotons bruts qui s'y trouvaient. S.
(i) Httinillona t*iindplcs of Taxation , appeiidix , 11^ uj," uitci
Postlewaile's Hhlory of tin: Itci-cfiue , j). 293.
56 Produits comparés des taxes élevées
dans rimpossibilité de soutenir la concun-ence dans les mar-
chés, furent réduits, pour lutter avec les fraudeurs , à mé-
langer leurs thés avec de la prunelle sauvage et des feuilles
de frêne (i).
Enfin, en 1784, Ips ministres, après avoir vainement
tenté d'opposer à la contrebande d'autres mesures préven-
tives, revinrent au précédent de l'y/v^? et réduisirent le
droit sur le thé de 119 à 12 1/2 p. X ' Cette mesure ne fut
pas moins heureuse que la première j la contrebande et la
falsification cessèrent aussitôt. L'état officiel ci-joint prouve
que la quantité de thé , vendue par !a Compagnie des In-
des , fut à peu près triplée dans le cours des deux années qui
suivirent la réduction.
En 1781 , ie thé vendu par la Compagnie des Indes s'éle-
vait à 5,025,419 livres
En 1782 6,283,664
En 1785 5,857,888
En i784(après la réduction des droits) 10,148,257
En 1785 16,507,453
En 1786 15,095,952
En 1787 16,692,246
Tandis que la quantité de thé , vendu par la Compagnie,
al'ait toujours en augmentant, par suite de la réduction
du droit, celle importée de la Chine sur le continent dé-
croissait plus rapidement encore. Cette quantité qui, eu
1784, montait à 19,027,500 livres, descendit, en 1791 ,
à 2,291,500 livres (2) î
Les droits sur le thé , dans les cinq ou six années qui
précédèrent 1780, produisirent environ 700,000 liv. par
an 5 et, dans le même tems où le Parlement réduisait
(i) Macpherson's Commerce with Iiidia j). 208. Milburn's Orieiilat
Commerce , vol. II , pag. 54o.
(2) Hlacpherson's Commerce with India , pag. i^G.
et des petites taxes. 5 7
ces droits à 12 1/2 p. ^f" , il mettait un impôt additionnel
sur les fenêtres , que Ton estimait devoir produire Goo. 000 1.,
comme taxe de commutation , pour combler le déficit que
l'on supposait devoir avoir lieu , pour ime somme égale ,
par suite de la réduction du droit sur le thé. Mais , au lieu
de tomber dans ia proportion de 119 à 12 1/2, ou de
700,000 liv. à 70,000 liv. , le produit de Timpôt sur le
thé , grâce à l'accroissement de la consommation , ne
tomba que dans la proportion d'environ deux à un , ou de
700,000 liv. à 540,000 liv. î lu acte de commutation a tou-
jours été regarde , avec justice , comme une des plus heu-
reuses mesures financières qui aient été adoptées sous l'ad-
ministration de M. Pitt. On pensa généralement que ce
plan avait été suggéré par M. Richardson , chef de la
comptabilité de la Compagnie des Indes Orientales. Mais
la popularité de la mesure fut si grande , qu'elle détei'mina
plusieurs personnes à en revendiquer l'honneur , et que
même elle occasioua des discussions très -vives dans la
Chambre des Communes. Et cependant , le mérite de la
première idée de ce plan n'appartenait réellement ni à
M. Richardson , ni à aucun de ceux qui se l'attribuèrent ;
et celui de nos lecteurs qui voudra prendre la peine de
lire une brochure de Sir Matthew Decker {Considérations
séi ieuses sur les droits élevés d' aujourd'hui^ , publiée en 1 7 4^ >
reconnaîtra que ia mesure adoptée en 1784 avait été for-
tement réclamée, quarante ans auparavant.
Mais on perdit bientôt de vue le principe de ïacte de
commutation., et l'avantage évident qu'on avait recueilli
de la réduction du droit. En 1795, ce droit fut élevé à
25 p. o/°> tt, après plusieurs augmculatious successives en
1797, '798, 1800 et i8o5, il fut porté, eu i8ot), à
96 p. 0/° > ce qui dura jusqu'en iSiy, où on l'éleva à
100 p. X-
Rien que le droit sur le thé donne de nos jours un pro-
58 Pwduits comparés des taxes élevées
diiit fort supérieur à celui de 1795, on est fondé à cron-e
que cette branche de revenu aurait été bien plus considé-
rable, si !e droit eût été moins élevé. En 1790 et i"96,
la Compagnie vendit 20,000,000 de livres de thé par an ;
en 1799, environ 25,ooo,ooo. Depuis lors, il n'en a pas
été vendu annuellement une plus grande quantité. Eu ef-
fet, nous lisons, dans le rapport fait à la Chambre des
lords sur Is commerce des Indes Orientales ( p. 554 ) •>
que la quantité moyenne de thé vendue par la Compagnie,
on 1818, 1819 et i8'io, a été au-dessous de a5 millions
de livres par an. Cependant la population de la Grande-
Bretagne qui, d'après. le dernier recensement , s'élève à
14,579,000, n'était que de 10,817,000 en 1800; si,
dans l'intervalle , la consommation individuelle du thé de
la Compagnie n'eût pas diminué , les quantités annuelle-
ment vendues par elle auraient suivi la progression de
10,817,000 à 15,379,000 et se seraient élevées de 25
à 33 millions de livres. Ce n'est pas tout : les ventes faites
par la Compagnie alimentent !e marché de l'Irlande; et ,
si nous tenons compte de l'excessif accroissement de la po -
pulation dans cette partie de l'empire , la diminution de
la consommation paraîtra plus frappante encore.
Mais , quoique les ventes faites par ia Compagnie soient
restées stationnaires depuis 1795, l'opinion générale est
que la consommation individuelle du thé, ou plutôt du
mélange vendu sous ce nom , n'a pas diminué considé-
rablement dans les villes, tandis qu'elle s'est beaucoup
accrue dans la campagne. Il est clair que ce surcroît de
consommation n'a pu être alimenté que par ia contre-
bande ou par la falsification. Mais, pendant les dernières
années de la guerre , la contrebande était presqu'impos-
sible ; depuis la paix, elle a été trcs-diflicilc , grâce à la
force organisée sur toutes nos côtes, pour empêcher Tim-
portalion frauduleuse des iliés étrangers. liC vide causé par
et des petites taxes. 5r)
l'exagération des droits a doue été comblé en grande partie
par des mixtions iraudulenses. En effet , ou est fondé à
croire que la falsification obérée, en mêlant avec ie thé
des feuilles de frêne, de prunelle et de thé séché, après
une première infusion , est devenue aujourd'hui bien autre-
ment communs qu'en 1 784 j et ce qui !e prouve , c'est qu'à
Londres, eni8i8 , plus de vingt épiciers furent convaincus
d'avoir des thés falsifiés dans leurs magasins. Dans l'affaire
A'Owen, le conseil du prévenu (M. Lawes) déclara que
cet usage était si général , que son client ignorait qu'il fût
défendu par aucune loi. D'autres délits du même genre ont
été depuis juridiquement constatés ; mais le remède du
mal n'est pas au pouvoir des tribunaux. Les ministres veu-
ient-ils sincèrement prévenir la falsification ? qu'ils suivent
l'exemple dePitt, et réduisent les droits actuels de 5o ou
60 p. 7^. L'expérience des réductions de 1745 et 1 784 ga-
rantit que celle qu'on opérerait n'entraînerait point une di-
minution équivalente dans les revenus de l'état ; loin de là ,
en portant un coup mortel à la contrebande et à la falsifi-
cation , elle contribuerait puissamment à l'extension du
commerce de notre pavs avec la Chine, en même tems
qu'elle serait un grand soulagement pour ies classes infé-
rieures , pour lesquelles le thé est devenu un article de
première nécessité.
Nous sommes entrés dans quelques déveldppemens à l'é-
gard des droits imposés sur le thé, parce que les ventes de
ia Compagnie des Indes constatent , d'une manière positive,
l'influence qu'ils ont eue sur la diminution et l'accroisse-
ment de la consommation. Ces résultats sont à la fois cu-
rieux et Instructifs, et ils suffiraient seuls pour établir la
vérité de l'observation de Swift, que, dans les comptes de
douanes, deux et deux ne font pas toujours quatre et que
souvent même ils ne font pas un.
Les vues courtes et étroites qui ont presque constannnent
6o Produits comparés des taxes éleçdes
déterminé les mesures des minisires , ne nous permettent
pas malheureusement de citer beaucoup de faits aussi con-
cluans que ceux que nous venons de rapporter, pour prou-
ver la supériorité des produits des taxes réduites. Il en est
cependant un ou deux encore que nous ne devons pas né-
gliger. En 1742, les gros droits imposés sur les liqueurs
spiritueuses et sur le commerce de détail de ces liqueurs ,
furent abolis et remplacés par d'autres très-modérés, dans
l'espoir que ia recette s'augmenterait par Vaccroissement de
la consommation légale. Les évêques s'opposèrent avec
force , dans la chambre haute, à l'adoption de cette mesure ;
mais ce fut vainement, et bientôt l'augmentation du pro-
duit de la taxe et la diminution de la contrebande démon-
trèrent qu'elle avait des effets également avantageux pour
le revenu public et pour la moralité du peuple. En 1787 ,
M. Pitt diminua le droit sur les vins et sur les esprits , de
5o p. o/"» <?t cependant le produit augmenta considérable-
ment. Les résultats de l'élévation du droit sur le calé sont
encore plus remarquables. En i8o5, on l'augmenta d'un
tiers, et le produit, au lieu de s'élever dans la même pro-
portion , diminua d'un huitième. A la fin on sentit que le café
avait été surtaxé , et on réduisit le droit, de deux shellins
à sept deniers. Les effets de cette mesure furent immédiats ;
le produit moyen des trois années pendant lesquelles on
avait maintenu l'élévation du droit, fut de iG6,ooo liv.
sterlings , et le produit moyen des trois années qui suivirent
la réduction, fut de \cp,ooo liv. 3 ce qui prouve que la
consommation avait quadruplé.
L'histoire des finances des autres pays n'est jias moins
instructive. En 1775, M. Turgot réduisit à moitié les
droits sur le poisson qui se vendait dans les marchés de
Paris, et, malgré celte réduction, le produit de ces droits
ne fut pas diminué. Qu'en conclure, si ce n'est que la
demande pour cet aliment agréable et nutritif avait doublé ,
et des petites taxes. 6 1
luissilot que les consomiîjateurs avalenl pu se le procurer
à meilleur marché ?
Ustariz domie des détails fort intéressaiis sur les effets
désasti^eux qu'ont eu certaines faxes , pour l'industrie de
l'Espagne, et sur les bons résultats de raboiition ou de la
réduction de quelques autres. Nous citerons un seul fait :
« Quoique le royaume de Valence, dit-il, soit fort peu
abondant en grains et en bestiaux , et quoique son étendue
n'égale pas les deux, tiers du royaume d'Aragon, il verse
cependant des sommes beaucoup plus considérables au
trésor royal. Cela vient de la situation florissante du com-
merce et des manufactui-es de cette province j situation qui
est îe résultat de la réduction des taxes sur la viande et
autres denrées alimentaires, et de l'entière abolition de celle
qui pesait sur le pain, et de tous les impôts désignés sous
îe nom de droits anciens. Ces droits furent eu partie rem-
placés par d'autres plus modérés et plus convenablement
établis, et ces différentes mesures améliorèrent à la fois la
condition du peuple et le revenu public (i). n
La supériorité du produit des petites taxes , lorsqu'elles
sont imposées sur des marchandises d'un usage général ,
peut aussi être démontrée par les résultats des tentatives
faites pour augmenter ces taxes au-delà de leurs véritables
limites. L'histoire des droits sur le sucre est , sous ce rap-
port, fort curieuse. Dans les trois années qui suivirent
i8o5, les droits sur cet article furent augmentés d'environ
5o p. °/g. Le produit moyen des trois années qui précédè-
rent l'augmentation, avait été de 2,7^8,000 liv. Le produit
de 1824, après qu'ils avalent été augmentés de 20 p. °/o ,
ne fut pas de 5, 555, 000 liv. , comme cela aurait dû être si
la consommation était restée la même , mais seulement de
3,587,000, c'est-à-dire de 241,000 liv. de moins qu'avant
( I ) Théorie rt pratique du ('nninierre.
62 Produits comparés^ des taxes élevées
rélévatîon du droltj et lorsqu'en 1806 et 1807 ce droit fut
de 5o p. °/o au-dessus de ce qu'il était en i8o5 , le produit
fut seulement de 5,i55,ooo iiv., au lieu de 4-, 167,000 liv. ,
comme il eût été , s'il u'j avait pas eu de diminution dans la
consommation. Ainsi, en i8o4 , la consommation et le
revenu ont diminué; et, dans les deux années suivantes, le
revenu s'est fort augmenté , et la consommation a été con-
sidérablement réduite. Les droits sur le verre ont été dou-
bles en i8i5, et le produit est à peu de chose près resté
le même. Les taxes sur le cuir, après avoir été station -
naires penlant un siècle, furent doublées en i8i5. En 1812,
les anciens droits avaient produit 3g4,ooo fr. Les nouveaux
auraient dû produire 788,000 Iiv. f mais, depuis cette épo-
que , Ils ont rarement dépassé un demi-million, et plusieurs
fois ils ont été au-dessous.
Les taxes sur les A'ins étrangers ont été triplées depuis
1792. La dernière augmentation a eu lieu en i8i5, lors-
qu'on augmenta de 5o Iiv. l'ancien droit sur les vins de
France , et de 20 Iiv. celui auquel était imposé le vin de
Portugal. Le lecteur pourra se faire ime idée de l'eifet de
cette augmentation , en prenant connaissance du tableau
suivant du nombre de tonneaux importés dans la Grande-
Bretagne, de 1809a 1820 inclusivement, de ceux qui ont
été exportés , et de ce qui est resté pour la consommation
intérieure.
Ton. importés. Jd. Riexportcs. Id. Restés pour Consommation
la consom. iiilér. moyenne pendant le
cinq ans antérieur
va iSi5.
180Q — 49)7^2 14, Soi 35,261
1810 — 47)058 '^>7^9 34)^^9
1811—20,787 5,928 i4,S44
1812 — 35,082 6,716 28,366 \ 28,489 tonn.
i8i3— Les comptes île cette année ont été' dé-
truits par le feu.
1814— 3i,465 1 1,838 29,627
et des petites taxes. 63
Ton. importés. 1,1. Réexporli'-s. 1,1. Restés pour CnnsommatioQ
la consommation moyenne pendant le
■mq ans postérieurs
1 iSi.ï.
'.0,874 5,855 25,019
1816 — 18,218; 5,160. . . , i3,o55
18 17 — 27,073.. . 4>4^7 22,616
t8i8 — 35,763 4>o2i 3i,742 ^ 21,027 lonn.
1819—23,408 3,840 19)56-
1820 — 22,782 4)6^5 18,157
Diminution moyenne de la consommation an-
nuelle, pendant les cinq années postérieures
ài8i5 I 7,4^'-'
Il résulte de ces tableaux que Taugmentation des droits
.sur le vin , eu i8i5, a occasioné uue diminution moyenne
dans la consomnaatlou annuelle , de 'j, 4^2, ou à'iui quart
de la quantité, consommée annuellement pendant les cinq
ans qui ont précédé l'augmentation. Voyons maintenant
si cette diminution des jouissances du peuple a été com-
pensée par Taccroissemeat du revenu public.
Le produit des droits d'accise imposés sur les vins con-
sommés en" Angleterre, de 1810 à 1820 inclusivement, a
été comme il suit :
Pinduit moyen du droit , pendant les riiKj
•TUS antérieurs à i8i5.
1810. Liv. st 1,406,41 7
181 £ i,2i5,5o7
'812 i,o65,i5o ^ Liv. st. 1,162,382.
i8i3 1,061,604
i8i4 i,o65,223
l8l5 1,277,481 ^''- Pendant les cinq années poster, à iSi5.
i8i6 943,987
1817 928,473
'818 1,195,427 y Liv. st. i,o2o,5.'{o.
1819 i,o85,5oo
•^*o 949v'Î28
64 Produits comparés des taxes élevées
Le produit moyeu du droit d'accise , pendant ies cinq
années antérieures à i8i5, a été de 1,162,382 liv, st. j le
produit mojen du même droit, pendant ies cinq années
postérieures, a été de i,0'30,54.o liv. st. Ainsi le revenu,
loin de s'accroître, a diminué de i4 1,842, par suite de
l'augmentation de l'impôt.
Les effets de l'augmentation des droits de douanes , sur
le même article, ne sont pas moins frappans. En i8i4 ,
avant l'augmentation, le produit des perceptions faltespar les
douanes sur les vins étrangers s'était élevé à i,oÔi,4i6 liv.5
en 1816, après l'augmentation, il ne fut plus que de
78o,258liv.; et, excepté eu i8i8oùilmontaà 1,066,894 liv.,
jamais depuis il n'a atteint un million.
Il est inutile de faire des commentaires sur des faits
aussi décisifs. Ces faits prouvent de la manière la plus évi-
dente que le revenu public, les jouissances du peuple et le
commei'ce du pays , ont également été diminués par l'ex-
tension des taxes , et nous devons supposer qu'ils s'augmen-
teraient si ces taxes étaient réduites.
.Mais toutes les parties de notre système financier four-
nissent également des preuves des incouvéniens de l'exagé-
ration des impôts. Nous dirons quelques mots des fâcheux
effets qu'ont eus les droits qu'on a imposés sur le sel : ces
droits furent établis dans le principe , comme taxe tem-
poraire , sous le règne de Guillaume III 5 mais le fisc les
trouva bientôt trop avantageux pour vouloir y renoncer,
et on les convertit en taxe perpétuelle , dans la première
partie du règne de George II. A l'avènement du feu roi ,
ils montaient à ^ sh. par boisseau, et on les maintint à ce
taux jusqu'en 1798, époque à laquelle ils furent portés à
10 sh. Un comité de la chambre des communes fut chargé
d'informer sur les effets qu'avaient eus ces taxes. M. Van-
sittart , actuellement chancelier de l'Echiquier, fut nommé
chairman ( président ) du comité, et il fit un rapport dans
et des petites taxes. G5
lequel il réclamait fortement l'abolition absolu? de Ces
droits. Mais, au lieu de prendre en considération les obser-
vations du comité, M, Pitt mit , en i8i5, un droit addiliou-
iiel de 5 sb. sur cet article, ce qui porta le droit à i5 sh.
Nous ne croyons pas que , parmi les innombrables taxes
qui pèsent sur les peuples de la Grande-Bretagne, il y en
ait aucune qui soit plus funeste. Le sel est une des choses
les plus nécessaires à la vie, et , comme il est indispensable
à l'assaisonnement des viandes froides , du beurre , du
fromage , etc. , les classes pauvres en font un plus grand
usage que les riches, et cependant on n'a pas craint de
surcharger cet article de droits qui montent au moins à
trente ou trente-cinq fois sa valeur. Sans la taxe de i5 sh, ,
le sel pourrait être acheté à 4 sous, ou, du moins, à G sous le
boisseau» La Pologne exceptée , l'Angleterre a les plus ri-
ches mines de sel de l'Europe , et, malgré cela, il s'y vend
plus cher que dans aucune autre partie du monde. Grâce à
l'avidité du fisc, les bienfaits de la Providence n'ont en
d'autres résultats que la misère et le crime. Malgré la vi-
gilance des employés de l'accise et la sévérité des punitions
qu'infligent les lois fiscales , il est certain qu'il n'y a pas
plus du tiers du sel consommé dans la Grande-Bretagne,
qui acquitte le droit. La valeur de la totalité est artificiel^
lement augmentée; mais les contributions du public sont
divisées entre le trésor et les contrebandiers, et tandis
qu'une armée d'employés fait ses perceptions sur environ
5o,ooo ton. , la contrebande impose des droits moins éle-
vés, quoique cependant fort considérables, sur à peu près
100,000 ton. Il résulte de cet état de choses, qu'indépen-
damment des i,5oo,oooliv. (3G, 000, 000 fr. ) que les droits
sur le sel font entrer au trésor, une autre somme, aa
moins égale , est prélevée sur les classes industrieuses de
la nation par un amas do voleurs et de bandits qui se la
partagent.
I. 5
G(j Produits comparés des taxes élevées
r^e.s droits sur le sel n'ont pas seulement Tinconvcnien!
lie dégratler le caractère moral du prolétaire , en le pous-
sant à entrer dans la funeste carrière des contrebandiers ,
carrière qui conduit presque toujours à la potence ; ils sont
aussi extrêmement préjudiciables à quelques-unes des prin-
cipales branches de l'industrie du pays. Malgré les immen-
ses sommes employées en primes, drawbacks, etc. , etc. ,
pour encourager les pêcheries , il est vraisemblable qu'elles
n'atteindront jamais an certain degré de prospérité, tant que
les droits actuels, sur le sel, ne seront pas abolis. M. Carter,
un des principaux saleurs de poisson de Londres, termine le
tableau fort exact des fâcheux effets qu'ont eus ces droits sur
les pêcheries , en disant que , si elles ont pu se maintenir,
malgré tant de difficultés et de circonstances découra-
geantes, elles recevi'aient, sans aucun doute, un prodi-
gieux accroissement , si elles étaient émancipées par l'abo-
lition de ers taxes. L'auteur bien informé de X Aperça des
Hébrides , M. Macdonald, assure que, faute de sel, plusieurs
milliers de barils des plus beaux harengs du monde sont
perdus toutes les semaines , dans la saison de la pêche.
« J'ai vu, dit-il, des cargaisons tout entières jetées dans la
mer, dans un état de pulridité , et d'autres employées
comme engrais dans des champs de pommes de terre , par
suite de l'impossibilité où étaient les pêcheurs de trouver
caution pour le sel qui leur était nécessaire. » Tels sont les
déplorables résultats des taxes oppressives que les ministres
sont parvenus à maintenir au moyen d'une majorité de
quatre voix.
l'Lu France , avant la révolution , la consommation
moyenne du sel , dans les provinces soumises à la grande
o-ahelle , s'élevait par an, suivant l'estimation de M. Necker,
qui avait été plus qu'un autre à même d'être bien informé,
à 7 liv. i/6, età i8 liv. dans les -çToymces i-édiméfis , c'est-
à-dire dans celles qui avaient acheté l'exemption de la plus
et des petites taxes. G7
ibrle partie de ces odieuses taxes. D'après ces documens
authentiques , il est évident qu'on eût pu réduire cousidé-
rablemeut le droit sur le sel dans les provinces surtaxées,
sans qu'il en résultât aucune diminution dans le revenu :
et, en même tems que la condition du peuple se serait
améliorée , le gouvernement eût été déchargé de Tobliga-
tion d'entourer des provinces particulières de cordons de
troupes ; car cette opération aurait arrêté tout-à-coup !a
contrebande , qui faisait chaque année condamner trois à
quatre cents individus à la prison et aux galères. Mais
notre législation actuelle sur le sel , quoique moins par-
tiale , est encore plus oppressive que ne l'était celle de la
France; car, par le fait, toute l'Angleterre se trouçe soumise
à la grande gabelle. W y a environ 5o,ooo ton . qui acquittent
le droit. Répartis entre les douze millions d'habltans qui
composent la population de l'Angleterre et du pajs de
Galles, ils donnent 9 liv. i/5 par individu, ce qui est, à bien
peu de chose près , la même quantité que celle qui était
consommée autrefois dans les provinces françaises soumises
aux gros droits. Mais le prix naturel du sel est, eu Angle-
terre , bien moins élevé qu'en France, et nous faisons une
bien plus grande consommation de provisions salées que
les Français. Aussi nous ne croyons pas exa-'^érer en affir-
mant que si les droits étaient réduits à 5 ou 4 sh. par bois-
seau, la consommation moyenne serait par individu de 20 à
24 !iv. D'où il résulte que , malgré la diminution de la taxe
le produit serait toujours à peu près le même. La contre-
bande serait tout-àfait découragée par l'adopllon de cette
mesure, et le public ne paierait plus une sommedeux ou trois
fols plus forte que celle qni entre dans les caisses du trésor.
Mais c'est surtout en consultant les annales financières
de l'Irlande que nous pourrons nous former une idée exacte
de la manière dont l'exagération des taxes réduit le re-
venu. Depuis 1807. on a imposé sur ce royaume dos con-
68 Produits comparés des taxes^'^èlevées
tribulious dont le produit , suivant les estimations des
ministres, devait s'élever à 3,5oo,ooo liv. ster. Les e'tats
suivans feront voir comment ces espérances ont été réa-
lisées.
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et des petites taxes. 69
Les taxes imposées en Irlande devaient procurer, sni-
vant les estimations ministérielles, les recettes suivantes :
Droits imposés en 1808 — Liv. st 363, 000
Jd. En 1809 — 600,000
Id.En 1811 — 338,000
là. 'En i8ia— 229,000
Id. En i8i3 — 595,000
Id.En 1814 — 521,000
/</. En i8i5 — 73o,ooo
3,376,000
De cette somme, nous avons déduit 400,000 liv. de taxes
qui ont été abolies à la fin de la guerre. Si les données sur
lesquelles les ministres fondaient leurs estimations, eussent
été exactes , ou, ce qui est lu même chose , si le pays eût
pu supporter ce nouveau fardeau , le revenu de Tlrlande
aurait été, en 1817, 1818, 1819, 1820 et 1821, de 3 mil-
lions plus élevé qu'en 1807. Mais les états officiels que nous
venons de mettre sous les yeux de nos lecteurs , montrent
que les taxes additionnelles, au lieu de produire 5 mil-
lions, n'ont pas produit un seul shelling! au contraire , le
revenu de Tlrlaude était, en 1807, avant les nouveaux
impôts, de ^,3'j8/2^i liv., et eu 1821 il n'était que de
3,8445889 liv. Ainsi au lieu d'une augmentation de 3 mil-
lions , il y avait eu une diminution de 555,552 liv. .'
Yoilà certes vii exemple assez frappant de la folie qu'il
y a à vouloir imposer de nouvelles charges à un pays qui
succombe déjà sous le poids des anciennes. Si les ministres
avaient fait un effort vigoureux pour réveiller l'énergie as-
soupie de la population , pour lui inspirer du goût pour
les jouissances et les commodités de la vie civilisée , et pour
faire disparaître quelques-unes des causes d'irritation qui
orit porté le trouble dans ce malheureux pays , les résul-
tats eussent été bien différens , et toutes les classes de la sq-
70 Produits comparés des taxes élevées
ciéte ue se seraient pas de plus eu plus enfoncées dans l'a-
bîme de la pauvreté et de la naisère.
Le tableau suivant contient le détail des diminutions qui
ont eu lieu dans la consommation des articles dont les droits
ont été augmentés, et, par suite, dans le produit de ces
droiîs. Ces documens sont extraits des livres de la douane
et de l'accise d'Irlande ; il en est bien peu qui offrent vm
aussi haut degré d'intérêt et d'instruction.
I.VDICATIO-V
DTS^RTICLES
Rhum
Eau-de-vie. . . . •
Qenièvre
Vins de Portugal
— — de France
de Madère
d'Espagne
Sucre
Tabac
Espriu faits dansTintérieur
DrècUe
Thé
Total
Consoiuma-
ioa moyenne
avant Taug-
mentation
des droits.
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208,000
83,000
5,700
6/(0
95
i,i6o
338,000
6,484,000
Consomma-
tion depuis
l'augmeuta-
tiou.
266.
2,4.4
3,000 gai
B,ooo id.
^,000 id.
I,20OtOU
63
720
000
,000
Produit
moyen des
droits avant
l'augmenla-
tion.
liv.st.
297,700
77,000
3 1 ,000
268,000
38,000
g,3oo
100,000
379,000
744,600
1,236,000
362,000
527,000
4,069,600
Produit
depuis
Taugmenta-
tiou.
liv.st
i6,5oo
5,600
2,800
1 18,000
20,000
6,000
70,000
404,000
677,000
[,170,000
3io,noo
451,000
Ainsi Taugmentation des taxes sur les articles ci-dessus
a fait perdre chaque année, au trésor , terme moyen , une
somme de 818,700 liv. st. ! Il n'y a que le produit du sucre
qui ait reçu quelqu'augmentatioii.
Il est impossible qu'on laisse les ministres persévérer dans
ce système insensé. N'esl-il pas monstrueux de priver tout
un peuple, par des contributions énormes, de la plupart
des agrémens de la vie et de quelques-unes des choses qui
y sont le plus nécessaires , sous le prétexte stupide de con-
server intact le revenu public , lorsqu'il est aussi clair que
et des petites taxes. 71
le jour qu'au lieu de diminuer il augmenterait beaucoup ,
si ces conlributioDs étalent réduites 7 M. Spring Rice a
observé, avec liaison , que le chancelier de l'Echiquier était
l'allié le plus actif du capitaine Rock (i) i car il est hors de
doute que les privations extraordinaires auxquelles l'Ir-
lande a été obligée de se soumettre , par suite de l'accrois-
sement des taxes , ont été les causes principales delà guerre
civile qui la dévore. Et à quelle fin M. Vansittart s'est- il
fait l'allié du capitaine Rock? Pourquoi a-t-il forcé les Ir-
landais de renoncer aux jouissances des peuples civilisés ?
Encore si le revenu public se fût accru , c'eût été une com-
pensation , bien misérable sans doute , pour tant de priva-
tions j mais les nouvelles taxes n'ont pas eu ce résultat :
elles ont pu réduire au désespoir les habitans de cet infor-
tuné pays , et leur faire faire des actes d'une atrocité inouie j
mais elles n'ont pas pu tirer un seul shelling de leurs poches
vides.
Ce n'est pas sans raison que M. Chichester a dit, dans son
excellent écrit sur les lois relatives aux distilleries d'Ir-
lande , que les calamités de la guerre , telle qu'elle se fait
maintenant chez les peuples civilisés , sont moins grandes
que celles que produit la contrebande dans ce royaume.
En effet , il ne s''est guère écoulé de semaines , dans ces
douze derniers mois, qu'il n'y ait eu quelqu'engagement
entre les soldats et les matelots destinés à l'empêcher , et
les contrebandiers. Quelques-uns de ces engagemeus ont
été fort sérieux. En novembre dernier, 4oo habitans de la
campagne , occupés à décharger un lougre smogleur , furent
attaqués par un détachement de soldats qui, après un en-
gagement très-vif, dans lequel plusieurs hommes périrent
de part et d'autre, fut obligé de se replier. D'autres ren-
'(i^ C'est le nom qu'on donne au chef imaginaire des insurrections
irlandaises.
72 Pwduits comparés des taxes èleçées ^ etc.
contres ont eu lieu dans toute retendue de la côte , et les
distillations illégales, la falsification du thé et la contre-
bande du sel sont beaucoup plus communes qu elles neTont
jamais été. Et que les ministres n espèrent pas réprimer ces
désordres par la sévérité des punitions. Les gros droits ont
rendu la contrebande populaire dans d'autres pays , et il en
sera de même parmi nous , si on ne diminue pas les tarifs.
Assurément nous ne voulons pas excuser les torts de ceux
qui fraudent le revenu public, et qui, de cette manière,
portent un immense préjudice aux négocians honnêtes.
Mais c'est vainement que l'on espérerait que la multitude
verra avec aversion ceux qui lui procurent du thé , du ge-
nièvre, de l'eau-de-vle , h bon marché. Dans le fait , ceux
qui ont creusé l'abîme sont beaucoup plus coupables que
ceux qui y tombent. « Il y a des pays , dit Montesquieu,
où le droit excède, de dix - sept fois, la valeur de la mar-
chandise. ( En Angleterre , ce n'est pas de dix - sept fois ,
mais de trente fois que le droit excède la valeur du sel. ) Il
faut donc avoir recours à des peines extravagantes , et pa-
reilles à celles que l'on inflige pour les plus grands crimes.
Toute la proportion des peines est ôtée ; des gens qu'on
ne saurait regarder comme des hommes méchans , sont
punis comme des scélérats. » C'est certainement une chose
subversive de toute justice que d'exciter fortement la ten-
tation de la fraude par des impôts énormes, et ensuite de
punir les hommes qui ont cédé à cette tentation. Celte
manière d'agir révolte les sentimens naturels du peuple. Il
en résulte qu'il s'intéresse à des êtres méprisables , tels que
sont en général les contrebandiers 5 qu'il épouse Ifurs que-
relles et qu'il est disposé à tirer vengeance du mal qu''on
leur fait. La punition qui n'est pas proportionnée à l'offense,
et qui n'a pas reçu la sanction de la société, ne saurait ja-
mais avoir des résultais utiles. Le seul moyen d'arrêter la
contrebande , c'est d'empêcher qu'elle ne soit profitable , et
Esquisses de l'Inde, 7 3
c'est à quoi 011 peut facilement parvenir ; non eu entou-
rant la côte cVun cordon de troupes ; en multipliant les ser-
înensj en transformant le pays en un vaste champ de ha-
taille ; en excitant la chicane et le parjure dans les cours de
justice 5 mais uniquement en réduisant les gros droits. Lors-
que les profits du négociant honnête seront à peu près les
inêmes que ceux, du contrebandier, il faudra bien que ce-
lui-ci renonce à sa périlleuse et méprisable profession. Mais
tant que des taxes disproportionnées seront maintenues et
qu'il existera une prime pour les aventuriers et les néces-
siteux qui feront la fraude ; ce sera sans succès qu'une ar-
mée d'employés de l'accise, secondée par la sévérité des
lois fiscales , tentera de la réprimer.
( Reçue d'Edinbourg. )
VOYAGES.— STATISTIQUE.
ESQUISSES DE L*INDE
PAR UN OFFICIER ANGLAIS (l).
Les Esquisses de Vinde sont un livre très- agréable, un
charmant modèle de celte manière d'écrire dont nous
voudrions que l'usage fût plus général parmi ceux qui
ont parcouru le monde, c'est-à-dire une relation simple
et rapide de ce qu'une personne d'une inslructiou ordinaire
peut voir et sentir, dans les contrées qu'elle traverse et
qu'elle examine sans avoir en vue un objet particulier. Il
y a sans doute une classe de voyageurs qui se propose un
(1) Shetchcs ofindia, wriUen by an officcr, for fire-sidc Cravel-
}tti al home. Second édition , wilh aUeralions , in-S», London , 1824.
74 Esquisses
but plus élevé, et dont les relations sont plus instructives.
Ils ne se bornent pas à nous parler de leurs impressions ;
mais, selon la diversité de leurs habitudes antérieures et la
nature de leurs connaissances , ils nous entretiennent des
antic^ités , de Thistoire naturelle ou de la statistique des
pays qu'ils ont visités. Nous sommes bien loin de vouloir dé-
précier les travaux de ces laborieux et savans personnages ;
nous observerons seulement que leurs écrits exigent une
attention trop forte et trop de connaissances acquises, pour
la généralité des lecteurs. Dans le fait, ce ne sont pas des
relations qu'ils composent , mais des ouvrages de science et
de philosophie , et comme le plus grand plaisir que nous
trouvons en voyageant , résulte des Impressions que nous
recevons , pour ainsi dire, passivement, de la présence des
objets nouveaux, et des réflexions s[)Outances qu'ils font
naître , les relations les plus agréables sont celles qui nous
rendent ces impressions dans leur fraîcheur et leur simpli-
cité première , et qui nous associent aux sentimens de celui
qui les a éprouvées , par la manière naturelle dont il en
rend compte. Ce charme disparaît, là où se fait voir la pré-
tention de la science et de l'érudition. Presque toujours
nous laissons ces longues dissertations , inutilement présen-
tées sous la forme d'un journal , sans rien savoir de ce que
nous aurions éprouvé, si nous avions fait les mêmes voyages
que leurs auteurs ; mais bien convaincus que nous aurions
été occupés d'une tout autre manière et assez disposés à
croire qu'eux-mêmes Tétaient différemment dans leurs
heures les plus agréables , et qu'ils ont précisément omis
de rapporter ce qu'ils se rapellent avec le plus de charme ,
dans leurs momens de loisir.
Le recueil dont nous allons rendre compte est une
composition d'une nature très-diflérente ; il s'en faut bien
cependant que l'agrément qu'il présente soit entièrement
dépourvu d'instruction. Notre observateur , sans être i n
de V Inde. 7 5
grand philosophe , est un homme intelligent et bien élevé.
Il examine avec curiosité tout ce qu'il raconte , et il fait
volontiers les recherches qui n'exigent pas trop d'efforts
et qui ne retardent pas trop long-tems la rapidité de sa
marche. La manière d'écrire qu'il a adoptée, lui permet
de traiter légèrement un grand nombre de sujets fort in-
téressans , que des discussions plus approfondies auraient
exclus. Aussi, en lisant son livre, l'esprit du lecteur est-
il plus agréablement excité et plus vivement sollicité à la
réflexion, par la variété des objets qui passent rapidement
sous ses yeux , qu'il ne le serait par des détails techni-
ques , sur des plantes , des pierres , des animaux ou des
ruines.
Ces légères et charmantes esquisses nous font , pour ainsi
dire , voyager avec celui qui les a tracées ; elle nous ren-
dent témoins des scènes qu'il a vues , et nous ressentons
les impressions que ces scènes ont excitées chez lui. A ce
dernier égard, nous sommes tout-à-fait à sa merci, et
peut-être en a-t-il quelquefois un peu abusé. Si c'est un des
attraits de ce genre de relations, que la manière dentelles
nous font sympathiser avec les sensations de leurs auteurs,
c'est aussi un de leurs dangers. Pour le privilège de voir
avec des yeux étrangers , nous devons en général renoncer
à celui défaire usage de notre propre jugement, et si nous
jouissons des grands spectacles auxquels d'autres ont as-
sisté , nous nous trouvons en même tems dans l'obligation
de partager les sentimens qu'il leur convient d'y associer,
A tout prendre, cependant, le lecteur de ce petit volume
n'aura pas lieu de se plaindre. L'auteur sert comme officier
dans les armées du roi , et il n'est pas sans quelques pré-
jugés de corps \ mais il se montre partout profondément
imbu de sentimens tendres , philanthropiques et religieux.
Il, a un tour d'esprit et une diction poétiques et pittores-
ques; et si, quelquefois, il a un peu d'affeclalion dans son
76 Esquisses
style, ce défaut est compensé par la concision , la grâce
et la variété qni se font généralement remarquer dans
l'ouvrage. Quelques citations justifieront nos éloges; la
suivante est extraite du commencement des Esquisses.
« Ce fut dans l'après-midi du 10 juillet 1818, que nous
jetâmes l'ancre dans la rade de Madras, trois mois et
demi après notre départ de la terre natale. Combien la
scène était changée , et quel contraste entre Ryce , ses
petites maisons si propres et si commodes , ses toits de
chaume ou d'ardoises , ses jolis jardins , ses rivages dont
rinclinaison est couverte de verdure , et Madras avec les
grandes murailles nues de son fort , ses pompeux édifices,
ses verandahs, ses hautes colonnes et ses toits en terrasse !
La foule se presse dans les rues de cette ville spacieuse,
hâtie dans un terrain plat, sur une côte que blanchissent
des flots d'écume. Ici , la rade est animée par une mul-
titude d'yachts élégans , de barques de pécheurs parfaite-
ment construites , de légères nacelles ; là , c'est le bateau
noir, informe, du Massoulah, que vous apercevez. Des ma-
telots entièrement nus le conduisent en chantant ces airs
sauvages, mais qui sont loin d'être dépourvus de charme, et
que, depuis des siècles, les vagues d'une mer agitée accom-
pagnent en mugissant. Il était tard et 11 faisait déjà nuit lors-
que nous atteignîmes notre gîte. Nous ne trouvâmes aucun de
nos compatriotes pour nous y recevoir ; mais la salle à man-
ger était éclairée et la table mise. INous nous empressâmes
de nous y placer ; je crois , dans ce moment, qu'il eût été
bien diflicile de trouver, dans l'Inde entière, une réunion
plus gaie et plus satisfaite que la nôtre. Quatre ou cinq
hommes proprement velus de blanc , avec des turbans
également blancs ou d'étoffe rouge, c!es pendans d'oreilles
en or ou en émeraudes, et de larges anneaux en argent
à leurs doigts, étaient groupés autour de chacune de nos
chaises , et surveillaient tous nos mouvemens pour prér
de l'Inde. 'j'j
venir nos désirs. Après avoir goûté beaucoup de fruits et
de léguqies , tout-à-fait nouveaux pour nous, et nous être
prononces sur leur mérite, nous allâmes nous coucher fort
contens de la fin de notre soirée.
» La scène du malin fut vraiuîent plaisante. Dès la pointe
du Jour , notre chambre avait été envahie : ici, un barbier,
qu'on n'avait pas demandé, rasait un officier encore tout
assoupi j un autre faisait craquer les jointures d'un second
officier à demi habillé ; deux, domestiques s'étaient emparés
des mains d'un troisième pour les lui laver , et malgré tous
mes efforts pour les en empêcher , deux hommes fort bien
vêtus s'étaient saisis de mes pieds dans le même but. Tout
près de moi, un Jeune garçon habillait avec beaucoup de
dextérité , et comme si c'eût été un enfant confié à ses soins ,
un autre de mes camarades à peine éveillé. Toute cette
scène, qui m'avait d'abord fort diverti, finit cependant par
m'affliger; car il y avait , dans ces empressemens serviles,
quelque chose qui était fait pour blesser le cœur du citoyen
d'un état libre. »
Avec toutes les aisances dont il est environné , les mar-
ches d'un officier anglais , dans l'Inde , ne peuvent pas être
considérées comme une chose pénible.
« Il est certainement fort agréable , dit l'auteur des
Esquisses., de voyager dans ce pays, quoique cependant
on soit obligé de se lever trop tôt. Une heure avant la
pointe du jour , vous montez à cheval ; vous allez d'un pas
modéré et vous arrivez à l'endroit où vous devez passer la
journée, avant que le soleil ait atteint toute sa force. Vous
y trouvez une petite tonte dressée et votre déjeûner servi.
Votre grande tente, avec votre couchette et vos bagages ,
arrivent plus tard. A neuf heures du matin, vous pouvez
être lavé , habillé et occupé avec votre plume, votre crayon
ou, vos livres. Des nattes , tressées avec des piantes odori-
férantes , sont suspendues à l'entrée de la tente , du coté
7 H Esquisses
opposé au vent, et, coustamment humectées, elles pio-
curent, pendant les momens les plus chauds du jour, un air
agréable et rafi'aîchissant.
» Tandis que nos pères étaient vêtus de peaux de loup,
qu'ils habitaient des cavernes , qu'ils subsistaient du pro-
duit de leurs chasses , l'Hindou vivait comme il vit au-
jourd'hui. Comme aujourd'hui , ses princes étaient couverts
de riches vêtemens , portaient des turbans resplendissans
de pierreries , et logeaient dans des palais. Comme aujour-
d'hui, des prêtres orgueilleux et à demi nus recevaient ses
oflrandes dans des temples taillés dans le granit et sur-
chargés de sculptures , et l'appelaient à des cérémonies aussi
absurdes que celles de maintenant , non moins voluptueu-
ses et encore plus magnifiques. Sa maison, ses vêtemens,
les outils des artisans et des laboureurs , étaient les mêmes
qu'actuellement. A cette époque, il arrosait déjà la terre
en pressant son pied sur une planche , disposée en travers
d'une longue perche , ou bien il faisait tirer par ses bœufs ,
d'un puits profondément creusé , des sacs de cuir remplis
d'eau qu'il répandait dans tous ces petits canaux qui divi-
sent ses champs et ses jardins. Le maître d'école de village
apprenait à ses enfans à tracer des lettres sur le sable ,
à chiffrer et à écrire sur la feuille sèche du palmier. Sa
femme portait ses grains au même moulin , ou les broyait
dans le même mortier. Il pouvait faire ses emplettes dans
un bazar , y changer son argent ou emprunter à usure ,
pour payer la dépense d'un mariage ou d'une fête. Toutes
les inventions utiles et tous les rafïinemens de luxe qui frap-
pent aujourd'hui l'attention du vovageur , étaient déjà d'une
liante antiquité , au tems d'Alexandre. Les costumes , les
constructions, les usages, les mœurs, rien n'a changé; et
l'ofTicier anglais voit précisément le même spectalc que
celui qui s'offrit aux regards des soldats macédoniens, il y
a plus de vingt siècles. »
de l'Inde. 79
Un voyage en palanquia n'est ni moins agi'éable, ni
moins commode.
« En général vous vous mettez en route , après le cou-
cher du soleil; vous êtes habillé avec de larges pantalons
et une espèce de robe de chambre. Vous vous étendez de
tout votre long et vous dormez paisiblement pendant la nuit ,
si cela vous convient. Si vous êtes éveillé, vous tirez un
petit panneau , derrière lequel est fixée une lampe , et
vous lisez. Vos vêtemens sont empaquetés dans des cor-
beilles et portés par des enfans. Le palanquin est rempli
de poches et de tiroirs. Vous pouvez, sans embarras,
avoir avec vous un pupitre pour écrire , trois ou quatre
volumes, et des provisions de bouche pour plusieurs cen3
laines de milles. Pendant le jour , vous lisez, vous méditez
ou vous regardez autour de vous. Le matin et le soir , vous
vous arrêtez pendant une demi-heure sous Tombrage d'un
arbre, pour vous laver et vous rafraîchir. Les relais des
porteurs de palanquin sont établis, tous les dix ou douze
milles; communément vous faites quatre milles à l'heure. »
La lîlace nous manque pour citer les jolies descriptions
que fait notre voyageur, des villages, des fontaines, des
forêts qu'il rencontre, et celles des costumes et de l'aspect
des différentes classes de Li population. Voici de quelle
manière il décrit l'éléphant :
« Pendant qu'on préparait le déjeuner , je m'amusais à
regarder un éléphant et quelques chameaux que chargeaient
des domestiques qui revenaient du Décan avec les tentes
d'un général. L'intelligence de l'éléphant et son caractère
docile sont bien connus. Mais voir ce puissant et mons-
trueux animctl s'agenouiller au seul son de la voix humaine,
et lorsqu'il est relevé, avancer sa trompe, pour en faire
lin marche-pied à son jnahoud ou conducteur, afin de
l'aller à monter; ou bien, dans le même but, plier les
jointures de ses jambes de derrière dont on .se sert comme
8o Esquisses
d'un degré; puis, avec robéissance d'un chien, employer
de nouveau sa trompe pour ramasser et remeltre à leur
place les cordes ou les paquets qui peuvent être tombés ;
c'est un spectacle qui étonne et qui ne cesse pas d'iulé-
resser, alors même qu'il a perdu l'attrait de la nouveauté.
Lorsque l'éléphant que j'avais sous les yeux fut chargé , il
détacha une large branche d'un arbre fort élevé qui était
près de lui, et il s'en servit comme d'un éventail ou d'un
chasse-mouclie, avec toute la nonclialauce d'une femme à
la mode, jusqu'à ce que les chameaux fussent prêts. Ces
derniers animaux s'agenouillent aussi quand on les charge.
Lorsqu'ils sont en mouvement, leur allure a quelque chose
de gauche et ils vont beaucoup plus vite qu'ils n'en ont
Tair. Leurs grands cols allongés, leurs larges pieds, leurs
membres dont tous les nerfs sont fortement prononcés,
leurs garnitures de tête, leurs sonnettes, les anneaux sus-
pendus à leurs narines , le bagage élevé sur leur dos, et le
conducteur ordinairement placé sur la croupe de celui qui
est en tête, présentent un aspect tout-à-fait singulier. »
Nous citerons aussi !a description d'une pagode :
« Un mur élevé et solide environne une grande cour qui
a la forme d'un carré long. A l'une des extrémités est la
porte d'entrée au-dessus de laquelle est construite une tour
de forme pyramidale ; sa largeur à la base et son éléva-
tion sont proportionnées à la grandeur de la pagode. La
tour est divisée en étages ; on y monte par un escalier inté-
rieur. Elle est percée par des jours pratiqués d'espace en
espace , qui sont plus petits, à mesure que l'on s'élève. Ces
ouvertures produisent un fort bel effet quand on aperçoit
autravers unbeaucielou quelque massif de verdure. Toutes
les parties de ia porte sont couvertes de sculptures , ti'a-
vaillées avec soin , mais sans goût. En dehors et à peu de
distance de cette porte, se trouve souvent un pilier octo-
gone très-élcvé > ou bien un bâtiment percé à jour et sup-
de l'Inde, 8i
porté par tle hautes colonnes , et tians lequel est seulplé
un taureau accroupi, aussi grand ou plus grand que nature.
» Lorsque vous avez traversé la porte d'entrée de la
pagode , vous vous trouvez dans une grande cour pavée.
Au centre, s'élève le temple intérieur, exhaussé d'euviron
trois pieds au-dessus du sol, ouvert de tous côtés, et sou-
tenu par de nomhreux piliers en pierre. A son extrémité,
est un sanctuaire, clos de murs , qui renferme l'idole. Tout
autour de la cour est un large verandah également soutenu
par des colonnes de pierre , sur lesquelles sont ordinaire-
ment sculptés des reptiles sacrés, conduits par leurs divi-
nités respectives. Toutes les autres parties de la pagode;
le mur , les entahlemens , les corniches , sont aussi couverts
d'images et d'ornemens de toutes les dimensions, en haut
et bas relief. Ici , vous voyez exactement représentées en
granit noir les différentes incarnations de Vichnou le con-
servateur j là vous apercevez Sivahle destructeur, à ciieval
sur un taureau , avec un serpent autour du coi et un crois-
sant sur la tète]; Rrishen, l'Apollon des Hindous, et Kama-
deva , leur Cupidon , monté sur un perroquet , et armé
d'un arc de canne à sucre , dont la corde est remplacée par
une guirlande de fleurs.
» Près de chaque pagode, on conserve un énorme cliar ,
ou plutôt un temple posé sur des roues , ciselé avec beau-
coup de soins ; mais les scènes qui y sont représentées
sont presque toujours si monstrueuses et si indécentes , qu'il
est impossible de les décrire. A certaines époques de l'an-
née, une idole peinte et magnifiquement ornée, est placée
sur ce char et traînée dans les rues par des centaines d'a-
dorateurs.
» C'est dans ces pagodes que je viens rapidement de dé-
crire , que les Hindous apportent chaque jour leurs
îiumbles offrandes de riz et de plantain; c'est encore là
que, dans les grandes fêles , chargés de fleurs, de fruits,
I- G
8.i Esquisses
(l'encens , tVor et dargeot, ils se pressent pour voir les
groupes que forment de jeunes bayadères, brillamment pa-
rées , d'une figure et d'une taille élégantes , et dont les re-
gards et tous les mouvcmens respirent la volupté j ou pour
écouter les contes licencieux que font les religieux men-
dians , au son d'une musique barbare et discordante. »
Nous donnerons maiuleuaut des extraits de la description
de Calcutta , la métropole de notre empire dans l'Inde.
Cette description se termine par quelques conjectures me-
naçantes que nous n'avons pas cru devoir omettre.
« Sur la rive orientale du Houghlj, à environ cent
milles de son embouchure , s'éiève la ville de Calcutta : elle
a à peu près six milles de longueur , mais la largeur en est
partout Irès-peu considérable. Lorsque vous approchez de
Chandpal - Ghaut, et que vous apercevez une grande et
belle forteresse ; une vaste esplanade , bordée d'un côté
d'hôtels superbes , et , au-delà , une suite de pompeux édi-
fices 5 plus loin, à l'ancrage, une multitude de navires , et
enfin une ville immense qui contient plus de 80,000 mai-
sons 5 quelle qu'ait été votre attente, elle ne peut pas man-
(luer d'être surpassée. Ce qui frappe surtout l'attenllon
du voyageur, c'est ce grand nombre de voitures de toute
espèce qu'il rencoulre le soir sur le cours à la mode.
Des carricles, des landaus, des tyiburys , lui rappel-
lent vivement le souvenir de l'Angleterre , et comme ces
voitures s'associent chez lui à des idées d'opulence, il s'é-
tonne d'abord de tant de luxe et de richesse. Mais ces im-
rresslons s'affaiblissent un peu quand il aperçoit ces co-
chers noirs, coiffés d'un turban et couverts de mousselinej
ces chevaux du pavs d'une race inférieure et m al attelés j
et, malgré plusieurs voitures élégantes construites en An-
gleterre, il reconnaît qu'il faudra encore bien du tems
pour que le cours de Calcutta puisse être comparé à celui
de Hyde-Park.
de Vlnde. 85
» Beaucoup cVArmcniens et île négocians du pays ont
adopté nos voitures et quelques-uns de nos usages, tout
en conservant leurs costumes particuliers ; de manière que
vous voyez souvent les bonnets pointus des uns, et les tur-
Lans applatis des autres, dans des calcclies ou des landaus ,
construits sur !e modèle de ceux, de Long-Acre, et quel-
quefois aussi vous rencontrez un des fils de Tippou, enve-
loppé de schalls et rapidement entraîné dans un phaé-
ton (i).
3) La portion de Calcutta, où logent les naturels, celle
quon nomme la Ville-Noire , fourmille d'habitans. Vous
y rencontrez aussi des étrangers venus de tous les points de
l'Asie ; des Chinois , des Arabes , des Persans , des insulaires
de l'Archipel oriental, beaucoup de juifs et de marchands
des ports de la Mer-Rouge. C'est une chose fort amusante
de parcourir les rues qu'ils fréquentent le plus, et, non-
chalamment étendu sur votre palanquin , de considérer les
groupes variés et nombreux qu'ils forment.
» Lorsque le jour tombe, les voitures réunies sur le cours
se dispersent, et, une demi-heure après , vous revoyez ces
mêmes voitures et une multitude de palanquins se diriger,
en grande hâte, à la lumière des torches, vers les brillante s
réunions qui se succèdent constamment dans cette villa
opulente. A minuit , vous pouvez les voir qui en revien-
nent , et si , comme cela arrive souvent , une chaleur ac-
cablante vous force d'aller chercher de l'air sur le balcon
ou sur le toit de Votre maison , lorsque tout est rentré dans
le silence , vous ne tardez pas à entendre , par intervalles ,
les cris Sauvages et perçans du chacal, tantôt à distance
et tantôt plus rapprochés. Vous vous rappelez alors que
(i) Note du Tr. Après la dcstrpclion de l'empire du Mysorc , les
fils de Tippou-Saëb furent conduits dans le Bengal où ils vivent sous
la surveillance des agens de la Compagnie des Indes.
84 Esquisses
celte ville est le rapide produit d'un siècle ; qu'à Chon-
ringhie , où vous vous trouvez actuellement dans un spa-
cieux, verandah , soutenu par dVlégantes colonnes grecques,
les villageois pouvaient à peine se barricader contre les
attaques du tigre , il y a moins de soixante ans ; et vous
calculez que si la population de Calcutta périssait tout-à-
coup , il n'en faudrait pas davantage pour que ces fragiles
édifices de briques, de bois, etc., qui le décorent anjour-
d'bui, fussent entièrement détruits, et qu'une abondante
végétation vînt en cacher la trace.
» Telle ne sera pas certainement la destinée de cette mé-
tropole. Lorsque notre empire dans l'Inde aura cessé
d'exister, elle n'en sera pas moins une ville riche, popu-
leuse et puissante. Nous ne laissons pas coloniser l'Kln-
dostan (1)5 mais une classe d'individus qui y sont nés et qui
(i) Note du ÏR. Vraisemblablement, dans la crainte que ses pos-
sessions , en-delà et en-dcrà du Gange , ne lui e'cliappassent , comme
l'Ame'rique seplenirionale , le gouvernement de la Grande-Bretagne
n'a pas voulu laisser s'y établir de colons. Les seuls Anglais qu'on y
rencontre sont des soldats , des fonctionnaires civils et militaires et des
negocians. A l'époque, maintenant très-rapprocliéc , de l'expiration de
la charte de la compagnie des marchands qui tient à bail cet immense
empire, il est probable que celte interdiction sera levée. Les Anglais ,
dont le commerce avec l'Amérique du Nord s'est prodigieusement accru
depuis qu'elle est constituée en états libres, ne s'alarment ^lus autant
de l'idée de voir leurs possessions de l'Asie ou l'Amérique devenir
indépendantes. Us ont , d'ailleurs , un grand intérêt à augmenter , dans
l'Inde , le nombre des consommateurs des produits de leurs fabriques.
Les peuples de cette vaste péninsule , très-opiniâtres dans leurs usages ,
s'étaient long-tems refusés à consommer autre chose que les fruits de
leur sol ou de leur propre industrie. Ce n'est que très-récemment qu'ils
ont commencé à acheter des marchandises d'Europe. La Compagnie
a envoyé au Bengal, pour 3o, 000, 000 fr. de tissus de colon , en 1823 ;
fait d'autant plus remarquable que c'était au Bengal qu'était confec-
tionnée une grande partie des étoffes de coton que les Anglais por-
taient dans le XVII l<= siècle. Les expéditions de 1824 oni clé encore
de l'inda. 85
nous sont attaches par les liens tlu sang, tlu langage, des
moeurs , du culte , de l'éducation , augmente rapidement son
nombre, ses possessions, son importance 5 et ses lumières,
-^son ambitio^, ses vues s'étendent tous les jours. Ce sont
ces individus qui sont les boutiquiers, les petits marchands,
en un mot , les bourgeois de nos présidences. La Compa-
gnie ne les admet pas dans ses emplois, mais elle ne doit
pas oublier qu'ils sont ses sujets. liCsang anglais et le sang
hindou qui se confondent dans leurs veines , ne leur sont
pas moins odieux l'un que l'autre 5 car les Anglais et les
Hindous les dédaignent et les désavouent également j mais
ils ont déjà assez de lumières pour sentir que ce n'est pas
la condition qui constitue la honte ouïe véritable honneur.
Encore quelques années et le nombre s'en sera augmente
dans une progression effrayante j si leur développement
intellectuel est aussi rapide , il ne faut pas espérer que ces
hommes, qui comptent déjà parmi eux des individus re-
marquables par leurs lumières , leurs talens et leurs vertus,
consentiront à se regarder comme des êtres décastés ,
déchus des privilèges ordinaires des hommes libres , in-
dignes d'arriver à la fortune ou aux honneurs , et de con-
courir à l'action de leur propre gouvernement (i). »
Les réflexions suivantes ne sont pas moins justes :
(c Rien n'amortit davantage l'ardeur de l'Européen qui
voyage dans ce pays, que de voir qu'il peut en visiter Jes
diverses parties , les villes , les villages, les uns après les
autres , et cependant ne connaître que l'extérieur de la
plus consiJc'raLles : elles le seraient bien davantage si une population
anglaise s'clablissait dans l'Inde. S.
(1) Note du Tu. En i8i5 ou 16, les métis du Bengal avaient
établi un journal .\ (]alcutla , dans lequel ils réclamaient avec chaleur
contre l'espèce d'ilotisme dans lequel ils sont retenus. La vivacité de
ces'plainles alarma les autorités supérieures de Calcutta, et, comme
la presse n'est pas libre dans l'Inde , leur journal ne put plus paraître.
86 Esguîsses
société indienne. Il fauL qu'il renonce à pénétrer dans Tin-
térieur delamaison, à se joindre au groupe, à voirie cercle
domestique, à écouter les conversations libres et franches
que les naturels ont eutr'eux. Il échangera quelques mois
avec son mouushie ou son pundit , fera quelques milles
avec un sirdar musulman , sera reçu eu cérémonie dans la
cour d'un nal>ah ou de quelque rajah ; mais les barrières
que le culte des Hindous ou des Mahométaus lui oppose,
sont telles qu'il lui sera impossible de vivre avec eux dans
des rapports d'amitié et d^intimité. Il est vraisemblable
que lorsque nos établissemens étaient dans l'enfance et peu
considérables , les officiers de la Compagnie en petit nom-
bre, et, par cette raison-là même, actifs, au fait des langues
du pays , et obligés de se conformer davantage aux habi-
tudes locales ; les naturels étaient mieux connus qu'ils ne
le sont actuellement , et qu'ils ne peuvent l'être. »
L'auteur visita d'abord le pays jusqu'à Agra, en exa-
minant, avec soin, les lieux remarquables qui se trou-
vaient sur son chemin. Il revint ensuite dans le Mysore,
en .traversant le centre même de l'Inde , le Decan et le
pays soumis à Scindiah. Quoiqu'il n'eût aucun caractère
public, et qu'il voyageât seulement en qualité d'ofiicier
d'un régiment anglais , c'est une chose qui mérite d'être
observée , que le respect et les attentions uniformes avec
lesquels il était traité , même par les bandes Indisciplinées
de soldats qu'il rencontrait fréquemment. Les indolens et
mercenaires Bramines sont peut-être les seuls individus
dont il ait eu quelquefois à se plaindre. Pendant le cours
de ce voyage , un heureux hasard lui fit rencontrer Scin-
diah lui-même , ce terrible chef de Marattes, qui balança
quelque tems, dans l'Inde, la fortune de la Grande-Bre-
tagne. La brillante peinture qu'il fait de la pompe vrai-
ment orientale du cortège qui l'environnait , mérite d'être
citée.
de l'Inde 87.
« Comme nous passions près du fort, nous fûmes assez
heureux pour voir Scindiah , qui revenait de la chasse ,
environné de tous ses chefs, et précédé ou suivi par plus
de sept cents chevaux. Des décharges de canon annonçaient
son arrivée. Quelques piquets de lanciers précédaient le
cortège. Ts^ous arrêtâmes nos éléphaus sur un des côtés
de la route où Scindiah et l'escorte, qui l'approchait immé-
diatement , allaient passer.
» Des cavaliers , légèrement armés , couraient en ayani ;
les uns suivaient la roule et les autres sautaient, en galo-
pant, les fossés qui la hordent. A leur suite se trouvaient
d'autres cavaliers, armés de pied en cap , et dont quelques-
uns étaient revêtus de cottes de mailles ; puis , un certain
nomhre d'éléphans, parmi lesquels on nous fil remarquer
celui que monte Scindiah, quand 11 est à la chasse. Un Jeune
éléphant qui se guidait lui-même , portait un hel enfant , le
protégé chéri de ce prince. Derrière , une troupe de chefs
magnifiquement vêtus caracolaient sur de superhes che-
vaux. Dès qu'ils nous virent, ils poussèrent en avant; et,
après s'être groupés autour de nous et avoir planté en
terre leurs longues lances , Ils nous considérèrent avec
fierté. Après eux venait Scindiah lui-même, porté dans
un palanquin couvert d'un dais cramoisi. 11 était vêtu très-
simplement \ un turhan rouge couvrait sa lêle , et un
scliall était roulé autour de son corps. Quand il s'approcha
de nous , il était incliné sur les coussins de son palanquin ,
et il fumait dans un petit tuhe d'or. Nous nous élions dres-
sés dans nos howdah (^1) pour le sa,uer : il se leva à moitié
et nous reiulil notre salut avec beaucoup de grâce. Aussitôt
ceux qui étaient près de lui poussèrent de longs cris; et
après avoir fait , on chantant , rénuméralion de tous ses
(1) Note du ÏR. Le Iiowdah cit le sic'jrc dans lequel on C5t assis,.
lorsqu'on vo\a}:;c sur un rlcjiluuit,
8H Esquisses
litres, ils célébrèrent riionneur que nous venions tle rece-
voir : chacun d'eux nous salua ensuite profondément.
» J'examinai les chefs qui nous environnaient, et dont
le maintien fier augmentait encore l'impression produite
par la magnificence de leur costume. Ils étalent armés
d'une lance, d'un bouclier, d'un cimeterre , de pistolets et
d'un poignard. Ils étaient enveloppés de schalls de Cache-
mire ou de mousseline. La plupart avaient aussi un morceau
de mousseline plissé sous le menton , qui se rattachait par
ses deux extrémités à leur turban i et, quoique cela puisse
paraître bizarre à ceux qui ne l'ont pas vu, cette parure
avait quelque chose de très-militaire. Elle est d'ailleurs fort
utile pour défendre les deux côtés du cou.
» Comment se fait-il que nous trouvions du plaisir à voir
des hommes armés , braves sans doute , mais trop souvent
cruels, et dont la bravoure a presque toujoui'S pour prin-
cipe des vues ambitieuses ou cupides ? C'est ce que je ne
puis expliquer j mais ce n'était pas la première fois que
j'éprouvais une impression semblable. Je me rappelle, en-
tr'autres , que , me trouvant en France comme prisonnier
de guerre , je vis passer plusieurs escadrons de gendarmerie
d'élite qui revenaient du champ fatal de Leipsick. C'étaient
de superbes hommes , d'un aspect tout-à-fait militaire : ils
portaient des casques de cuivre et d'acier , décorés de cri-
nières noires. Ils avaient de grands sabres suspendus à de
larges ceintures. L'étoile de la Légion -d'Honneur brillait
sur la poitrine de la plupart d'entr'eux. Leurs trompettes
sonnèrent, et je sentis qu'une admiration ^involontaire
soulevait ma poitrine, et que des larmes humectaient mes
veux. Quelle énigme inexplicable que le cœur de l'homme I »
Nous citerons aussi, en l'abrégeant un peu, la descrip-
tion si pittoresque qu'a (liite notre vojageur, d'une soleuuité
religieuse chez les Hindous :
« Une des plus grandes fêtes de Caruate se célèbre tous
de l'Inde. 89
les ans à Conjeveram; elle s'appelle la Gariidastaçum , et
elle est destinée à célébrer la descente de Vichnou sur la
terre. Pendant dix jours consécutifs , une ancienne et petite
image du dieu est portée en triomphe au milieu de ses
adorateurs , ou exposée à leurs regards dans la cour de son
temple. Pendant dix jours les rues sont encombrées de
tous les paysans accourus du voisinage, et de Bramines , de
fakirs , de pèlerins , qui viennent souvent de points très-
éloignés. Tout retentit des bruyantes acclamations du fana-
tisme et des cliants joyeux du peuple de la ville et des cam-
pagnes , dont les travaux ordinaires sont suspendus par
cette solennité.
3) J'étais par hasard stationné à quelques milles de Con-
jeveram , à l'époque de cette fête, en juin 1827 , et on pense
bien que je ne laissai pas échapper l'occasion d'en être
témoin. Il était deux heures du matin lorsque je montai
à cheval pour me rendre à la ville. Il avait plu pendant la
nuitj la lune était encore sur l'horizon, et tout, sur ma
route et autour de moi, les arbres, les buissons, l'herbe,
les eaux, le sable, réfléchissait un éclat argenté. Une vive
satisfaction faisait battre rapidement mon cœur *, j'étais
seul , mais je n'éprouvai pas le sentiment de la solitude
même lorsque la lune, en se couchant, me laissa dans les
ténèbres. L'antiquité était présente à mon imagination ;
j ^allais assister à une scène familière à ces peuples d'autrefois
dont rhistoire sacrée et profane a conservé le souvenir ,
scène qu'on ne peut plus voir aujourd'hui que chez les Ido-
lâtres de l'Hindostan.
» En approchant de la ville, je me trouvai sur la grande
roule, et je vis une mullilude d'habitans de la campagne,
groupés par familles 5 les uns avec des fardeaux sur la lêle,
les autres avec des enfans dans leurs bras , sur leurs han-
ches, ou qu'ils conduisaient par la main; plusieurs inclin('s
])ar l'àgc, s'appuvant sur leur bâlon, cl tous marchant
go Esquisses
fVuii pas plus ou moins rapide , avec celte salisfaclion em-
pressée et silencieuse avec laquelle , dans tous les pays, on
se rend aux cérémonies publiques. Mon guide me conduisit
au Clioultry (i) , où la procession devait venir, au lieu de
me conduire à l'entrée de la pagode , par où elle devait
sortir j de manière que Je ne fus pas témoin de l'ouverture
des portes du temple ; moment solennel , où , au lever du
jour, la multitude, sans haleine, contemple son dieu et
sincline devant lui, allume l'encens de ses petits encen-
soirs , répand le lait de ses noix de coco et pousse ces
bruyantes clameurs dont elle salue l'image sainte , glorifiée,
comme elle le suppose , par la présence de la Divinité elle-
même .
» Dirigé par le bruit et par le mouvement de la foule ,
j'aperçus bientôt la procession; elle était conduite par un
de leurs religieux mendians. C'était un vieillard robuste ,
dont une longue barbe blanche couvrait la poitrine. Sa
robe était d'un jaune foncé , et son turban de même cou-
leur, avait la forme pointue d^me mitre. Il brandissait,
dans sa main droite, un bâton terminé à son extrémité su-
périeure par une tcte d'airain, et semb'able au sceptre de
Vichnou. Il chantait à haute voix et dansait en tournant
rapidement sur lui-même. Une vingtaine d'hommes, montés
sur de jeunes bœufs , le suivaient en battant du tam-tam.
Après eux, se trouvaient quatre éléphans 5 leurs flancs
étaient couverts de bannières , et ils portaient un énorme
tambour, nommé Nagara. De longues fdes de jeunes dan-
seuses , dont les cheveux étaient couverts de fleurs, venaient
ensuite. Elles se tenaient par la main et s'avançaient en
formant des pas mesurés, au son de la musique du temple.
On voyait, derrière les bayadères , la petite statue de Vi-
(ONoTE DU Tu. C'est ainsi qu'on nomme une espèce de caravan-
serai.
de l'Inde. 91
chnou, étiiicelanle de pierreries et couves le d'une robe de
brocart 5 elle était posée sur le col incliné de Ganlda ,
figure monstrueuse de cuivre doré, plus grande que nature,
qui a la tête, d'un aigle et le corps c?un bomme. Quelques
Bramines étaient placés près de l'image du dieu , et devant
elle se trouvaient rombrelle et les autres emblèmes, de la
royauté. Tout cet appareil était porté sur une vaste plate-
forme exhaussée au-dessus de la foule. Un grand nombre
de Bramines , tous tonsurés , terminaient la procession :
lorsque j'entendis leur cliant , tantôt grave et tantôt aigu et
nasal , je me rappelai involontairement les céréinonies des
couvens et des églises de l'Occident.
» Je jetai mes regards sur la foule, et ce fut plutôt avec
un sentiment de pitié que de dédain, que je vis vm grand
nombre de fakirs, les uns avec des fers tout sanglans en-
foncés dans leurs membres, les autres suspendus par les
pieds aux arbres qui bordent les rues, avec des feux allu-
més sous leur tète, plusieurs dont le front était caché dans
des monceaux de sable et qui étendaient leurs corps tout nus
sous les pas de la multitude. A Muntipum , petit temple qui
sert de reposoir, où j'avais suivi la procession, s'offrit une
scène bien différente ; car les bayadères y dansèrent devant
la statue du dieu. Aucune de ces jeunes filles n'était d'une
beauté remarquable j mais, à moins d'être privé de toute
espèce de sentiment de poésie , 11 était impossible de voir,
sans être ému, leur parure , leurs pas cadencés et les mou-
vemens gracieux de leurs bi'as.
Nous dînâmes chez M. C. , le receveur des finances de
la Compagnie, et, à neuf heures du soir, on vint nous cher-
cher à table, pour voir la procession nocturne. L'ordre en
était le même que celui de la procession du matin j seule-
ment Yichnou était placé sur l'image dorée et brillaule de
Hanuman, le dieu-singe. La plate-forme était illuminée j
plusieurs centaines d'individus portaient des torches , et
gi Esquisses
cinquante enrirou étaient armés d^espcces de tritlcns, dont
les extrémités étaient en feu. De tons côtés , on faisait voler
dans Tair de superbes fusées. La processica s'arrêta peu
d'instans après que nous réunies rejointe. Il y eut un fort
beau feu d'artifice sur une grande place que Ton avait tenue
libre, et dans laquelle on fît ensuite danser deux énormes
poupées de carton , ce qui provoqua les bruyans éclats de
rire de la multitude. Il y avait au milieu de cette foule noire
ou olivâtre , une douzaine de pàlas Européens , un ra jab et
deux de ses fils et un riche négociant indien , assis sur des
fauteuils anglais. J'avais craint d'abord que la lune ne fit
manquer l'effet des artifices et des illuminations , mais il
n'en fut pas ainsi. Les torches et les tons bleuâtres des feux
du Bengal donnaient à la verdure des cocotiers , alignés
dans les rues , un éclat niétaUique. Le feuillage de ces ar-
bres était rempli d'enfans qui s'y pressaient comme des
essaims d'abeilles. Les vieux murs et le faîte de toutes les
maisons étaient également couverts de groupes innombra-
bles, et une population immense qui formait une masse
compacte et animée, se mouvait dans les rues.
» Le Jour suivant, je fus témoin d'un spectacle encore plus
singulier. Les sectateurs de Yiclniou le conservateur, firent
sortir son idole sur un énorme éléphant de bois doré, dans
l'intention d'insulter le iemple et les sectateurs deSivah le
destructeur. Cet ancien usage, transmis par une longue
succession de siècles, occasionait jadis des scènes tumul-
tueuses et sanglantes. Aujourdhui il y a un certain pilier
que les sectateurs de Yichnou ne peuvent pas dépasser. Uu
oflicier de la Compagnie assiste à celle bizarre cérémonie
pour empêcher le désordre , et elle se termine, si ce n'est
paisiblement, au moins sans accidens fâcheux. Lorsque je
vis cette folie, j'observai que les gestes de mépris des Hin-
dous sont les mêmes que ceux adoptés , d'un commun
accord, dans les pantomimes anglaises . françaises et ita-
de rinde. gS
liennes. Le dieu el l'élépliant tonrnalent le Jos au portique
du temple rival, et, par trois fois, les sectateurs de Vich-
nou poussèrent son idole jusqu'au pilier, avec des gestes et
des cris injurieux pour l'autre divinité. Ils paraissaient avoir
entièrement perdu la raison j ils sautaient sur les épaules
les uns des autres , secouaient de grandes torches allumées
et défiaient en chantant les sectateurs de Sivah.
3) Je vis le lendemain, à la pointe du jour, leRutt, ou char
de la pagode , en mouvement , et assurément ce spectacle
n'était pas indigne de l'attention du voyageur. La plate-
forme de ce char, ou temple amhulant, est élevée de trente
ou trente-cinq pieds au-dessus du sol , et le dais avec les
riches draperies qui le décorent est encore trente cinq pieds
plus haut. Vingt-chiq ou trente Bramines peuvent s'y pla-
cer. Il est très-solide et très-lourd, et sculpté avec heaucoup
de soin j ses roues , qui ont dix. pieds de diamètre, sont
d'une énorme épaisseur. Quatre câbles de cent verges de
long y sont attachés, et deux mille personnes, au moins,
avaient le dos courbé sous ces câbles ou les tiraient avec la
main. A mesure que le char s'avançait , les adorateurs de
Vichnou , la tête élevée vers l'idole , y jetaient des pièces
d'or ou d'argent , et des noix de coco. Les Bramines rom-
paient les noix, et, après les avoir présentées au Dieu , les
rejetaient, ainsi consacrées, à ces malheureux idolâtres
qui les recevaient avec ravissement , et s'empressaient en-
suite de les partager avec leurs familles qui les avaient ac-
compagnés à la fête.
3) Le Rutt est traîné de cette manière dans les rues prin-
cipales de la ville , et , au retour , lorsqu'il est à environ
cent verges de la pagode, ses conducteurs poussent un
grand cri, l'entraînent d'un mouvement plus rapide, et celte
masse énorme frémit et chancelle d'une manière effrayante,
même après que ses roues ont été arrêtées dans l'endroit
où elles doivent rester jusqu'aux solennités prochaines.
94 Esquisses
3) Pendant la procession, on voyait Je jeunesBramînes qui
bondissaient an milieu de la foule, en frappant, avec des
lanières de daim , tantôt ceux qui conduisaient le Rutt ,
tantôt ceux qui se pressaient à côté. Des hommes riches et
bien vêtus avançaient la main pour toucher les cordes du
char, afin de pouvoir réclamer l'honneur d'avoir concouru
à le trauier. Les femmes tenaient leurs petits enfans élevés
au-dessus de leurs têtes ; et tout ce qui fi'appait vos yeux
ou vos oreilles , avait le caractère d'une joie tumultueuse.
Cependant la cérémonie est terminée , et la foule, accourue
pour la voir, commence à se disperser. Quelles sont ces
pauvres familles qui saluent d'un air craintif cet orgueil-
leux Bramiue , et qui mangent quelques chétives portions de
riz froid? Elles sont venues de leurs villages pour adorer
l'idole de Vichnou, et lui offrir le peu quelles possèdent,
et elles vont y retourner pour amasser, par l'économie et
les travaux les plus pénibles, l'offrande qu'elles doivent faire
l'année suivante. Mais entrez dans la cour du temple. Quel
contraste , et comme tout y a un caractère de fête et de
gaîté ! Ces gros hommes , à la peau lisse et luisante , sont
des prêtres attachés à la pagode : ils se partagent , dans ce
moment, un repas somptueux qui leur est offert par un
riche marchand de la caste des Byses, venu tout exprès
de Madras pour assister à la fête , et que vous reconnaîtrez
à la ruse de son regard , et aux diamans qui brillent à
ses oreilles. »
Nous tei minerons ces longs extraits , comme Tauteur
termine son livre , par l'admirable peinture qu'il a faite de
la situation présente de Goa, cet ancien établissement por-
tugais , jadis si florissant et aujourd'hui si misérable.
ce Comme je longeais la côlc de Malabar, de Manga'ore
à Bombay , en décembre 1822, je dis au capitaine de mon
patamare, petit bâtiment côtier, d'entrer dans le port de
Goa. Si vous fermez les yeux , en écoutant les chants de
de l'Inde. g 5
l'équipage moresque qui conduit votre navire , vous êtes
tenté de croire que ce sont les villageois du midi de l'Es-
pagne que vous entendez , et ce fut avec cette impression,
fortement excitée par mes souvenirs de la Péninsule, que
j'entrai dans le port extérieur , grand, et superbe bassin
que dominent une colline, une tour et un fort abandonné.
J'y trouvai un vaisseau de guerre portugais, d'un aspect
misérable , sans aucune apparence de vie et d'activité j et,
en voyant quelques hommes nonchalamment appuyés sur
ses bords, j'avais peine à croire qu'ils étaient les descen-
dans de ces marins intrépides qui bravèrent les premiers le
génie redoutable du cap des Tempêtes.
» Je me plaçai sous le tentelet d'une barque qui était
venue nous joindi'e , et les rameurs me conduisirent rapi-
dement dans le second port. Sur un des côtés du rivage se
trouve la moderne Goa, petite ville sans importance, située
à quelques milles de l'ancienne cité , que des causes nom-
breuses ont fait abandonner, et dont il ne reste plus que les
prisons, les palais , les couvens, les églises, que la solidité
de leur construction a défendu des outrages du tems. Je dé-
barquai, et, de l'échoppe d'un Parsis (i), seul abri que je
trouvai contre i'ardeur du jour dans cette sale petite ville.
J'écrivis au gouverneur, pour lui demander l'autorisation
de visiter l'ancienne Goa. Les seuls hommes de que!qu'ap~
parence que je vis dans les rues , étaient les soldats
d'un régiment récemment arrivé de Lisbonne. Les habitans
avaient l'air indolent et pauvre : ils étaient tous plus ou
moins malproprement velus, quoique cependant il v eût
dans leur costume une certaine affectation , qui annonçait
qu'ils n'étaient pas sans vanité.
(i) Note du Tr. On appelle Parsis les .Tiloiateurs du feu ; ils dcs-
ccqctcnt de ces anciens Persans (juc les persécutions des Muoulnians
ont forcc's Je fuir de leur pnlri«.
9^ Esquisses
n Lorsque mon domestique fut de retour, je rentrai dans
la barque , et nous continuâmes notre chemin. Rien n'est
plus agréable que ces élégantes plantations de cocotiers
qui couvrent les deux rives du fleuve , près de rancienne
Goa , dont les couvens et les églises que Ton aperçoit à
travers ces charmans ombrages , ont un caractère si re-
marquable de paix monastique et de majesté. Nous amar-
râmes près des marcbes du couvent de Saint - Thomas.
C'était Taprès - midi , et pendant l'heure brûlante de la
siesta. Je ne rencontrai personne qui pût répondre à mes
questions. Je traversai les cloîtres du dessous et les galeries
du haut, sans entendre d'autre bruit que celui que faisaient
mes pas. A la fin j'aperçus une figure malade à travers une
porte enlr'ouverte, et , en entrant , je vis que c'était l'in-
firmerie. Je chargeai un infirmier, à figure olivâtre et
maigre , d'aller dire aux frères que je leur demandais l'hos-
pitalité pour la nuit. Je descendis ensuite, et, pendant que
mon domestique étendait mon tapis sur le bord de la rivière,
comme je l'avais ordonné , je gravis la colline, en me diri-
geant vers le cloître des Augustins. Je n'oublierai jamais
les sons tristes et prolongés de la cloche de ce couvent
quand elle commença à sonner vêpres. Ces sons pénétrèrent
jusqu'à mon cœur j jamais je n'ai entendu de cloche
d'un effet aussi mélancolique que celle qui, de la tour
des Augustins, appelle aux offices religieux de cette ville
délaissée et dont le gazon couvre les rues. J'entrai dans
la grande et belle église du couvent : les voix qui lisaient,
celles qui chantaient, les petites sonnettes qui avertissaient,
par leurs tlntemeus, des momens où on devait se signer et
s'agenouiller ; tout paraissait extrêmement faible : on eût dit
qu'elles voulaient inutilement lutter contre le profond si-
lence qui les environnait de toutes paris , et qui semblait les
étouffer.
» Je parcourus lentement les cloîtres remplis de pein-
de l'Inde. g^
tures à fresque , qui reprcsenteat presque toutes le martyr
de quelques l'eligieux de Tordre des Augustins. L'exécution
en est généralement médiocre ; cependant il y en a quel-
ques-unes dans lesquelles les traits noirs et sauvages du
Maure soul liabilement contrastés avec la figure pâle et ré-
signée des martyrs. Je désirais visiter la tombe de^ saint
François Xavier 5 elle est dans une petite église , située
près du collège en ruines des jésuites. Un jeune sacristain
m'ouvrit la sombre chapelle qui renferme cette tombe. Elle
est richement décorée. Au-dessus , il y a un coffre d'argent
qui contient, dit-on , les cendres du sainl , et des lampes ,
également en argent , sont suspendues tout autour. Au-des-
sous , il y a quatre bas-reliefs parfaitement exécutés en
bronze. Dans le premier , saint François est représenté
prêcbant les idolâtres ; dans le second , il baptise des con-
vertis 5 le troisième représente sa persécution; et le qua-
trième, sa mort. C'est avec une véritable joie que je vis, à
peu de distance de cette église , l'inquisition ouverte à la
curiosité des passans et dans le plus complet abandon. Mais
ce ne fut pas un sentiment semblable que j'éprouvai en par-
courant le palais désert des anciens gouverneurs ; car certes
les Gama , les Castro et le grand Albuquerque n'étaient
pas des hommes ordinaires. Je marchai sur des sentiers cou-
verts d'herbes , à l'ombre d'arhrcs trcs-élevcs , et je visitai
encore deux autres couveus avant le coucher du soleil.
Aucun d'eux n'a le nombre de religieux qu'il doit avoir •
mais celui des jésuites est !e seul qui soit entièrement A^ide.
En général, vous n'y trouvez qu« le supérieur et un ou deux
frères qui soient européens. Les autres descendent de parens
européens , et portent des noms portugais ; mais en voyant
leur teint noir et leur ignorance , on est tenté de les prendre
pour des Hindous.
» Je retournai à l'cudmll où était mon tapis , et j'y trouvai
utt frère qui m'attendait pour me conduire au doyen. Je
I- 7
t)B Esijuisscs de l'Inde.
le suivis après avoir mangé le earry préparé par inof»
domestique. Le Joyen m'accueiiiil avec une polilessc cov-
tliale et empressée, li élait né à Goa , et son lemt était d'un
jaune foncé. ïi m'oliril un verre crexcellent vin de Lis-
bonne , et me fil préparer une chirn])re et un lit. j\vec ce
grand nombre de clés suspendues à sa ceinture , ses allées
et venues continuelles, et tous ces buffets qu'il ouvrait cl
refermait sans cesse , il avait l'air d'une ancrenne femme de
charge.
» Mou bon hôte était trop occupé pour répondre à uîts
questions , et je le débarrassai de moi en me retirant dans
ma cellule. Dans un excellent lit couvert de draps très-fins ,
je savourai les douceurs d'un repos délicieux après Us fati-
gues du jour. Le lendemain je me levai avec le soleil , cl
lorsque j'entendis la cloche des Augustins qui sonnait l'oftice,
j'obéis à cet appel, en me rendant à la cathédrale. J'y
trouvai dix chanoines dans leurs stalles.. C'était le doyen
<pii officiait, et les sacristains, les chanti'es, les bedeaux
étalent tous à leurs places icspeclives ; mais il n'y avail
dans la nef d'autre fidèle qu'un gentilhomme portugais,
qui paraissait fort âgé. Dans les ailes de côté , j'aperçus
quatre vigoureux esclaves africains crai parlaient , qui
riaient et qui jouaient ensemble : c'étaient les porteurs de
la vianchila^ ou litière du doyen. Lorsque la c'ochetle an-
nonça l'élévation de riiostie, ils s'avancèrent dans la nef,
firent le signe de la croix et s'agenouillèrent. C'étaient de
beaux jeunes gens , i's avaient des formes athlétiques ; leur
peau était noire et polie , leurs dents comme de l'ivoire, et
une laine épaisse et frisée couvrait leur tête. Ils avaient
ce regard rusé , ces gestes prompts et vifs , et ce rire
bruyant des sauvages à demi apprivoisés.
* Le clergé de la cathédrale, et les moines des couvensdu
voisinage sont entretenus au moyen des concessions de ter-
rains qui ont été faites, dans le principe, à ces fondations
Voyage an Pérou , etc. pg
religieuses. Il ea résulte fjue Goa pre'sente un spectacle qui
n'existe peut -être dans aucun autre lieu du monde. Dans
un espace de deux, milles , vous pouvez entrer dans sept
grandes églises : vous y verrez des robes noires , blanches,
brunes, des surplis brodes , des ceintures , des chasubles de
soie. Les pasteurs abondent ; mais où sont les troupeaux?
Dans Tune de ces églises , je trouvai une cinquantaine de
créoles portugais 5 dans l'autre, quelques pauvres Hindous
convertis.
» Goa la Dorée , comme on l'appelait jadis , n'existe plus !
Goa on le vieux Gania termina sa glorieuse carrière ; où
souffrit et chanta Camoens.' Ce n'est plus aujourd'hui qu'une
grande sépulture que l'herbe recouvre entièrement ; et cette
faible et lugubre population de prêtres et de religieux que
vous j rencontrez , ne semble avoir été épargnée que pour
célébrer l'office des morls , sur les restes de ses générations
éteintes. » ( Revue d' Edmbourg. )
VOYAGE AU PEROU,
PAK L\ CORDILLÈRE DES ANDES, EN l823 ET 1824;
PAR ROBERT PROCTOR (t).
Cet ouvrage, n'eût-il d'autre mérite que d'être écrit sans
prétention , trouverait grâce aux yeux du public ; il n'est
pas en effet de matière d'un intérêt plus général que le
tableau des sites pittoresques et «le la prospérité politique
et financière des plus belles contrées de l'Amérique méri-
(i) Narrative vf a jotirney ocross t/ie Cordilicra of/he Andes, and
of a résidence in Lima , etc. , in iSai. lîy Bobert Proctoi csq.
loo T'oyage au Pérou
ilionale. L'auteur a entrepris son voyage pour négocier ,
au nom d'une compagnie anglaise , Temprunt qui a élé
contraclé entr'elle el le Pérou j et celte mission l'a rais en
rapport avec les personnages les plus marquaus des nou-
veaux états transatlantiques.
Débarqué d'abord à Buenos - A jres , M. Proctor quitta
cette ville pour se rendre par terre à Lima 5 son voyage à
travers les Pampas , vastes déserts qui occupent plusieurs
centaines de lieues dans tous les sens entre Bucnos-Ayres et
la ville de Mendoze , est décrit avec autant d'inte'rct que de
simplicité. Pour justifier cet éloge nous citerons d'abord le
tableau de la Cordillère des Andes.
« Le 7 , nous aperçûmes pour !a première fois la Cor-
dillère des Andes. On ne saurait imaginer reffet que produit
sur le voyageur la vue da cette immense liarrière de mon-
tagnes. Je la découvris, comme par hasard, pendant que
nos guides étaient allés nous chercher des mules. Nous
étions dispersés çà et là ; tout-à-coup , mes yeux s'arrêtent
sur des objets qui s'y retracent comme une longue colon-
nade de nuages blanchâtres et immobiles. Habitué pendant
ma traversée à chercher le rivage au bout de l'horizon , je
m'aperçus bientôt de raoïî illusion, et les brouillards s'étant
dissipés peu à peu , un tableau que je n'oublierai de mes
jours se déploya devant moi : c'était la Cordillère. Ces
montagnes énormes étaient entièrement couvertes de neiges,
et elles s'élevaient à une telle hauteur que je fus obligé de
tendre le cou pour les regarder 5 elles rac semblèrent appar-
tenir à un autre monde ; eu effet , leurs cimes seules étaient
visibles el dominaient majestueusement les sombres nuages
qui couvraient l'horizon. Nous étions alors à cent soixante-
dix milles du Cumhre , point culminant de ces monta-
gnes , etc. , etc. »
La circonstance d'être obligé de tendre péniblement le
cou pour saisir l'ensemble de la Cordillère , donne une idée
pur la Coniillèiô des Andes. loi
plus jusle de leur prodigieuse hauteur qu'une description
plus fleurie.
Arrivé à Mendoze, Tiiutcur Tut présenté au général
Saint-Martin , ù qui il était recommandé , et il eut Foc-
casiou de le voir souvent. Voici le portrait qu'il fait de ce
célèbre capitaine :
« Je n'ai vu personne qui eût plus de vivacité dans la
physionomie; ses traits s'animaient, surtout quand il nous
parlait des événemens auxquels 11 avait présidé j et quoiqu'il
se dît heureux dans sa retraite de Mendoze, je crus lire
dans le feu de ses regards qvi'il lui tardait d'être rappelé à
des occupations plus actives. Il vivait tranquillement à
Mendoze, ou plutôt dans une terre qui en est éloignée de
huit lieues , et dont ses soins ont fait un séjour enchanteur ;
il me parut affectionner beaucoup celte ville, parce qu'il y
est généralement aimé , et surtout parce que c'est là qu'il a
commencé sa brillante carrière. Quelquefois, le soir , il ve-
nait causer avec nous sans façon , et il nous amusait par
une foule d'anecdotes qu'il contait très-bien , et auxquelles
le jeu de sa physionomie donnait un charme particulier. »
La wiontée de la première Sierra, qui commence à la
sortie d'un village qui sert de poste militaire, et qu'on a*
relevé du nom pompeux de Villa Vicencio , fournit à l'au-
teur des observations qui ont aussi leur intérêt.
« J'ai été forcé d'admirer l'intelligence avec laquelle les
mules savent distinguer quels sont les endroits oii le sol est
le plus ferme, pour y poser les pieds. Après avoir monté
pendant plusieurs heures , en tournant autour delà Sierra,
le chemin nous parut barré par un rocher à pic '•, cepen-
dant, en obliquant à droite , nous parvînmes au sommet
par un sentier en zig-zagj qui a' est tracé que par les pieds
des mules. Le coup-d'œll que présentent ces animaux sus-
pendus à la file sur ces échelons angulaires, est assez
loa Voyage au Pérou
curieux ; lant qu'on côtoie les flancs de la Sierra , !a
montée est si douce , et le pied des mules si sûr , qu'on
n'éprouTC aucune frayeur , pourvu qu'on ne regarde pas
derrière soi. I>es cris des muletiers , pour hâter ou ralentir
le pas de ces animaux , répétés et prolongés par les échos ,
dans ces gorges effroyables , achèvent de donner à ce ta-
bleau une teinte pittoresque et sauvage.
■a Au premier défilé , le sentier n'a , dans un espace do
quelques toises , qu'une largeur de quinze à dix-huit pouces ;
il plonge sur un torrent, à une hauteiu' d'environ cinquante
toises ; il est couvert de cailloux , ainsi que le soi qui ie
domine. Dans ce défilé, la position du voyageur est au
moins inquiétante. Sous ses pieds est un vaste abîme; sur
sa tèle sont suspendus des rochers de nature siliceuse ,
dont les élémens mobiles forcent le voyageur de regar-
der à tout moment au-dessus de sa tête, dans la crainie
d'être écrasé par leur chute. Des croix placées çà et là
dans les flancs de la montagne hii révèlent le nombre de
ceux qui ont subi le sort dont il est menacé. Dans un sen-
tier si étroit, la mule sentant que, si sa charge vient à
heurter contres les masses caillouteuses qui sont en saillie ,
elle roulera infailliblement dans les fondrières de la mon-
tagne , suit l'extrême bord , de sorte que le corps de
l'animal et la jambe du voyageur débordent le chemin
au-dessus de l'abîme. Souvent aussi le terrain fléchit sous
le pied de la mule. Redoublant alors de précaution , avant
de s'appuyer , elle sontiv^ le chemin , et pose ses pieds en
ligne droite l'un devant l'autre. Il est très-dangereux dans
ces momens critiques tie chercher h guider sa moulure : le
plus sûr est de l'abandonner à elle-même.
» Quant au second défilé, il est plus effrayant peut-être;
des femmes auraient pu difficilement le franchir , à moins
d'être assises de côté sur la mule et de faire face à la mon-
par 4a Cordllurrc Uc^ .-lndc.>. io5
'iui^no, ïidWi, îii l'.osilion opposée , tours corps , débordant
sur l'abîme , le plus léger niouvemenl , le moindre verlige ,
suflirait pour les y précipiter. »
Noire voyageur gagne enfin le sommet de la partie de
la Cordillère qu'il avait à traverser ; il descend, non sans
être exposé à de grands dangers, dans les contrées %lu
Chili , situées au revers de cette chaîne de montagnes , et
il se rend à Valparaiso ;
« J'avais , dit-il, des lettres pour le général O'Higgins, na-
guère directeur suprême du Chili, aujourd'hui , eu quelque
sorte , prisonnier d'Etat à Valparaiso. Je ui empressai de lui
rendre ma visile. 11 habitait le palais du gouverneur et
avait la ville pour prison. Son entrelien me charma. Ce
général est plein de vivacité et d un commerce agréable ;
né tians l'Amérique méridionale , il a été élevé en Irlande
dont sa famille est originaire. Il parle fort bien notre
langue, et touî: ce qui est anglais l'intéresse. Sa taille
est petite, mais forte; sa figure m'a rappelé le portrait
d'Olivier Cromwell. O'Higgins est intrépide soldat, assez
habiie général, mais il est d'un caractère trop ouvert cl
trop confiant pour un lems de révolution. Il a joué un
grand rôle dans les événemens qui ont opéré l'indépen-
dance (lu Chili. A la tête d'un parti puissant , défenseur
de cette noble cause, il prit part, à côté de Saint-
Martin , à la bataille de Chacabuco. A l'époque où l'armée
royaliste, sous Osorio, surprit de nuit et dispersa celle
des patriotes, il concourut, avec son illustre compagnon
d'armes, à raUier celle-ci, après avoir i-établi l'ordre dans
la capitale, par son influence et son ad i vite. C'est à lui
principalement qu'on doit l'organisation de ces bataillons
qui, peu de tems après, battirent à Maypo l'armée victo-
rieuse , qui s'avançait, pleine de confiance, sur Sant-Yago.
Rien n'eût manqué à la gloire d'O'lliggins , comme gou-
verneur du Chili , s'il n'«ût cédé à l'influence d'un ministre
io4 F'oyage au Pérou •
ambitieux et intrigant. Même en ce moment, indépen-
damment de ses services, son nom seul est d'un grand
poids parmi les indcpendansj son pore, vice-roi du PérOti
et du Chili , a laissé dans ces contrées les souvenirs les plus
honorables.
» Valparaiso est, sous ie rapport des mœurs , la sentine de
tous les vices de TAmérique mcrliîionale. Il est difficile de
voir des hommes plus corrompus que quelques aventuriers
anglais , qui y vivent. Mais les Chiliens espagnols , nés dans
le pays , sont plus odieux encore , s'il est possible , car à
tous les auli'es vices , ils joignent la lâcheté.
» Les naturels du pays ont la réputation d'être les hommes
les plus sanguinaires et les plus barbares de l'Amérique mé-
ridionale. Sous un vernis de politesse, ils sont vindicatifs à
Texcès, et ont recours au couteau pour la plus légère of-
fense. On en voit des exemples même à Sant-Yago. Je me
promenais un soir sur le Pacomar ; tout-à-coup je vois un
homme à cheval descendre au grand ga'op l'avenue où j'é-
tais, renverser un piéton , lui passer sur le corps, et pour-
suivre son chemin , sans même regarder en arrière. Les
Anglais, témoins du fait, accoururent vers ce malheureux
qui venait d'expirer ; mais les gens du pays ne firent au-
cune attention à cet événement, et virent emporter le ca-
davre, sans témoigner la moindre pitié. Quelques jours
après, im officier anglais, au service du Chili, se |îromc-
nant à cheval, à quelques pas de la ville , aperçoit un homme
en querelle avec sa femme et qui allait la frapper d'un coup
de couteau ; il descend à l'instant de cheval et court inter-
céder pour sa victime. Le mari se retournant froidement,
plonge son couteau dans le ventre de l'officier et le tue. Les
meurtres, si communs dans ce pays, s'y commettent
avec la plus indigne lâcheté; l'assassin frappe sa victime
par derrière , et a disparu avant qu'elle ait pu le recon-
naître. »
parla Cordillère des Andes. io5
Le chapitre XIX<=esl important , en ce qu'il peint l'état
des partis de Lima, avant et depuis ia disgrâce d'O'Hig-
giûs et la défaite d'Alvarado. Les notices sur ces per-
sonnages, ainsi que sur Leuiar, Riva Aguero , le comte
Vistaflorida , le général Sucre, Canterac, Loriga, Miller
et autres , sont pleines d'intérêt ; nous nous bornerons à en
extraire quelques détails, relatifs ;i l'homme le plus remar-
quable de tous ceux qui ont figuré sur le thcâti'e immense
et brillant qui fixe aujourd'hui l'attention de l'univers , le
libérateur Bolivar.
a Peu de jours après sou arrivée à Lima , Bolivar eut le
désir de paraître au spectacle ; chacun à l'instant courut
arrêter des loges, chose assez difficile, car elles sont pour
la plupart, louées au mois ou à l'année. La salle qui est
grande à peu pi'ès comme notre théâtre de Hay-Market a
Londres, était parée sur tous les points des couleurs na-
tionales j et au-dessus de la loge <iu président de la répu-
blique, située au cenli'e du premier rang, on voyait, con-
fondues en un faisceau , les bannières du Pérou et de la
Colombie. La salle se remplit de très-bonne heure; l'ar-
rivée de Bolivar fut annoncée par des boîtes. Il entra dans
la salle, accompagné du président, et il est inutile de dire
de quelles acclamations il fut accueilli j il rendit ce salul
en s'inclinant brusquement , et s'assit.
» Bolivar est petit et luaigre ; son extérieur annonce une
grande activité 5 sa figure, d'ailleurs fort belle , est sillon-
née par les travaux et par les soucis ; il a l'œil noir et vif,
de grandes moustaches , les cheveux crépus j sa physiono-
mie révèle son caractère 5 l'audace , l'activité , un génie
aventureux , une vivacité impatiente , une volonté ferme ,
se peignent dans tous ses traits et se décèlent à chaque mou-
vement de son corps.
,Lc costume militaire qu'il avait au spectacle, était d'une
extrême simplicité ) il portait un habit et un pantalon bleus
loo ApciciL de lu siluation coininercicd'j eL agricole
cl des JioUes à récuyère. il parut Irès-atlenlif àla représeu-
talion de la grande pièce, toute mauvaise qu'elle était, et il
s'amusa beaucoup Ag {a Snyiietie, geurc do comédie que les
Espagnols de Lima jouent avec un talent tout particulier. »
( Lit. Gaz. )
APERÇU
DE LA SITUATION COMMERCIALE ET AGRICOLE
DE I. A RÉPUBLIQUE d'hAÏTI.
Les laits positiCs que nous fournit la slalisluiue d'Haïti,
montrent à quel point l'aflranchissement d'une population
de noirs influe sur sou accroissement, son bien-être, son
industrie et ses mœurs, a]v)rs même qu'elle aurait conquis,
comme à Saint-Domingue , la liberté par la violence, et
l'aurait long-tems disputée aux arntes de l'étranger et aux.
discordes intestines. D'ailleurs la situation actuelle de cette
île est, au plus haut degré , digne de fixer l'attention pu-
blique. Elle offre d'abord un grand intérêt de curiosité.
Une vaste contrée occupée par des hommes qui , passant
tout- à-coup de la condition d'esclaves à celle de citoyens,
fondent leur existence politique et leur liberté j qui, sor-
tant de l'état de nature, atteignent en. peu de tems un assez
haut degré de civilisation, et se créent une constitution et
un gouvernement; une telle contrée présente un spectacle.
à la fois nouveau dans l'histoire de l'espèce humaine , et
piquant par les disparates qu'il paraît réunir et concilier.
L'intérêt s'accroît quand on songe que le pays , théâtre de
ces phénomènes , touche à nos colonies , et que celles-ci
sont placées dans des circonstances analogues à celles oii
une révoluliousi extraordinaire s'est opérée.
de Ici répiihliqm, d' Haïti . \on
Comme nous n'avons ou jusqu'ici que peu de t^elations
directes avec la nouvelle république, nous sommes peu
éclairés sur sa situation intérieure ; et nous connaissons
comparativement mieux tel autre pays bien plus éloigné de
l'Angleterre, ou même inaccessible à ses voyageurs. Les
événemcns de l'époque actuelle doivent ajouter ausgi à
l'importance du sujet que nous traitons ; car lorsque le
vœu général de la nation prescrit à noire gouvernement
de reconnaître comme états iudépeudans toutes les colonies
qui sont parvenues à secouer le joug de leur métropole ,
on ne peut que tourner les regards vers celle de ces colo-
nies qui jouit depuis le plus long-tems de soii indépendance ,
qui a le mieux afFernii sa liberté . et qui offre le plus de
titres ri un acte de reconnaissance , soit qu'on le suppose
commandé par la justice, ou dicté par la politique.
Ajoutons , ce qui e.st bien important , que le sort
d'Haïli jette un grand jour sur la question délicate de savoir
si Ton abolira l'esclavage comme l'on a aboli la traite des
uoiis, question qui s'agite aujourd'hui tant dans le Nouveau-
INiOnde que dans l'Ancien. Les suites de raffranchissement
des noirs à Saint-Domingue nous sont constamment cilées
comme un exemple funeste, par les ennemis de la liberté et
de l'humanité. Cependant la calomnie contre les noirs s'est
à peu près épuisée j on ne saurait plus se dissimuler leur
position actuelle 5 l'influence des préventions dont ils sont
l'objet s'affaiblit de jour eu jour, et il est lems d'aborder
franchement les faits qui les concernent. La moindre jus-
tice qu'on puisse leur rendre , est de convenir que , trom-
pant l'attente générale , et dissipant les craintes que nous
avions conçues, ils se sont montrés les voisins les plus
paisibles , tandis qu'il ne tenait qu'à eux d'être les voisins
les plus inquiétaus et les plus dangereux.
IVous nous proposons de résumer dans cet article tout ce
que nous avons pu recueillir d'authentique sur la silualion
\
ïo8 Aperçu de la situation commerciale et agricole
actuelle crHaïii , et sur ses progrès en tout genre , depuis
qu'elle s'est séparée de sa métropole. Nous nous bornerons
à poser les faits j les conséquences qui en découlent se
présenteront assez d elles-mêmes.
POPULATION DE SAINT-DOMINGUE.
Les partisans de la traite se sont attachés à faire croire
que la race des noirs ne pouvait s'entretenir aux Antilles
sans recevoirdes renforts de la côte d'Afrique, etque, surtout
dans l'état libre , elle n'j suffisait pas à sa reproduction. Les
recensemens les plus exacts donnent un démenti formel à
ces suppositions déraisonnables.
La population indigène d'Haïti , lors de la première
invasion de l'île , a été portée à 3, 000,000 d'ames par
l'évêque Las Casas. Ce nombre est probablement exagéré j
mais fût-il beaucoup moindre , ou ne peut douter qu'il
n'ait promptemeut diminué à la suite de la conquête. Au
dix-septième siècle, l'île était partagée entre les Espagnols
et les Français j dans le siècle suivant, et en 1 789, le nombre
des premiers était de 1 10,000 babiians libres, et de i5o,ooo
esclaves. Eu 17^6, la population française s'élevait à
îoOjOoo nègres et 5o,ooo blancs. On comptait, en 1775,
d'après M. Malouet, 3oo,ooo nègres et 25, 000 blancs. Il
y avait en 1779, selon M. Necker , 2495*^98 esclaves,
7,o55 nègres libres, et 32,65o blancs 5 en tout 288,8©5
babitans. En 1789, M. Moreau de Saint-Méry porta le
nombre des esclaves à 45^>ooo; ^' Bryan Edward à
480,000 5 et M. Prieur, dans son rapport fait à l'Assemblée
nationale , l'estime à 5oo,ooo noirs et 4o?ooo blancs. Que
si Ton ajoute maintenant ce nombre , peut-être exagéré , à
ceUii des babitans de la portion espagnole, on verra qu'au
commencement de la révolution , la population n'allait
pas au-delà de 665,ooo âmes. Depuis cette époque , jus-
qu'en 1807, que l'armée française fut définitivement ex-
de lu république d'Haïti. 109
puisée de l'île, le pays a clé Jévasté par une suite non-
interrompue (le guerres sanglantes, ce qui n'a pas arrêté
raccroissenient prodigieux de la population. D'après le
recensement fait en 1824 , elle s'élevait à 955,555 individus.
La force militaire de ce pays est proportionnée à la masse
de ses habitaus. 45,52o soldats composent l'armée active ,
et la garde nationale est forte de ii 5,528, ce qni forme
un total de 1 58,848 hommes exercés au maniement des
armes. Ces estimations sont officielles 5 elles ont été faites
en vertu d'un ordre du président Boyer du 6 janvier 1824.
Une résolution prise, par cette même autorité , au mois
de mai 1824? aura pour efl'et d'accroître encore davan-
tage la population j elle porte qu'il sera reçu des Etats-Unis
d'Amérique 6,000 noirs libres et hommes de couleur ;
qu'ils seront partiellement indemnisés, par l'Etat, de leurs
frais de voyage, et qu'il leur sera concédé des terres et
fourni des inslrumens aratoires , pour commencer leurs
travaux de défrichement j ainsi , dans le cours de trente-
cinq ans , et malgré l'état de guerre qui sVst prolongé dans
l'île d'Haïti , la population aura augmenté de G65,ooo
à 955,000 âmes.
Que l'on compare maintenant cet accroissement extraor-
dinaii'e à la marche de la population dans nos colonies
Aes Antilles, et l'on verra que l'état de liberté offie à cet
égard des résultats bien dififérens de ceux que fournit l'état
d'esclavage. En 1 788 , il y avait , d'après un rapport
fait au conseil privé du roi , 9,000 esclaves à Tortola.
IjCS registres des esclaves importés de la côte d'Afrique nous
manquent depuis 1790 jusqu'en 1796. De 1788 à 1790,
et de 1796 jusqu'en 1806, il eu fut importé 1,089. Cepen-
dant, en 1822, le nombre total des habitans ne s'élevait
qu'à 6,478, et celui des esclaves à 5;55i, y compris 5o4
affranchis .
En janvier 1721, il y avait 77,376 esclaves à Démérary^
1 1 o Aperçu de la siLuatiun coinnicrciale, et agricole
dix-sept mois plus tai'tl , ils étaient réduits à 74>48i ;
difl'érence en moins , 2,g58.
Observons qne , dans cet interval'e , 1,293 esclaves ont
été transportés par ordre de noire gouvernement , des
Antilles aux marais pestilentiels de celte colonie , où ils
ont trouvé la mort 5 ce qui fait im décroissement total de
4,25 1 individus, en moins de deux ans,
A la Jamaïque , on comptait, en 1790, 25o,ooo noirs.
Si cette population s'était accrue proporlionnellcment à
celle de l'Amérique du Nord , elle se serait élevée à 575,000
en 1810. A cette époque, toutefois, elle n'était que de
540,000; dlflérence en moins sur les progrès de la popu-
lation des États-Unis, a55,ooo ; et cependant, durant ces
trente ans , ou pîulôt dans les dix-huit premlèi'es années de
cette période, il fut importé de la côte d'Afrique à la Ja-
maïque 109,000 noirs, qui n'en sortirent pas. Abstraction
faite de tout accroissement pi'oveuant des iiTiportations , la
Jamaïque aurait dii posséder, en 1820, 764,000 noirs, c'est-
à-dire 424>o<^o ^^ p'I'^'s qu il n'y en avait effectivement cette
année. Mais , en ne comptant sur aucun accroissement
résultant , soit de la propagation de la population noire exis-
tante en 1770, soit des importations postérieures à cette
époque , le nombre des noirs dans l'île devait être , eu 1820,
de 459JOO0 ; et il n'était que de 65o,ooo.
En résumé, dans toules nos colonies des Antilles , à l'ex-
ception de la Barbade et des îles Baliamaues , la population a
subi un décroissement continu, qui, dans le cours de trois
années antérieures à 1820, a été de 6,000 âmes par an.
En ce qui touche les progrès de la population aux Etats-
Unis , nous citerons un écrit imprimé à Schawene-Town ,
dans le territoire Illinois, et que nous avons sous les yeux.
L'auteur, M. Morris-Birbeck, y traite la question desavoir
s'il serait bon d'introduire les noirs comme esclaves dans
les étals de l'ouest de l'Union. Il présente, à la suite de son
de lu rcpuhlique d'Haïti. 1 1 1
ouvrage, un taljk'au nssez curieux ties progrès Je la popu-
laliou dans ces conlré'S, On y voiujue, de i8ooà 1810, la
populatiou s'est élevée de 200,959 à4oC>,5ii âmes, dans
le Kentuckev ; et daus TOliio , de 55,556 à '.i^o, yOg in-
<lividus ; en moins de vingt années , elle est devenue onze
i'oîs plus nombreuse qu'elle ne Télait dans le principe. En
di\ ans , la population C'.c Tlndiana s'est élevée de
247520a 147,178 habitans libres; celle du Missouri de
•>.o,845 à 6(3,580. On ne saurait trop réflécîiir sur cette
disproportion avec laquelle se r.".ultipllenl les races libres
et les races esclaves dans les états de l'Union. Si Haïti eût
constamment joui de la paix , sa population se serait pro-
bablement accrue dans les mêmes i-apporls que celle de ces
contrées 5 ce n'est en effet que lorsque la tranquillité s'y est
rétablie, qu'une progression étonnante s'y est fait remar-
quer ; et il faut défalquer des registres antéricui's cette
masse imniense d'individus de tout sexe , moissonnée par
les guerres meurtrières qui se succédèrent depuis 1794 jus-
qu'en 1802.
DES PRODUITS d'hAÏTI.
T)\\ rapide accroissement qu'a éprouvé la population
d'Haïti , on est fondé h. conclure que sps produits suffisent
aux besoins de ses habitans. Quant aux productions parli-
cidières qui faisaient la ricbesse de rancienne colonie , telles
que le sucre , le coton , le café , il résulte des rapports
officiels sur Tétat du commerce général de l'île , qu'il a
été exporté, dans l'année 1822, 052,54 1 livres de sucre,
891,950 livres de coton , 55, 117,854 livres de café,
et \nie quantité considérable de cacao , de bois de tein-
ture , etc. , etc. En comprenant , dans la somme des pro-
duits, le sucre , le café et le coton , qui ont été consommés
dans l'intérieur, la valeur des matières exportées en 1822 ,
112 Aperçu de lu situation commerciale et agricole
Est de 9,000,000 de dollars , ou plus de 2,000,000 de
livres sterling ( 60,000,000 de francs ) ; celle des ma-
tières imporlécs approche de 5,ooo,ooo de notre monnaie
( 75,000,000 de francs ) 5 et le commerce d'importation et
d'exportation a occupé un tonnage de 200,000 , réparti
sur 1,855 bâtimens.
A ces faits concluaus , nous ajouterons , pour l'édification
de ceux qui méprisent tout commerce qui ne rapporte
rien au fisc , que les droits d'entrée et de sortie des pro-
duits d'Haïti ont excédé, eu 1822, 678,000 liv. sterling
( i6,o5o,ooo francs) , revenu que ne dédaignerait pas la
dynastie la plus ancienne et la plus légitime de l'Europe.
SITUATION MORALE.
A la suite de l'aperçu rapide que nous venons d'offrir sur
la population, la foi'ce militaire, le commerce et les finances
d'Haïti , en un niot sur la statistique de cet empii-e , pas-
sons à des observations plus étendues sur sa situation
morale. L'extrait suivant d'une letti'e du général Inginac,
secrétaire d'état du président Boyer , présente sur cette
matière des éclaircissemens précieux ; il démontre avec quel
soin on s'occupe à Haïti de l'objet le plus important qui
puisse fixer l'attention des gouvernemens , de celui auquel
se i-attacheut essentiellement toutes les améliorations so-
ciales ; nous voulons parler de Tinstruction pul)lique. Il
fait connaître, en même Icms, les pi'ogrès rapides que font à
Saint-Domingue l'agriculture et le commerce, et l'excellent
esprit qui protège cette île contre toute invasion étrangère.
« Je puis vous assurer , monsieur, que, bien convaincu
» que l'instruction et l'agriculture sont les premières sour-
» ces de la prospérité des états , le gouvernement de la
y> république ne perd de vue rien de ce qui est propre à
» favoriser leur développement ; et j'éprouve une vive
de la république d'Haïti. 1 1 5
» satisfaction à vous apprendre qu elles répondent jusqu'ici
» par leurs progrès, aux soins qui y sont consacre's. La masse
» d'élèves des deux sexes que possèdent les écoles du pre-
)) niier et du second degré , est vraiment prodigieuse. Dans
» toutes nos grandes villes , le nombre des écoles , tant
» publiques que particulières, a considérablement augmen-
» té, et l'on en trouve également dans les gros villages de
» Tintérieur. Je ue reviens pas moi-même des améliora-
M tions que je remarque ici dans l'éducation et dans les
» mœurs ; cette heureuse et paisible révolution est due à
» un gouvernement paternel. Je vous adresserai , au priu-
» tems prochain , un tableau fidèle de nos écoles , et de la
» quantité d'élèves qui y sont admis.
M Relativement à l'agriculture , il me suffira de vous dire
» que le défrichement de terres incj.dtes , les concessions
» faites par le gouvernement . et le partage de biens-fonds
» que possédaient les anciens colons, ont créé, de i8i4 jus-
» qu'à ce jour, trente mille nouveaux propriétaires , dont
» la vigilance égale ractivité. Si jadis , à Rome , la terre
» s'enorgueillissait d'être cultivée par des mains triom-
» pliantes ; aujourd'hui , dans notre ile , elle ne s'enor-
y> gueillit pas moins d'être cultivée par des mains libres.
» Je crois que la récolte du café de 1823, surpasse de
» plus d'un tiers celle de i^xi; et je ne doute pas que ,
» cette année, elle ne soit plus considérable encore, parce
» que le perfectionnement de nos lois rurales , en donnant
«plus de garanties à nos cultivateurs, en a augmenté la
» masse j mais si l'agricidlure occupe plus de bras, on s'y
» livre aussi avec plus de zèle , de régularité et de plaisir.
« La région orientale f l'ancienne partie espagnole ) pa-
» raît satisfaite d'être soumise aux lois de la république.
« Ceux de ses habitans dont l'oplnlou était contraire à
>) nos institutions, ont pris le sage parti d'émigrcrj ce qui
» fait que nous ne comptons parmi nous que des citoyens
I- 8^
1 1 4 Aperçu de ta situalion commerciale et agricole
3> dévonés. Si nous avions quelques agressions à craindre
» du dehors, nous sommes en mesure de les repousser sur
» tous les points. Nos fortifications sont en bon état j nos
j) places sont approvisionnées ; et leurs garnisons ren-
» forcées. Nos troupes de ligne et nos gardes nationales
» sont équipées et sous les armes ; enfiu Tesprit public est
» ou ne peut meilleur. Nous désirons la pais, sans doute ,
« et tous nos efforts tendent à la conserver; mais une fois
3) attaque's, nous montrerons à l'univers ce qu'on peut
)) attendre d'hommes qui veulent l'indépendance de leur
» patriÊ. »
D'autres documens authentiques nous apprennent qu'au
Port-au-Prince 11 n'y a p's moins de quatorze écoles libi-es,
où des élèves de Tun et de l'autre sexe, au nombre de 8i5,
apprennent à lire , à écrire , à calculer, et puisent mcioe
des connaissances d'un ordre supérieur; et qu'au Cap , il y
a six écoles particulières, sans compter les écoles publi-
ques, où l'on reçoit, outre l'instruction élémentaire, des
leçons d'algèbre, de géométrie, d'histoire etde géographie.
En ce qui concerne les mœurs, nous ne saurions donner
une meilleure idée de l'importance qu'on y attache , qu'en
rapportant quelques passages d'une lettre de Christophe ,
qui a paru dans un numéro du Propagateur, qui s'imprime
à Haïti : « Je m'occupe , dit cet homme extraordinaire ,
» de répandre , autant que possible , parmi mes couci-
» toyens , des principes de religion et de vertu. Mais
)• considérez , mon ami , combien il faut de tems et de
» travaux pour faire germer des idées de morale dans
« toutes les classes d'un peuple qui ne fait que sortir des
» ténèbres de rignorance . qui vient à peine de briser ses
» fers, et qui a été, pendant vingt-cinq ans, en proie
» aux vicissitudes du sort, aux désastres, et aux révo-
j) lutions. »
Ces renseignemens , émanés de membres {\i\ gouverne-
de la république d'Haiti. i i5
ment , paraîtraient-ils suspects ? Voici des exlrails J'im
rapport fait à la Convention américaine par un comité
pris clans son sein, qui a eu pour mission spéciale d'exa-
miner la condition morale et politique des peuples d'Haïti.
La Convention américaine est une société particulière, qui
s'est formée aux Etats-Unis pour concourir à l'abolition
de l'esclavage, et à l'amélioration de la race africaine.
« D'après les renseignemens fournis par diverses per-
sonnes qui ont habité Haïti, et d'après les pièces oflicielles
qui s'y impriment, ces peuples paraissent avoir fait, sous
le rapport de la civilisation et des lumières , des progrès
presque sans exemple dans l'histoire des nations.
>5 Les écoles publiques établies dans l'île sont, relati-
vement aux besoins de la population , plus nombreuses
que les institutions de ce genre, connues dans les différens
pays de l'Europe , et leurs élèves se distinguent par leurs
progrès.
» Le gouvernement est fort, et paraît solidement établi.
Sa forme est républicaine ; en effet la puissance législative
appartient à un corps élu par !e peuple. On prétend néan-
moins que c'est la volonté seule du président qui gouverne,
parce que la force militaire est à sa disposition. Il ne paraît
pas qvi'il ait jusqu'ici abusé de cet avantage ; et Ton doit
croire que, si le système actuel d'éducation publique et
les formes républicaines se maintiennent , ie pouvoir pas-
sera bientôt entre les mains du peuple et de ses représen-
tans. Mais il est clair que , jusqu'à ce que les connaissances
politiques soient plus répandues dans le pays, l'influence
principale sera exercée par vui petit nombre d'hommes en-
treprenans, qui ont devancé leurs concitoyens dans la car-
rière de l'instruction.
» La masse commune des hommes se compose en tout
pays de prolétaires qui n'ont pour vivre que leur travail.
C'est par les moyen', de subsistance qu'il leur procure.
1 1 6 Aperçic de la situation commerciale et agricole
qu'il faul juger de leur bien-être ou de leur malaise. Or, si
l'on estime sur cette base le sort du peuple haïtien , ou
reconnaîtra qu'il est plus doux que celui d'aucune nation
d'Europe 3 et même que sa position est presque aussi avan-
tageuse que celle des citoyens des Etats-Unis. Le salaire
d'un ouvrier , dans les ports d'Haïti , est d'un dollar par
jour ( environ 5 fr. 5o c. ). Le prix courant des subsis-
tances y est à peu près le même que dans ies nôtres j mais
les besoins de l'habitant d'Haïti, en ce qui concerne son
habillement , son logement et son mobilier, sont lieaucoup
moindres que ceux, de nos compatriotes. On peut dire , en
général, que l'existence du cultivateur haïtien est aussi
heureuse, en ce qui tient aux besoins de la vie , que celle
de l'ouvrier dans quelque pays que ce soit. L'abondance qui
règne dans l'île semble indiquer que le pouvoir y est exercé
avec douceur, et que le peuple n'y est soumis ni à des im-
pôts vexaloires , ni aux abus du monopole.
» Les pièces officielles et les feuilles publiques qui ont
paru à Haïti , se distinguent généralement par un style si
pur, par un jugement si profond , et par des sentimeus si
élevés, qu'on a pensé communément que ces écrits étaient
l'ouvrage d'étrangers, et non de ceux qui les avaient signés.
On se refusait à croire que des hommes de race noire pus-
sent atteindre au degré de perfectionnement intellectuel
que ces documens supposent. Quelques doutes ayant été
exprimés sur ce point dans un article de la Gazette Na-
tionale de celte ville ( Philadelphie) , le rédacteur d'un
des meilleurs journaux de Boston a attesté , d'après le té-
moignage d'une personne digne de foi qui a fait un long
séjour à Haïti , que les écrits en question sont réellement
des auteurs dont ils portent les noms. Quelques citoyens de
Boston ont dernièrement témoigné un vif intérêt au sort
d'Haïti, et ont écrit avec énei'gie en faveur de la recon-
naissance de son indépendance par les étals de l'Union.
de la république d'Haïti. 1 17
L'un d'eux, qui, tians plusieurs écrits, a tracé un ta-
bleau brillant de la situation de ce pays , de ses institu-
tions et de son avenir, se défend du reproche qui lui a été
fait d^avoir à cet égard des vues suspectes, en disant qu'il
n'entre pour son compte rien d'intéressé dans ses démar-
ches ; qu'il n'est mû que par la considération de ce qui est
juste et raisonnable, et par celle du bien général de sa
patrie. L'humanité doit vivement se féliciter de ce que
l'amélioration progressive du peuple haïtien diminue tous
les jours !e nombre de ses adversaires et de ses contemp-
teurs, et augmente sans cesse celui des hommes qui croient
à la capacité morale et intellectuelle de la race africaine.
Espérons qu'un peuple si intéressant aux yeux du philo-
sophe, de l'homme d'état, et surtout de i'ami des noirs,
réfutera, par l'exemple qu'il donne au monde, les pré-
jugés qui existent contre lui , et que la terre qu'il occupe
continuera de servir d'asile à ceux des gens de couleur qui
ne peuvent endurer rhumiiiation qu'ils sont destinés à subir
en d'autres pays.
» La réunion récente de la partie espagnole de Saint-
Domingue à la république haïtienne, et par conséquent la
soumission de Viie entière a un même gouvernement ,
doit prévenir les craintes de troubles intérieurs , qu'un
état de partage pouvait inspirer, et faire considérer ce pays
comme aussi favorable qu'auparavant aux émigrations qui
pourront s'y porter. Jja politique du gouvernement est gé-
néreuse envers les étrangers (jui y cherchent un établisse-
menlj celte générosité allait même naguci'e jusqu'à indem-
niser des frais de voyage ceux qui s'y rendaient des porls
de l'Europe ou de l'Amérique ; mais cette mesure ayant
attiré dans l'île des sujets dangereux , on a dû y mettre des
restrictions. «
Après avoir considéré ce peuple dans son existence col-
lective , et avoir examiné son gonvernement et les cficts
ii8 Aperçu de la sitnaiion de la république d'Hàiti.
tle ses iuslilutions , on éprouve le désir de le voir indivi-
duellement, et de contracter avec lui une connaissance plus
intime ; les détails suivans peuvent offrir, sous ce rapport ,
quelqu'intérêt :
« Le costume des classes inférieures est simple, mais pro-
pre et décent , il consiste, pour les hommes , en une veste
de laine bleue, un gilet et un pantalon de toile blanche;
pour les femmes, en une camisole de colon, uue jupe, et
im mouchoir, noué en turban sur la lète.
5) Les paysans qui fréquentent les marchés des villes se
font remarquer par un air de santé et de propreté. Tous ,
Jusqu'aux plus pauvres, sont vêtus ; et Taspect général qu'ils
présentent est celui de l'aisance et du contentement. Le sexe
aime la toilette ; c'est son faible, et rien ne lui coûte pour
le satisfaire. Les jeunes femmes d'Haïti sont agréables , et
même belles ; mais , dans les dernières classes , elles s'a-
bandonnent facilement au désordre , ce qui paraît tenir,
dans ce pays , à l'indulgence de l'opinion pour des fautes
qui d'ailleurs y furent toujours tolérées. »
Voici le portrait d'un élégant haïtien, d'après une feuille
récemment publiée à la Jamaïque : « Le costume , comme
on vient de le décrire, cheveux retroussés vers le sommet
de la tête, boucles d'oreilies , moustaches, et un chapeau
penché un peu de côté ; le buste est droit , et l'allure an-
nonce le sentiment de l'indépendance. » Ce portrait n'est
pas flatté ; il a été tracé par une main ennemie.
( JRepue d'Edinhourg. )
ÉCONOMIE POLITIQUE.
ESSAI SUR L ADMINISTRATION INTERIEURE DE LA
PRUSSE.
Geschichte des Preussischen Staates vont Fricden zu Hubertsberg
bis zur zweyteti Panser Abkunft. ( Histoire des états prussiens ,
depuis la paix «le Hubertsberg jusqu'au second traite' de Paris. Trois
vol. in-8o , Francfort-sur-le-Mein , i8ig et 1820.)
KuL homme versé dans l'histoire , du moins aucun An-
glais doué de quelque sens, n'adoptera , sans restriction,
cette opinion d'un grand poète que le goût de l'épigrarame
a conduit trop souvent au paradoxe : « Il est insensé de
discuter sur la forme des gouvernemens , parce que la
meilleure ■constitution est celle du pays qui est le mieux
iulministré. »
D'un autre côté, il n'appartient qu'à un esprit rétréci
d'attacher à la forme luie importance exclusive, et de
supposer que toute discussion sur le bonheur dont jouit une
nation, Sur raraélioration de ses mœurs, sur les progrès
de sa civiUsation , doit s'arrêler devant la simple alléga-
tion que sou gouvernement est une monarchie absolue.
jNotre dessein n'est point d'ébranler la juste couA^lctlon, à
laquelle nos consciences sont si attachées , de l'immense
.supériorité d'un gouvernement tempéré comme le nôti'e
sur les monarchies absolues établies en Europe j mais nous
désirons, nous espérons surtout inspirer une opinion p!us
libérale sur les sources de perfectibilité que possèdent même
ces gouvernemens, et , ce qui est plus important peut-être,
domier au\ théoriciens politiques des idées plus satisfai-
santes sur les destinées du genre bnmaln.
1 20 Essai sur l'adiniiiistralioji intérieure
La Prusse n'entra dans la balance de l'Europe qu'au
commencement du siècle dernier , lorsque rambitleux
Frcde'ric , électeur de Brandebourg", sollicita de l'empereur
le titre de roi, et, dans ie court espace de quarante ans ,
celte monarcliie nouvelle devint un des grands états du
continent.
Frédéric II joignait de vastes lumières à une ambition
sans bornes : telle était sa position , à son avènement au
trône, qu'il ne pouvait la maintenir qu'en Taméliorant.
Unissant de grands talens militaires et civils à une politique
sans scrupule , il parvint enfin, non-seulement à détruire
la coalition qui s'était formée contre lui , mais à élever son
royaume au rang des états du premier ordre, en agran-
dissant d'abord son territoire aux dépens de ses ennemis ,
et en coopérant ensuite , avec eux , au démembrement de
la Pologne.
Peu de monarques ont Joui constamment d'une réputa-
tion personnelle aussi brillante. Le courage avec lequel il
affrontait les difficultés qui , parfois , semblaient devoir le
renverser^ l'adresse et la rapidité avec laquelle il savait s'en
tirer, devaient nécessairement éb!ouir les esprits. D'ailleurs
les circonstances l'avaient forcé de conserver, comme in-
dividu, des opinions qui étaient en opposition directe avec
sa conduite comme souverain , mali qui , en général , re-
haussaient la grandeur de son caractère. Protecteur déclaré
de la liberté de l'Allemagne, correspondant de Voltaire,
ami de Catherine , idole du jeune empereur Joseph II ,
son ennemi naturel, il dut être ie patron avoué des opi-
nions libérales. Mais de même qu'il avait su concilier la
défense publique des intérêts protestans avec de secrètes
infidélités à ces mêmes intérêts, de même il ne souffrit pas
que ses opinions libérales intervinssent dans le despotisme
consommé avec lequel il gouvernait son rojaume, et il fit
servir les droits el les inléréts de ses sujets au maintien de
de la Prusse. 121
ce pouvoir qui était le grand objet de sa sollicitude. Com-
plètemeut iuditléreut eu matière de religion , il eût volon-
tiers renonce â tonte intervention dans Je culte de ses su-
jets ; peu lui importait qu'ils fussent attachés au rituel de
Rome ou à la confession d'Augsbourg, pourvu qu'il disposât
de leur sang dans les batailles , et de leurs bourses pour
les besoins de son trésor.
Dans ce double but , il établit les impôts les plus
oppressifs ; il créa une organisation militaire qui fît de la
population entière une seule armée; et, pour rompre la
noblesse au métier des armes, il exclut les roturiers de tout
droit à ravancement , mesure dont il est permis de contes-
ter la sagesse.
Malgré sa passion déclarée pour la littérature, et ses pré-
tentions au titre d'homme de lettres , il dégrada , autant
qu'il fut en son p' avoir, le clergé et l'instruction publique.
Tel était l'esprit ..e son gouvernement. Quand l'énergie et
l'habileté qui avaient donné la vie à son système, et qui lui
avaient assuré une puissance si étonnante, cessèrent de se
montrer dans le cabinet de ses successeurs , cet esprit sur-
vécut ; mais aussi, il corrompit toutes les branches de
l'administration civile et militaire , et ses inévitables effets
entraînèrent la monarcliieàune crise qui faillit la détruire.
Lorsque la révolution française éclata , le gouvernement,
en Prusse , comme dans les autres pays , s'en déclara
l'ennemi, tandis qu'elle était favorisée en secret par une
grande partie de la population. Ses principes eurent pour
adeptes l'immense majorité des littérateurs , du clergé des
hommes de loi , et une masse considérable d'employés dans
l'administration municipale et financière, qui avaient tous
reçu loi(r éducation dans les universités d'AUema"ne •
mais ces progrès refroidirent généralement la sympathie
qu'elle avait d'abord excitée, et les malheurs éprouvés
par les Prussiens et par les autres peuples d'Allemaene ,
I. (^
ï22 Essaî sur raiminisiratlon intérieure
tlans le cours des invasions successives opérées par les ar-
mées de la république et de Vempire , produisirent enfiu
contre la France une îiaine secrète , mais universelle ,
qu'exaspéra Talliance forcée de leurs cours avec Vennemi
ti"iompliant. Ce sentiment, dans le cœur des Prussiens , se
nourrissait des pleurs de la patrie ; s'accroissait en raison de
son opprobre. Le gouvernement prussien se traîna dans les
voies d'une politique faible et vacillante , à travers toutes
sortes de périls, de désastres et d'affronts; forcé de livrer
ses plus riches provinces à des puissances rivales qui
avalent montré plus de soumission à la France, d'admettre
les garnisons de l'ennemi dans ses p'aces les plus fortes ,
de lui abandonner sa capitale, ses revenus, et de se voir
lui-même, avec toutes ses ressources , placé eafin dans la
plus déplorable des situations, celle de contribuer, par
son alliance, à réduire les états dont il avait été d'abord
l'allié, il une dégradation aussi complète que cel.e sous
laquelle il gémissait.
Dans cette position critique, la seule planche de salut
consistait dans la conservation de la loyauté du peuple ,
et dans la création d'un esprit public. Ce double résultat
ne pouvait s'obtenir qu'en pénétrant toutes les âmes de
la conviction intime que les sujets et le gouvernement
étaient unis par un commun intérêt. Le ministère prus-
sien eut la sagesse de discerner cet intérêt , et de lui sacri-
fier ce qu'une politique égoïste aurait considéré comme des
avantages importans. Un système complet de réforme
fut résolu sous Taduimistration d'un homme trop peu
connu dans ce pays , le baron de Stein ; et lorsque ce grand
politique ftit arraché du limon des affaires , et proscrit par
ordre de Napoléon , son successeur , le comte , depuis
prince de Hardenberg , persista à suivre la route qu'il
avait tracée. C'est à ce système qu'on doit ce sentiment
profond des outrages fails à !a nation , ces lueuî's de pu-
de lu Prusàc. i '20
îriolisine , eatln cet élan généreux, qui se manireslèreut
eu 1 822 , lorsque le corps d'armée du général Yorck se
sépara des troupes iVauçaises , et qui cousommèrent sou
glorieux ouvrage eu délivrant l'Allemagiie, et par suite le
continent européen du jong de la France.
Il serait d'un faib'e intérêt j)Our nos lecteurs de con-
naître toutes les particularités de cette réforme nationale,
dont le principe appartient incoutesiablenient au baron de
Stein. Un compte officiel a été publié dans une circulaire
adressée par ce ministre , lors de sa retraite , aux grands-
officiers de rélat , et datée de Kœnigsberg, le 1^ novem-
bre 1808. Il a eu, dans toute rA'leujagne, la plus grande
publicité, sous le litre de Testament yiolitiqiie du haron de
Stein y il explique succinctement le sysîème projeté , dont
quelques détails étaient alors mis à exécution.
Un des points les plus importaus de ce système, était
sans eoutredit rétablissement de près de six cents corpora-
tions municipales, qui devaient former autant de centres
d'adininistration locale. Le lecteur se convaincra bientôt
que cette mesure n'était qu'une imitation , sur une grande
échelle et d'après des règles uniformes , de l'état de
choses qui a subsisté durant plusieurs siècles , 'en Angie-
lerre , en France et dans d'autres états du continent. En
effet , les lois prussiennes ont eu l'objet commun à tous les
étab.issemens de cette nature , d'attribuer à l'administration
locale toutes les matières municipales qui exigent ixits
connaissances et des intérêts qu'on ne possède que sur les
lieux. En France , les constitutions de iNapoléon et celle de
Louis XVIII se sont attachées à donner au gouvernement
central tout le pouvoir et l'inlluence possibles, même sur les
arrondissemens les plus éloignés , et sur les moindres détails ;
le maire de la plus petite ville , et son commissaire de police
ne peuvent être nommés qu'à Paris j on ne peut construire
un pont , tracer une ruulc , ni arrêter un règlement muni-
124 Essai sur l'adminislration intérieure
cipal, sans un ordre de Paris. En opposition directe à cet
esprit, qui sacrifie tous les membres du corps politique à
nn seul , les lois prussiennes ont transporté , aux capitales
des provinces , et aux plus petites villes de leur terri-
toire, une portion considérable du pouvoir administra-
tif. Les Ecoles, les églises, les constructions publiques,
les poids et mesures , les revenus des communes , les
billets de logement , sont autant d'objets placés sous la
direction des autorités locales. Aux termes de cette grande
Charte, si l'on peut lui donner ce nom, les citoyens des
villes, sans distinction de naissance ni de religion, concou-
rent à l'élection des magistrats ; l'abolition générale des an-
ciennes corporations et compagnies leur permet le libre
exercice de toute espèce de commerce et de fabrication; en
même tems , les habitans des petites villes et des villages
ont acquis le droit dont ils étaient privés jusqu'alors , de
créer de nouvelles branches d'industrie commerçante et
manufacturière.
En octobre i8io, s'effectua une révolution complète
dans le système de finances. L'énorme contribution de
120,000,000 francs , exigée par Napoléon , avait clé réduite
de moitié ; mais le reste pesait cruellement sur un peuple
qui, d'ailleurs, avait extrêmement souffert par les frais
d'une résistance sans fruit, et par les charges de guerre
que lui avait imposées un ennemi victorieux. Les circons-
tances forcèrent le gouvernement de réformer un abus très-
ancien , que , sans elles . il eût été dans l'impuissance de
combattre. Une grande partie du revenu de l'état provenait
du o-rundsteuer , ou impôt foncier, dont la noblesse était
affranchie. Cette exemption fut supprimée à la fois dans
toute l'étendue du royaume. L'on sait que le refus fait par la
noblesse de consentir une semblable mesure , a été une des
principales causes de la révolution française. Il est aisé,
en présence de Thistoirc contemporaine , de condamner la
de la Prusse. vrj
folle obstination avec laquelle un privile'ge aussi injuste
fut défendu par les anciens nobles , et leur aveuglement
volontaire devant les symptômes décisifs que présentait
cette époque , mais nous les jugerions avec quelqu'indul-
gence , si nous nous placions sur le même théâtre et dans
les mêmes circonstances. Acteurs dans le même drarme ,
leurs passions nous auraient agités, et nous aurions repoussé
comme eux celte lumicre , que les évéuemcns et leurs con-
séquences font jaillir aujourd'hui. VeyOzi» §z ts y/intoç ïyvw:
les rapports que nous découvririons entre eus. et nous
sur ce point , nous apprendraient à mieux juger de
leur résistance , et à mieux apprécier la sage soumission
de la noblesse prussienne. L'exemple à éviter frappait, il
est vrai , ses regards '-, mais il faut de la sagesse pour pro-
fiter d'une leçon , eu sacrifiant ses intérêts personnels j et il
eût été facile de persuader à l'égoïsme que la résistance
était sans danger en 1810 , alors que l'esprit révolutionnaire
n'était pas à redouter.
A cette époque , la noblesse fit un autre sacrifice non
moins pénilile. Les chapitres ou canonicals des églises pro-
lestantes , les monastères et les couvens de provinces catho-
liques furent dissous , et leurs propriétés consacrées au
service public. Les chapitres protestans , qui ressemblaient
à ceux de nos églises épiscopalcs , offraient luie singulière
anomalie, dans un pays où la réforme de Luther avait aboli
l'épiscopat. Ils étaient devenus des sinécures pour les fa-
milles des seigneurs : nul n'y était reçu , s'il n'avait seize
quartiers ; el c'était faire le plus grand éloge de la noblesse
d'un Prussien que de le qualifier stiftfœh/g , c'est-à-dire,
digne d'entrer dans un chapitre.
Ces changemens furent suivis d'irae réforme plus im-
portante encore : elle consista dans l'abolition de la glèbe,
et dans la conversion des serfs ou vassaux en francs tenan-
ciers, qui, d'après !es plans con(;us à celle époque, «le-
1 iG Essi/i sur V administration intérieure
valent jouir de la capacité c'iectorale. Le servage, dans la
Prusse proprement dite, comme chez les autres nations,
provenait du droit de conquête. Les provinces <aù bordent
ia mer Baltique, peuplées originairement par vuie tribu de
la race esclavonne , furent conquises par les Germains , qui
habitaient entre le Rhin et l'Elbe. Les valnqueuis suivirent
le même système que les Normands en Angleterre, quoique
ses effets aient varié , suivant les circonstances différentes
dans lesqueîjes les deux nations ont été placées. Heureuse-
ment pour TAngleterre, les Normands, (juolqueplus avancés
en civHlsalion, sous cerîains rapports, n'étalent pas assez
nombreux pour imposer au peuple conquis leurs institu-
tions, moins favorab'es que les siennes à la li])erté. Mais
lorsque les Germains firent la conquête de la Prusse,
leur prépondérance était si grande , qu'en conservant le
caractère <le dominateurs , Us anéantirent jusqu'à la langue
nallouaîe des vaincus. Les paysans furent laissés en posses-
sion des terres , mais seulement comme serfs, soumis à tous
les caprices des vainqueurs , les seuls noliles du pays. De là
un code oppressif, qui maintint constamment , et sous tous
les rapports , le corps de la nation dans un état complet de
vasselage à l'égard des seigneurs , Issus des anciens con-
quéraus. lies premières cbroniques de presque toutes les
contrées de l'Europe offrent le même tableau , et l'his-
toire moderne est consacrée au récit des Incidens qui ont
accéléré ou retardé l'émancipation des peuples. Et en effet,
la transition graduelle des institutions qui émanaient de la
féodalité, en un système de lois dirigé par l'esprit com-
mercial et par le grand principe de l'égalité des droits , a
duré plusieurs siècles.
Dès le mois d'octobre 1807, '^ ^^^ *^^ Prusse avait
rendu lui décret qui abolissait toutes les juridictions hé-
réditaires ( nous empruntons à dessein une expression bien
connue dans le système judiciaire du nord de l'Angle-
de lu P} lissa. \in
terre ). En iBici, il mit up. term« aux. raj^^,poî'!s (1(; siize-
rainelé qui exislaiciU entre le pajsaii cl le vayasseiu' ([) j
et , en i8i i , il fixa , par des mesures législatives , les droits
et les devoirs de cette nouvelle classe de propriétaires en-
vers l'état , et détermina l'indemnité due aux anciens pro-
priétaires , à raison de pertes pécuniaires , occasio^ées
par leur émancipattou.
On peut jngpr que s chaugemens de législation dut pro-
diiii'e une altération aussi grave dans les conditions res-
pectives du peuiile et de la noblesse : elle renversait com-
plètement le système de Frédéric îl. (]e monai'que avait
<livisé la nation en trois classes, les nobles, les bourgeois
et les paysans. Les bourgeois pouvaient ctabiir toute es-
pèce de manufaclures dans les villes aux portes desquelles
l'impôt était perçu. Mais, dans les villages, elles n'élaienl
point tolérées; les seuls métiers qu'on y permît étaient ceui
de charpentier, de forgeron ou de tailleur, encore le nombre
de ces derniers était -il limité; Fétat de cordonnier y était
interdit. Les armées étaient composées de paysans 5 mais ils
ne pouvaient y posséder aicun grade. Le droit d'y com
mander était la prérogative exclusive de la noblesse. Les
distinctions de naissance s'étendaient jusqu'aux propriétés :
elles étaient divisées en deux classes; savoir, les terres
nobles ( adelige ). qui ne pouvaient être tenues en roture,
les terres de roture ( bauern-giiter^., qui ne pouvaient être
possédées par des nobles. Cependant les lois et coutumes
variaient suivant les provinces. Quoique, dans quelques-
unes, les roturiers eussent le droit d'acquérir des terres
nobles , ils étaient privés des privilèges qui étaient attachés
à leur possession dans les mains des nobles , et dans le cas
où la fdle du roturier se mariait noblement , la terre deve-
(i) LiUcialcincul rncsne-loirl , qui tient un fief il'un seigneur
suzerain.
128 Essai sur l'administration intérieure
nuit sa propriété. C'est avec raison qu'eu 1806, le baron
de Steln attribuait la plupart des maux qui accablaient son
pays aux dissendoas enfantées par des Institutions aussi
barbares et aussi injustes. En 1807, une loi renversa ces
obstacles opposés aux mutations de fonds , en accordant à
tous Ics^ sujets , sans distinction de caste , la capacité d'ac-
(|uérir cl de jouir librement de toute sorte de propriété mo-
bilière et immobilière.
Cette dernière réforme s'étendit bientôt aux droits per-
sonnels. Un décret du mois d'août 1800 rendit tout soldat
né dans la classe des paysans, apte à porter Tépée, à titre
de simple officier ^ et un décret de 1809 lui permit d'aspirer
au rang d'oflicier supérieur. Il semblerait, d'après la date
de ces lois , qu'elles ne furent point rendues sans opposi-
tion. Elles sapaient dans sa base le système de Frédéric II ;
mais quelque puissans qu'eussent été les motifs qui justi-
fiaient ce système , à l'époque où il fut établi , il cessait
évidemment de convenir dans une contrée dont \es paysans
avaient été affranchis, et dont les nouvelles institutions por-
taient plus ou moins l'empreinte de l'égalité.
Un des objets avérés des décrets de 1808 et de 1809,
était de ranimer en Prusse le sentiment de l'Iionneur per-
sonnel. C'est dans le même esprit que le gouvernement
crut devoir supprimer , dans l'armée , les punitions corpo-
lelles. lia France est la première nation des tems modernes
qui les ait abolies. Lorsque les Français et les Allemands
servaient sous les mômes drapeaux , l'inégalité de leurs
conditions , sous ce rapport , était manifeste , et devenait
conséquemment une source de faiblesse pour les gonverne-
mens opposés à Napoléon. Le 5 août 180S, le roi fit bénir
l'anniversaive de sa naissance, en publiant un décret qui
supprimait la punition du fouet , et conservait celle de la
canne. Cechâtiment était peut-cire plus réprébcnsible en-
core ; mais il no pouvait être infligé qu'aux soldats qui
de lu Prusse. 1 29
avaient été préalablement dégradés, et placés aux derniers
rangs dans l'armée (i).
Telles sont les réformes qui précédèrent la fameuse in-
surrection nationale qui changea la face de FEurope.
Examinons comment le gouvernement prussien, dans sa
prospérité, a persévéré dans les voies d'amélioration où il
était entré au tems de ses malheurs. L'occasion de mani-
fester la sincérité de ses projets ne tarda point à s'oflVir.
Par suite des campagnes de i8i3 et i8i4, la France avait
été forcée d'abandonner les [)rovinces qu'elle avait réunies
à son territoire , sur la rive gauche du Rhin , et celles de la
rive droite , qui avaient été garanties aux membres de la fa-
mille de Napoléon. Quelques-unes de ces provinces étaient
d'anciennes dépendances de la Prusse ; d'autres formaient
des acquisitiosis nouvelles. Toutes avaient joui d'institutions
dont la perte îeur eût été aussi pénible que le retour à d'an-
ciennes lois. Le ministère prussien reconnut cette vérité,
et lorsque le gouvernement prit possession de ses états , il
leur garantit leurs institutions adnùnistratives et Judiciaires;
entre autres, le jugement par jury en matière criminelle.
« Ma volonté , dit le roi dans son rescrit , est que tout ce
» qui est bon soit maintenu, quelle que soit son origine. »
En effet, rien ne fut changé dans ces établissemens , et ils
ont été expressément conservés dans la constitution poli-
tique des provinces du Rhin, publiée en iSaS.
(1) Nous passons sous silence une foule tle réformes moins impor-
tantes. Une d'elles est assez curieuse pour cire remarquée. Le roi de
Prusse , à son retour dans sa capitale en 1809, permit aux femmes ro-
turières de ceux à qui des charges donnaient le droit de paraître à la
cour, de jouir da même privilège que leurs maris. Jusqu'alors le sys-
tème d'exclusion était -exécuté si sévèrement dans toute l'Allemagne ,
qu'une dame qui , par sa naissance , pouvait prétendre au tabouret ,
s'étant mariée à un plébéien, ct«ayant ainsi perdu sa qualité de noble,
fut ^clue du palais, quoique son mari, par soq office , et d'ailleurs
comme homme de lettres , y eût ses entrées.
1. 10
i5o Essai sur /'ii(///iïnis(ral/on i/itërieuns
Nous avons parle ailiours de l'abolition de loiUcs les ini-
niunitcsdonl la noblesse jouissait en matière d'impôt. Cette
suppression , si honorable pour le gouvernement, au tems
où elle s'opéra , fut suivie, après la restauration de la mo-
narchie prussienne dans ses anciennes limites, d'une réforme
générale des lois sur les taxes ; réforme dont le principal
objet était de doimcr aux sujets du roi , dans les villes et
dans les campagnes, le^droit de transporter leur industrie
oii ils voudraient. Avant cette époque , les douanes étaient la
cause ou le prétexte de mille vexations. Au sein même du
royaume, toute ville fermée était devenue, dans l'intérêt
du fisc, une place de guerre, une sorte de prison ; mais ,
de 1818 à 1820, des mesures furent prises, dans l'intérêt
commun du trésor et du pays, pour abolir les droits payés
aux portes des villes.
Ces réformes opérées dans les branches du service pu-
blic essentielles à l'existence de l'état, le gouvernement put
s'occuper à loisir des institutions qui protègent les plus
hauts intérêts de la société, et qui supposent en général
dans la nation des conditions de prospérité et de repos.
Les universités de Breslau et de Berlin avaient été établies
après la catastrophe de 1807 ; celle de Bonn le fut après
la campagne de 181 5 à 181 4-
Sans prétendre faire une revue méthodique des cliange-
mens efiectués dans la politique intérieure de la Prusse,
nous avons démontré par des documens positifs qu'il se-
rait injuste de reprocher à son gouvernement de ne pas
s'être conformé à l'esprit du siècle, et de ne pas avoir or-
ganisé cette administration libérale qu'on a le droit d'at-
tendre de tout souverain , quelque absolus que soient ses
pouvoirs. Dans tout pays qui jouit de la paix et d'un gou-
vcîrnement paternel , les peuples sentent le besoin de la
soumission et du repos, lisse contentent d'une administra-
tion protectrice, ne le fûl-elle qu'au jour le jour, et ne
de la Prusse. i5i
recherchent pas les moyens de perpétuer la durée du
bien-elre national. Mais pUis les peuples se civillseroiil en
s'éclairanl , plus les hautes classes elle-mèmes élèveront
leurs prétentions. Il ne suffira pas aux esprits actifs de
recevoir, et aux ambitieux eux-mêmes de répandre les
bienfaits du souverain ; mais tout liommc capable de sou-
venirs et de prévoyance, voudra .s'.issurer la continuation
des avantages actuels dont il jouit; les mieux instruits ci
les plus distingués dans la classe des patriotes et des réfor-
mateurs ne manqueront pas d'établir une difïerence entre
les pouvoirs d'admùiistn/tion , qui , essentiellement actifs
et positifs, doivent nécessairement être placés dans les mains
du souverain et de ses ministres ; et ces pouvoirs de con-
trôle , qui , étant purement négatifs , peuvent seuls être
confiés à des corps populaires. Le plus beau titre de gloire
de notre patrie est d'avoir établi trois organes de ce pou-
voir de contrôle d'une étendue et d'une efficacité sans exem-
ples : une presse libre , le jugement par jury, et une cham-
bre des communes élective.
Ou ne peut pas supposer qu'aucun de ces grands modèles
d'institutions politiques ait échappé à l'attention d'un peu-
ple aussi éclairé que les Allemands , et d'un ministère aussi
patriote que celui du baron de Stein et du prince de
Hardenberg.
Mais , à cette époqae, toute l'attention du cabinet prussien
se portait sur les demandes d'im standesmassi'ge T^erfassi/ng
( constitution d'états). Tous les Allemands , excepté les
Autrichiens, réclamaient en faveur du peuple le concours
d'une chambre de représcntans dans la puissance législative.
Les autres garanties des libertés civiles, auxquelles nous
attachons presqu'autant de prix , le jugement par jury, la
liberté de la presse , étaient l'objet de vœux moins ardeus.
En effet , on sentait moins, en Prusse qu'en d'autres pays,
l'absence d'une presse libre, à cause de l'extrcme tolérance
1 52 Essai sur l'administration intérieure
qui présidait à la censure. Eu outre les littérateurs d'Al-
lemagne résident pour la plupart dans les universités, dont
ils sont membres , et dont les privilèges les protègent
contre la fàclicuse intervention delà police. Quantau jury,
il ne jouit pas, auprès des théoriciens allemands, d'une aussi
grande faveur que les autres institutions de T Angleterre.
D'un autre côté , notre parlement offrait à leurs profes-
seurs et à leurs écrivains le texte habitue! de leurs éloges.
Les classes éclairées savaient d'ailleurs que, quoique le
parlement anglais eût seul conservé et même accru ses pou-
voirs priraitife, des institutions analogues avaient existé jadis
dans presque toute l'Europe : témoins les cortès d'Espagne,
les états-généraux de France, les stands d'Allemagne. Le
rétablissement de cette institution était partout hautement
réclamée, et ce n'étaitui par quelques spéculateurs insensés,
ni par de factieux démagogues 5 le cabinet prussien en avait
fait depuis long-tems l'objet de ses plus sérieuses médita-
tions. Dès 1808, et avant sa destitution, le baron de Sleiii,
dans son Testament politique , en publia le projet tel qu'il
avait été discuté dans le cabinet. « La représentation du
» peuple , dit cet homme d'état, a été jusqu'ici très-incom-
» plète : mon plan était de donner à chaque citoyen le
» droit d'être représenté , soit qu'il possédât cent acres de
» terre, ou un seul , soit qu'il se livrât à l'agriculture ou
» au commerce, ou qu'il exerçât toute autre industrie , ou
» même que son intérêt fût lié à celui de l'état par les seuls
j) travaux de l'esprit. »
Kous avons montré, e. il est généralement reconnu que
de 1808 à 1814? Iti cabinet prussien travailla sans relâche
au grand œuvre de la réforme, au milieu des dangers et des
difi&cultés sans exemple qui résultaient de sa position.
Lorsque l'Allemagne eut brisé le joug de la France, et
qu'il fut question au congrès de Vienne do constituer la
confédération germanique, il fut résolu, par l'art. i5 de
de lu Prusse. i55
Tacte féderalif , que , dans chacun des états confédérés, des
assemblées représentatives f.y/««^e) seraient établies. Celle
expression , on doit Tavouer, n'a rien de bien précis ; mais ,
par décret du 22 mai i8i3, le roi de Prusse annonça
qu'nne commission allait être formée pocr organiser d'a-
bord des étals provinciaux , et , en outre , pour établir
bientôt après une assemblée centrale des représentans de
tout le royaume. Un des articles de ce décret portait que
les fonctions de représentant du pays ( stander represen-
tanteii) consisteraient « en délibérations ou consultations sur
tous les sujets de législation, toucbant les droits et les pro-
priétés des citoyens , y compris les lois de finances. » Les
termes de ces dispositions paraissent avoir été pesés avec
soin \ et ils laissent douter si le gouvernement entendait
conférer à ce nouveau corps un simple droit de contrôle, ou
bien un concours positif à la législatiou, dans des limites
déterminées. Nous avons une trop haute opinion des mem-
bres qui, à celte époque, composaient le cabinet prussien,
pour supposer qu'ils aient sérieusement entendu ne donner
à cette assemblée que le pouvoir d'enregistrer les lois , tel
qu'en jouissait l'ancien parlement de Paris. Mais , quels que
fussent leurs plans immédiats, la guerre qui suivit le retour
de Napoléon de l'île d'Elbe, eu suspendit les effets. I^a
commission chargée del'exécution du décret du 22 mai 18 ï6,
ne fut nommée qu'au mois de mars 1817^ elle se composait
en général d'hommes qui jouissaient en Allemagne de la
plus haute estime, et dont plusieurs avaient acquis une
réputation européenne. 11 est peu de nos lecteurs aux-
(jueis ne soient familiers les noms du chancelier de Harden-
l)erg , du général Gneisenau , du ministre d'état Humboldt,
de BuloAv , du prince Wilgenstein , et des professeurs
Savigny et Eichorn. Un préliminaire essentiel de leur Ira
vail devait cire un tableau complet de chaque portion du
royaume , sous le double rapport des propriétés et des pcr-
1 54 Essai sur V aaininistration intérieure
Ibnnes ; en un mot une véritable statistique de la Prusse.
Dans aucun pays et en aucun tems ce n'a été Touvrage d'un
jour; le grand terrier Ae G ulllaume-le- Conquérant, qui ne
s'étendait point aux quatre comtés du nord, exigea un tra-
vail de près de six ans; en évaluant les progrès de celui de
la commission prussieiuie, nous devons quelqu'indulgence à
celte lenteur nationale , commune chez les Allemands , aux
penseurs et aux savans, aussi Lien qu'aux artisans et aux
hommes du monde, et qui a été de tout tems l'occasion de
remarques satiriques de la jiart des nations plus vives
du midi.
A cette époque , il y avait en Prusse une extrême anxiété
sur rétablissement des états ; elle s'étendait même dans toute
TAUemagne, dont plusieurs gouvernemens manifestaient, à
regard des constitutions projetées , des scutimens beaucoup
moins favorables que le cabinet prussien.
En 1818, le ministre de cette puissance déclara solen-
nellement à ia diète de Francfort, que sa cour était résolue
à tenir la promesse qu'elle avait faite , nonobstant les difli-
cultés qui s'étaient élevées sur son exécution ; en même
tems , il protesta d'avance contre le droit d'intervention
que la diète pourrait s'arroger dans le travail organique de
chaque constitution , et il ])roposa aux divers gouverne-
mens de l'Allemagne de faire, à la tin de l'année , un rap-
port sur ses progrès. Le ministre autricliieu communi-
qua, peu de tems après, à la diète, une note calquée sur
celle de la Prusse , et qui fixait , comme celle-ci , le délai
d'un an aux divers rapports.
Celte année, le changement du ministère bavarois assura
un important appui à ia cause de la liberté conslitulionnelle.
M. de Monlgelas , dont Napoléon avait dit que lui et
M. de Tallcyrand étaient les seuls hommes d'état, dans
toute l'Europe , dignes d'être premiers ministres , fut
éloigné du limon des affaires ; et , au mois de mai , la lia-
du 1(1 Prusse. i5j
vière reçut uue consliluiiou qui ottrlt à l'AUemague le spec-
tacle cPua corps populaire , délibérant en public , et d'une
<-bambre des communes avec son opposition régulière.
Toutefois les premiers procédés de la chambre basse étaient
de nature à alarmer les gouvernemens qui n'avaient point
organisé de semblables institutions. C'est avec une précipita-
lion impolitique, et un système de conduite qui ne pouvait
avoir que de fâcheux résultats, que les députés manifestèrent
sans délai ni modération leur résolution de redresser les abus
et d'étendre les réformes que le gouverneuient avait volon-
tairement entreprises. Cette chambre ne tarda point à être
dissoute , et celle qui lui succéda modéra ses prétentions.
En i8ig, la constitution de Wurtemberg fut mise en
activité; le corps représentatif y était également composé
de deux chambres. Les déjmtés de ce pays n'étaient pas
cependant complètement novices dans les fonctions légis-
latives. En effet, ce peuple, le plus libre de rAilcmagne,
avait, sous la protection de VAutriche , résisté à la tyrannie
du dernier électeur, jusqu'à ce que Napoléon , pour assu-
rer au roi (ju'il avait créé ses droits de souveraineté ( c'est
ainsi qu'il nommait les prérogatives de la monarchie abso-
lue ) , anéantit d'un trait de plume les états et les libertés du
peuple. Lorsque l'Allemagne recouvra son indépendance,
les états de Wurtemberg furent rétablis dans leurs anciens
privilèges. Mais ils s'engagèrent dans de longs débats avec
le vieux roi; ils entrèrent ensuite en contestation avec son
fds relativement à 1 extension des droits constitutionnels ,
dont le jeune monarque désirait investir ses nouveaux su-
jets, et que les anciens états voulaient se réserver comme
Aqs privilèges exclusifs , aux termes de leur constitution
primitive. Les principes libéraux et justes, professés par le
roi, prévalurent enfin : la réconciliation s'opéra, les nou-
veaux états ouvrirent leurs délibérations, la confiance fut
rétablie entre le prince et la nation, et. par ses libertés,
1 56 Essai sur l' administration intérieure
le Wurtemberg se maintint à la tête du corps ger-
manique.
A Bade, l'assemblée lies nouveaux, états fut d'abord le
tl'éâtre de graves dissentions; mais, dès la seconde session,
l'harmonie régna dans les deux chambres.
La constitution donnée par le grand -duc de Hesse-
Darmstadt était moins libérale que celle des autres souve-
rainetés de TAllemagne méridionale. La nation l'avait d'a-
bord rejetce; mais, après avoir été amendée , elle fut jugée
suffisante pour atteindre le but essentiel du gouvernement.
Lorsque ces états, et quelques autres moins importans,
eurent mis à exécution l'article i5 de l'acte fédératif, le
ministère prussien différa de se conformer au décret de la
diète. Cette circonstance mérite explication ; mais elle ne
suffit point pour faire soupçonner les intentions du gouver-
nement, quand Ton considère l'étendue, le nombre et la
diversité des cai'actères des provinces qui composent le
royaume.
Le roi de Prusse, avant garanti à ses sujets une repré-
sentation nationale et des états provinciaux , ne pourrait
trahir sa promesse sans ternir sa gloire , sans perdre tout
titre à la confiance publique , et sans affaiblir en même
tems les bases de sa puissance, et sacrifier ses intérêts les
plus précieux. Jusqu'ici nous croyons qu'on n'a créé que deux
ou trois étals provinciaux, et nous ne possédons pas , sur
leur organisation , des données assez positives pour les in-
sérer dans cet article. Mais que le gouvernement se soit
engagé sérieusement et avec sincérité dans les préliminaires
du grand œuvre constitutionnel qu'il s'est imposé , c'est ce
qui ne sera révoqué en doute par aucun de ceux qui con-
naissent la politique actuelle du cabinet prussien. Nous nous
attendons avec confiance (lu'il accordera enfin une repré-
sentation nationale ou centrale , parce que nous croyons
qu'elle n'est incompatible avec aucun des intérêts réels ou
de la Prusse. 7.5 1
imaginaires du roi ou du ministère j parce que ie cabinet
prussien sait qu'il a besoin de l'appui de Vopiniou publique ,
et que, dans toute l'Allemagne, elle demande l'étaiilisse-
raent des états qui lui ont été promis ; enfin parce que tout
ce qui a été fait jusqu'ici donne à penser que le gouverne-
ment a trop de loyauté et de patriotisme pour ne pas, com-
pléter son ouvrage. Les détails dans lesquels nous sommes
entrés, prouvent qu'il n'a point été avare d'institutions li-
bérales : l'organisation du corps législatif serci^ la clé de la
voûte , mais nous nous garderons bien d'ajouter qu'un ou-
vrage doit être regardé comme non avenu , lorsqu'il n'est
pas complètement terminé.
Les institutions dont nous avons rendu compte, sont
loin de former un corps entier de constitution ; mais nous
attendrons avec patience le complément du système si heu-
reusement entrepris. Nous nous réjouissons sincèrement
de voir d'autres nations engagées dans une carrière d'amé-
lioralione que l'Angleterre parcourt avec tant de bonheur
et de gloire ; et , de quelques obstacles que la route soit hé-
rissée, nous comptons sur un résultat favorable aux inté-
rêts les plus précieux de l'humanité. En effet, nous remar-
querons que les réformes actuelles ont suivi , au lieu de
précéder , un changement correspondant dans l'opinion
publique j notre espoir est d'autant plus fondé , qu'il ne
repose sur aucune induction tirée de la haute vertu ni de
l'extrême générosité des agens de ces grandes mesures.
Nous n'attribuons ni au roi de Prusse, ni à ses ministres ,
un désintéressement héroïque. Nous ne pensons pas que
l'installatiou du parlement prussien soit une abdication des
grandes prérogatives de la couronne; mais, si le carac-
tère et les pouvoirs de cette assemblée trompent d'abord
l'attente et les vœux des patriotes mémo les plus éclairés de
l'Allemagne, nous aurons plus de confiance dans l'avenir
que si nous assistions pour la deuxième fois au spectacle à
I. II
i58 Essai sur l'administration intérieure
la fois digue de mépris et de pitié , que lo midi de l'Eu-
rope a présenté au monde (i). Là nous avons vu un corps
de réformateurs , dont plusieurs étaient sans doute bien
intentionnés , non-seulement devancer la masse de la na-
tion, ce qui arrive souvent, mais encore s'élancer devant
elle à perte de vue, et publier des constitutions inintelligi-
bles à rimmense majorité des citoyeus qui devaient vivre
sous leur empire. Aussi, du moment où, en Piémont, à
Naples, en Espagne et en Portugal, une armée étrangère
s'est avancée pour les détruire , le peuple a prouvé par son
indifféi'euce qu'elles n'étaient point faites pour lui.
Le grand changement qui s'opère dans les lois prus-
siennes, n'est pas l'ouvrage d'un petit nombre d'enthou-
siastes , ni d'une faction : les fondemens en avaient été
jetés par la partie pensante du peuple; l'édifice s'est élevé
par les soins de tous ceux qui exercent des professions ho-
norables , des hommes d'Etat, des ministres, dans chaque
branche de service public , civil , militaire , ecclésiastique ;
des nobles, des grands propriétaires, ayant à leur tête le
roi lui-même. On ne devrait point s'étonner qu'une ré-
forme , due à de tels agens , fut un sujet de calomnies et
de reproches pour les panégyristes des constitutions im-
portées d'Espagne en Portugal , à Naples et dans le Pié-
mont. Pour démontrer la perfidie de cette réforme , tout
leur raisonnement consiste dans ce dicton : Noue but good
men eau gii>e good gijts. ( Il faut de bonnes gens pour faire
de bons présens. )
Ce principe a pour lui les plus liantes autorités; et il est
aisé, en le prenant pour guide, de déterminer aussi bien
le caractère du donateur par la nature de la donation , que
la nature de la donation par le caractère du donateur.
(i) Note du Tr. Nous avons déjà observé que le Quarlerly Revlew
éttiit un lies organes du parti tory.
de la Prusse. i Sq
Mais qu'importe ? lorsque ce dernier est membre de la
Sainte- Alliance , on sent que ses détracteurs doivent s'ar-
rêter à cette seule considération.
Ils mettent encore en avant un autre argument de la
même force : c'est que le gouvernement prussien n'a pas
réformé ses institutions judiciaires. Il est vrai que plusieurs
personnages distingués, enlr'autres le professeur Jahn,
ont subi un long emprisonnement sans avoir été jugés , ou
du moins sans que leur jugement ait été rendu public. Ni
la Prusse, ni peut-être aucun des états du continent
n'ont encore une loi parfaitement conforme à notre habeas
corpus ; peu de souverains ont même été assez éclairés pour
discerner l'avantage qui résulterait, pour la justice et pour
eux-mêmes, de la publicité des débats criminels, et d'un
examen contradictoire pour toutes les parties. Mais , de ce
que ces bienfaisantes institutions sont à créer, s'ensuit-il
que celles qu'on a déjà obtenues ne soient rien ? Croire que
rien n'est fait tant qu'il reste quelque chose à faire , est un
sentiment généreux qui peut servir d'aiguillon à nos actions ;
mais c'est la règle la plus fausse et la plus dangereuse pour
apprécier les actions des autres.
En contemplant la marche actuelle du genre humain ,
dans les différens degrés de réchelle de civilisation qu'il par-
court en divers pays, on doit également la comparer avec
les abus du tems passé , et les améliorations promises par
l'avenir. C'est seulement ainsi que nous serons iilipkrtiaux
dans nos éloges ; et c'est en suivant cette règle d'équité que
nous nous sommes attachés , dans cet article , à rendre
justice au roi de Prusse et à sou ministère.
( Çuarterly Reriew. )
COMMERCE.
OBSERVATIONS SUR LE COMMERCE AVEC LA CHINE ET
SUR LE MONOPOLE DU THE
La compagnie hollandaise des Indes orlentalôs*, qui pos-
sédait le monopole des épiceries , était dans l'usage de brû-
ler une portion considérable de ces denrées , pour n'en pas
surcharger le marché; par ce moyen, elle en soutenait ie
prix, à un taux excessif. On n'oserait se permettre chez
nous un tel procédé, du moins on ne s'en vanterait pas ;
mais l'esprit qui dirige les associations exclusives est le
même partout. Nous allons démontrer que notre Compa-
gnie des Indes ne saurait être trop sévèrement surveillée
par le gouvernement et par l'opinion publique , que nos-
seigneurs les gros épiciers de Leadenluill- Street (i), ont
scandaleusement abusé du monopole qu'ils possèdent, et
qu'ils ne le cèdent point en avidité à ces négocians hol-
landais qu'ils ont pris pour modèles.
Nul doute que , si !e conimerce avec la Chine se faisait sur
le même pied , en Angleterre , que dans le continent et aux
États-Unis, le prix du thé ne fût aussi modéré à L .ndres
et à Liverpool, qu'à Hambourg et à New-York j on doit
croire ïp|à|*ie qu'il descendrait beaucoup plus bas. Les Chi-
nois ont adopté un grand nombre de nos articles manufac-
turés , et Ils les prennent en échange du thé que nous leur
achetons. NI les Français , ni les citoyens des Etats-Unis, ne
sauraient expédier pour la Chine une aussi grande quantité
des produits de leurs fabriques : ils sont donc forcés de payer
la majeure partie de leurs thés en lingots, tirés du Mexique
ou de l'Amérique du Sud.
(i) Rue où est situe' l'hôtel de la Compagnie des Indes.
Obse.ivutions sur le conmierce avec la Chine . etc. \l^\
Les ncgocians les mieux informés s'.TCCorclent à penser
que si le monopole exerce par la compagnie des Indes
orientales, était aboli, les thés d\ine qualité égale seraient
ici de i5 à 2Q p. "/o à meilleur marché qu'en Amérique ou
sur le continent. Nous citerons , à l'appui de cette opinion ,
l'auteur judicieux d'un ouvrage très-remarquable sur l'Ar-
chipel indien, M. Crawfurl, qui, par les fonctions offi-
cielles qu'il a remplies dans l'Inde . était le plus à portée
d'acquérir des notions posilives sur cette matière. Y) . Ci^aw-
furt , dans sa déposition devant le comité d'enquête de la
chambre des pairs (i), sur le commerce extérieur du pays,
estimait que , si le marché était libre , la quantité de thé
transportée de Canton elQ Europe, sur les vaisseaux anglais,
serait, à celle transportée sur les vaisseaux américains,
comme loo est à 12. On est fondé à croire que cette estima-
tion est juste. Nos A'^aisseaux ayant à exporter les produits
de nos manufactures , peuvent se charger de marchandises
indigènes et étrangères , niais les négocians européens et
américains qui n'ont à exporter que des lingots , doivent
envoyer à la Chine leurs vaisseaux sur leur lest , et alors,
les frais de voyage sont supportés exclusivement par la car-
gaison du retour, ou bien expédier d'abord leurs bâtimens
pour l'Angleterre, à l'effet d'y prendre des marchandises
recherchées à la Chine. C'est en effet par ce canal qu'une
portion considérable de nos produits industriels est dirigée
vers \ empire céleste (o.). Or, il est évident que si le com-
merce était libre, nos fabricans, comuîe ceux des autres pays
{ i) Rapport à 1^ cfiamhre des lords , du 1 1 avril i8ai , pag. 21.
(a) 11 est dit , dans une lettre écrite par un des facteurs de la Com-
pagnie à Canton , le 20 novembre 1820 , et imprimée dans le rapport
fait il la Chambre des communes, le 18 juillet 1821, que trois à<]uatrc
mille pièces de gros draps ont e'/e importes d'Jnf^lcterre en Chine sous
pavillon américain ; ce qui porte un coup mortel au monopole dont a
joui jusqu'ici r honorable Compagnie.
)4'-i Oùsen'utio/is su/ le commerce avec hi Chine
-y enverraient eux-mêmes ces produits , à moins de trais et
avec plus de bénéfices que ces derniers. Dans celte hypo-
thèse, les marchands anglais livreraient le thé au consom-
mateur , à aussi bas prix, et peut-être à meilleur marché
que ceux du continent ou des Etats-Unis. On peut juger
par cette observation à quel point le monopole , exercé par
la Compagnie des Indes, nous est profitable ! S'il y avait
concurrence eutr' elle et les autres négocians , le prix du thé
ne dépasserait pas en Angleterre celui coté à la bourse de
New-York ou d'Hambourg.
Nous possédons un état officiel des ventes de thé faites
par la Compagnie, de 18:20 à iSsD. On y voit à quel prix
elle a proposé ses diverses espèces de thé , à chacune de
ses ventes trimestrielles, le total des quantités vendues et des
quantités refusées par les marchands. A l'exception du thé
Bou , dont le prix a varié de i sh. 11 d. 7/10 à 1 sh. 6 d.
5/10, il y a eu très-peu de fluctuation dans le prix des au-
tres espèces.
11 résulte encore de ce compte officiel, qu'au mois de
mars iSaS, la Compagnie a vendu 7,077,485 livres de
ihé, et qu'on a refusé de lui acheter 77,1 55 livres de thé
Hyson , parce qu'on a trouvé que le prix auquel elle le li-
vrait ( 4 sh. 5 d. /j/io par livre ) était exorbitant. Enfin,
nous y trouvons qu'elle a vendu , à la même époque , le
\\\é BouS sh. 5 d. 2/10 la livre.
Or, à New -York en i825, le prix moyen du thé Hy-
son était de -l sh. 6 d. , et celui du thé Bou de 8 d. 1/2 la
livre.
A Hambourg , le prix du thé Hyson , à la même époque ,
toutes charges déduites , sauf le fret et l'assurance, s'élevait
de 2 sh. 2 d. à 2 sh. 1 1 d. , et celui du thé Bon de 9 d. et
5/16 à 10 d. 5;i6.
Hambourg et beaucoup d'autres ports du continent ti-
rent indirectement de New-York une portion considérable
et sur fe monopole dit thé. i45
de leur thé ; New-York est, après Londres, le marché le
plus important de cette denrée qn'll y ait hors de la Chine.
Les prix de ce marché , comparés avec ceux de la Compa-
gnie des Indes , offrent donc la règle la plus sûre pour dé-
montrer les effets du monopole qu'elle exerce.
En 1823, le prix du thé Bou était de i sh. 8 d. plus
élevé à Londres qu'à Nevr-York; la différence était la
même dans les ventes de 1822. Or , il est constaté , par les
comptes annuels de la Compagnie, qu'en 1822 elle a ven-
du 2,4 ï9î<j4I> livres de thé Bou. Multiplions par cette quan-
tité celle de i sh. 8 d. excédant perçu par la Compagnie
sur les prix courans de New-York, et nous verrons que
le monopole a fait perdre aux consommateurs anglais, sur
le thé Boz^ seulement, la somme de 206, 58" llv. si.
Un calcul semhlahle sur les autres espèces de thé , offre
le résultat suivant :
I
Quantité de thés Exoédant, par livre, des Total de IVxcédant
vendus en 1822 prix de la CorapaRnie de prix reçu par
aux marchés de surccuxde iVew-York la Compagnie.
la Compagnie. ou Hambourg.
Th(vBou 2,419,045 ish. 8d. N.-Y. 207,587 Liv. st.
— Congou 18,569,472 1 sh. 6 «1. H. • 1,392,710
— Campoi iy6,7'29 i sh. 5 d. H. 28,871
— Souchong.... ii5,738 3 sh. N.-Y. 17,860
— T-wankay.... 4jo3^>445 i sh. 10 cl. H. 368,907
— Hyson sltin.. i3o,420 i sh. 9 d. H. ii,4ii
— Ilyson 396,697 2 sh. N.-Y. et H. 39,469
Totaux... 25,874,546 2,o58,8i5 (i).
Dans les {quantités ci-dessus , on ne comprend pas les
2.109,019 livres de thé vendues aux mêmes marchés pour
(i) NOTK DU Tr. Ce total évalué en francs est de 51,470,375 fr.
Sur la même e'chelle , le prix du the' Bou le plus commun est d'en-
viron 3 fr. la livre , vendu par la Compagnie, tandis qu'il ne coûte
à Nc\v-York que 75 à 80 c. Le thé Hyson , qui se vend à New-York
3 fr. 5 c. la livre , est vendu à Londres , par la Compagnie , 5 fr. 5o c.
iZj4 Observations sur le commerce avec la Chine
le compte des capitaines et autres olHcicrs des vaisseaux, de
la Compagnie; les espèces n'en sont point spécifiées dans
les ventes. Mais en supposant qu'ils aient été nièlés, dans les
mêmes proporlions, à ceux appartenant à la Compagnie,
Texcès de prix, sera, à leur égard , d'environ 160,000 liv.
st. , et le total do la différence de a,2i8,oi5 liv. st.
Ces résultats , extraits de documens dont l'exactitude ne
peut être révoquée en doute , sont de la plus haute impor-
tance ; ils démontrent que les monopoleurs de LeadenhaU-
Street, ont gagné sur les thés qu'ils ont vendus , en Angle-
terre, en 1822 , 2,2i8,8i5 liv. st. ( 55,470,875 fr. ) de
plus qu'il n'aurait suffi pour ca acheter une égale quantité,
si le commerce en eût été lihre ^ mais comme le pris du
thé a très-peu varié , durant les trois dernières années , à
Hamhourg et à New-York, et que les quantités vendues,
ainsi que le taux des ventes faites par la Compagnie , en
1821, 1822 et i8i5, ne diffèrent pas senslhlement , il est
évident que le monopole dont jouit la Compagnie coûte
chaque année à la nation 2,2 18,000 liv. st. ( 55,45o,ooo fr.),
terme moyen.
Voilà im des impôts les plus scandaleux qui aient jamais
pesé sur un pays. Le thé est devenu une denrée de pre-
mière nécessité, et notre gouvernement donne généreuse-
ment à une association de simples particuliers , le droit
d'en faire un monopole , el de la vendre à plus de 200 p. °/o
de son véritable prix ! John Bull, il faut l'avouer , est un
être bien conséquent ; il a multiplié ses pétitions à la
cliambre des communes, pour l'aboition du droit d'un
denier et demi par livre ( i5 c. environ ), sur les cuirs,
droit presque imperceptible , imposé en 1822 , et il n'a ja-
mais réclame contre une taxe de i sh. 6 d. 5 hs. par livre ,
que la Compagnie des Indes' prélève sur le thé , et dont elle
fait sou profit. Sur ce sujet, nos orateurs patriotes ont pris
à lâche d'imiter la gravité silencieuse des commissaires de
et su?' le monopole du thé. l45
îa Compagnie. Mais la question est aujourd'hui soumise v^u
public i les marchands de thé d'Edinbourg ont, d'ailleurs ,
invoqué Tintervention des lords de la Trésorerie, à Teffet
de restreindre la cupidité de la Compagnie des Indes , v\.
nous pensons que cet exemple sera suivi par les marchands
et autres habitans, dans toutes les villes importantes de
l'empire. Si le peuple ne cherche pas lui-même à s'affran-
chir d'une taxe aussi scandaleuse, comment osera-t-il sol-
liciter la suppression de celles qu'on lève dans un intérêt
national? Aussi long-tems qu'il laissera les monopoleurs
puiser ainsi dans sa bourse, il ne méritera aucun ména-
gement de la part des percepteurs de l'impôt.
On dira peut-être que la Compagnie étant en possession
légale du monopole, a le droit incontestable de l'exercer
comme il lui plaît. Nous contestons le fait : le monopole de
la Compagnie n'est pas absolu , il est purement condition-
nel ; et en foulant aux pieds les stipulations sur lesquelles
il reposait , elle a rendu impérieusement nécessaire l'inter-
vention immédiate du gouvernement. Le Parlement a pro-
mulgué plusieurs actes , à l'effet de l'empêcher de vendre
ses thés à un prix exorbitant, et dans le but louable d'as-
surer à la nation anglaise , aux mêmes frais que sur le con-
tinent, la jouissance d'un article de consommation si néces-
saire. Ainsi, un acte du Parlement de 1745(1 8* de George II,
chap. XXVI ) , établit que « dans le cas où le thé importé par
n la Compagnie des Indes orientales, ne suffirait pas à l'ap-
» provisionnement de l'Angleterre, et où il ne serait pas
» livré au même prix courant que dans les contrées voi-
» sines , cette Compagnie et ses successeurs devront en im-
» porter des ports d'Europe en Angleterre, telle quantité
» qui sera jugée nécessaire. » Une autre section du même
statut porte que, « si la Compagnie néglige de tenir les
» uïarchés anglais approvisionnés d'une suffisante quantité
>> de thés, à un prix raisonnable, il sera loisible aux lords
I. 12
i46 Obscn'atioiis sur le commerce avec la Cliine
» de la Trésorerie de délivrer à tout autre individu , corps
» politique ou association commerciale, des licences d'i m -
» portation pour le même objet. » Ce statut est clair, ex-
plicite, décisif; et nous sommes également étonnés et de
l'effronterie avec laquelle nos nababs ont foulé aux pieds
les actes les plus évidcns , les plus solennels, et dq peu d'at-
tention que la nation et le gouvernement donnent à de tels
procédés. "
Mais ce n'est pas tout ; il est dit dans le fameux acte
de commutation , passé en 1784 (24^ de George III , chap.
xxxvili), « que la Compagnie des Indes fera quatre ventes
» de tlié par an , à des intervalles à peu près égaux ; que
» le marché sera fourni de quantités suffisantes pour satis-
» faire à toutes les demandes , et qu'à chaque vente les
» thés seront livrés sans l'éserve au plus offrant, moyen-
» nant la simple surenchère du penny par livre. » Une
autre -clause du même acte porte , « qu'il ne sera pas per-
» mis à la Compagnie de vendre ses ihés à un prix qui
» excède, pour la totalité qui en sera livrée, le taux ds
» Tachât primitif, le fret et les charges d'importation ,
» l'intérêt légal depuis le tcms de leur arrivée en An-
» gleterre, et la prime d'assurance à raison des risques de
« mer. »
Enfin , par une dernière clause, la Compagnie est obligée
de produire, devant les lords de la Trésorerie, des copies
exactes des comptes et estimations qui servent de base aux
ordres d'importation rpTelle a donnés , aux prix de ventes
et aux quantités vendues.
Ces clauses ont évidemment pour objet d'empêcher la
Compagnie de hausser artificiellement le prix du thé, et
de l'obliger à le mettre en vente aux taux de l'acquisition ,
sauf un excédant assez modéi'é pour ne lui assurer qu'un
profit raisonnable ; mais les règles établies par cj statut
ont été aussi ouvertement foulées aux pieds que celles
et sur le monopole du tlië, \^n
jnescrites par le statut de (ieorgc II. Dans le prix des
achats faits par les facteurs de la Compagnie à Canton ,
sont compris les émolumens de douze subrécargues , de
huit cmp'ojés. de bureau, etc., etc. Il est alloué, aux.
membres de cette factorerie , outre un large salaire , une
commissiou de 2 p. "/o sur les ventes^ commission qu'on
peut évaluer à un revenu de i25,ooo livres par an
(^ 5,125,000 fr. ). Le doyen du comité de la factorerie tou-
che la somme annuelle de 18,000 liv, (4^0,000 fr. ) , et les
autres personnages qui jouent un rôle dans cette lucrative
opération , et qui sont presque tous les eufans ou les pro-
ches parens des directeurs, ont des appointemens fixés
d'après celte échelle de prodigalités. Outre leur salaire,
ils ont une table somptueuse, servie au nom de !a Com-
pagnie , et dont les buveurs de thé font réellement tous les
frais ; car il est de fait que chaque shilling que cet inutile
et incommode établissement engloutit , concourt , avec
cent autres articles de dépense aussi peu nécessaires , à
augmenter, parmi nous , le prix du thé.
Mais le pire n'est pas de faire payer par le public , aux
familles qui tiennent à la junte directrice , la somme an-
nuelle de 200,000 liv. , pour un travail qui est beaucoup
mieux fait par un consul américain, aux appoiutemens de
200 liv. Au lieu de fournir, ainsi que le prescrivent les sta-
tuts , assez de ihé pour approvisionner le marché, moycr-
naul un léger bénéfice sur le prix d'achat, la Comj)aguic
réduit sans cesse cette quantité ; et comme personne ne peut
entrer en concurrence avec elle , il lui est possible d'élever
les prix à un taux exorbitant, et de faire d'énornu'S profils:
ainsi, jiar exemple , d'après ses propres comptes, la livre
de tlu' Bon lui revient à i s. Gd. [^ i fr. o5 c. ), cl elle la vend ^
invariablement près de 2 s. G d. ( 3 f. 1 0 c. ) 5 elle gagne p;! r
cortséquent environ Oo p. "/o.
Ne sommes-nous donc pab autorisés à dire que la con-
i^S Obseri^ations sur le commerce (wec la Chine, etc.
duite de la Compagnie tles Indes, dans la vente du thé ,
signale une rapacité sans exemple? Et comme le gouver-
nement doit parfaitement connaître quelle extension elle a
donné à son système , comme il est autorisé par les lois à
la forcer d'approvisionner suffisamment chaque marché
trimestriel, et de prendre toutes les mesures nécessaires
pour réduii'e les prix à peu près au niveau de ceux des
autres pays , ne se rend-il pas le complice du vol , car c^en
est un manifeste, qu'elle commet sur le public? Le prési-
dent du bureau du contrôle, quel que soit son mérite sous
d'autres rapports, a pleine connaissance des statuts sur le
commerce du thé. Pourquoi donc ne prend-il aucune mesure
pour en maintenir les dispositions 7 A Dieu ne plaise qu'il
commette dans ce but aucun excès de pouvoir! Mais qu'il
daigne au moins protéger les actes si chers à ses yeux, qui,
pour me servir de ses propres paroles , émanent de la sa-
f^esse collectwe du grand conseil de la nation , contre les
infractions d'une Compagnie dont il est chargé de contrôler
les opérations, moyennant 4jOOO liv. st. par an.
Les calculs dans lesquels nous venons d'entrer ( et nous
défions la Compagnie de les contredire) prouvent à quel
point on se ti'ompe , en supposant, comme on le fait
communément, que le prix élevé du thé en Angleterre ré-
sulte uniquement delà taxe qui frappe coite denrée.
Le gouvernement el la nation ont donc intérêt à abolir
complètement ce funeste monopole , et à laisser le vaste
marché ds^ la Chine ouvert au libre concours de nos
marchands et de nos manufacturiers; la baisse du prix qui
en résulterait étendrait prodigieusement la consommation
du thé, et le droit, quoique prélevé sur un article livré
à meilleur marché, produirait bientôt un plus grand
revenu.
Ainsi , qu on ne nous parle plus de la nécessité de livrer
le commerce de la Chine à l'agence d'une compagnie ex-
Soiwenirs de Sir Egerton Brydgcs. i49
clusivc. I.cs Américains , qui n'ont point de compaj^nie pour
fouler aux pieds les actes du congrès , et piller leurs couci-
tovens , font ce commerce avec un succès complet , et sont
beaucoup plus favorise's à Canton que les émissaires de
Leadenliall - Sreet . IMais comme la Compagnie des Indes
est assurée du monopole Jusqu'en i834, tout ce qu'on peut
faire , en ce moment , c'est de la forcer à se conformer dans
ses rapports avec le public aux stipulations qu'elle a cou-
senties, et à prendre toutes les mesures nécessaires pour
donner, à des marchands particuliers, des licences à l'efiet
d'importer du thé de Hambourg et d'Amsterdam, ou bien
à réduire , aux. termes du i8* statut de Georges II , le prix
du thé dans ce pays , à peu près au niveau du prix auquel il
est livré dans les pays voisins. ( Reuue d'Édinbourg. )
SOUVENIRS DE SIR EGERTON BRIDGES.
Il est des hommes qui raisonnent mal sur un sujet , et
fort bien sur tous les autres; l'estimable auteur de l'ouvrage
que nous annonçons en fournit un exemple frappant. Abs-
traction faite de quelques principes nouveaux sur l'impor-
tance de la littérature , de quelques idées hasardées sur le
génie, le goût et la critique, enfin de quelques conseils
adressés par l'auteur à ses jeunes lecteurs, et qui ont pour
objet de leur faire adopter l'idée dangereuse que Tét^at
d'homme de lettres est le seul qui ne tende pas à avilir
l'âme et à rétrécir l'esprit, le reste du livre esta l'abri de
la critique la plus sévère. L'auteur a-t-il à rendre compte
des mœurs, des coutumes, des usages des pavsqu'ila vi*-
sites ? entreprend-il la tâche plus pénible encore de faire
passer sous nos yeux les bommes qu'il a counus, et qui
j 5o Souvenirs
oiU (ixc ses regartls par leur célébrité, leur mérite, leur
nullité, leurs vertus ou leurs vices , leurs laleus ou leurs ri-
dicules? il reprenil alors tous ses avantages , et ses remar-
ques portent l'empreinte cVun talent précieux d'observa-
tion. Pour le prouver , il suffira de citer quelques-unes de
ses réflexions sur Londres et sur le parlement anglais, en
remarquant nous-mêmes qu'elles partent de la plume d'un
homme d'une liante naissance, d'une éducation exquise, et
qui siégea long-teius lui-même sur les bancs de l'assemblée
dont il nous fait connaître les membres les plus distingués.
« Pendant ma jeunesse, dit Sir Egerton , je n'approchais
» jamais de Londres sans répugnance, et n'en repartais ja-
» mais sans plaisir. J'avais un oncle respectable et tendrc-
» ment chéri 5 chasseur déterminé, il vivait dans S( s terres ;
» il me disait souvent que lorsque le hasard Tamenait dans
» les environs de la métropole, aussitôt qu'il avait gagné
» la sommité de Shooter'sHill, et que Londres développait
3) à ses yeux son enceinte noirâtre , dominée par ses nuages
3> carboniques, le mal de mer le saisissait, sa poitrine était
>) oppressée , et ses forces ne revenaient qu'après qu'il avait
» gagné l'autre plateau de la montagne, d'où, en détour-
» nant les yeux de cette cité, il revoyait enfin le ciel, et
» respirait un air plus pur.
» Je me rappelle Londres , tel qu'il était encore à l'é-
» poque où parut la Cécilia de miss Buruey , et tel que
» celle-ci l'a décrit dans son livre, lorsque !a promenade
j) du Raiielagh formait un des principaux amuscmeus pu-
«blicsj que cette ville commençait à rassembler sur un
» seul point les folies du reste du monde ; et que le luxe
n des nabahs des deux Tndes éloignait peu à peu de la
» société les plus anciennes familles. Mais alors ces nou-
)) veaux Crésus croyaient encore de leur intérêt de s'enter
» sur la propriété foncière : que les tems sont changés !
5) Plus modestes, nos riches du jour se contentent de
de Sir Egerton Brydges. i5i
» sortir en ligue tlirecte d'uu des obscurs passages de
» la Bourse. L'agiotage est aujourd'hui le seul art en
» crédit dans toutes les grandes villes de TEurope. Je
« n'insisterai point sur les tristes effets de ce jeu funeste,
» qui , sans rien ajouter à la richesse d'un pays , se horne ,
>• par le plus honteux des trafics , à faire passer dans la
» bourse de l'un ce qui était dans la bourse de l'autre.
» C'est par îui que toutes les distinctions sociales se sont
» évanouies en Angleterre, et que, dans la haute société,
» il se trouve à peine un seul nom que l'on ait entendu
» citer avant ce bouleversement général d'états et de for-
» tunes. »
Sir Egerton, comme on a pu le soupçonner déjà, est
loin d'être le partisan de la haute société de la moderne
Londres j et la manière dont il s'exprime à ce sujet, vers
la fin de l'ouvrage , ne permet pas d'en douter.
« Impossible, dit-il, de définir ou d'analyser la nature
» de ce petit monde } il est constitué d'élémens si hétéro-
» gènes et sî bizarres, que rechercher sérieusement le
» principe de son existence , ce serait s'exposer soi-même
» à courir après l'absurde. Tsous savons comment il est jugé
» par ceux qui en font partie : il se compose, s'il faut les
» croire, des personnes les pîus éminentes par le rang,
» la naissance, la fortune 5 d'hommes qui, par l'élégance
» de leurs manières , leurs talens et leurs habitudes , sont
» autant de modèles de bon ton , d'esprit et de goût. IMais
» il su/Tit de connaître le monde pour réduire à leur juste
» valeur ces prétentions exagérées.
V Ce n'est que par exception que cette haute société
» renferme quelques personnages d'un rang élevé ou d'une
» naissance illustre. Les autres ont , en général , une
» origine et une réputation équivoques ; tous une extrême
» frivolité d'esprit ; le reste , qui ne vaut pas l'honneur
» d'ttre nommé , ne se ccmpose que de dupes qui , vie-
iSa Souvenirs
» times de la fatuité et de l'arrogance , tourmentes du
» besoin de sortir de leur splicre, habituent leur front et
•> leur cœur aux explosions journalières de l'orgueil et de
» la vanité.
» Ces coteries ont grand soin de se voiler d'un nuage
M mystérieux , qui leur assure le respect d'une multitude
» aveuglée, mais elles ne doivent leur influence qu'à l'in-
» trigue. Dans leurs conciliabules, elles mettent en œuvre
» autant de ruses , de manèges diplomatiques , que des
» ministres dans leur cabinet j elles appellent à leur aide
» les factions politiques, et cherchent un soutien dans
» l'esprit de parti , qui , tout en les méprisant , les fait
» servir à ses propres desseins.
ji De toutesles villes du monde, Londres est probable-
)) ment le lieu où ces sortes d'intrigues se déroulent le plus
» souvent; au nombre des raisons que Ton peut en donner,
» se présente naturellement l'étendue inouie de cette
» ville, l'uniformité de ses mœurs , et surtout celle de ses
» habitans. Nulle part la fortune ne s\icquiert plus vite;
» nulle part elle n'est aussi incertaine , et elle n'a autant
» d'influence ; nulle part la condition sociale n'est aussi
» peu marquée ; et nulle part enfin il n'est plus difficile de
» suivre pas à pas les progrès de la fortune , dans Thomme
» qu'elle abaisse ou élève à son gré. C'est ainsi que tel
» qui, le matin, aura vaqué aux soins de sa boutique,
» dans quelque rue obscure de la Cité , donnera le soir un
» dîner ou un bal , dans une des plus beljps maisons du
» quartier fashionablc de liondres , ou qu'il passera de-
» vant vous dans un équipage magnifique , sans que son
» éclat et sa pompe vous permettent de soupçonner qui il
» est. Celte grande métamorphose n'étonnera personne :
« ici , l'argent est tout; il doit être le passeport de toutes
« les folies humaines; aussi, n'en doutez pas, la bassesse
» des idées et du langage de cet liomnie, bassesse que
de Sir Egertoii Brydges. iSS
?) l'argent ne saurait l'e'.ever , passera sans être aperçue
» dans la plus haute société j et s'il peut donner à sa fille
» 5o ou 60 mille livres sterlings , plus d'un duc, gêné dans
» ses affaires , acceptera le beau-père et la dot sans y re-
» garder de plus près.
» Il n'est donc rien dans la naissance , dans les mœurs ,
» dans l'état , dans la réputation d'un homme , qui puisse
» lui fermer ici Tentrée de ce qu^on est convenu de nom-
» nier la bonne compagnie. L'intrigant le plus effronté,
» capabîe de se soumettre sans murmure à l'esclavage le
» plus complet, aux sacrifices les plus honteux, et les plus
» dégradans , a, par cette disposition même, les chances
M iesplus favorables de succès dans les sociétés à la mode.
» Il lui faudra, il est vrai, un peu de dehors et de politesse;
» mais tout cela s'acquiert facilement dans la fréquen-
» tation journalière de la race métis qui compose la no-
» blesse actuelle,
n Quoique l'aspirant, sorti des derniers rangs de la
" société, puisse réussir,' ne croyons pas cependant qu'il
» parvienne sans peine à son but. Cette tâche demande
» de la persévérance et du courage. Pour écarter les
M obstacles, il faut qu'il souffre patiemment, et même
)) avec indifférence, une longue série de provocations et
« d'insultes; il doit être respectueux, actif, prodigue,
» fastueux, esclave de l'étiquette et de l'usage, réservé,
» minutieux, adroit, plein d'affectation et de fausseté.
» Grâces à ce long vasselage , les hommes à la société
» desquels il aspire, par habitude ou par nécessité, s'ac-
» coutumeront à le voir parmi eux et à le traiter en égal.
» Dès ce moment, ce jeune adepte commencera à jouir
» de l'influence de la caste sur l'esprit de tous les profanes;
» il est inutile d'ajouter que l'empix*e qu'il exercera sur
» ceux-ci sera proportionné aux sacrifices que son impor-
» tance actuelle lui aura coûtés.
1. .5
i54 SniH'e?iirs
» Presque toutes les gramies familles, du moins leurs
» plus dignes membres; tous les hommes doués d'esprit et
» detalens, ou appelés à des travaux sérieux; tous ceux
il qui s'occupent de politique, de législation, de sciences,
)) de littérature; tous ceux enfin qui sont liés à des pro-
» fessions honorables, rejettent avec dédain ces distinc-
» tions frivoles. Mais quelques jeunes gens, qui tiennent
j) à de bonnes familles de province , viennent de tems
» à autre augmenter le nombre des dupes ; et , comme
» beaucoup d^autres, après avoir payé un pénible tribut
» au sentiment de vanité qui égara leur inexpérience, ils se
» retirent honteux du rôle avilissant qu'ils ont joué , em-
» portant parfois, avec eux, la charge inaliénable d'une
» lady Betty ou d'une lady Jane, qui, déjà, se sera mise à
» un prix trop haut pour un homme de qualité sans fortune,
» Quoique l'argent en Angleterre ait un pouvoir sans
» bornes, et qu'il influe puissamment sur la considération
» dont on jouit dans la société, il faut encore, poury réussir,
" joindre un caractère hardi et entreprenant à un grand
«fonds d'arrogance, de prétention et de dureté. Par
» une contradiction remarquable, l'insolence et l'orgueil
>• aristocratique régnent à présent plus que jamais : et
>i tandis qu'ils heurtent sans pitié les classes inférieures y
» modestes et inoffensives , ils ploient avec une bassesse
» peu commune devant le riche parvenu et l'intrigant
» au front d'airain; de telle sorte que, sans profiler ni
» de l'un ni de l'autre , la société souffi-e à la fois deux
)) maux essentiellement contraires : l'orgueil aristocrati-
» que, et l'insolence des parvenvis.
» L'Angleterre gémit aujourd'hui sous une noblesse
X qui est illégitime, parce qu'elle ne s'appuie pas sur
» les bases étemelles de cet ordre privilégié ; et la réunion
j) de l'Irlande a été , sous ce point de vue , un coup fatal
» porté à la véritable noblesse anglaise. »
de Sir Egerlon Biydges. l55
Sir Egerton a été , pendant quelques années , membre du
parlement ; ses souvenirs parlementaires oflrent beau-
cx>up d'intérêt ; novis en citerons quelques traits.
«c Bien que les six. années, de i8i'2 à 1818, pendant
» lesquelles je siégeai au parlement ne se soient point
» écoulées pour moi sans déplaisir, je dois avouer
» qu'elles ont été les plus heureuses de ma vie ; elles me
» firent envisager les choses sous un point de vue tout
» nouveau , et me forcèrent à des occupations qui n'é-
» taient point tout-à-fait étrangères à mes travaux ordi-
» naires et à mes habitudes favorites. Dans une place de
>' ce genre , ou est , ou l'on s'imagine être plus près de la
» force motrice de llétat. Les occasions que Ton a d'exa-
>' rainer plus attentivement tous les grands caractères pu-
■) blics , l'ournissent chaque jour de nouveaux, sujets d'ob-
» servations ; et la manière dont les dépositaires des intérêts
M de l'état font usage de leurs taleus , de leurs lumières et
» de leur adresse personnelles , nous apprend, par l'expé-
» rieuce, comment le monde est gouverné.
» Ce qui d'abord me frappa le plus dans la chambre des
M communes , c'est , je ne dirai pas l'extrême rareté des
). orateurs vraiment éloquens , mais le petit nombre de ceux
» qui auraient pu passer pour tels, et la multitude des ora-
» teurs détestables. M. Canning était alors le seul que l'on
» aurait pu signaler, comme parlant avec grâce et élo-
» quence ; mais ses discours étaient rares , et le travail s'y
» faisait trop sentir. Quant aux autres orateurs, on remar-
>' quait en eux une foule de défauts naturels , ou qu'ils s'é-
» taient donnés. Leur accent provincial était affecté ou
« trop peu élégant ; tantôt leur prononciation était vicieuse,
n tantôt leur langage était lourd.
» Oa sait quelle bizarre et latalc destinée était réservée
» à nos trois premiers orateurs (1). L'éloquence de Whit-
(^i) Tous Ic.^ trois [hiiichI [)ar le suicide.
J j<3 Soui^efiirs
» bread ne fit que se perleclionner jusqu'à ses derniers
» momens. C'était un homme doué d'une têle excellente ,
w tendant sans cesse au bien public, spirituel, parfois
» subtil, quelquefois d'une éloquence entraînante ; mais il
» ne possédait ni un goût délicat, ni une grande richesse
» classique. Quelquefois ampculé, il était toujours trop
« violent; on remarquait en toute sa personne quelque
w chose de lourd et de peu gracieux; sa voix était rare-
» ment agréable ; enfin tout trahissait en lui un travail et
» un art excessifs. Il commençait par s'élever trop haut,
» et bientôt il perdait haleine.
» Sir Samuel Romiliy était d'une éloquence impressive ,
» dans les matières de haute législation ; boa logicien ,
» plein de discernement et d'adresse, il avait l'art de ré-
» veiller la sensibilité et de parler directement au cœur ;
» toutefois sa diction trahissait trop souvent l'homme de
» robe, défaut inexcusable dans le parlement britannique.
» Son visage et son attitude avaient aussi je ne sais quoi de
» sec et de mystérieux , peu conforme à l'idée qu'on se fait
» d'un véritable orateur , mais qui n'affaiblissait en rien
•> l'attention respectueuse que Tou prêtait à ses discours.
» Ce sentiment puisait sa force dans le respect que l'on
» portait généralement à sa belle réputation et à ses grandes
il connaissances , comme légiste et comme avocat. Tous
» ceux qui , sous les rapports politiques, n'apercevaient en
» lui qu'un esprit imbu d'un républicanisme sévère , qu'un
>. bomme dont les opinions n'étaient point en rappoit avec
» les formes récentes du gouveruemeat britannique . ceux-
-» là même qui , par conséquent, différaient le plus de lui,
» quant aux principes, à leurs conséquences et aux vues
» générales de législation et de gouvernement , n'osèrent
» jamais traiter légèrement aucun des argumens qui sor-
» taieut de cette bouche éloquente. Ses manières réservées
« et froides repoussaient généralçmeut la confiance et la
de Sir Egerlo/i Brydges. i5'j
>) familiarité , d'où Ton pourrait conclure qu'il ne dut ses
» succès qu'à ses propres efforts.
» Lord Castlereagh , appartenant à une autre classe ,
n était jeté dans un moule très-différent. Tout en lui annon-
« çait un homme infatué <!e ses opinions j mais je n'ai
» connu personne dont les manières fussent plus distinguées.
» Sa carrière fut active et orageuse. Souvent il s'exprimait
» mal} cependant, dans une ou deux occasions, je l'en-
» tendis parler avec une force d'éioquence qu'on n'avait
» jamais remarquée dans aucun autre de ses collègues;
» d'où je tire la conséquence, que la confusion qu'on re-
» marquait ordinairement dans ses idées et dans ses dis-
j) cours tenait à sa défiance de lui-même; et, ce qui me
» porte à le croire , c'est qu'il n'obtint le succès dont je
» viens de parler qu'à son premier retour de France , en
» i8i4j époque où la paix fut cot due, et où sa rentrée
n dans la chambre fut marquée par les témoignages ilat-
» leurs d'uae approbation générale. Comme ministre, il ne
j> fut point aimé du peuple, et je crois fermement que la
» conviction qu'il avait de son impopularité dut influer
» beaucoup sur les moyens qu'il déjiloya comme orateur
» parlementaire. L'ignorance et la malignité estimèrent ses
» talens fort au dessous de leur véritable valeur ; mais son
>) poste était bon, et pour l'eu débusquer on pouvait bien
») faire quelques frais en plaisanteries et en sarcasmes. Lord
» Castlereagh était laborieux et instruit ; il lui manquait
)> peut- être cette facilité nécessaire pour se rendre maître
)j à l'instant des différentes parties d'une argumentation, et
» celte adresse , plus nécessaire encore, qui sait glisser sur
» la surface des raisonnemens et des choses , et déguise si
» bien l'ignorance. Son crédit s'éleva irès-haut , mais
» moins haut encore «(ue celui .e plusieurs ministres,
j> ^échappés p<'urlanl à i envie qui ne» cessa de l'allaquer,.
I) Sa mère était de la famille Conwa\ , l'une det. premières
i58 Souvenirs
M d^'Angieterre ; sa grand'mère était fille d'un gouverneur
» des ludes orientales, qui avait une immense fortune pour
» celems-là. Son grand'père maternel, comte d'Hertford,
» avait été vice-roi d'Irlande. I.ord Castlereagli avait été
3> élevé en Angleterre dans la famille Seymour, et on lit ,
y> dans la correspondance de lord Oxford , que déjà le
» futur ministre annonçait de grands taîens. Je n'ai pas
» connu d'homme qui eût moins de hauteur, avec des ma-
» nières plus affables. Il est une foule de grands person-
j> nages qui , en vous rencontrant , ont l'air de ne pas vous
M connaître, ou même de ne pas vous voir; comme si entre
y> eux et vous leur position sociale élevait un épais nuage;
» lord Castlereagh n'agissait point ainsi : l'homme qu'il
» avait connu ne lui fut jamais étranger, et celui sur lequel
» il portait ses regards , ne lui était point invisible.
» Quoique placé à la têle trun parti , et bien qu'il eût
» été lord -chancelier d'Irlande, Georges Ponsonby était un
>) assez médiocre orateur \ mais peut-être qu'à l'i'poque
'> dont je parle, et quoiqu'il n'eût pas soixante ans, ses
» moyens étaient affaiblis. Quoi qu'il en soit, il avait peu
» de connaissances et encore moins d'imagination ; il traitait
» son sujet d'une manière aride , et sou ambition se bor-
« naît à faire entrer dans ses discours quelques traits épi-
» grammatiques.
» Francis Horner annonçait un bon orateur , lorsqu'une
» mort prématurée l'enleva ; il était calme , judicieux ,
» énergique; ses argumentations étaient si précises et si
» claires , qu elles forçaient l'attention et commandaient la
» conviction générale ; on peut dire cependant qu'il ne s'é-
« levait pas jusqu'à la parfaite éloquence, et qu'il avait un
3) ton trop méthodique et trop compassé.
» La manière de Wilberforce tenait aussi un peu trop de
. » la chaire ; sa voix était faible et criarde , et sa personne
» même n'était rirn moins €[u'agréable ; mais il était assez
de Sir Egerton Biydges. i5g
» prudent pour ne parler que sur des matières importantes,
« et à l'égard desquelles on devait désirer que ses opinions
» personnelles formassent l'opinion générale.
» Quant à George Rose , ses discours dégénéraient en
» vrais commérages ; aussi n'eut-il Jamais une grande in-
» fluence j les faits qu'il énonçait semblaient n'être aux yeux
» de la chambre que des détails parasites défigurés par
» l'esprit de parti.
» Tierney se distinguait surtout par un fonds de finesse
» et de bonne plaisanterie qui n'eût pas réussi chez d'antres
» orateurs , et auquel pourtant il dut ses succès.
» Le style oratoire de Brougham est trop connu pour
» qu'il soit nécessaire de l'analyser ; ce style est sou-
» vent entraînant , quelquefois même irrésistible , mais il
» tombe parfois dans l'exagération et dans le verbiage ;
» le sarcasme et l'ironie sont dans ses mains une arme
» dangereuse, et dont il parait, difficile de se défendre;
» sa prononciation a quelque chose de remarquable ; elle
» tient de l'accent écossais , et de celui du Westmorland ;
» au reste, il ne quitte jamais le ton et les manières de
» l'avocat.
» Le fonds des discours et le style de Sir James Mackin-
» tosh sont également dignes de l'admiration générale ; par
» malheur, son organe est faible et peu harmonieux, et
» sa prononciation même se ressent un peu trop de l'accent
w écossais.
» Peel est clair , ingénieux et méthodique ; il traite ha-
» bilement les points en question ; mais sa diction n'a rien
» de naturel, et son débit est à la fois criard et d'une tris-
» tesse monotone.
» L'homme qui est aujourd'hui chancelier de l'Échiquier,
» M. Robinsou , ne remplissait point de mon tems cette
)i charge importante ; il parlait alors rarement , mais tou-
)' jours avec chaleur, avec talent, et avec une raison
i6o Souvenirs de Sir F.gerton Bry^duts.
« éclairée; ses manières étaient nobles , et tout révélait
» en lui les sentimens les plus honorables.
» On dit que les gens de robe sont généralement de
» mauvais orateurs parlementaires; ou doit remarquer
» cependant que les personnages que je viens de citer
» appartiennent , ou du moins ont appartenu au barreau.
» C'est un travail fort pénible que d'apporter tous ses
» soins à la connaissance et à la discussion de l'immense
» quantité de propositions et d'affaires soumises au par-
» lement britannique; l'étendue des débats, qui se pro-
» longent long-tems après minuit, devient souvent très-
» fatigante ; et l'obligation de retourner chez soi , au milieu
H de la nuit , exposé à l'humi iité de Londres , et en sortant
» d'une salle trop petite pour n'être pas insalubre, suffi-
» rait pour détruire la santé.
» Le parlement qui succéda à celui dont je fis partie , ue
» dura qu'une année; il fut dissous à la mort du roi, au
» printems de 1820. J'étais alors à Florence, retenu dans
» mon lit, par suite d'une maladie grave. Pendant le fameux
y> procès de la reine, qui ue tarda pas à s'inslruire , je
» restai constamment à Naples, me félicitant chaque jour
» d'être éloigné du théâtre de ces déplorables débats. »
( Blackwood's Magaizine. )
LITTERATURE.
DE LA POÉSIE EN FRANCE (l).
La poésie est, 1! faut Tavoucr, ia matière sur laquelle
ropinioii des Français et celle des Anglais sont le plus in-
conciliables ; aussi peut-être les critiques d'une de ces deux
nations ne devraient-ils point juger les poètes de l'autre.
Nous pouvons, à la satisfaction mutuelle des contractans ,
échanger nos cotons contre les vins de France; notre acier
ciselé, contre son orfèvrerie; nos couvertures contre ses
batistes ; mais les prix courajis de la poésie différent si
prodigieusement dans les deux pays , que nous ne donne-
rions pas une scène de Shakspeare pour le corps entier
des poètes dramatiques français , cl nos voisins , un chant
de la Henriade ou de la Pucelle pour notre Spencer et
notre Milton.
(i) Note dti Tr. Nous n'aurions pas inséré cet ariicle dans noire
lîei'ue , s'il n'offrait , à côté d'un critique souvent injuste , des aper-
çus neufs et piquans , et un éloge de nos grands poètes aussi complet
qu'on pouvait l'attendre d'un peuple idolâtre de Shakspeare et de
Milton. 11 était bon d'ailleurs de le faire connaître , ne fut-ce que pour
élargir le champ de bataille sur lequel deux partis semblcnl se disputer
en France le domaine de la littérature. Mieux la question à débaltr?
s'éclalrcira de part et d'autre , moins la lutte durera. La querelle des
anciens et des modernes est morte paisiblement, et le XYIIl^ siècle
n'en a pas moins e'té fertile en grands génies, dociles aux principes
éternels du goijt ; la querelle des classîqups et des romantiques s'é-
teindra de même, et la pabnc restera, auXiX^ siècle comme au pré-
cédent, à toute conception neuve, mais forte , mais en harmonie avec
1 opinion et les besoins de l'époque, écrite avec chaleur, mais avec
pureté.
I. .4
i62 De lu poéoie
Nous n'attribuons pas celte opposition de sentiment à
l'esprit de nationalité, ni à l'habitude de considérer les
beautés substantielles de la poésie comme exclusivement
liées à certaines formes accessoires ; car les deux nations
rendent justice au mérite des autres poètes étrangers ; mais
il existe enlr'elles une différence essentielle dans la ma-
nière d'envisager le beau. Ce que l'une estime comme
une qualité , l'autre le dédaigne comme un défaut intolé-
rable. Il y a entre elles sans doute quelques points de
contact ; mais ils sont bien rares. L'admiration de Bolleau
a dû conduire à celle de Pope , et Ton ne peut se laisser
attendrir aux tragédies d'Addisson sans avouer qu'il est
inférieur à Racine ; mais là s'arrête le parallèle ; les mo-
dèles de la perfection poétique signalés dans chacun des
deux pays, n'offrent d'ailleurs entre eux aucun point de
contact.
Si nous étions appelés à préciser la différence qu'on
remarque entre notre école et celle des Français , nous
dirions que notre poésie tire tous ses matériaux de la
nature, et que la leur emprunte à l'art seul tous ses su-
jets ; que nos images sont prises pour la plupart dans la
vie des champs , et les leurs dans le spectacle des villes ;
que nous exploitons franchement les passions primitives de
l'espèce humaine en général , tandis qu'ils s'attachent
presque exclusivement à peindre les prétentions et les pré-
jugés des personnes de rang et de condition 3 que pour eux
recueil est d'être ignoble , pour nous d'être froid 5 que leur
triomphe est de vaincre la difficulté , le nôtre de pénétrer 'es
âmes ; en un mot, que 'a différence essentielle consiste dans la
sympathie plus vive que nous éprouvons pour la nature , et
dans la vénération plus profonde qu'ils professent pour l'art.
Ceci demande une explication : toute civilisation est duc
à l'art, et aucune nation n'a porté et n'a étendu si loin la
sienne que l'Angleterre j mais l'Anglais emploie l'art à em-
en France. iG5
bellir et à iaiiler la nature; le Français à la corriger cl à
la surpasser ; l'uu s'en approche avec vcncration comme
un Imnible ministre de son culte , un observateur respec-
tueux de ses procédés; l'autre avec dédain, el comme s'il
prenait en pitié sa rudesse, et s'il se défiait de son pouvoir.
Ces considérations expliquent pourquoi la poésie française
diffère de la nôtre , et lui est même inférieure. Qu'il nous
soit permis d'ajouter , quelque mal-sonnante que paraisse
aux Français cette proposition , qu'en poésie ils ont moins
de force d'imaginatioq , et un goût moins élevé que beau-
coup d'autres peuples moins policés.
Les reproches qu'ils se font à eux- mêmes en certaines
occasions, donnent une idée de leurs prétentions à excel-
ler par l'imagination. Ils ne doivent en effet leurs malheurs
el leurs fautes qu'à l'abus de celle qua ité. Qu'ils précipi-
tent la conclusion d'un argument, ou hasardent imprudem-
ment une bataille; qu'ils languissent sous un despote
qu'ils n'aiment point, ou renversent, par une fausse phi-
lantropie, les limites de la liberté humaine; qu'ils exter-
minent une secte rivale ou nient l'existence de Dieu ; qu'ils
passent en un moment aux excès contraires , i'sen accusent
cette vivacité sans frein qui les pousse toujours en avant, et
(ju'ils ne peuvent assujettir à la règ'e et au compas , à
l'exemple de leurs stupides voisins. « Nous autres Français^
disent-ils , nous avons des liiles si vices , nous aroits tant d'i-
magination ! » Ainsi , à les entendre , le seul défaut de leur
caractère serait d'être trop prodigues de la plus haute
faculté dont puisse être doué le i^énie créateur !
lia régularité avec laquelle nous dirigeons les affaires
ordinaires de la vie ; les formes lutélaires dont nous
entourons les plus précieux de nos intérêts publics ; sont
dans leur opinion autant de preuves que nous n'avons
pats d'imagination. Ils poussent quelquefois i'iudulgonce
jnsqii'à reconnaître que nous sommes de bonnes machines ,
î 04 De la -poésie
et que nous en avons produit qui ne sont point à dédai-
gner. Mais ignbrcnt- ils que rimagination peut paraître
prédominer dans l'homme eu deux cas tout différens :
lorsqu'elle surabonde, et lorsque la faculté de l'esprit qui
lui est opposée est assez faible pour en être aisément sub-
juguée ? Cette faculté, c'est le jugement. Très-peu d'ima-
gination, jointe à très-peu de sens commun, peut, sous
quelques rapports , produire le même dérangement dans
la balance que beaucoup d'imagination jointe à beaucoup de
jugement. Nous soupçonnons qu'eu France l'imagination
n'a tant de part aux affaires , que parce que la raison en a
trop peu.
Le langage de la vie commune abonde eu petites méta-
phores, relatives à ses détails les moins importans 5 nous
croirions ridicule d'en augmenter le nombre , ou de les
remplacer par des figures plus relevées ; mais c'est sur ce
point que s'exercent principalement nos voisins d'outre-
mer. Même dans les discussions graves , ils se montrent
toujours disposés à prendre waq. figure de rhétorique pour
lui argument \ à chercher trop haut leiu's comparaisons ,
et à confondre la similitude avec l'ideniilé. Le langage des
sciences lui-même est plus figure en France qu'en Angle-
terre; la netteté de la pensée et de l'expression y est jugée
peu nécessaire, même dans les discussions dont la per-
fection dépend de l'exactitude du langage. Cette disposition
de l'esprit y fait sentir son influence sur les actions les plus
sérieuses. En France, on est toujours prêt à entrer dans un
projet qui sourit à l'imagination, sans réfléchir à la diffi-
culté de son exécution, ou à ses avantages réels. En un
mot , on y traite les grandes affaires avec légèi'eté , et on y
met de l'importance, aux moindres détails de !a vie.
Si l'imagination est déplacée dans le jeu des intérêts so-
ciaux , elle est Tame de la poésie j or, de tous les peuples
du monde, aucienselmodcrncs, Hébreux ; Hindous, Grecs,
cji France. i65
î^omaius, Scaiuliuaves, Italiens, Espagnols, Germains, An-
glais, il n'en est aucun qui, ajant une poésie quelconque, ne
surpasse les Français ea énergie, en originalité, en sublimité
et en invention ; en un mot, dans toutes les qualités qui dé-
pendent de l'étendue et de la force de l'imagination. Si nos
voisins possédaient cette faculté à un aussi haut degré qu'ils
le prétendent , ne brillerait-elle pas plutôt dans leurs vers
que dans les matières qui tiennent essentiellement à la rai-
son; dans leurs poèmes épiques plutôt que dans leur dé-
claration des droits de l'homme ; dans leurs odes et dithy-
rambes plutôt que dans leurs lois d'élection i parmi leurs
auteurs dramatiques plutôt que dans leurs assemblées déli
bérantes? En France, cependant, la place qui convient à
l'imagination paraît avoir élé long-tems méconnue : dans
quel autre pays, par exemp'e , une académie eût-elle pro-
posé, pour sujet d'un prix de poésie au XIX^ siècle , l'ins-
titution du jury?
Que la langue française ne soit ni sonore ni mélodieuse ,
c'est là son moindre défaut dans ses rapports avec la poé-
sie : on ne peut lui reprocher non plus sa pauvreté , ni le
caractère anti-poétique de ses métaphores. Bien qu'en toul
pays, la langue réagisse sur l'intelligence de ses habitans ,
elle est l'ouvrage des hommes ; elle porte l'empreinte des
esprits qui l'ont créée. Chez un peuple passionné et doué
d'une imagination ardente, les expressions les plus com-
munes se ressentent de cette disposition de l'ame ; chez un
]:euple plus froid et plus galant, le langage précis et poli
peut devenir le docile instrument de la souplesse et de la
frivolité nationales. Le sort de la poésie eu France est d'a-
voir porté , dès le berceau, la livrée des cours. Ses pre-
miers essais, les madrigaux et les ballades, étaient com-
posés pour des princesses, et chaules dans des palais. Du
règne de Louis XI] à celui de Louis XV , cette mode n'a
cessé de \ révaloir ■ les juges , dont Boileau et Racine ca-
1 6Ç De la poésie
ressaient le plus Popluion, étaient le monarque ; après lui
les princes du saug, et puis successivement les ducs et
pairs et les gentilsiiommes de la cliambre ; tel était leur
public , f t le langage qui n'gvalt pas cours à Versailles ,
semb'ail répudié par les muses. INla's ne vaut-il pas mieux
souffrir, dans le discours, quelques réflexions redondantes
ou Impropres , que de priver la passion de sa propre élo-
quence, et d'imposer à l'anie un langage froidement com-
passé par les académies , ou dicté par la servilité des cours?
Nos voisins pensvnt le contraire. Qu'un étranger ne par-
tage pas Tenlhouslasme dont ils sont transportés pour leurs
poètes favoris, et ils soutiendront qu'il ne peut sentir les
beautés et les finesses de leur diction. Nous soutenons , nous,
qu'une poésie dont ce serait là tout le mérite , serait tombée
au dernier rang, et que le moins poétique des langages
est celui dont les beautés sont les plus difficiles à décovi-
vrir. L'essence de la poésie est dans la passion, dans l'I-
magination, dans les senllmons , qui, abstraction faite du
coloris qu'on leur donne, pénètrent forlenieut les âmes.
Gfux-là, sous quelques traits qui's se désignent, on
les reconnaît à Tinstaut. comme les disjecta meinhra du
poète. D'où vient qu'Homère est admiré de toutes les na-
tions? Y a-t-11 dans les cliants immortels de ce patriarche
des poètes, dans ceux de Sophocle, d'Eschyle, de Virgile,
d'Horace, dans quelques traits sublimes qu'on dirait ins-
pirés aux prophètes hébreux, dos finesses qu'un étranger
ne puisse sentir ? Nous consacrons , Il est vrai , plusieurs
années à étudier les langues anciennes ; mais un séjour d'uu
ou deux ans dans un pays, devrait suffire à l'homme stu-
dieux pour s'initier au mystère de ses trésors poétiques ;
et nous ne concevons pas que la lapgue française soit si
supérieure en ntticisme à celle d'Athènes , que ses beautés
ne puissent être senties par ceux qui n'auraient point res-
piré , dès le berceau , dans l'atmosphère de Paris.
en France. 16 y
D'après les principes que nous venons cVexposer , il est
facile cVexpiicjuer pourquoi la poésie française manque en
général d'originalité, d'invention, de sublimité et de vi-
gueur. On ne trouverait pas en Europe une société de
36 millions d'horaiiies, qui, en proportion de l\.nciennelc
et du degré de sa civilisation, ait produit si peu de poètes,
et dont les poètes aient été si peu inspirés. Presqu 'aucun,
avant Corneille, n'a déployé un génie énergique et vrai,
et n'a laissé de son art des monumens durables ; tandis que,
long-tems avant la même époque , l'Angleterre en possé-
dait un qui n'a point eu d'égal , et plusieurs qui n'ont pas
été surpassés.
D'ailleiu's on a vn , bien pins fréquemment en Angleterre
que chez nos voisins, un grand génie poétique déployé
par des hommes sans éducation, ou par des écrivains très-
jeunes. Chez nous, rinspiration est trop forte pour être
arrêtée par le défaut d'élocution, ou plutôt l'éioquence du
cœur a toujours commandé notre admiration ; de l'autre
côté du détroit, il semble que , pour plaire aux académies,
il faut avoir étudié dans leur sein , et que la connaissance
du cœur humain ne peut remplacer le ton de la bonne
compagnie. Lagrange-Chancel a pu écrire à neuf ans quel-
ques tirades sous le nom de comédie, et le menuisier
Adam Billaut composer, sous Louis XIV, des clionsons
assez estimées 5 mais quelle comparaison peut-on faire de
l'un avec Cowley, Pope, Chatterton et Rirke-While, pour
la précocité du tarent; de l'autre, avec Shakspeare,
Burns , Hogg ou Bloomfield , pour la force du génie au
sein de la détresse et dans les rangs les plus obscurs de la
société? Une civilisation plus raffiuéf , loin de glacer les
sentimens des genstlu peuple, ou de rendre fastidieuse la
politesse des gens du monde, a produit, chez nous, rcffet
contraire.
Les remarques que nous avons faites s'applltjueni à la
i68 De lu poésie
poésie française des deux derniers siècles, la seule sur la-
quelle nos voisins appellent l'admiration des étrangers.
Mais, il faut l'avouer, c'est à eux que l'Europe doit sa
première impulsion poétique ; et la littérature romantique,
qui distingue le génie de l'Europe moderne de celui de
l'antiquité classique, tire son origine des trouvères et con-
teurs, des jongleurs et des inénestrels de Provence (i).
Avant la fin du XII" siècle, \a gaye science avait à Tou-
louse son académie, et ses premiers succès la propagèrent
chez toutes les nations de l'Europe. Sarmiento , dans ses
Mémoires sur l'iiistoire de la -poésie espagnole ^ s'est attaché
à prouver, qu'introduite en Espagne par les Maures, la
gaye science passa de la Catalogne en Provence où elle
prospéra , et, après avoir parcouru la France , rentra, par
Toulouse et Barcelonne , en Andalousie, où elle avait pris
naissance. Nous ne croyons cependant pas son origiuemau-
resque assez hien étahlie, pour douter que les poètes pro-
vençaux n'aient eu un caractère primitif. 11 est vrai que le
Romancero gênerai et d'autres collections du XI ["^ siècle
renferment une quantité prodigieuse de poèmes espagnols
de la nouvelle école ; mais le nom seul de gaye science ré-
vèle son berceau , et Sarmiento , lui-même , rapporte qu'au
XIV^ siècle, le roi d'Arragon obtint du roi de France
que deux, professeurs de poésie lui fussent envoyés de Tou-
(i) Note du Tr. La liltéralure des anciens n'est pas plus classique,
que les virelais et les ballades écrites en langue romance au XlVe
siècle ne sont romantiques. Les chefs-d'œuvre de l'antiquité' ont c'U"
mis dans nos mains pour apprendre le grec et le latin ; voilà ce qu'ils
ont de classique; les ballades du XIV<= siècle sont originales, parce
qu'elles appartiennent à des époques avec lesquelles nous n'avons rien
de commun. Quant à nous, au XIX^ siècle, ne copions servilement
ni le siècle de Uené d'Anjou , ni même celui de Pcriclès et d'Auguste ;
méritons, s'il se peut, d'être modèles à notre tour; mais sachons
écrire , même en poésie'', dans l'objet d'être utiles aux hommes , et res-
pectons la langue de Racine , de Massillon et de Montesquieu.
€it France. \Zh)
louse. Ou les établit à Barcelonue, pour reacouragemeut
de Tari poétique , auquel on attachait , à cette époque, une
importance nationale.
Il n'entre pas dans notre sujet de reiracer les progrès de
la poésie française , depuis Tâge des troubadours jusqu'au
siècle de Corneille et de Racine , dans lequel on sup-
pose qu'elle a atteint sa perfection. C'est sous le règne de
Louis XII qu'elle se modela sur les classiques , lorsque
Octavien de Saint -Gelais traduisit \ Odyssée et les épîtres
d'Ovide. Sous Henri II, Jodelle devint si célèbre, par
ses tragédies dans le goût des anciens , qu'il fut sur-
nommé le second Eschyle , et que , par un raffinement de
pédanterie académique , il reçut l'offrande d'un bouc cou-
ronné de fleurs. Le règne de Henri IV paraît avoir été le
pius fécond en poètes f c'est à cette époque que Dubartas
publia , sous le titre de la Première Semaine , un poème
sur la création , qui eut, dit-on, trente éditions eu six ans,
et que personne , dans le dernier siècle , n'a peut-être eu
le courage de lire ; alors aussi parut le plus fécond des
poètes français, Hardy, qui, s'il faut en croire les chroniques
littéraires, ne composa pas moins de six cents pièces de
théâtre.
Nous conualssoiis fort peu ces ouvrages; mais M. Charici
Lacretelle, dans ie véritable esprit de sa nation, s'applau-
dit de ce que Hardy ne s'est jamais livré à ces élans :îe
génie qu'on admire dans Shakspeare ; « à une telle hau-
» teur, ajoute-t-ll, il aurait empêché le drame français
)) de conserver sa glorieuse analogie avec celui A&s Grecs.»
Cette ère poétique fut close par Malherbe, Racan, IVIcv-
nard et Voiture , les précurseurs Immédiats de Corneille.
On ne saurait disputer à Corneille un génie élevé et ori-
ginal. Le reproche que nous avons fait à la poésie fraucais-j
de manquer de variété et de vérité , dans la peinture des
passions, ne nous rend poinl injustes envers ce grand homiîic
l'jO De la poésie
et ses successeurs ; c'étaienl inconteslablemenl des gens de
goût et de talent , des écrivains accomplis , dans la meil-
leure acception du terme. Sans accorder qu'on doive les
placer au même rang que nos grands génies et les com-
parer à nos Sliakspeare, à nos Millon, à nos Spencer
et même à nos Dryden, nous reconnaissons en eux les
flambeau:^^ de la littérature de leur pays , et les rivaux ,
si ce n'est les maîtres de plusieurs de nos poètes les plus
célèbres.
Il serait trop long de discuter ici sur les règles par-
ticulières auxquelles les Français attribuent Texcellence de
leur système dramatique. Nous nous bornerons , pour le
moment , à faire observer que les pièces de Corneille , de
Racine et de Voltaire, soat décidément supérieures à celles
qui ont été composées en Angleterre dans le même sys-
tème.
Selon nous, Boileau , par les grâces et l'énergique con-
cision de son style , est au moins égal à Pope , dans ses sati-
res, ses critiques, ses imitations des écrivains élégaus de
l'antiquité ; sur ces divers points il fut son maître , son mo-
dèle, et lui est même resté supérieur ; mais il n'aurait écrit
ni i'épîlre d'Héloïse à Abeilard, ni les morceaux les plus
admirables de X Essai sur l'homme^ et il n'aurait pas fait,
ainsi que Pope, de la traduction de Vlliade, un poème
magnifique. L'honneur d'égaler cette grande entreprise
était réservé à Delille.
Nous n'avons personne à opposer à La Fontaine, écrivain
unique, et le plus original de tous les poètes français, à
l'exception peut-être de Molière. Nous ne prétendons pas
non plus trouver, dans les meilleures pièces de Prior, Pope
et Svï^ift , des morceaux comparables à ces trésors de déli-
catesse et de grâce, qui font le charme des poésies légères
de Chaulieu, Gresset, Gentil-Bernard, Bouiïlcrs, Bertin,
Parny, et qu'on admire dans les moindres saillies échappées
en France. i^ i
à la plume de Voltaire; en un motj nous avouons que les
poètes français du siècle de Louis XIV sont au moins
égaux aux poètes anglais sous la reine Anne. Mais ce règne
ne fut point Tâge d'or de notre patrie ; loin de là , nous
avons toujours soutenu que si , à cette époque, elle a pris
ses modèles en France , ce n'est qu'en s'écartant de la roule
naturelle qu'elle devait suivre , et par suite d'une véritable
corruption due à l'ascendant éphémère du goût étranger
sur la cour de nos rois , après la restauration. Quoi qu'il
en soit , on saisit alors l'occasion d'étendre le domaine de
Ja littérature anglaise. Mais , en moins d'un siècle , lé
champ assez resserré dont on l'agrandit , fut complète-
ment exploré , et après avoir porté ce genre de mérite ,
qui dépend de la pureté de la diction -, de la précision et
de la finesse des pensées , à cette hauteur qu'il n'a jamais
pu dépasser, le génie de notre poésie , pour reprendre son
essor, s'est reporté vers ses vieux modèles du XV II'' siècle;
là , un champ illimité s'est ouvert à ses conquêtes , et sa
gloire y trouve une mine inépuisable.
Lorsque , eu France , Racine et Voltaire eurent touché
aux limites de l'art , il devint impossible aux écrivains fran-
çais de remonter à des modèles plus riches et plus parfaits.
La tâche scolaire de l'imitation classique une fois termi-
née, ils ne pouvaient recourir à leurs pi^emiers poètes, et
puiser dans leurs chants cette mélodie continue de l'ame ,
qui résonne sous le double ressort de l'imagination et du
sentiment. Ainsi, se voyant tout-à-coup à la fin de leur
carrière, i!s n'ont plus eu qu à déclarer qu'ils avaient at-
teint la perfection , et il ne leur est resté d'autre soin que
celui de déchoir le moins possible de la hauteur à laquelle
ils s'étaient élevés : il en est résulté que la poésie française,
pendant la plus grande partie du dernier siècle , est de-
meurée slalionnaire , même sous la plume de Voltaire ; et
que , depuis sa mort . elle n'a fait que déchoir et s'éteindre.,
lyi De la poésie
destinée à ne jamais dépasser les bornes qui lui ont été assi-
gnées par les beaux esprits et par les critiques du siècle
de Louis XIV.
L'extrême agitation produite par la révolution j les pas-
sions qu'elle excita ; les primes qu elle semblait offrir aux
talens de tout genre ; la vaste carrière qu'elle ouvrit à Tam-
bition de tous les citoyens, semblaient devoir rompre le
charme léthargique qui pesait sur le génie de la nation , et
ouvrir un champ nouveau à l'inspiration poétique. Mal-
heureusement la révolution ne produisit pas cet effet ; ses
jours atroces, voués au deuil et à la terreur, ne laissèrent
dans les cœurs aucune place à ces douces énaotions , sources
fécondes de poésie j et , sous Napoléon , les devoirs de la
guerre absorbèrent les jeunes talens qui s'élevaient, tan-
dis que la sévérité de sa domination militaire réprimait
ce noble enthousiasme qui avait inspiré les chants de
triomphe d'un peuple libre. Ce n'est que depuis sa chute ,
que le retour de la paix a forcé les esprits ambitieux à une
autre lutte que celle des armes, et que les divisions survenues
dans i'opinion publique ont exalté et enflammé les âmes à un
degré jusque-là inconnu ; aussi la poésie est-elle devenue un
objet national , et a-t-élle reconquis , au service des partis
opposés, une portion, non de son élégance, mais du moins
de sa chaleur.
C'est sur la scène que nos poètes modernes ont fait un
appel aux sentimens et aux préjugés populaires. En effet,
le théâtre a toujours été le temple consacré à la muse fran-
çaise ; soit qu'elle fut convaincue que les accords qu'elle
inspirait exigeaient ie secours d'une pompe scénique, d^une
déclamation pleine de grâce et de dignité, et les élans
d'enthousiasme d'une multitude assemblée ; soit plutôt
parce qu'il n'est point d'auteur français qui ne soit charmé
de s'entendre déclamer devant un brillant auditoire , et de
respirer en personne la vapeur enivrante d un encens qui
en France. î^5
s'exhale des cœurs et clos voix de ses admirateurs. La
situation actuelle du pays ajoute un motif [jlus puissant à
celte prédilection. A Paris, !e théâtre a toujours été l'ap-
pât le plus entraînant des son liniens populaires. Là, toute
allusion fausse ou éloignée aux événemens passés . aux
<liscussions d'une? importance nationale , est saisie avec une
extrême avidilé et devient Foracle de l'opinion , et cela ,
souvent sans que l'auteur y ait pensé ; parfois même
les auditeurs lui attrihuent des allusions qui n^ entrèrent ja-
mais dans sou esprit. Ainsi, par exemple, à la représen-
tation des T-'tpres Siciliennes , de M. Delavigne', une simple
phrase qu'il protestait n'avoir été qu'accidentelle, fut consi-
dérée comme une insinuation politique , et fit !e succès de
la pièce et de l'auteur.
Toutefois , les écrivains ne se montrent pas toujours
exempts de l'esprit de parti, qui cherche un appui dans
;curs ouvrages. C'est au contraire vers ce facile et dange-
reux moyen de popularité qu'ils dirigent pour la plupart
leurs efforts et leurs talens. Prenant d'ordinaire une part
très-vive aux violentes discussions qui agitent malheureu-
sement son pays, le poète se les exagère, ou du moins
s'exalte à leur idée, et la passion de l'indépendance , l'amour
de !a patrie, la haine de l'influence étrangère, deviennent
le sujet de ses vers.
Sur la scène, la politique a maintenant usurpé la place
occupée par l'amour. Comme celte passion, elle se mon-
tre en premier.' ligne, mais avec beaucoup plus de dan-
ger. Il est beau que ie théâtre soit pour nous une école de
patriotismej mais îorsquMl devient l'arène des antipathies
nationales , il est dégradé de sa noble destination. Malheu-
reusement telle nous paraît être la mode du jour. Exercer
à la vertu notre sensibilité, n'est plus en France l'objet de
la tragédie, et sur ce point , la définition do Blair est en
déhuit. [i'ancieu système esl abandonne, ses sujtls no sont
174 ^^ l^ poésie
plus tirés de Vbistoîre ancienne (i), et, sous ce rapport,
l'exemple des meilleurs auteurs français est méconnu. Cor-
neille et Racine dédaignèrent l'histoire de leur pays ; Vol-
taire lui-même n'a pas écrit une tragédie nationale ; car ,
bien que dans Adélaïde du Guasclin et dans Zaïre , ou
trouve des noms français , le sujet en est fabuleux ; la Harpe
et Ducis suivirent les anciens mo èles. Il était réservé à un
poète d'un ordre inférieur de faire la première épreuve du
système qui domine aujourd'hui. On pardonna àDubelloy
rincohérence , la complication de ses plans et la rudesse de
son style, en faveur des élans de patriotisme excités par le
Siège de Calais et Gaston et Bayard.
L'esprit de parti ouvrit bientôt un vaste champ aux pro-
grès de ce système , et le nom de patrie, toujours si fécond
en inspiration , mais qui l'est plus encore dans les jours
de lutte pour les droits nationaux , fut destiné à exercer en
France sa magique influence. Notre intention n'est pas de
( 1 ) Les deux trage'dies de Sylla et de Régulas sembleraient , par leur
litre , faire exception à la règle ; mais ces pièces y rentrent à quelques
égards. Leur obiet est simplement de représenter Napoléon dans deux
situations remarquables , son abdication et son bannissement ; du
moins les spectateurs l'ont généralement pensé. Dans Sylla, Talma a
cherché à le copier jusque dans sa coiffure , et l'effet en est prodigieux.
Ob assure qu'après la première représentation , la police défendit à
cet acteur de tenir ses mains derrière le dos , à l'instar de Napoléon ; '
une considération d'un autre genre força les censeurs à supprimer les
passages sulvans du rôle de Sylla :
C'était trop peu pour moi des lauriers de la guerre ;
Je voulais une gloire et plus rare et plus clière.
Home en proie aux fureurs des partis triomphans ,
Mourante sous les coups de ses propres enfans,
Invoquait à la fols mon bras et mon génie ;
Je me fis dictateur, je sauvai la pairie ,
J'ai souverné le monde à mc> ordres soumis ,
Et j^impose silence à tous mes ennemis \
Leur haine ne saurait atteindre ma mémoire ,
J'ai mis entre eux et moi l'abîme de ma gloire.
en France. i^5
tliscutpr le mérite politique ou dramatique de ses tragédies
actuelles ', mais seulement de domier au lecfeur une idée
générale de l'état présent de la poésie chez nos voisins ,
abstraction faite, autant que possible , et des particularités
de leur système dramatique et de l'influence de leurs, dis-
sentions intestines.
C'est diaprés ces principes que nous choisirons les trois
ouvrages capitaux de MM. de Lamartine, Casimir Dela-
vigne et de Béranger, comme représentant des diverses
nuances d'opinion auxquelles ils se rattachent.
Le mérite de ces trois ouvrages a été généralement ap-
précié j tous les parus rendent justice à l'élévation de sen-
timens qui caractérise M. de Lamartine, à l'énergie de
Casimir Delavigne, à l'esprit et à la gaîté de Béranser. Le
premier peut être considéré comme le représentant poéti-
que de la haute aristocratie j le second comme l'oracle de
l'indépendance, le champion de la nationalité, le barde
des libéraux ; le troisième comme le poète du peuple. De
toutes ces qualifications , la première est peut-être la seule
qui soit arbitraire et gratuite.
Les Méditations poétiques consistent en une vingtaine de
pièces , où le poète s'abandonne à ses réflexions sur divers
sujets qui touchent à la métaphysique. Le caractère général
qui les distingue est une pieuse mélancolie ; elles émanent
>3videmment d'une ame possédée de l'enthousiasme reli-
gieux , la source de poésie la plus noble et la plus féconde j
mais cet enthousiasme,* bien qu'il ait parfois ses écarts , se
montre toujours exempt de violence. On remarque, dans
les Méditations , cette solennité de sentiment qu'on admire
dans les chœurs iS! Athalie et diEsther., poèmes parfaits , où
Ton voit, en quelque sorte, la piété la plus pure couler
comme un ruisseau limpide de l'anie du poète, plutôt que
ces vagues éclairs d'inspirations , qui perçaient à travers le
fougueux délire de T^ebrun. Mais, ce qui dislingue surtout la
in6 De la poésie
poésie de M. tie Lauiai'tiiie, c'est la hardiesse de sa versilica-
tion , qui n'a pas peu scandalisé les écrivains de la vieille
école, et n'avait jamais été portée aussi loin ; c'est peut-être
aussi de fréquentes et heureuses irrégularités dans la cons-
truction de son vers. A la p ace de cette claire insipidité ,
qui caractérise en général ies poèmes français, les siens se
distinguent par ce mélange de vague et de profo;^deur qui
produit tant d'effet dans ce genre de composition , lors-
qu'il se fait sentir ( selon l'expression d'un auteur français )
comme l'awe, et non comme le corps du vers.
Un gran ! tnérite de M. de Lamartine ( ses compatriotes
diraient peut - être une Jante ) , est , selon nous , dans les
emprunts assez nombreux qu'il a faits .inx auteurs anglais,
Kous ne saurions contester que la poésie française n'ait le
droit de s'enrichir en les imitant et en naturalisant leurs
pensées dans son domaine. Une expatriation volontaire ou
forcée des inspirations originales de nos écrivains ne peut
empêcher qu'on ne reconnaisse leur sol natal. Cette origi-
nalité formera toujours le premier caractère de notre lit-
térature, et nous ne manquerons jamais à l'étranger de
critiques, ni de consuls pour nous en faire honneur. M. de
Lamartine peut en ce genre , et sans que nous ayons à
craindre les protêts, tirer autant de traites sur nos poètes,
que les écrivains français et lui-même l'ont fait sur ceux Av.
l'antiquité. Au surplus, sur ce point, l'exemple de leurs
grands poètes doit servir d'excuse à ceux d'un ordre infé-
rieur ; M . de Lamartine n'apparliébt pas à cette dernière
classe ; nous espérons même qu'il s'élèvera au premier
rang ; nous le considérons en ce moment comme le plus
distingué des poètes français vivans, et pour en juger il nous
suffira de citer les extraits de ses mei leures Méditations.
( Ici l'auteur anglais transcrit eti entier /a 4*^ Méditation,
intitulée WnwworlaVilé, et celle intituIéelàGloire, adressée à
lin poète exilé : cl il ajoute : )
I
en France > ij']
('.elles, ces stances admirables sont les productions d'un
génie noble et indépendant ; dans la pièce intitulée /s Golfe
de Bayes , si remarquable par la mélodie de la versification,
les vers suivaiis nous ont surtout frappe :
O de la liberté vieille et sainte pali-ie!
Terre autrefois fe'condc en sublimes vertus ,
Sous d'indignes Césars maintenant asservie,
Toh empire est tombé, tes héros ne sont plus!
Mais dan* ton sein l'ame agrandie
Croit sur leurs monumens respirer le génie ,
Comme on respire encor dans un temple aboli
La majesté du Dieu dont il était rempli !
Passons aux élégies de M. Deîavigne. I/aiiteur dit, dans
un court avertissement : « J'ai cru pouvoir emprunter a
M Barthélémy le titre de Messénïennes, pour qualifier un geiu'e
« de poésies nationales qu'on n'a pas encore essayé d intro-
j) duiredans notre littérature. » Sans disputer avec îui-sur If
choix, de ce litre, nous avouerons que la vigueur et Tenthoù-
siasme qui distinguent son style et sa manière de sentir, for-
ment un contras !e frappant avec l-^ faire de son riva!. îi' ins-
piration que l'on puise dans la pieté, l'autre la tire du pa-
triotisme. L'amour du pays et la haine des étrangers ont
conduit naturellement M. Deîavigne à des observations
aussi fausses en point de fait, qu'admirables en poésie ; mais ce
qui domine dans ses écrits, c est l'éuergique effusion d'une
sensibilité exaltée, qui jaillit comme un torrent d'une ame
profondément pénétrée de l'amour delà liberté ctdcluhaiuc
de resc'avage, et à qui il faut pardonner de rOmpreses digues.
M. de Bérangçr a en, pour devenir célèbre, un avan-
tage qui manquait à iViM. Deîavigne et de Ijamartinc j
il a été poursuivi, condamné et prohibé : n'est-ce pas
dire qu'il est plus populaire que les autres? Des milliers
d'exemplaires de ses chansons se sont écoulés en quelques
semaines, et grâce au goîtt qu'on a, surtout en ]Illéralur<?.
j . I (')
in8 ^e la poésie en Frcince.
pour le fruit défendu, obtenir une copie do ces précieuses
satires , était une faveur qu'on n'obtenait pas toujours à prix,
d'argent ; nous devons à un agent plus puissant Texemplaire
qui est sous nos yeux. TVous nous empressons de donner, sans
commentaires, quelques échantillons de ces morceaux
pîquans, que l'auteur a si bien assaisonnés au goût du pidilic.
( ici l'auteur cite les chansons intitulées : les Révérends
Pères, la Requête présealéa par les Cliiens ds qualité,
pour obtenir l'entrée libre au jai'din des Tuileries, et deux
coupLts du Dieu des bonnes gens. )
A ces brillantes exceptions près , il faut reconnaître que
la poésie française est aujourd'hui sur son déclin. Presque
tous les poètes s'occupent exclusivement de tragédies ; pui-
sant leurs sujets dans les anciennes annales de leur pays ,
c'est moins au cœur humain qu'aux passioiis politiques
qu'ils s'adresseut. Des phrases pompeuses sur le patriotisme,
cjes tirades véhémentes contre 1 influence étrangère , font
tous les frais de leurs succès. Les spectateurs les accu^iVent
avec transport ; mais ils sortent rarement attendris.. De
vigoureux applaudissemens, de vives acclamations , son! les
palmes d'un auteur qui, au lieu d'émouvoir les afifeclions
sympathiques et de faire couler de douces larmes, ne s'at-
tacîie qu'à prodiguer l invective et à nourrir des haines
uationales. Ainsi, le public et le poète font un duuble
échange d'adulation pour eux-mêmes, d'injure contre
l'étranger,: l'un offre uu aliment au sentiment dirritatitm
qui distingue cette époque j l'autre outrage incessamment
la digniié de la poésie. Ainsi le goût se corrompt, le talent
fait fausse route ; un appétit morbide appelle les stiraulans
les plus pernicieux , et la main qui les administre languit
sans pouvoir pour une plus noble destination. Mais, quelque
dégradée que soit la poésie en France, il s'y trouve en-
core des âmes accessibles à de sublimes inspirations. Les
erreurs que nous déplorons prouvent qu'il y existe de
Obseri-'ations pratiques sur l'éducation des peuples. 1 79
l'enlhousiasme , une sensibilllé profonde et des seulimens
élevés. Ce scnl à les mel leurs atlribuls de la poésie. Nous
pouvous espérer qu'ils l'elèveront celle de la France de su
abaissemeat actuel. i Revue d'Edinbourg).
MÉLAN(iES.
OBSERVATIONS PRATIQUES SUR l'ÉDUCATION DU PEUPLE ,
ADRESSÉES AUX CLASSES OUVRIERES ET A CEUX QUI LES
EMPLOIENT ;
P.\R M. KROUGHAM (l).
Jamais, depuis la découverte de Tiniprimerie, le corps
sncial n'a reçu de bienfait plus signalé , que celui des insli-
(utions à l'examen desquelles M. JBrougham a consacré
son livre. Rien de plus admirable que ia clialeur, la sim-
plicité et la sagesse expérimentée qui distinguent les
vues de l'auteur. De tous 'es titres d'honneur rassemblés
sur sa tête, nul n'est plus digne d'envie que celui qui se
fonde sur les services qu'il a rendus à la cause de l'éduca-
tion. De tout le bien quU a fait, celui-là est le plus fécond
et le plus incontestable j la gloire qu'il en a reiirée est pure
de tout esprit de parti ; elle ne lui a pas même été disputée.
Oràces lui soient rendues surtout pour ses travaux récens
en faveur des écoles d'ouvriers I Dans son mémorable
exposé de l'abus des charités publiques , il était animé ,
autant par une juste indignation que par le plaisir de
triompher de l'opposition redoutable qu'il rencontrait dans
( i ) Pracfical Ubserçatiuns upon the éducation ofthe pcople, adres—
sed to tke working classes , nnd their employers. IJy H. Brouc;ham,
Ksq., ia-i2, 33 j>p. London.
1 !>o Obse?çaliOiis pratiques
1 indolence et la corruption de certaines classes 3 ici, il
u'a clé 8x.cilé que par rhinnauité, par cet avant-gout su-
blime de l'amour el de -a reconnaissauce de la postérité ,
qui soutient les amis sincères de la patrie, lorsque , dans le
silence, ils travaillent à assurer le bonheur de leurs conci-
tojens, sans enflaoïnier leurs passions, ni capter vlo-
len^menl leurs suffrages.
Voici comment cet ouvrage est terminé :
« Il est inutile, dit Bl. Brougham, que je combatte, en
fin'«sant , îes objections de ceux qui , par des motifs politi-
ques , s'opposent à ce que Tinslructiou se répande dans
les classes industrielles, et je me félicite de n'avoir point
à remplir celte tâche pénible. Il n'est plus le tems où les
faux dévots pouvaient persuader aux hommes qu'il fallait
xneiWe sous leboisseauXes lumières de la philosophie, comme
dangereuses à !a religion, et où les tyrans proscrivaient,
comme ennemis de leur pouvoir, les citoyens voués à l'ins-
truction du peuple. On sent aujourd'hui l'absurdité de
croire que la science des lois qui régissent runivci's dispose
à l'incrédulité 5 mais elle est le remède le plus sûr de la su-
perstition et surtout de l'intolérance. INon , la pure , la vraie
religion n'a rien à craindre des lumières que l'entendement
humain peut tirer de l'étude de la matière oudel'ame;
plus la science se répandra, mieux l'auteur de toutes
choses sera connu , moins le peuple sera le jouet des fourbes
et des imposteurs. C'est ]pour les tyrans et les mauvais gou-
vcrnemens que les masses éclairées sont un objet de terreur,
la lumière est fatale à leur despotisme, cl ils le savent bien;
mais il leur est plus aisé de la maudire que de l'éteindre.
Elle s'étend, eu dépit d'eux-mêmes, dans le pays où le
pouvoir arbitraire semble le plus affermi; et, en Angle-
terre, le moindre effort pour arrêter ses progrès entraîne-
rait la ruine soudaine de celui <[ui serait assez inscusé pour
le tenter.
sur l'éducation des peuples. 1 8 1
» Je dirai doue aux hautes ciasses de la société que la
«|iieslion n'est plus de savoir si le peuple sera instruit; elle
est irrévocablement résolue j mais s'il sera bien ou mal ins-
truit j s'il aura droit à une demi-instruction , ou bien à
toute celle que réciament sa position et ses besoins. Qu'on
ne s'efFraie point de voir la masse du peuple trop éclairée
dans ses rapports avec ses supérieurs. De simples ouvriers
peuvent se distinguer par leur éducation, se livrer même
à l'étude des hautes sciences. Quel en sera le résultat?
celui de forcer leurs maîtres à mériter leur supériorité de
position, en acquérant eux-mêmes des connaissances plus
solides et une éducation plus forte. Ou agrandira l'enceinte
de nos collèges, et plusieurs de nos grand s cités, spécia-
lement la métropole, ne sex'ont plus dénuées de moyens
réguliers de fournir à leurs habitaus toute l'instruction
qu'i's peuvent désirer.
» Je dirai à îa classe des artisans que le tems est arrivé ,
où elle peut, en faisant un grand effort, s'assurer pour
toujours l'inappréciable bienfait de l'instructioiî. Jamais les
riches n'ont été plus disposés à leur eu faciliter les moyens;
mais aussi le peuple doit profiler de l'opportunité des cir-
constances , et suivre le mouvement imprimé par les
hautes classes à l'éducation populaire. Ceux, qui , déjà
lancés dans la carrière , ont savouré les fruits de la
science , n'ont plus besoin qu'on les exhorte à persévérer^
mais si ces pages tombent dans les mains d'un ouvrier , dans
les momens de loisjr qui lui restent nécessairement après
les travaux de la journée , je ne lui demande d'autre ré-
compense ( moi qui , à toutes les heures , ai écrit pour sou
bien-être ) , que d'économiser Xvoh peuces , le jour suivant ,
d'acheter la vie de Fi'ankHn et d'en lire la première page.
Je suis sûr qu'il lira le reste , et qu'il consacrera son tems
et 'ses épargnes à acquérir les connaissances qui , d'un
f'fircon imprimeur , ont lait le plus granil pliilosnphe^
1 82 Extrait des dépositions
et Tuu des plus grands hommes d'état de sou siècle. Peu
d'hommes, sans doute, sont destinés à s'élever à sa hau-
teur ; il n'est point nécessaire ce se diriger dans la vie avec
cette parfaite régularité , avec celte rigide économie de
tous ses inslans ; mais tous peuvent faire honne route, en
étant, comme lui , sohres, actifs et studieux; et nul ne
peut dire, avant d'avoir fait cet essai, jusqu'à quel point
il est capable de se rapprocher de son modèle. »
Le livre de M. Brougham est court; mais il est plein , et
nous serions bien trompés s'il n'acquérait pas cent fois plus
de publicité que l'extrait que nous en donnons.
EXTRAIT DES DEPOSITIONS FAITES DEVANT LES COMITÉS
DU Parlement Britannique, no3imés dans les ses-
sions DE l8'24 ET 1825, POUR ÉTABLIR UNE ENQUETE
SUR l'État de l'Irlande.
Vendredi, ce 25 mars 1825, sous la présidence de lord
vicomte Palmerston , le très- révérend père Jacques Ma-
gaurin , docteur en théologie, évèque du diocèse d'Amagh,
est appelé et interrogé.
Demande. Avez-vous connaissance de certaines commu-
nications qui cnt eu lieu en iy88, entre les catholiques an-
glais de ce royaume et quelques vmlversités étrangères ,
touchant l'autorité du pape? — Réponse. Oui, j'en ai quel-
que souvenir.
D. Sur l'invitation de M. Pitt, les catholiques anglais
n'out-ils pas soumis , dans le cours de celle même année ,
certaines questions à ces imlversités? — R. Je me rappelé
ce fait. On s'en entretenait beaucoup au collège irlandais
de Salamanque, quand \y arrivai, en 1789.
faites devanL les comités du Parlement'. i85
D. Voici ces questions : i° Le pape, les cardinaux, ,
M aucun corps ou individu, faisant partie de Téglise de
M Rome, exercent-ils de droit aucune autorité , pouvoir,
)3 juridiction • ou prééminence civiles quelconques dans
« l'empiré Britannique? a° Le pape, les cardinaux , au-
» cun corps ou individu , faisant pi-rlie de l'église dePvome ,
r> peuvent-ils, sous quelque prétexte que ce soit, délier
» les sujets de ce royaume de leur serment d'alie'geance
» au souverain? 3° Existe-t-il dans la religion catholique
» aucun point, de doctrine , d'après lequel le catholique
» soit dispensé, comme homme public ou comme simple
» particulier, de garder sa foi envers les hérétiques ou au-
» très individus professant des opinions religieuses, antres
» que les siennes. » Où doivent se trouver les réponses
qui ont été fnites à ces questions ? R. Je crois que ces
questions furent soumises aux universités de Salainanque,
d'Alcala et de Valladolid , ainsi qu'à celles de Paris, de
Louvain et de Douai , et que toutes y firent les mêmes ré-
ponses , au moins en substance.
D. Les réponses ne sou'.-eiles pas comprises en détail
dans les Mémoires de M. Buder? — R. Je crois qu'oui.
D. La doctrine que contiennent ces réponses cst-e le
admise par les évèques catholiques d'Irlande? R. Oui,
elle l'est également par les laïques catholiques de ce pavs.
Je crois même que ces décisions ont servi de base au ser-
ment d'a'légeance qui a été dressé pour eux.
D. Ne joignit-on pas un précis de ces réponses à l'adresse
du comité catholique, publié en 1793? — R. Je cnns
qu'oui.
D. Avez-vous lu ces décisions? — iï. Oui, et j'y souscris
de toute mon ame.
D. La pièce que vous avez dans ce moment devant vous,
est -elle un précis des réponses dont il s'agit? — R
Oui.
iH4 • Extrait des dépositions
Précis de la rc'po?ise faite par la Faculté de théologie do
Paris aux questions énoncées ci-dessus.
Après un préambule dans les formes usitées par 1 Uni-
versité de Paris, la première question est résolue en ces
termes : « Ni le pape , ni les cardinaux , ni aucune congré-
j) gation , ni aucun individu , faisant partie de l'église ro-
» maine, n'exerce, en vertu d'aucune autorité, pouvoir,
» juridiction ou prééminence quelconques, d'institution di-
» vine , inhérens à leur personne, à eux départis ou à eux
» appartenant de quelque manière que ce soit, aucune
» autorité, pouvoir, juridiction ou prééminences civiles ,
» dans aucun royaume , et par conséquent aucun privilège
)) de ce genre dans l'empire Britannique. La Faculté de
» théologie de Paris a toujours professé cette doctrine; cl'c
» l'a maintenue en toute occasion, et elle proscrit rignureu-
» sèment de ses écoles toute doctrine contraire.
Réj onse à la deuxième question. « Wi le pape, ni les
» cardinaux, ni aucun corps, ni aucun individu, faisant
» partie de l'église de Rome , ne peuveut , par la vertu des
» clefs de saint Pierre, délier ou affrauchir les sujeïs tXu.
» roi d'Angleterre de leur serment d'allégeance envers
» lui.
» Cette question et celle qui la précède , se lient si inli-
M mement entr'elles, que la solution de l'une est uaturellc-
» ment et nécessairement celle de l'autre.
Réponse à la troisième question. « T/église catholique
» n'admet point la doctrine d'après laquelle le catholique
» serait dispensé de garder sa foi envers les hérétiques ou
n schismatiques , la maxime qui permet de violer sa foi
» envers les hérétiques , répugne tellement à tout principe
» d'honnêteté et spécialement aux opinions dis catholiques,
» qu'il n'est rien dont ils aient eu plus à se plaindre que
)- de la méchanceté des protcslans qui la leur ont altrihuée.
J
faitts daçaTht les cuniiU's du Parlement. iSl;
» Donné à Paris, dans rass(nnbl«îe générale, tenue ce
» jeudi onzième jour, avant les calendes cîe mars 178L). »
( Signé ,etc. - etc. )
Université de Lvuvain.
« La faculté de théologie de Louvaiu, appelée à donner
5) la solution des questions ci-dessus énoncées , le fait avrc
» empressement; elle s'étonue toutefois qu'à la lin du
» XVII I"^ siècle, de pareilles questions soient soumises à un
» corps savant par des habitaus d'un royaume qui se fait
» g!oire d'avoir produit tant de sujets distingués par leurs
w talens et leurs lumières. La faculté . rassemblée pour
» l'objet ci -dessus, s'accorde à l'unanimité à répondre néga-
» tivement à la première et à la seconde de ces questions.
« La Faculté ne se croit pas obligée de développer ici
» les motifs sur lesquels sa solution est fondée , ni de citer
» les passages de l'Écriture-Sainle, et les écrits des Pères
» qui sont à l'aj^pui ; cela a déjà éié fait par Bossuet , par
)) de Marca , par les deux Barclajs , par Goldast , [lar
» les deux Pilhou, par d'Argentré , par Widringben, et
» par S. M. le roi Jacques I" dans sa dissertation contre
» Bellarrain et du Perron, etc. , etc.
» La Faculté déclare ensuite que le pouvoir souverain
» de l'état n'est subordonné ni directement, ni indirecte-
» ment à un autre pouvoir, fût-ce même un pouvoir
» spirituel, lequel a été institué uniquement pour le salut
» des âmes ;
n Qu'aucun individu ou réunion d'individus , quelqu'é-
» levés qu'ils soient, en puissance ou en dignité, (luc
» même le corps universel de l'église catliolique assemblé
« en concile général, ne peuvent, sous quelque motif ou
» prétexte que ce .soit , affaiblir le lien qui unit le souverain
n à ses peuples , encore moins affranchir ces derniers d(^
» Iciu" serment d'allége;mce.
i. ,7
i86 Extrait des dépositix)iis faites aux comités , etc.
» Passant à la troisième question , la Faculté de théologie ,
M étonnée qu'une pareille question lui soit soumise , répond
» de la manière la plus formelle qu'il n'existe pas et qu'il
M n'a jamais existé chez les catholiques ou dans les doc-
>> Irines de l'église de Rome , aucune loi ou principe qui au-
» torise le catholique, soit comme homme puhlic, soit
» comme simple particulier , à manquer à sa foi envers les
» hérétiques ou autres individus professant une croyance
» autre que la sienne. La Faculté déclare que , selon la
» doctrine des catholiques , la loi divine et naturelle qui
« impose à chacun l'obligation de garder sa foi et de tenir
» ses promesses, reste la même, qu'elles que soient les
» opinions religieuses de ceux avec qui ils ont contracté.
M Fait et signé, etc., etc., ce i8 novembre 1788. «
Université de Valladolid.
On répondit aux trois questions :
" 1° Que ni le pape , ni les cardinaux , ni môme un con-
» cile général de l'église, n'avalent autorité, pouvoir, ju-
» ridiction ou prééminence civile directement ou indirec-
» tement , dans le royaume de la Grande-Bretagne, ni
» dans aucun autre royaume ou province, où ils ne seraient
» point saisis de la puissance temporelle j
» 2" Que ni le pape , ni les cardinaux , ni même un con-
» cile général , ne peuvent délier les sujets de la Grande-
» Bretagne de leur serment d'allégeance , ni les dispenser
» de leurs obligations,
» 6" Que l'obligation de garder sa foi est fondée sur la
» loi naturelle qui régit également tous les hommes ,
» quelles que soient leurs croyances religieuses , et que
» cette loi le commande encore plus impérieusement au
» catholique, parce qu'elle se trouve confirmée par les
» principes de sa religion.
5) Signé dans les formes usitées, ce 17 février 1789. »
Analyse des nouifelies propositions , etc. 1B7
Analyse des nouvelles propositions faites par
M. Huskisson, a la chambre des communes, sur
LA réduction des DROITS DE DOUANE.
« Lorsque j'ai proposé à la chambre le bill sur les droits
d'entrée des marchandises étrangères , a dit cet homme
d'état, je me snis entouré de toutes les lumières qui pou-
vaient m' éclairer sur l'utilité de la mesure. Dans ce but ,
j'ai foit un appel à toutes les classes dont elle devait affecter
les intérêts ; et , après avoir mûrement examiné les nom-
breuses observations qui m'ont été adressées , j'ai cru de-
voir apporter quelques modifications aux. propositions que
j'ai faites au mois de mars dernier.
» Je me vois forcé de renoncer à la réduction que j'avais
d'abord proposée sur les droits auxquels sont soumis les fds
et tissus de coton , ainsi que les poteries , faïences et porce-
laines , etc.
» J'avais d'abord proposé de n'assujettir les fils et tissus
de lin , qu'à un droit de 26 pour cent de la valeur que ces
articles ont en Angleterre 5 mais après avoir entendu toutes
les parties intéressées dans cette branche de notre indus-
trie, je me suis déterminé à fixer le droit d'après les prix.
auxquels ces articles se vendent à l'étranger. Mon but a été
de ne point aggraver actuellement la position du manufac-
turier anglais j mais je me réserve d'introduire progressi-
vement, durant les huit années qui vont s'écouler, la con-
currence dans cette branche de production , en opérant
chaque année une nouvelle réduction, à moins que , par
l'introduction de machines plus parfaites et à l'aide de
nouveaux capitaux , nos manufacturiers ne préviennent ce
résultat.
» Je propose sur les verreries des droits plus modérés
que je ne l'avais fait d'abord ; mais , sur ces articles, comme
i88 Analyse des nouvelles propositions
sur les lins, la réduction sera graduelle. C'est également
d'après ces bases que j'ai réduit les droits sur les papiers.
Toutefois, la prohibition qui pèse, en France et dans les
Pays-Bas, sur les produits bruts de nos papeteries, m'a
forcé d'augmenter ces droits de 4 p °/o-
» J'ai pensé qu'il était de l'intérêt des libraires anglais ,
et surtout qu'il importait aux progrès de la littérature et à
ia propagation des connaissances humaines^ que les droits
sur les livres importés fussent considérablement diminués.
» Je passe sur une foule d'autres articles dont les droits
ont été réduits par le bill du aS mars dernier. Je ferai ob-
server , toutefois , que je suis décidé à diminuer encore les
droits que ce bill avait déjà modérés sur 'es chanvres et sur
]ps suifs.
» Mou dessein était de faire exécuter la disposition qui
réduit les droits sur la potasse, à partir du x"^ janvier
procliain ; mais il m'a été démontré que lorsque leur taux
a été élevé, il y a quelque tems, le gouvernement s'était
tacitement engagé à n'y apporter aucun changement avant
six ans \ celte considération m'a déterminé à n'effectuer la
réduction que du jour où ce délai sera expiré.
n Je n'apporterai aucune modification aux droits sur les
l>ois de construction j mais je soumettrai au Parlement un
règlement tendant à empêcher que la taxe ne soit éludée j
ces bois paient 55 liv. et les planches 44 ^i^'- pour chaque
126 pièces. Je n'ignore point que jusqu'ici on a réduit l'é-
paisseur des madriers , pour éluder le paiement du droit
qui pèse sur eux. Quoi qu'il en soit , je me borne à demander
que les fortes planches qu'on obtient de celte manière ,
soient souînises aux mêmes droits que '.es bois de charpente.
j) Le droit sur les bois de la marine, travai'lés dans les
colonies, et qui servaient à la construction des vaisseaux,
d;ins la métropole, a été jusqu'ici de plus de 5o p. "/„, et
vaL'i pourquoi les bols énormes du (Jauada n'ont janinis été
Jattes yar M. Hiiskisson. 189
tl'un grand produit pour l'Angleterre. Je réduis ces droits
;i i5 p. °/o ? et j'ai la fenne conviction que cette mesure
ainsi que toutes celles que je A'iens de proposer, contribue-
ront éminemment aux progrès de notre prospérité nationale.
» Le nouveau système que je recommande aux lumières
du Parlement Britannique, a surtout, en ce moment, le
mérite de l'opportunité. J'ai la ferme conviction que si les
coalitions d'ouvriers , ce grand fléau de notre industrie ma-
nufacturière, ne peuvent être réprimées parles lois, elles
le seront par les facilités accordées à l'importation des pro-
duits étrangers. Il faut que les ouvriers sachent que le con-
sommateur anglais ne saurait être condamné à s'approvi-
sionner à des prix exorljitans, et que la nation entière ne
doit poiàit rester engagée dans la position fâcheuse où la
placeraient les tentatives de quelques hommes , pour em-
])ècher le libre emploi du capital et du travail. Je crois
pouvoir assurer que si les charpentiers de vaisseaux cher-
chent à faire la loi aux armateurs 5 s'ils ne laissent pas les
hommes laborieux et habiles , que réclament nos chantiers,
suivre en liberté l'impulsion de leurs intérêts , le Parlement
permettra l'usage des hâtimens étrangers. La déclaration
(jue je viens de faire concerne également les classes qui ex-
ploitent les diverses branches de notre industrie manufac-
turière j qu'elles prennent garde au piège qui leur est tendu
par quckjues brouillons. Les mesures que je viens de pro-
I oser nous affranchiront nécessairement de l'espèce de
dictature que font peser sur nous les coalitions de la classe
ouvrière, en faisant disparaître les restrictions qui, jus-
qu'ici , ont donné aux artisans de la Grande-Bretagne ,
l'avantage sur ceux de l'étranger , dans la fabrication des
principaux articles de nécessité, d'uli'.ité ou de luxe. S'ils
ont recours à ces coalitions perturbatrices et illégales, qui
nous ont fait tant de mal, la nation n eu restera pas tran-
quille spoctalnce, et elle ouvrira ses ports aux produits
igo Analyse des nouvelles propositions , etc.
industriels des peuples A^oisins. Il est du devoir du Parle-
ment Britaunique d'apprendre à ces hommes abusés , qu'ils
ne sauraient, sans crime, entraver la libre distribution du
capital et du travail. Cette liberté , qui n'existe pas en ce
moment, on l'obtiendra bientôt, non par des lois pénales,
mais par une plus grande concurrence entre tous ceux qui
nous livreront à un prix raisonnable les fruits de leur in-
dustrie. Ces motifs suffiraient pour engager la chambre à
accueillir favorablement des résolutions qui mettent un
terme à un système de prohibition , dont les coalitions d'ou-
vriers ne sont pas les plus funestes conséquences.
» Je désire, a dit M. Huskissou en finissant, réduire,
autant que possible , les droits qui grèvent certains articles
de consommation qui nous sont expédiés par les n^gocians
des Indes orientales. Le droit sur les poivres est, en ce
moment, de 5oo p. "/o ; il est de 2 sh.6 d. ( plus de 3 fr. )
par livre, et la livre ne revient qu'à 5 d. ( 5o c. ). Cette
taxe énorme n'a d'autre effet que de diminuer la consom-
mation et d'encourager la fraude. Je propose de réduire le
droit à I sh. par livre ; cette mesure encouragera l'indus-
trie dans les Indes orientales , et contribuera au bien-être
d'un pays que tant de charges grèvent encore.
Par le bill du mois de mars 1825 , les droits sur les fei"s
étrangers avaient été considérablement réduits ; ceux sur
les vins de France ont été réduits ainsi qu'il suit : à 6 sh.
par gallon ( environ 7 fr. 5o c. ) , et à 6 sh. 6 d. , quand les
vins sont importés sur des vaisseaux étrangers. »
Les propositions de M. Huskisson ont été unanime-
ment adoptées par la chambre des communes et par cell<:
des lords.
NOUVELLES DES SCIENCES,
DE LA LITTÉRATURE, DES BEAUX-ARTS, DU COMMERCE,
DES ARTS INDUSTRIELS, DE l'aGRICULTURE , ETC.
SCIENCES.
Chimie appliquée aux arts. — On est enfin parvenu à sou-
raetlrc à l'analyse le carbone pur. L'échantillon sui' lequel
on a opéré , a été obtenu par le professeur Mac Neven , de
New-York, au moyen du déflagrateur de M. Hares. Il con-
siste en (\eu-s. globules adliérens d'inégales dimensions , de
couleur noire, terne et opaque. Lorsqu'on le frappe, il cède
sans casser, il reçoit le poli du ferj il donne prise à la lime
comme le fer et l'acier le plus tendre ; il est malléable et
obéit aux lois du magnétisme. L'acide nitrique agit vivement
sur lui. L'analyse de ce carbone, faite par M. Vauuxen ,
a donné pour produit un oxlde de fer au maximum et un
peu de silice. La proportion du silice au fer est à peu près
de II à 5.
Indigo. — Nous devons à Bergman l'analyse jusqu'ici la
plus exacte de l'indigo. D'après ses expériences, les meil-
leurs échantillons d'indigo offrent à l'analyse 47 P- °/o de
pur indigo, i2 de gomme, 6 de résine, 22 de terre et i5
d'oxlde de fer.
Une analyse faite postérieurement par M. Chevrcul, sur
le meilleur Guatimala ( Annales de CJiiniie , t. 68 ) , donne
47 p. "/o d'indigo pur. Quant aux matières étrangères qui
s'y incorporent, les résultats de ce chimiste dilTcrent un
peu de ceux obtenus par Bergman. Cette différence s'ex-
plique par la diversité des procédés employés dans chaque
IÇ)'^ Nouvelles des sciences ,
pays pour Textraclioii Je l'indigo , et par k-s variétés de
la plante qui fournit celle matière. L'indigo pur constitue
seul la matière colorante. Trois chimistes de Glasgow,
^IM. Thompsoni, Ure et W. Crum en ont publié l'ana-
lyse. Ils ont tous adopté ie même procédé, qui consiste à
Lrûl.'r dans un tube de verre de couleur verle , une portion
donnée d'indigo mis en contact avec l'oxide noir de cuivre.
L'indigo, étant bien dissous et fondu avec l'oxide , on
chauffe l'appareil au point de consumer le carbone et l'hy-
drogène de l'indigo , et de dégager l'azote. La quantité de
gaz acide carbonique et d'azote produite par l'opération et
la perte que l'oxide subit dans son poids , déterminent les
principes constituans de l'indigo. Les résultats suivans ont
été obtenus.
Le docteur Thompsom a trouvé 4o"^9 ^^ carbone, 1 5-4^'»
d'azote , 4^- 1 5 d'oxigène et point d'hydrogène ; le docteur
Ure, 71-57 de carbone, 10 d'azote, i4"^7 d'oxigène et
5-38 d'hydrogène; et M. Crum, 75-22 de carbone , 1 1-26
d'azote, i5-6o d'oxigène et 2-92 d'hydrogène.
On voit que les analyses de MM. Ure et Crum donnent
à peu près le même résultat, el que celle de M. Thompsom
en diffère trop pour ne pas laisser beaucoup de doutes sur
l'exactitude de leurs expériences.
Point d'ëbullitioîi des liquides. — Il résulte de quelques
expériences et observations récentes que le point d'ébuUi-
tion de l'eau et des autres liquides , n'est point aussi
uniforme sous vm égal degré de pression qu'on l'avait cru
généralement; car il est démontré que si l'on introduit
dans un liquide chauffé quelque corps solide , tels que des
copeaux, Jes fragmens de verre, des particules métalli-
ques, ce liquide entve en ébuUition, c'est-à-dire se vapo-
risera à une température plus basse qu'il ne l'eût fait sans
cette circonstance.
du coinmerce , de l'industrie , etc. iq5
Un procédé semblable a long-tems été pratiqué par les
fabricaus qui possèdent des machines à vapeur, à l'effet
d'augmenter et d'accélérer te dégagement de la vapeur.
Mais il ne paraît pas jusqu'ici avoir été bien compris , et
avoir fixé l'attention; il vient d'élre consigné dans une
notice curieuse, et signalé comme très-avantageux, aux
distillateurs , qui peuvent en faire la plus lieureu.se appîi-
catioji.
STATISTIQUE.
Taxe des panures. — La taxepour l'entretien des pau-
vres a été , dans l'anne'e qui se termine au a5 mars i8ii47
de 6, 855, 655 llv. st. Elle a été inférieure de 94, 55^ liv. st.,
H cel'e de i822-a5 . elde 2, 486, 4io liv. st. , à cellede 181 j,
époque où ce genre de taxe a atteint son maxinuim.
La dépense totale supportée pour !es pauvres, en
1825-24? n'est, au-dessous de celle de 189/2-25^ que de
58, 742 liv. st.
Le lernie moyen de celte dépense, pour les trois années
antérieures à mars i8i5, a été de 6 , 129, 844 l'v st.
Pour les trois années , finissant en 1 8 18 .
de 6. 844^ 290
De 1818 à 1821 , de 7,272.535
Et enfin de 1821 à 1824 , de 3.955,092
La dépense pour les pauvres, en 1825-24, étant de
5,'i54,2i6 liv. st., est plus faib'e que toules celles des
années postérieures à 181 5, et n'excède cellede 181 5 i\\\e,
de9,7ioliv. si.
Dans quelques comtés, la taxe des pauvres a augmenté
en dlver.ses propor lions ; dans celui de Wilts , par exemple,
elle est de 6 p. "/„ ; dans celui de Berksde7 p. % ; dans
d'autres de (i p. "/o, etc.
Le comté deSussex est à cet égard le plus chargé relati-
vement à sa population. Ke comté de Lancaslre est celui
où la taxe esl plus légère.
I. ' 18
igi Noui>elles des sciences f
—^Indwidus détenus dans les prisons d'Angleterre. —
D'après un rapport fait au secrétaire d'état de l'intérieur,
(M. Peel) sur l'état des prisons en 1823 et iSaS, le
nombre des prévenus, écroués , était en 1822, pour
l'Angleterre, de 20,835; pour le pays de Galles, de 200;
et en 1823 , de 25^ pour ce dernier pays , et de 2 1,84.9 pour
l'Angleterre.
Déportés à la Nouvelle-Galles du Sud. — L'almanach
qui s'imprime dans la colonie anglaise de Botany-Bay ou
New South Wales, et qui contient les noms de tous les
déportés arrivés dans cette colonie eu 1824, constate que
leur nombre total est pour cette année degS'^.
COBIMERCE.
Commerce de la Graiide Bretagne. — De l'état officiel
suivant qui a été déposé sur le bureau de la cbambre des
communes , il résulte que le montant brut des valeurs ex-
portées dans le cours de l'année dernière , excède de vingt-
un millions sterlings, celui des valeurs importées dans cette
même année.
Année se terminant au 5 janvier 1825.
Total des valeurs importées dans la Grande-Bretagne,
liv. sterl. 4-1,729,485 sh. 9 d.
Valeurs exportées de la (»rande-Bretagne , savoir :
Liv. st.
Matières premières et objets fabrlque's d'o-
rigine tant irlandaise que britannique. 51,718,60g 17 sb. 8 d.
Matières e'trangères et denrées colonijjes.. ii,5o6,665 8 10
Liv. st 63,225,272 7 6
I
du commerce . de l'indusLrie , etc.
195
Etat de la valeur des matières exportées dans l' Amérique
du sud dajis le cours de trois années se terminant au 5
janvier iSsS.
1823
1825
Valeur des matières exportées de la Grande-Bretagne
dans rAme'rirjue me'ridionale ( y compris le Mexique
et le Brc'sil. )
Produits et objets
manufacturés de la
Grande-Bretagne
et d'Irlande.
3,166,071 II 7
4,219,890 6 2
5,563,434 18 7
Matières étrangères
et coloniales.
122,384 12 5
1 53,666 2 I
3oi,888 8 3
Produit total des
matières exportées.
3,288,456
4,373,556
5,865,323
L'état ci-dessus est tiré d'une brochure qui vient de pa-
raître à Londres , intitulée : a Présent opérations andjuture
prospects qf the Mexican mine association , By sir William
Rawson.n
Celte brochure, dit le Blackwood' s Magazine , du mois
de juin, présente sous un point de vue frappant les im-
menses avantages que TAngletcrre doit retirer, tant sous
le rapport commercial que politique , de ses relations avec
les républiques de TAmérique méridionale.
Commerce britannique du Levant, — D'après les états
du produit des douanes anglaises, qui viennent d'être soumis
au Parlement, le montant des exportations faites au Le-
vant , pour chacune des trois dernières années , est ainsi
qu il suit :
En 1822 972,447 liv. st. 8 sh. 1 d.
iSaS 1,274,2.57 iG 9
1824 i,5()7,5o() 4 II
igG Nouvelles des sciences ,
Les importations du Levant dans les Iles Britanniques
ont augmenté dans !a même proportion. L'existence d'une
Compagnie du Levant a fait jusqu'ici peser un droit de trois
pour cent sur ce commerce , tant en ce qui regarde les im-
portations que les exportations. Mais la suppression de
cette Compagnie fera à l'avenir disparaître ce droit.
Situation des finances de la Compagnie des Indes. — Il
s'est établi depuis peu entre VAsiatic Journal ei Y Oriental
Herald ( le Héraut de l'Orient ) (i), deux journaux pu-
bliés à Londres, une poémique assez animée à l'occasion
de i'Sûvragë de M. J.-B. Say , intitulé : Essai historique
sur l'origine , les progrès et les résultats probables de la
souveraineté des Anglais dans V Inde ^ et de l'écrit de M. de
Sismondi sur le même sujet.
Le li* ii4 de \ Asiatic Journal, qui vient de paraître,
relève quelques erreurs dans lesquelles seraient lombes
iMM. Say et de Sismondi 3 il contient en même teins
l'analyse d'un écrit nouveau intitulé : Financial situa-
tion of the East India company 1824 , hy Georges
Tucker , esquire , sur lequel il s'appuie pour réfuter les
allégations de M. Say, relatives à l'étal financier de la
Compagnie, et son opinion sur l'importance dont les pos-
sessions de l'Inde sont pour la métropole.
M. Say a^ant assuré, dans son Essai historique , que les
finances de la Compagnie présentaient un déficit annuel de
plus de 2,000,000 st. ; V Asiatic Journal lui oppose les états
officiels,- produits par M. ïuckcr , qui embrassent une
période de vingt-buit ans, de 1792 à 1821. D'après ces
éta's, les finances de la Compagnie présentent au contraire
un excédant d'environ a, 000,000 st,
(i)Ons'abonue à ce journal, à ia librairie orientale île MM. Uondey-
Dupre' , père et fils , rue Saint-Louis, n" ^(> , au Marais, et rue Ri-
chelieu , n° 4? '"*•
du commerce , de l'industrie, etc. 197
Il est Jifîicile de rccuei'llr des notions positives sur celle
matière, parce que la Compagnie n'est pas tenue de sou-
mettre tons les ans au Parlement un compte de ses financesj
cependant elle fut oblige'e , en i8i8 , d'en présenter un état
détaillé , à Teffet d'obtenir le renouvellement de son privi-
lège ; c'est à l'aide de ces tableaux que M. Tuckcr a pu
établir un parallèle entre la situation commerciale de !a
Compagnie à cette époque , et sa situation actuelle.
En i8i4-i8i5 , l'actif de la Compagnie était de. 22,787,034 liv. st.
Son passif de. 2,484,270
Balance en faveur de l'actif 20,302,764
De'duction faite du montant des obligations de
l'Inde ( India Bonds ) , ci 4>487, « 70
L'actif se réduit à 1 5, 8 15,094
En 1S22-1823, l'actif de la Compagnie et ùt de.. 26,878,165
Passif 2,252,3o7
Balance en faveur de l'actif. 1 4,625,858
Déduction faite du montant des obligations de
l'Inde , ci 3, 937,72(1
L'actif se réduit à 20,688,12g
Ainsi l'actif de la Compagnie, de i8i5à 1823, a aug-
menté de 5,000,000 1. st., et son passif a diminué dans la
même proportion. En retranchant de celte somme les fonds
nécessaires à ramorlissement de la dette territoriale ,
l'auteur a réduit a 3, 650,595 1. st. , ce qui donne à la
Compagnie un surplus annuel de 4-5o,ooo 1. D'après ce
calcul, de i8a3 à 1824 > ItTine de son privilège, elle
a,ccroîtra ses bénéfices de 459-'^, 000 1. st. Compiète-
ment libérée de ses obligations de llnde , et riche de
'if\,'SoOfOOo liv. , elle pourra retirer cel énorme capital et»
198 Nouvelles des sciences ,
1834 ) ^' Ï6 parlement ne cousent pas à renouveler son
privilège.
M. ïucker analyse ensuite les divers états de situation
de la Compagnie, considérée, soit comme association de
commerce, soit comme puissance territoriale; Texamen de
sa situation, sous ce double rapport, !e conduit aux résul-
tats suivans :
1° En tems de paix , les recettes territoriales de la Com-
pagnie , déduction faite des charges locales et des arrérages
des obligations de l'Inde, peuvent offrir un excédant de
2,000,000 liv.
2° Si Ton en retranche i,5oo,ooo liv. dépenses rela-
tives à des intérêts territoriaux ou politiques , le revenu
net de la Compagnie, provenant de la possession du pays,
sera de 5oo,ooo liv. st.
5° La deite de la Compagnie s'élevait, au 5o avril 1822,
à 3 1,623, -20 liv. st. , ce qui entraîne une charge annuelle
de 1,896,524 liv. st. pour le service des intérêts.
4° Après avoir payé les dividendes de ses actionnaires, les
arrérages des obligations de Tlnde, et pourvu aux frais des
établissemens de tout genre quelle entretient, tant dans la
métropole que dans Tlnde et ailleurs, la Compagnie retire
de son commerce un bénéfice net de 45o,ooo liv. st.
5° Ainsi , le revenu net ; territorial et commercial de la
Compagnie est , eu tems de paix , d'environ un million st. ,
somme dont elle peut affecter une partie à l'acquittement de
sa dette , et l'autre à l'accroissement du capital qu'elle
consacre à ses entreprises commerciales.
6° Depuis le dernier renouvellement du privilège de la
Compagnie , le total annuel de ses recettes s'est accru
annuellemenl d'environ 5, 000, 000 st. , malgré les guerres
qu'elle a eu à soutenir.
M. Tucker, après avoir retracé les circonstances de cette
prospérité financière, fait l'apologie du mode de gouvor-
du commerce , de L'industrie ■) etc. igg
nement adopté par la Compagnie clans ses vastes possessions,
et de son système politique; il ne cr.int point qu'elle abuse
de sa souverainelé , puisqu'elle ne l'exerce que sous une
responsabilité réelle , et dans les limites que défend et
surveille une biérarcliie de ; ouvoirs , qui tous relèvent
du peuple anglais, de la couronne et du parlement bri-
tannique.
Quant à celte fausse philantropie , qui nous inviterait à
affranchir le peuple hindou de tout joug étranger pour le
rendre au bonheur et a la liberté, dit en finissant M. Tuc-
ker, Il me suffit, pour la combattre, d'énoncer cette vérité :
que , quels que soient nos droits sur les peuples de l'Inde ,
nous les gouvernons mieux, qu'ils ne se gouverneraient
eus-mémes, et que notre domination, n'eût-elle d'autre effet
que de prévenir les luttes sanglantes qui probablement s'é-
lèveraient parmi eux, s'ils étaient livrés à eux-mêmes,
devrait être considérée comme un bienfait pour l'humanité.
Iles Philippines. — Une lettre de Manille, du mois de
septembre dernier , insérée dans un journal de l'Ile de
France, nous apprend que cette ville a perdu une grande
partie de son éclat, depuis que Tiodépendance du Mexique
a détruit tout rapport entr'elle et Acapulco , qui lui four-
nissait tous les ans une somme considérable de piastres
fortfs. A Manille, le commerce est nul et l'argent fort
rare 5 les vins, les liqueurs de tout genre, et, en général,
les denrées alimentaires sont soumises à un droit d'entrée
de 5o p. "/o de leur valeur. Les marchandises les moins
imposées paient lo 1/2 p. "/o ^ celles qui viennent d'Es-
pagne, sur des bâtimens de ce pays, sont les seules qui en-
trent en franchise. Le droit de 5o p. "/o a été établi par les
cortès i ou ignore si le roi le supprimera.
y.oo yoiu'eUrs des sciences ,
État drs exportations des tissus de coton et des ùiiiies filées
proveiiantde l'Angleterre, dans le cours destrois dernières
années.
. ) 26,357,070 Liv. st_
I ( 658,t)2(i,8-25 francs.)
Tissus de coton. 23,{)38,26o Liv.
Laines filées. . . . 2,41 8,588
l Tissus de coton. 24,618,588 | 27,245,220 Liv. si.
) Laines fili'es. .. . 2,626,632 j (68i,i5o,5oo francs.)
( Tissus de coton. 26,880,937 ) 30,019,284 Liv. st-
) Laines file'es. .. . 3,i38,357 1(750,482,100 francs.)
Ainsi, le montant de Texportation des tissus de coton et
des laines filées a été de 2,^-^45064 iiv. st. (69,35i,6oo fr. )
plus considérable eu i8ii4 fJuVn iSsS; cette différence est
due principalement aux emprunts de Tétranger, que nous
avons rempli Tannée dernière , en valeurs représentées par
les produits Industriels que nous avons exportés. Ce fait ex-
plique le peu d'activité qui semble régner cette année dans
notre commerce.
Ktr.t des billets de la Banque d' Angleterre en circulation
dans les années iS'^D, 1824 e^ i825.
Du 5 avril iSaS au 5 avril 1824... Liv. st. i8,g84,449 '0 sh. i il.
Du .3 avril 1824 au 2 avril 1825 10,092,009 i4 ''
Moiwemens des ports. — On vieut de soumettre au par-
lement le tableau officiel des bâtimens qui sont entrés dans
les «orlsdc la Grande-Bretagne, dans le cours des années
1822, 1825 et 1824 ; ce lab'eau indique le tonnage de cha-
que bâtiment , et le noaibre de ses matelots; il distingu;'
les navir. s anglais des navires étrangers , en désignant à
quelle puissance appartient chacun de ces derniers.
On n'a présenté au parlement , dans le cours de la ses-
sion actuelle , aucun document plus intéressant que ces
tableaux. Il nous mettent à même de juger de qnelqiie.s-
du commerce , de l'industrie , etc. 20 1
uns des effets produits par les modifications qu'a subies notre
acte de navigation , et d'apprécier les progrès de notre
commerce.
On y volt , par exemple , que le nonil^re des matelots
régnicoles, employés sur nos bàtimens, a été de 98,976,
en 1822; de 112,244 en 1825 5 et de 108,700 en 1824.
Ainsi ce nombre, en 1820 et eu 1824, a été supérieur d'un
dixième environ à celui de 1822.
On y voit aussi que, de 1822 à 1825, le nombre des
matelots employés sur les bâtimens étrangers qui commer-
cent avec nous , s'élève de 28,000 à 42^000.
Il est donc clair que les modifications subies par l'acte
de navigation ont favorisé les intérêts maritimes de la
Grande-Bretagne, bien qu'elles aient été plus utiles encore
à ceux de l'étranger. Mais il suffit que les relations du com-
merce anglais se soient étendues pour que nous ne regret-
tions pas les facilités qu'il a offertes aux autres peuples.
Les états officiels soumis au parlement sont précieux
surtout, en ce qu'ils constatent Is avantages que le com-
merce a retirés, dans chaque payS; des nouveaux rapports
introduits par les changemens faits au code maritime de
l'Angleterre. Nous y voyons que la NorAvège , le Dane-
mark, la Suède et la Prusse sont les pays dont la prospé-
rité maritime a été le plus favorisée par ces modifications ,
el qu'elles ont été moins utiles à ceux dont les Anglais ont
le plus à redouter la rivalité commerciale. Ainsi la marine
norwégienne, qui, dans ses rapports avec eux, n'em-
ployait que 5,000 matelots, en emploie aujourd'hui 0,000
La Prusse en eaiploie 5,826, au lieu de 2^521 j au con-
traire, la France, qui, en i8u2, envoya dans les ports
7,694 matelots, n'en a envoyé que 7,4^7 en 1824, ^^ ^^
marine marchande des Ltats-Unis, qui desliuail 6,000 ma-
telots à ses expéditions pour le même pays , a réduit au-
jourd'hui ce nombre à ■■>.4oo 11 est vrai que le rommrrce
I. .9
202 Nouvelles des sciences ,
de celte republique avec l'Irlande occupe aujourd'hui 4oo
matelots de plus qu'en 1822^ mais les émigrations e'tant
très multipliées dans cette [ortion de l'empire britannique ,
on peut croire que quelques-uns des matelots de'signés
comme américains sur les registres de bord sont réellement
irlandais.
Au demeurant , les étais officiels dont nous parlons pré-
sentent des résultats très-satisfaisans.
— liCS fabricans de Nottiugbam ont présenté dernière-
ment, à la chambre des communes , une pétition pour de-
mander le maintien des lois actuelles , qui interdisent l'ex-
portation des machines.
Voici quelques particularités tirées de cette pétition :
« Les métiers pour le tissage des bas de coton , furent in-
ventés en 1 589 ; dans les deux cent trente-six années écoulées
depuis celte époque , les fonds employés à Tachai de ces
métiers, sont estimés à 476,000 liv. st. ( 11,900,000 fr. );
et ceux employés comme salaire des ouvriers qui s'en ser-
vent, sont estimésà ^oomillious st. (5, 750,000,000 fr.)
» T^es premières pétitions contre l'exportation des ma-
chines furent présentées au parlement, avec des pièces
justificatives, parles fabricans de Nottingham , en 165^,
époque du protectorat de Crovuwell. Elles restèrent alors
sans effet. Chai^les II accueillit favorablement ces mêmes
demandes , lorsqu'elles furent renouvelées à l'époque de
la restauration. Mais ce n'est que soixante ans plus tai'd
qu'on publia des lois prohibitives de l'exportation des
machines.
» Le nombre des métiers employés actuellement à la fa-
brication des bas de coton tant en Amérique que dans les
différeus pays de l'Europe , est estimé ainsi qu'il suit :
Aux Étals Unis d'Amérique 1 20
En Espagne , de 200 à 25o
du commerce-, de l'industrie., etc. 'u^b
Eli Allemagne , en Danemarck , en Suètlc , en
Prusse cl en Russie > • 5,5oo
En Italie 2,5oo
En France . de 8,000 à Q5O00
Dans la Grande-Bretagne et en Irlande 55, 000
— Les compagnies anglaises qui se sont formées depuis
peu, et dont les actions , pour la plupart , sont négociables,
s'élèvent au nombre de cent quarante-une, dont vingt s'oc-
cupent seulement d'entreprises relatives à T Amérique. La
Compagnie , pour reucouragenient du travail par mains
libres sous les tropiques ( Tropical Free Labor Company ) ,
annonce qu'elle aura un capital de 4 millions sterlings.
Trois autres destinent cliacuneà leurs entreprises un capital
d'un million et demi sterlings; et vingt-quatre j emploient
chacune un capital d'un miliion. Parmi ces entreprises,
ou en voit figurer une pour Tencouragement des lettres ;
son capital est de 100,000 liv. st. Les capitaux réunis
de tes diverses Compagnies s'élèvent à la somme de
6o,85o,ooo liv. st.
INDUSTRIE.
'Ponts à cordes dans l'Inde. — Ces ponts sont appelés
ponts à cordes portatifs , tendus et suspendus ; quelques
chevaux suffisent pour en transporter les matériaux. Ces
ponts , à la fois champêtres et pittoresques , n'ont , indé-
pendamment des deux piles principales qu'on place à quinze
pieds environ des bords de la rivière et qui forment l(>urs
points de suspension , d'autre support que la force résul-
tante delà tension des cordes. Cette tension est obtenue au
moyen d'une ingénieuse combinaison de cordages gou-
dropnés de difléreutes dimensions , placés transversale-
ment , et dont le volume diminue à mesure qu'ils se rap-
prochent du centre ; c'est sur ces cordages que repose le
2.04 NoiwelidS (les sciences ,
plancher du poat, lequel esl égalemeul, portatif, et se
compose tle liges de Lamlious liées Tune à l'autre. Toutes
ces pièces sont exécutées et disposées avec beaucoup d'a-
dresse, et leur effet est calculé avec une précision matlié-
nialique. Un grand avantage dans ce système, c'est que
si une des coi-dcs casse , on peut la remplacer dans un quart
d'heure, sans que le pont soit endommagé. Le principe de
ces sortes de consîructions est l'action perpendiculaire de
la pesanteur, et il est d'une absolue nécessité de l'appli-
quer dans rinde , où le sol est mouvant, et offre peu de
résistance. Cependant , comme tout le poids de ces ponts
repose sur deux simples points d'appuis . souvent fort
éloignés l'un de l'autre , et n'est point soutenu entre ces
deux distances par des piles ou autres supports, leur
construction est d'une extrême délicatesse. Le pont à cordes
qu'on avait jeté sur le torrent de Bei'aj , durant les der-
nières pluies, avait, entre les deux points de suspension,
cent soixante pieds de longueur sur une largeur de neuf
pieds, et n'était fermé qu'aux voitures très-chargées. Ce
qui caractérise principalement les ponts de ce genre , c'est
la combinai.son de la légèreté avec la solidité , et le con-
cours de chaque partie à l'ensemble du système, rigoureu-
sement calculé d'après les lois de la statistique. Il faut remar-
quer qu'ici le pouvoir de tension est totalement indépen-
dant de celui de suspension .
Grand canal de New-York. — Les détails suivans sont
extraits d'un rapport fait par les commissaires do l'admi-
nistration de ce canal pour l'année 1824 aux actionnaires
de cette entreprise.
On estime que les frais de construction du canal de New-
York, s'élèveront, quand ii sera achevé, à 7,700,000 dollars
( 4 1 ,734 ;POo francs ), dont l'intérêt annuel sera de 4^0,000
dollars (2.276,400). Ce canal a une étendue de 255
du commerce , de l'industrie^ etc. 2o5
milles, [\o pieds de largeur et 4 de profondeur. Le produit
des péages imposés sur sa navigation dépasse déjà l'intérêt
des fonds consacrés à cette immense entreprise. On pré-
sume qu'au moyen de ces péages, ces fonds seront rem-
boursés dans dix ans, et qu'alors le canal produira un
revenu net de i ,600,000 dollars ( 8, 1 5o,ooo fr. ) ; le succès
de l'entreprise eu a déjà déterminé dix-sept du même
genre, dans le seul état de New- York 5 quelqvies-uns des
nouveaux canaux ne seront que des embrauchemens du
grand canal.
Grand canal projeté entre la Manche et la mer d'Irlande.
— Le projet qu'on a formé pour unir la Manche avec la mer
d'Irlande par un canal d'une grandeur extraordinaire, pa-
raît devoir enfin s'exécuter. Ce canal aurait 4o milles
d'étendue et il abrégerait de 4oo à 5oo milles le trajet qui
se fait maintenant en doul)lant le cap appelé Land's-End^
à l'extrémité sud-ouest de l'Angleterre.
Le bill, concernant le projet de ce cana'. , a été favo-
rablement accueilli au Parlement. Le comité chargé de
l'examiner , à la chambre des pairs , en a trouvé les avan-
tages svifBsamment démontrés et en a proposé l'adoption
sans aucun amendement.
Les avantages qui paraissent devoir résulter de cette en-
treprise, sont l'emploi utile d'un grand nombre de bras;
une réduction considérable dans le prix des objets néces-
saires à la vie , par suite des facilités qu'offrirait ce canal ,
et les communications plus promptes qu'il procurerait au
commerce d'L-lande et aux mineurs du pays de Galles.
Dans l'état actuel de la navigation sur ces deux bras de
mer, les bâtimens sont quelquefois retenus, par suite des
gros tems, pendant plusieurs semaines, dans !cs ports ds;
Sy^ansea et de Miljord-llaven.
Société pour l'enseignement des métiers ■, à Calcutta, —
2o6 Noiwelles des sciences^
On forme en ce moment, sous la proteclion de l'évèque
(le Calcutta , une société pour renseignement des métiers
aux enfans des indigeiis. On se propose, dans ce but,
d'envoyer quelques-uns de ces derniers en Angleterre, où
ils apprendront certains métiers , et d'où ils reviendront
ensuite pour les exercer dans l'Tnde , et les enseigner à ses
liabilans ; on en mettra d'autres en apprentissage chez di-
vers artisans établis à Calcutta.
AGRICULTURE. — ÉCONOMIE DOMESTIQUE.
Eau-de-i-'ie de pommes de terre. — Le professeur Oersted
rend compte du nouveau procédé de Siemen pour la fa-
brication de l'eau -de-vie de pommes déterre, généralement
adopté aujourd'hui en Allemagne et dans le nord de l'Eu-
rope , et à l'aide duquel on obtient un tiers de plus d'eau-
de-vie que par la méthode ordinaire j les pommes de terre
sont jetées dans un grand vaisseau fermé, et exposées à
l'action de la vapeur , qui les échauffe plus que l'eau bouil-
lante. On peut ainsi les réduire aisément à une pâte très-
fine , en se bornant à les remuer avec un instrument de fer
à plusieurs dents 5 ou jette ensuite sur cette pâte de l'eau
bouillante, puis une légère quantité dépotasse, à laquelle
on a dû mêler assez de chaux vive pour lui donner un goût
caustique. Ce mélange i^xisovXV albumen végétal, qui s'op-
pose à la conversion complète de la pâte à l'état de liquide.
M. Oersted ôte à Teau-de-vie de pommes de terre sa saveur
particulière , au moyen du chlorate de potasse, qui , dit-on,
lui donne le goût du meilleur brandevin.
Procédé employé -pour Juire pousser lesjleiirs dans l'hiver.
— On coupe, à l'aide d'une scie, une branche d'arbuste ;
on la plonge dans une eau courante, et on l'y laisse tremper
pendant une lieure ou deux , à l'effet de détacher de Té-
oorce le givre qui peut v adhérer , et de ramollir les bour-
du commerce , de l'industrie , etc. lo']
geous j on en transporte ensuite une branche dans une pièce
chauffée à la tempëi'ature ordinaire de nos apparte-
mens. On la fixe verticalement dans un baquet d'eau ; ou
mêle à cette eau de la chaux vive qu'on retire douze heures
après ^ cela fail, on y verse une petite quantité de vitriol
pour prévenir la putréfaction. Au bout de quelques heures
les fleurs commencent à poindre ; les feuilles poussent à
leur tour. Si l'on renforce la dose de chaux , on rend la
germination plus hâtive ; on la retarde , au contraire, si on
n'emploie pas de chaux , et , dans ce dernier cas , les feuilles
se montrent avant les fleurs.
FAITS DIVERS.
f^oiture du chef des Birmans. — Cette voiture magnifi-
que, ornée d'émeraudes, de rubis et de diamaus , est tom-
bée dans les mains des Anglais à Tai'oy ; elle a été trans-
portée depuis peu à Calcutta et vendue à l'encan, -j, ooo
roupies. Cet objet curieux va être embarqué pour ïiOn-
dres : on le destine à une exposition publique ( i ).
Femme briîléc dans l' Inde. Nepaul, le '^janmer. — Lun
des neveux du général indien Beem-Syae , arriva ici vers
la fin de novembre dernier , et il y mourut le 5 décembre.
Le jour suivant on brûla son cadavre, et avec lui, deux
de ses femmes et trois jeunes esclaves du même sexe. Mais
ces dernières n'eurent pas l'honneur de périr sur le bûcher
dont les flammes avalent dévoré le corps de leur maître.
Suivant l'usage du pays, le frère du défunt, tenant so:i
neveu daas ses bras, alluma le jjûchej' funèbre.
Il y a quelques mois qu'une femme, dont le mari aval
tué son amant, s'est précipitée dans les (lammes qui con-
sumaient le cadavre de ce dernier.
(i) Celte voiture est maintenant arriver à Londres.
io8 Nouvelles des sciences ^ du commerce , etc.
BOURSE DE LONDRES.
Cours des effets publics au ilb juin iSaS .
£aDck Stock ' -iZi 1/2
3 p. 0/0 réduits 91 7/8
3 p. "/o consolides go 7/8
Nouveau 4 P- "Z** " *°4 '/^
3 et i/a p- 0/0 re'duits '. 98 7/8
Longues annuités ^3 7/16
AOUT 1825.
REVUE
INDUSTRIE-
DES OUVRIERS ET DES MACHINES EN FRANCE,
La chambre des communes a eu à débattre, dans sa ses-
sion de 1824 , Tétat de la législation: 1" sur les coalitions
d'ouvriers 5 1° sur leur émigration^ 5° sur l'exportation des
machines. De nombreuses enquêtes ont eu lieu, et, après
de pénibles recherches , le comité a proposé de modifier les
lois sur les coalitions , de manière à prévenir;toutes les ob-
jections élevées contr'elles, et de révoquer les actes du
Parlement, qui défendaient aux ouvriers de quitter le
royaume pour exercer leur industrie à l'étranger. Quant
au troisième point, le plus important peut-être , le comité
s'est refusé à émettre une opinion^ mais il a voté une nou-
velle enquête pour la session présente (i).
Les lois actuelles sont, il faut l'avouer, inefficaces con.tre
(1) Ces trois objets ont occupe le Parlement clans la session de 182!).
On trouvera n l'article des Mélanges l'exlrait de ses re'solutions sur
«les matières <jui inte'resaent , au plus Viaut degrir , l'industrie ma-
nufacturière de la France.
I. 14
ïioo Des ouiTÏers
ces coalillous d'ouvriers qui ont dlclé si souvent à leurs
maîtres le montant du salaire , l'heure et le mode du tra-
vail, etc. Il a clé prouvé qu'à l'exception de ceux qui sont
employés dans les fonderies typographiques , il n'y a pas,
dans les trois royaumes, de classes d'artisans qui ne soient
régulièrement organisées , et qui n'aient des fonds pour as-
sister les ouvriers disposés à s'insurger contre leurs maîtres.
Le corps des tailleurs est le plus nomhreux et le mieux dis-
cipliné. La masse totale des ouvriers est divisée en deux
classes, sous l'ahsurde dénomination àejlints et dujig (cail-
lou cijumier); les uns reçoivent un salaire fixe de tant par
jour, et les autres travaillent à tant la pièce. Les premiers
ont des lieux de réunion déterminés. Chaque assemblée
choisit un député : ceux-ci en élisent cinq autres, appelés
le town ( la ville ) , dont le pouvoir est sans limite et qui
gouvernent les ouvriers avec toute la sévérité de la disci-
pline militaire. Si l'ordre de cesser le travail est secrète-
ment transmis à ces derniers, ils obéissent sans délibérer.
Un système semblable régit tous les ouvriers du pays; il
est fâcheux d'ajouter qu'à peu d'exceptions près il a at-
teint son but. Ces associations se sont souvent portées aux
excès les plus vlolens ; on a même cité au comité plu-
sieurs meurtres commis de sang-froid, entr'autres à Li-
verpool et à Dublin, non à l'effet d'amener une augmen-
tation de salaire, mais pour donner une leçon terrible
aux artisans étrangers , qui se permettraient de chercher
du travail dans les villes où ils n'auraient pas fait leur ap-
prentissage.
Clen que les lois sur les coalitions aient manqué leur
but, et aient été mises rarement à exécution, l'effroi
qu'elles inspiraient, lors.'ju elles étaient appliquées , pro-
duisait chez les ouvriers un sentiment d'hostUilé contre les
maîtres , et nourrissait leur haine contre les lois de leur
pays. Il s'agissait donc d'éprouvrer si un système plus doux
, et des machines en France. uo i
et plus généreux ne produirait pas «.le meilleurs effets ;
aussi un assentiment général a-t-il accueilli le bill qui, en
abolissant les, lois sur les coalitions , a prononcé des peines
sévères contre les artisans qui tenteraient d'améliorer
leur condition, à l'aide de la violence ou de la terreur.
Le second point était peut-être plus aisé à décider qne le
premier. La loi contre les émigrations d'ouvriers, mal-
gré sa sévérité, était habituellement violée. En efïet, il
n'était pas facile de l'exécuter , et aucune de ses disposi-
tions ne pouvait forcer les émigrans de révéler, au mo-
ment de leur départ , leur métier ou leur profession.
Du reste, on a eu jusqu'ici des idées fausses sur le nombre
des ouvriers anglais qui sont à l'étranger. Quelques témoins
entendus dans l'enquête du comité portaient ce nombre
très-haut. Il y en eut un entr'autres qui déclara savoir
que 16,000 ouvriers avaient traversé le détroit en 1822
et 1825. D'autres prétendaient qu'il .y en avait de 5oo à
1 ,200 ; dans chacune des deux grandes usines de Charenton
et de Chaillot.
Quant à nous , nous pouvons assurer que le nombre des
ouvriers , et même de tous les sujets anglais résidant en
France a été très-exagéré. Il varie chaque jour; mais on
pent l'estimer approximativement à i5,ooo, dispersés en
difféi-entes villes; les relevés faits par la police française ne
le portent pas plus haut. Paris en possède à peu près i ,800:
ce nombre augmente eu été ; mais, depuis quelques années,
on n'y en a pas vu 2.400 à la fois.
IjCS Anglais résident, pour la plupart, en France par
économie ou par curiosité ; i,5ooou i,4ooaup'lus y sont
employés comme ouvriers. Siu- ce nonibre il y en a 25o à
Charenton; de 70 à 80 dans les fonderies de Paris; et de
160 à 200 , dans d'autres ateliers de cette capitale. Le reste,
s'élevant à près de 5oo, est réparti dans les diverses usines
i\p.s déparlemens, telles que les fonderies de l'Allier, les
aoi Des ouvriers
filatures de Calais et de Lille , les fabriques de toiles de coton à
Saint-Quentin, à Rouen et en Alsace. Quoique ce nombre
suffise à fournir des chefs d'atelier aux dÎA'erses manufactures
de France, il est Insuffisant pour que ceux de ces établisse-
mens où on file la laine et le coton , puissent rivaliser avec
les nôtres j d'autant plus que les ouvriers anglais qui sont
dans ce pays , sont aussi employés à des travaux hydrauli-
ques. D'ailleurs, nous tenons de plusieurs d'entr'eux que
. fréquemment le fabricant français , après avoir fait de gran-
des dépenses pour se procurer un chef d'atelier anglais, le
force d'abandonner sa propre méthode, pour adopter le sys-
tème imparfait de travaildans lequell'usine était d'abord ex-
ploitée. Cette mesure insensée, qui trompe si étrangement la
destination de l'ouvrier émigrant , semblerait incroyable y
si elle n'était attestée par les fabricans eux-mêmes.
Ainsi , l'Angleterre ne recevant aucun préjudice notable
de l'émigration de ses artisans, il semblait injuste de res-
treindre le champ de leur industrie, en leur refusant le
droit de porter ailleurs une propriété qui, peut-être, est
la seule qu'Us possèdent. Cette consldéi'atlon , jointe à l'im-
possibilité d'exécuter les lois existantes contre les émigra-
tions, a fait admettre, sans opposition, le blll qui les abolit.
Quant à l'exportation des machines, cette importante
question avait été ajournée à la session actuelle. Avant de
pouvoir la décider, il faut examiner l'état des manufactures
étrangères et le comparer avec celui de nos établissemens.
Une enquête fort étendue, en ce qui concerne la France,
a été faite devant le comité, et comme ce pays est et sera
long-tems notre unique rival par sa situation, ses manufac-
tures , son commerce , c'est sur son industrie que porteront
spécialement nos observations.
Les trois branches d'industrie manufocturlère qui for-
ment l'objet capital de la discussion soumise au Parlement,
sont les fdalur-es de coton, les fabriques de draps et de
et des machines en France. 20?)
soieries. La première est la plus importante, tant ea An-
gleterre qu'en France. Il y a quarante ans que le système
de filature par niachiues était presqu' entièrement inconnu
dans ce dernier pays. Le coton y était filé à la main, prin-
cipalement dans les districts montueux, où la main-d'œuvre
coûte très-peu j mais la majeure partie du coton filé était
fournie par l'Anglelerre et la Suisse. De 1786 à 1789, on
en importa pour une valeur moyenne de 25, 83 1, 253 fi\ ,
presque tout de la première qualité. Les manufactures
existantes en France, à cette époque, se bornaient à des
articles de fabrication ibrt grossiers , destinés à l'usage des
dernières classes du peuple , tels que les toiles de Rouen et
de Montpellier. Depuis cette époque, plusieurs des per-
fectionnemens mécaniques adoptés par les Anglais , l'ont
été en France, quoique imparfaitement. On a créé de nou-
velles manufactures, et la guerre , ayant pendant long-tems
rompu toute communication avec la Grande-Bretagne , a
forcé les Français à filer eux-mêmes les cotons qu'ils tiraient
auparavant de nos filatures. Napoléon , en suivant un sys-
tème qui, selon lui, devait ruiner son plus redoutable en-
nemi et ajouter à la gloire de son règne , cbercha, par des
prohibitions et des primes , à donner une nouvelle activité
aux manufactures, et il y réussit jusqu'à un certain point.
Des machines , h. la vérité imparfaites , sont aujourd'hui gé-
néralement employées en France. Ses fabricans peuvent
fournir au consommateur la plupart des articles dont ils ont
besoin ; il en est pourtant quelques-uns qu'ils sont incapables
de produira. Ainsi , par exemple , les vrais nankins de l'Inde
ont été admis depuis la loi du 28 avril 1816 , moyennant un
clroit de douane de 5 fr. par kllog. , et cette mesure à fait
abandonner la fabrication du nankin dans les dcpartemens
de l'Ain , de la Seine-Inférieure , de la Somme et du Nord ,
qui«n fournissaient i,5oo,ooo pièces par an.
Les autres branches de l'industrie manufacturière sont
2(j4 Des ouvriers
exploitées spécialement daus les départemens du Nord, du
Pas-de-Calais, de l'Aisne, de la Somme , de Seiue-et-
Oise , de la Seiue-Inférieure, de la Seine, du Calvados , du
Haut-Rhin , du Bas-Rliin , de l'Aube , du JRhoue , de la
Loire, du Gard, de l'Hérault et quelques autres.
Les principales manufactures sont situées à Saint-Quen-
tin , à Lille et dans le voisinage de ces deux villes. En
1812, les lilatures des seuls départemens de l'Aisne et du
Nord (i) étaient plus productives que toutes celles du reste
de la Fi'ance. Quoique la même production n'existe plus ^
néanmoins Lille , et les petites villes de Roubaix et de
Turcoing, sont encore au rang des districts manufacturiers
les plus florissans du royaume.
Cependant , ni Lille , ni Saint-Quentiu ne fournissent
beaucoup de tissus de laine et coton. Le produit des fda-
lures de Saint-Quentin est livré aux paysans du voisinage j
il en est de même à Lille, à Aubenton, à Saint-Michel et
dans d'autres villes des départemens de l'Aisne et du Pas-
de-Calais. Presque toutes les chaumières ont un métier j
et lorsque les cultivateurs ne peuvent vaquer à leurs tra~
vaux agricoles, ils se livrent à la fabrication des grosses
étoffes , qui forment le produit principal de ces départe-
mens. A Lille , une portion des cotons est tissée dans la
ville , et les numéros les plus fins sont envoyés aux manu-
factures de Tarare , près Lyon.
Rouen est également célèbre par les tissus connus sous
le nom de rouenneries ; et il tire un grand avantage du
voisinage du Havre , qui reçoit la majeure partie des co-
tons importés en France.
La consommation manufacturière des cotons filés a beau-
coup diminué à Paris et dans le voisinage. Cej.endant la
(i) Il y a ici une erreur. Les filatures de coton de Kouen cl des en-
virons e'iaient, à cette époque, et sont encore les plus considérables.
Celles de l'Aisne e'taicnl alors très-peu nombreuses. C.
et des machines en France. ao5
manufacture de Jouy, pour ses tissus imprimés , est tou-
jours florissante. Elle a été fondée par M. Oberkamf , qui,
le premier peut-être, à exploité avec succès cette branche
d'industrie. M. Wldmer a , depuis peu , par ses découvertes
chimiques dans l'art de la teinture, procuré une grande
extension à la vente de ses produits. L'élégance des des-
sins et la beauté des couleurs les ont placés immédiate-
ment au-dessous des tissus de coton de l'Alsace ; et ils sont
à bien meilleur marché (i).
Les tissus de cotons exportés de Paris , de 1819 a 1822 ,
représentaient les valeurs suivantes :
En 1819, 708,108 fr. dont, en tissus imprimes 489,701 fr.
En 1820 , 476)987 Id 306,226
En i8ii , a55,83o , Id. . , 173,200
Plusieurs des filatures et ateliers de tissage de Paris ont
été abandonnés, et, dans presque tous les ateliers conservés,
on a dû recourir à l'emploi des machines à vapeur j mais
malheureusement il est bien peu de fabrlcans qui aient eu
assez d'habilité ou de capitaux pour tirer avantage de ce
mode d'exploitation.
En Alsace , les manufactures sont bien plus florissantes ,
et quoique les progrès de leur prospérité ne soient pas
aussi rapides qu'ils l'étaient d'abord , ils ne laissent pas que
d'être sensibles. Ces progrès n'auront rien de surprenant
si l'on considère l'excellente qualité des produits fournis
par ces usines. Sous certains rapports, et notamment sous
celui du teint, elles l'emportent sur les manufactures an-
glaises. A la vérité elles nous sont inférieures pour la fa-
(1) La manufacture de Jouy n'appartient plus à la famille Obcr-
kamf depuis cinq ou six ans. Le nouveau proprie'taire a adopte uii
autre ^cnrc de produits , moins soignes et moins cliers que ceux que
MM. Obcrkamf et Widracr y ont fabriques autrefois. C.
noO Des ouvriers
l)ricalion des étoffes bleues ; mais elles ont une grande supé-
riorité dans les andrinoples (rouge de Turquie). Jamais,
en effet, nos teinturiers n'ont su donner à cette couleur
autant d'éclat et de solidité que les ouvriers de TOrient et
de l'Alsace.
Du câté de Lyon , les manufactures de soie ont beaucoup
nui à celles de coton. Des circonstances particulières ont
cependant favorisé , à Tarare , une branche de cette der-
nière industrie, celle des mousselines fines ; c'est peut-être li^
seule ville du royaume qui s'y livre j et nous pouvons ga-
rantir sa prospérité, aussi long-tems que le svstème actuel
des douanes, en Fi'ance , ne sera pas modifié. Les principales
manufactures de colons , dans le Midi , sont employées à
fabriquer des bas ; Nîmes et Montpellier en exportaient
anciennement pour des sommes très-considérables. *
Outre les départemens que nous venons de citer, il eu
est beaucoup d'autres qui possèdent des filatures, ou bien-
dans lesquels les gens du peuple filent le coton sans le se-
cours des machines. Ces départemens alimentent en grande
partie la consommation de rintérieur.
Il serait difficile de déterminer à quelle valeur s'élèvent
I<;s produits de cette branche d'industrie ; il n'est pas aisé
non plus de préciser le nombre de filatures exploitées en
France, et celui des broches que contient chacune d'elles.
En 1812, il y avait 1,028,642 broches, donnant annuel-
lement io,446;526 kilog. de fil. Nous pensons qu'aujour-
d'hui on y compte une centaine de filatures considérables '•,
un grand nombre d'établissemens du même genre , moins
importans; de 80,000 à go, 000 métiers à tisser j et de
12,000 à i5,ooo métiers à bas. Depuis 1812, l'importation
du coton brut en France ayant pris une plus grande
extension , il est probable que le nombre de broches s'est
accru; peut-être aussi le perfeclionncraent des machines
rA dus machines cm Fravcc. 207
a-t-11 suffi pour occasionner une plus grande consommation
de cotons bruts.
Malgré de récentes améliorations , et, il faut le dire aussi,
malgré les soins que le gouvernement s'est donnés , les ma-
chines pour la fabrication des étoffes de coton sont restées
imparfaites chez nos voisins j les meilleures , à très-peu d'ex-
ceptions près , ne valent pas celles qui , chez nous , seraient
reconnues insuffisantes. D'ailleurs les fahricans français sont
en général très-négligens quand il s'agit d'y faire les répara-
tions convenables. Si l'une des pièces se dérange ou remplit
mal sa destination, ils continuent de se servir de la machine
jusqu'à ce qu'elle soit hors d'état de donner un produit
même défectueux; mais alors la réparation en devient im-
possible , ou exige une dépense équivalente au prix
d'achat.
Ils choisissent avec aussi peu de discernement la force
motrice ; et il en est bien peu qui fassent usage de la
vapeur. Ils emploient des moteurs hydrauliques, lorsqu'ils
peuvent disposer d'un courant d'eau. Dans les pays plats ,
ils se servent de chevaux, parfois même des bras de
l'homme. Ainsi, dans le département de la Seine-Inférieure,
il y a cent neuf fdatures situées sur des ruisseaux 5 il en est
de même en Alsace , où les manufactures de coton rivali-
sent le plus avec celles de l'Angleterre. Les principales
sont établies sur des torrens qui descendent des Vosges , et
elles sont exposées à tous les inconvéniens qui naissent de
leurs débordemens et de leur dessèchement, suivant le
caprice des saisons.
Dans les plaines de Lille, les machines sont mues par
des chevaux ou par l'action du vent. On voit aux portes
de Lille plusieurs centaines de moulins à v^nt, dans les-
quels ou fabrique rhulle de pavot, de navet et de trèfle j
mais la ville ne possède que dix ou douze machines à va-
:io8 Dâs oiwrlers
peur. Salnt-Quenlin est une des villes manufacturières de
France où on en fait le plus usage.
Le département de la Seine possède cinquante-une machi-
nes à vapeur, savoir : trente-cinq à Paris j huit dans l'ar-
rondissement de Sceaux 3 huit dans celui de Saint-Denis.
Plusieurs de ces machines sont en activité à Charenton et
dans quelques fonderies; d'autres sont employées à élever
l'eau. Il y en a une aussi dans une fabrique de chocolat
de la rue Richelieu ; sa force motrice est la moitié de
celle d'un cheval.
Cet éloignement pour l'emploi de la vapeur qui non-
seulement ajoute aux dépenses de la filature, mais qui
empêche de donner aux fils la parfaite égalité qu'ils obtien-
draient d un moteur uniforme, peut être attribuée en
partie au haut prix des machines; mais il est dû aussi à la
mauvaise qualité du fer et à une exécution défectueuse. Les
accidens produits par ces machines ne sauraient populariser
l'application de la vapeur. Ija modicité des salaires rend
d'ailleurs le fabricant moins attentif à cette économie de la
main-d'œuvre qui a tant contribué à la prospérité des ma-
nufacturiers anglais.
IjC travail par machines, tout imparfait qu'il est aujour-
d'hui chez nos voisins, l'était bien davantage lorsque
M. Chaptal fut nomme, sous Napoléon, ministre de l'in-
térieur. La France doit beaucoup à ses efforts, et surtout
aux encouragemens que le gouvernement de cette époque
a donnés à toutes les branches d'industrie dont le perfec-
tionnement pouvait nuire à l'Angleterre.
Depuis lors, et principalement durant les trois années
qui viennent de s'écouler, l'état florissant du commerce des
cotons s'est sensiblement altéré. Pendant le cours de ces
trois années, ni les droits dédouanes, ni la main d'œuvre
n'ont diminué; les machines n'ont été que fort peu améJio-
et des machines en France. ^iog
rces j ou n'a point importe une plus grande quantité de
matières premières ; la valeur n'en a point été réduite , et
pourtant le prix des étoffes de coton a décliné sensible-
ment. Partout en France, excepté en Alsace et à Tarare,
les fabrlcans se plaignent du mauvais état du commerce i
partout on montre de la répugnance à former de nou-
veaux, établissemens. Dans quelques places, et spécia-
lement à Paris , plusieurs ont été abandonnés , comme
ne donnant pas assez de bénéfices pour le capital qu'on y
employait.
Et cependant le gouvernement protège cette brancbe
d'industrie^ car il a prohibé l'importation des produits du
coton, à l'exception du véritable nankin des Indes. Il est
vrai aussi que les fabricans qui confectionnent des mousse-
lines et autres tissus du genre le plus fin et le plus léger ,
doivent nécessairement tirer de l'étranger les qualités de
fil qui leur sont propres. Ainsi , à Lille , où le voisinage des
frontières rend la fraude très-aisée , beaucoup de fabricans
font passer, sous le couvert de leurs produits les plus fins ,
ime grande quantité de cotons anglais, importés par la
Belgique 5 et, à Tarare, les employés des douanes ont ordre
de ne pas inquiéter les manufacturiers, dont plusieurs ne
font usage que des mêmes matières.
Avant la révolution, la France était sous la dépendance de
l'Angleterre pour les étoffes de coton qu'elle consommait j la
valeur moyenne de ses importations était, en 1787 , 1788
et 1789, de 58,962,466 fr. , dont près de 25,000,000 en
cotons. Depuis ce tems l'importation de ce dernier article a
graduellement diminué. De 180G à i8i2, elle était, par an,
de 1,472,028 fr. , taux moyen, et de 1820 à 1823, elle
n'a été que de 135,670 fr. Dans ce compte nous faisons
abstraction des tissus introduits par contrebande j il y en a
toujours eu une quantité plus ou moins considérable, et dans
2IO Des omrîers
ces derniers tems, la France en a été inondée malgré tous
les efforts des douaniers.
Voici l'état sommaire des importations et exportations
de 1820 à 1824.
IMPORTATION.
Cotons bruli
;. Valeurs.
Cotons ma-
nufacture's.
Valeurs.
( Kilogramme?.
)
( Kilogramme?:.'
)
1820
20,2o3., Il4
47.579>47o fr-
26,116
241,160 fr
I82I
2i,586,6i5
53,279,296
27,365
273,650
i8ia
a 1 ,372,412
51,700,829
7,9"
79,222
1823
2o,3.ï3,i52
48,019,^70
i4,o65
i4o,65o
faus moy
en. 20,928,823
50,157,391
EXP0RT.\TI0N.
18,867
183,670
Cotons
Valeurs.
Cotons
Valeurs^
manufacture's.
bruts.
(Kilogrammes.)
(
'Kilogrammes. )
1820
1,430,490
26,333,210 fr.
10,868
38,000 fr.
1821
1,168,346
19,788,514
i5,797
55,290
1822
1,168,119
20,668,358
13,996
49,884
i8a3
i,38i,477
24,890,740
24,489
85,710
aax moyen. 1,287,108
22,927,705
16,287
57,221
On voit, par ce tableau, que la France consomme la pres-
que totalité du produit de ses manufactures de coton.
Les manufactures de laine, presqu'aussl importantes
que celles de coton , se distinguent de ces dernières, par la
facilité avec laquelle elles peuvent se procurer les matières
premières. Les trois quarts des laines consommées par la
France sont indigènes j et une grande partie de leurs tissus,
spécialement les plus grossiers, sont fabriqués par les
paysans, pour les besoins du commerce, ou pour leur
propre usage. Quant aux manufactures publiques, qu'on
nous passe l'expression , elles sont très-nombreuses ; les
principales sont situées à Louviers, Sedan et Abbeville,
pour la fabrication des draps fins 3 et, pour les gros draps,
et des machines en France. ixv
à Elbeuf, Carcassonne et Lotiève. Reims et Paris possè-
tlent , indépendamment de bien d'autres branches d'indus-
trie, des manufactures de schalls et autres tissus de mérinos.
C'est à Elbeuf qu'on a fait les premiers essais dans la
fabrication des draps. On voit encore dans l'église, Saint-
Etienne, qui fut bâtie en 1248, des vitraux gothiques
représentant des métiers à tisser et des hommes qui sont à
^'ouvrage. L'église Saint-Jean possède également un tableau
en vitrages peints , donné par la compagnie des fabricans
<le draps d'Elbeuf , dans lequel on remarque une machine à
tondre les draps , et une autre hérissée de tctes de chardons.
Malgré leur antique origine, les machines pour la fabri-
cation des draps sont généralement défectueuses : ce n'est
qu'en i8o4 ^^ celles à carder ont été introduites en Erance.
Les filatures de laine ont en général, pour moteurs, des
«ourans d'eau ou des chevaux; à Elbeuf et dans les en-
virons, on en voit plusieurs situées sur des ruisseaux; une
vingtaine est mue par tles chevaux, et onze seulement
par la vapeur.
M. Ternaux , ancien député de Paris , est le premier
fabricant de France. Par l'importance de ses entre-
prises et les capitaux énormes qu'il y consacre, il laisse
tous ses concurrens j>ien loin derrière lui. Il a vingt-deux
établlssemens employés à diverses branches d'industrie ma-
nufacturière et répartis dans plusieurs villes ; il en a quatre
à Reims, deux à Louviers, deux à Sedan, à Liège, etc., etc.
Quoiqu'il possède tous les capitaux que ces établlssemens
exigent, il n'a pas encore jugé à propos de les concentrer
sur un seul point, ni d'en créer un assez grand pour l'in-
demniser des dépenses qu'entraînerait son exploitation à
l'aîde de la vapeur. Au lieu de 1*2000 ouvriers qu'il employait
ily a vlngtans, il n'en emploie aujourd'hui que 6,000, grâce
aux perfectlonnemens de ses machines.
M. Ternaux donne en ce moment tous ses soins à nn
■21 'JL Des oiwriers
genre de faLrication inconnu jusqu'ici en Europe (i ): c'est la
confection des sclialls de cachemire. Il a importé, à grand
frais et à travers d'immenses difficultés , du Thibet, d'An-
gola et autres contrées de l'Orient, un certain nombre de
chèvres dont le duvet compose ces sclialls célèbres; elles
se sont parfaitement acclimatées en France; elles s'y propa-
gent et le troupeau s'augmente tous les jours. Leur nour-
riture étant très-frugale et se composant de ce que d'autres
animaux rebuteraient , de feuilles de châtaignier, de mau-
vaises herbes, etc., leur entretien ne coûte presque rien.
M. Ternaux en a un troupeau de cent têtes à Saint- Ouen,
près Paris , un autre plus nombreux au pied des Pyrénées ,
et un ou deux autres moins considérables dans d'autres dé-
partemens; il vend annuellement de 70 à 80 chèvres.
Comme le poids du duvet que lui fournit chacun de ces
animaux est tout au plus de trois onces et demie , et qii'il
essaie, en ce moment, si en croisant les races de Tiljet et
(l'Angola , il n'en obtiendra pas une plus grande quantité,
il ne peut, quant à présent, fabriquer un grand nombre de
schalls de pur duvet.
Le ministère de M. Chaptal rendit aux manufactures
de draps le même service qu'aux filatures ; mais cette tâche
était bien plus aisée par la facilité avec laquelle on peut ,
en France, s'approvisionner, à bon marché, de laines in-
(lliîèues. Le premier objet que se proposa M. Chaptal, fut
le perfectionnement des machines; et à cet effet , il appela
enFrancevm très-habile mécanicien écossais, M. Douglas,
lequel y importa plusieurs machines qui y étaient à peine
connues. MM. Decrélot et Ternaux s'empressèrent d'en
adopter l'usage ; ces premiers perlèclionnemens en amenè-
(1) Il y a déjà bien des années que M. Ternaux a fabriqué de
Irès-beaux schalls de Cachemire avec de la laine apportée de Russie;
il a r'te' imité par plusieurs fabricans dont les produits sont aussi jus-
tement eslirnés. C.
et des machines en France. y. i3
rent d'autres'moins importans, dusà Thabilelc de MM. Dabo
et Richard ; mais snr ce point rindustrie n'est guère allée
plus loin. Les fabricans français , satisfaits de ce qu'ils
ont obtenu, paraissent peu désireux de recliercber ou du
moins d'adopter ces nombreuses améliorations, dont s'enri-
chit chaque jour la mécanique. Protégés dans Texploita-
tion des laines et du coton contre la concurrence du de-
hors , par des droits équivalens à des prohibitions , ou par
des prohibitions absolues , ils paraissent se contenter de
suffire à la consommation intérieure, et ils font très-peu
d'efforts pour concourir avec nous à approvisionner les
marchés étrangers.
Pendant les années 1822 et iSaS, les importations et les
exportations des laines ont offert les résultats suivans :
Kilogrammes. Valeurs.
i8aa. Importation , laines brutes ,. 3,137,606 34,3o5,8o7
Id. Manufacturées... 90)9^9 575,087
9,198,605 -24,881,794
i8:i3. Importation, laines brutes 5,490,876 i2,72q,33q
/</. Manufacturées. . . 47>2i5 393,014
5,538,091 «3,098,353
1822. Exportation, laines brutes 522,522 i n65 in6
Id. Manufacturées... 1,098,635 2o,i56,38o
1,621,147 23,121,576
1823. Exportation , laines brutes 4^9,342 a 080 i5o
Id. Manufacturées . . .^996,495 1 8,598,040
1,485,937 20,678,190
Laines brutes... 7,309,266 18,517,573
Taux moyen ini p. /J. maoufacturécs. .. 59,082 4-2 ^00
7,368,384 18,990,073
Id. Des exportations, laines brutes .. , 5o5,932 2 022 673
///. Manufaclarees... 1,047,560 19,377,2,0
1,553,492 2 1,399,883
ai 4 Ues ouvriers
On calcule, en outre, que la France fournit annuelle-
ment 38, ono,ooo kil. tle laines non lavées, dont :
800,000 kil. de mérinos, à 4 f''- ^^ kilo.
4,000,000 de laine métis, croisée avec du
mérinos, à 3
33,000,000 de laine commune à 2
Il est reconnu que la laine perd , par le lavage , les 2/5
de sou poids j il faut donc ajouter 22,800,000 kil. de laine
brute aux 7,200,000 k., importés annuellemeut , ce qui
fournit chaque année aux manufacturiers une quantité d'en-
viron 00,000,000 kil. de laines. La valeur totale des
laines brutes est d'environ 100,000,000 fr. , et cette valeur
est plus que doublée, avant qu'elles soient sorties des
mains du fabricant; ce travail leur donne im prix de
260,000,000 fr., et on n'en exporte que pour un treizième
de ce prix, c'est-à-dire pour 19,577,210 fr., taux moyen.
La majeure partie de ces produits exportés consiste
en draps de première qualité, attendu que pour les gros
draps, les fabricans français ne peuvent soutenir la concur-
rence avec nous. Voici au surplus dans quelles propor-
tions cette exportation a eu lieu en 1822 et iBaS :
1822. 1825.
Draps 12,390,260 fr. 1 5,643,420 fr.
Casimirs et mérinos. i,i38,9o5 187,800
Serges 804, 535 1,124,320
Schalls 4,674,250 3,765,000
L'industrie manufacturière qui s'exerce sur la soie a
moins d'extension et est plus sjéciale à certains départe-
mens, que celle qui exploite la laine ou le coton. Elle prit
naissance à Tours, sous !e règne de Louis "XI, et de là elle
s'étendit graduellement dans le midi de la France. Henri
IV , jugeant que lo climal «le la Provence élait plus propre
et des machines en Fra/ice. 9,1 5
à réclucatiou des vers à soie que celui de la Touraine , y en-
couragea de tout son pouvoir la culture du mûrier 5 le suc-
cès couronua ses efforts; aujourd'hui luie grande partie de
!a population dans les départemens que baigne le Rliône,
dans ceux de rilérault , de l'Indre et de la Loire, exploitent
des manufactures de soieries.
Les onze départemens du midi, où l'on cultive la soie,
produisent, année commune, 5,5io,ooo kll. de cocons;
ceux de l'Indre et de la Tjoire, 5o,ooo; total, 5, 180,000 kil.,
évalués 1 5,600,000 fr. Ces produits, lavés et filés, donnent
28o;00o kil. de soie brute et 160,000 kil. d'organsin, et
leur valeur est de 20,600,000 fr. L'étranger fournit, en
outre, aux manufactures françaises, pour 473000,000 fr. de
sole filée.
Lyon est la ville de France la plus importante pour les
fabriques de soieries en tous genres et spécialement d'étoffes
de sole. Néanmoins, sur cet article, son commerce a
éprouvé de grandes fluctuations; en voici le tablrau :
Métiers. Ouvriers.
En 1786, Lyon possédait i5,ooo
178g 7,5oo 12,700
1800 3,5oo 5,800
1812 10,720 i5,5o6
1824., il y avait danstoutle
département 24,000
Presque tous les rubans de soie , dont on fait usage en
France, se fabriquent dans le voisinage de Tiyon , à Saint-
Etienne, à Saint-Chamand et aux environs.
On fait prinripalement à Avignon les satins, les levan-
tines et les taffetas; à jNîmes, les bas de soie, les gazes ,
les crêpes, les articles de fantaisie; à Gauzcs et dans les
Cévenues, les bas de soie. Les manufactures de Tours se
bornent à confectionner des étoffes pour l'ameublement et
I. i5
a i6 Des ouvriers
autres articles peu iinportaus. Paris est , après Lyon , la
ville où on fabrique le plus de soieries. Mais une grande
partie des produits de ce genre, évaluée à 8,000,000 fr. ,
consiste en objets de luxe. La valeur totale des soieries
fabriquées k Paris, est de 18,600,080 fr. j on en fait en
France, année commune, pour 110,008,000 fr. (i), et on
en exporte pour 3o, 000,000 fr. environ.
Plusieurs causes ont concouru jusqu'ici à assurer à la
France la supériorité qu'elle a toujours possédée sur l'An-
gleterre, dans ce genre de fabrication. Le fabricant an-
glais aie désavantage d'unemain-d'œuvre très-coûteuse (2);
il est soumis à une taxe très-forte, il ne peut importer la
matière première que de la France, ou de la baute Italie (5).
Or, le droit sur la soie brute étant, par livre, de 5 sli. 8 d.
(7 fr. environ), le droit sur l'organsin de i3 sh. 8. d. (17 fr.
environ), il lui est impossible de mettre ses produits à la
portée de la classe moyenne, qui en fait cbez nos voisins
(1) Cette évaluation est sans doute au— dessous de la vérité, car il
parait constant qu'à Sainl-Elienne et Saint-Cliammand la valeur des
rubans qui s'y fabriquent surpasse 35 millions, et, d'un autre côté,
on ne peut guère estimer la fabrication de Lyon au-dessous d'une
centaine de millions. C.
(a) C'est une erreur aussi générale en Angleterre qu'en France ,
que de croire à une grande différence de prix dans la main-d'œuvre
des deux pays. Elle n'est qu'apparente. En effet , si on ne considère
auc le prix de la journée , on trouve qu'il est beaucoup plus haut en
Angleterre ; mais si l'on a égard à l'ouvrage fait , on voit le plus son-
vent que le prix est plus bas en Angleterre qu'en France. Ainsi la fila-
ture du coton, l'impression des calicots, la maçonnerie, etc., payées
à la pièce, sont, par le fait, à meilleur marché dans la Grande-
Bretagne.
(3) On est étonné que l'auteur ait oublié la soie des Indes orientales,
qui fait sans dontc la plus forte partie de l'importation de l'Angle-
terre ; car elle est au Bengal à un prix très-baS. On assu^ qu'il varie
de T) à 6 sh. la livre anglaise , environ 7 fr. à 8 fr. aS c. la livre de
F/ancc. *^'
et des machines en France. i\n
unesi grande cousommation; et cepcndaul, parson habileté,
et grâce à la perfection de ses niachines , il est parvenu à
obtenir des produits qui, quoique d'une qualité inférieure ,
paraissent aussi beaux que ceux obtenus en France. La
réduction que notre gouvernement vient d'opérer dans les
droits sur la soie, ne nous permet plus de douter qu'à
l'avenir nous ne puissions braver, à cet égard ^ la concur-
rence de l'étranger.
Quant aux chanvres et aux lins , nous nous bornerons
aux observations suivantes :
20,000,000 fr. de lin, dont un vingtième est importé,
produisent par la main-d'œuvre , dans les manufactures
françaises, 75,000,000 fr. Les paysans en fabriquent, en
outre , dans leurs habitations , pour aS, 000, 000 fr.
En France , la récolte du chanvre est de 3c)o,ooo quin-
taux, évalués 3o,ooo,ooofr.5 on eu importe pour 5,ooo, 000.
Ou estime 110,000,000 fr. la valeur des toiles tissées dans
les manufactures, et à plus de 35, 000, 000 fr. le produit
du tissage dans les chaumières.
Les principales manufactures de ces deux articles sont
situées dans la Bretagne , la Normandie , le Dauphiné , la
Picardie et le département de la Mayenne.
Nul doute que les propriétaires des diverses manufac-
tures qui existent en France, ne désîi'ent vivement importer
les machines auxquelles l'Angleterre doit , en partie , la
supériorité de ses produits industriels. IMais les lois res-
trictives et le taux élevé des droits d'entrée s y opposent.
Loin de montrer quelque disposition à diminuer ces droits,
le gouvernement français a récemment porté à 3o p. °/, ceux
établis sur les machines à vapeur. La loi du 20 avril 1818
avait déjà soumis toutes les machines importées à un droit
de i5 p. °/o ad valorem eu se réservant de l'élever, sur l'a-
vis du comité consultatif des arts et îles manufactiu'es.
2 1 8 Des om>riers
Cependant on a importé d'Angleterre en France, un plus
grand nombre de machines à vapeur, que de celles appelées
vulgairement inécam'ques. En voici .la raison : les pre-
mières ont un prix courant, et le tep^is nécessaire à leur
confection est déterminé ; les autres sont d'une exportation
très-difficl'c ; après qu'elles ont été construites et livrées à
l'agent du fabricant français, il faut attendre souvent, pen-
dant un ou deux ans , l'occasion de les faire sortir d'An-
gleterre par contrebande. Presque toujours on est forcé
d'expédier la machine par pièces détacbées ; qu'une d'elles
vienne à se perdre ou soit endommagée , on est obligé de
la remplacer par une pièce plus imparfaite.
Nous avons eii occasion de nous entretenir avec beau-
coup de fabricans français : tous manifestaient un vif désir
d'avoir des macbines anglaises et la conviction qu'elles
pourraient influer puissamment sur la prospérité de leur in-
dustrie 5 mais , en même tems, tous nous ont déclaré qu'à
l'exception de celles à vapeur , il en est très-peu dont l'ex-
portation soit praticable, et qu'ils ne connaissent pas d'u-
siné où il y en ait plus d'une ou deux employées comme
modèles. Il n'est pas étonnant qu'en d'aussi fâcheuses cir-
constances les fabricans français soient forcés de se conten-
ter des machines ordinaires , fournies par les mécaniciens
du pays, et qu'ils cherchent à embaucher nos ouvriers, à
l'effet d'eu établir sur les lieux 5 mais rarement le succès
coui'onne leurs tentatives. Il existe à Saint-Denis un établis-
sement où l'on exploite 102 métiers à tisser , confectionnés
par des Anglais. Nous l'avons visité dix mois après sa mise
en activité. Les rouages de presque tous ces métiers étaient
endommagés , une portion de leurs engrenages était brisée
ou remplacée par d'autreS en bois , soit parce que les Fran-
çais n'ont pas de fonte de fer assez solide pour cet usage ,
soit parce qu'ils Irouvcntccluidu bois moins coûteux. Ainsi,
et des machines en France. 2Iq
datis rinipossibillté de recourir à l'étranger , pour les ma-
çliiues dont lis ont besoin , nos voisins sont en généralsous
la dépendance des mécaniciens du pays.
L'établissement le plus important de Paris, pour la con-
fection des machines, est celui de M. Calla, qui n'occupe
que cinquante ouvriers. Trois cents ouvriers, dont vingt
anglais, sont employés dans celai de M. Dixon , méca-
nicien du département du Haut-Rliin, Ses machines coû-
tent deux fois plus et sont moins parfaites que celles fournies
par l'Angleterre.
Il existe en France deux grands établissemens consacrés
à la construction des machines à vapeur^ Tun est situé
à Charenton ; l'autre à Chaillot. Le premier, celui de
MM. Manby, Wilson et compagnie , occupe 4oo ouvriers,
dont i5o anglais 5 le second, est exploité par i4 ouvriers
anglais et 25o français.
M. Cockerell , de Liège, a fondé des établissemens très-
importans pour la construction des machines propres au
tissage et des machines à vapeur. Ces dernières sont faites
a Seraing , près de cette ville, sur les bords de la Meuse ,
dans l'ancien palais du prince évêque de Liège. M, Coc-
kerell y emploie de Coo à yoo ouvriers : à Liège , il en
occupe 200 à confectionner des machines à tisser et des
presses hydrauliques. Les demandes de ces derniers articles
sont devenues très-rares depuis la paix ; durant la guerre ,
la France en prenait la moitié, le reste était envoyé en
Saxe , en Prusse , en Autriche , etc., etc. M. Cockerell at-
tribue la stagnation qu'éprouve cette branche de son in-
dustrie , aux droits élevés imposés par la France sur Tim-
porlalion des machines; à la prohibition des draps étrangers
par le gouvernement russe; et surtout à rinlroduction des
meilleurs draps anglais en Allemagne , et à leur vente à un
prix assez modéré pour écarter toute concurrence de la paît
des fabricans allemands.
220 Des ouvriers
Les diflicullcs qu'éprouvent les mécaniciens français ,
dans la conslruclion de leurs machines , proviennent sur-
tout du prix élevé et de la qualité inférieure du charbon
et du fer. (i) ^^^ ^x\Ti élevé de ces matières résulte moins de
leur quantité insuffisante que du peu d'habileté qu'on met à
exploiter les mines , et des frais du transport des minéraux.
La France est très-riche en mines de fer j les montagnes
des Vosges , des Ardenncs , du Jura , du Puy-de-Dôme ,
les Pyrénées, etc., fournissent ce métal en abondance.
aSo forges, environ, ont été établies, principalement dans
les départemens des Ardennes , de la Meuse , de la Haute-
Marne , de la Haute-Saône , du Cher , de la Côle-d'Or , de
la Dordogiie , de la Kièvre , etc. Il y a, en outre , loo for-
ges à la Catalane, et près de 900 feux d'affinerie qui don-
nent, par an , un produit de 75,000,000 kil. Mais , à Tex-
ceplion de la mine de fer découverte près de Béfort (Bas-
Rhin ) , toutes les autres donnent des produits inférieurs
aux fers de l'Angleterre : celui de France est trop cassant
pour être employé dans la construction des machines.
Quant au cuivi'e, au plomb et à Tétain , la France est
forcée d'en tirer une grande partie de l'étranger. Les seules
mines considéi'ables de cuivre qu'elle possède, sont celles
du Bigorre, dans les Pyrénées; de Chcssy et de Saint-Bel;,
près deLyou. Ou trouve ce métal, en petite quantité, dans
quelques cantons des Hautes-Alpes et du Haut-Rhin. Les
départemens del'Arriège, de la Haute-Loire et du Finis-
tère, fournissent du plomb. On extrait de l'étain dans les
environs de Saint-Omer. Mais les produits de ces mines
sont iusuffisaus pour la consommation intérieure, et Ton est
(i) La France possède d'abondantes mines de charbon d'excellenle
tjualite'; elle a e'galenient d'excellent fer en barres; la fonte seule
n'eit pas toujours très-bonne. Mais ce qui nuit à la bonne qualité de
CCS machines, c'est le haut prix des matériaux , dans les endroits où on
ies confectionne. C.
et des machines en France, l'xx
souvent forcé de substituer le zinc au cuivre , spccialetoent
pour le doublage des vaisseaux.
Outre les mines qu'on exploite actuellement en France ,
il en existe beaucoup d'autres qui , par l'elFet des obstacles
que le gouvernement a opposes jusqu'ici à l'industrie des
spéculateurs , ne sont pas encore ouvertes. D'après la loi
française , toutes les mines appartiennent à la couronne ,
et le seul avantage dont jouissent les propriétaires du sol
qui les couvre, c'est d'obtenir , de prcférem^e à des tiers, le
privilège de leur exploitation , moyennant une redevance
annuelle payable à l'Etat ; il est quelquefois très-difficile
même au propriétaire du fonds, de devenir concession-
naire des mines qu il y découvre.
Au surplus, voici le tableau des importations et des ex-
portations qui ont eu lieu en France , eu 1822 et 1823, sur
le fer, le cuivre et Tétain :
FER.
Importations.
Exportations.
Quantités.
Valeur.
Quantités.
Valeur.
l82i
i5,6i6,8i8 kilo.
5,77^'74o fr.
3, 082,335 kilo.
2,714,527 f
j323
14,806,880
5,328,222
CUIVRE.
3,558,451
3,601,207
i8a3
5,023,904
io,265,g44
23i,886
1,075,277
i8a3
3,987,786
8,126,761
ÉTAit!.
178,964
228,793
1822
784,156
i,55o,848
=^4;784
93,676
1823
807,675
1,592,998
21,362
68,988
En France , les tourbières sont inépuisables et les mines
de houille très-nombreuses; on les trouve dans le Nord, sur
les boï'ds de l'Allier, dans les départemens du Puy-de-
Dôme, du Cantal, de l'Auvergne et dans beaucoup d'au-
tres cantons ; mais il eu est un grand nombre que la dlfli-
cullé des transports empêche d'exploiter.
222 ]Jtis oïwners
Ou ue pourra Je loog-tems, et sans d'énormes dépenses,
applanlr ce dernier obstacle , si nuisible aux iulérèls com-
merciaux et manufacturiers de nos yoislns. La conviction
profonde qu'on a eue si long-tems et si généralement crr
Angleterre, des avantages du transport par eau, a fait,
dans tous les sens, sillonner de canaux le sol anglais. Eu
France , a« contraire , le défaut de relations commerciales
et de capitaux, les maux enfantés par la révolution , et les
guerres qui l'ont suivie, ont réprimé l'essor de cet esprit
d'entreprise sans lequel on ne pourra jamais , Fexpérience
le démontre , se livrer à des travaux qui aient une impor-
tance aussi nationale que les canaux , et qui soient en
même tems d'un intérêt immédiat aussi douteux pour le
spéculateur.
Les premiers canaux creusés en France , sont le canal
de Briarre et celui du Languedoc. Dans les départe-
niens du Nord et du Pas-de-Calais ou en compte quatorze ;
dans les autres parties de la France il y en a dix ou onze
dont les travaux sont terminés ; mais ils sont mal entre-
tenus , peu fréquentés , et le péage qu'on y perçoit n-e
couvre pas les frais de leurs réparations. Toutefois, les ca-
naux des deux départemens que nous venons de citer, suf-
fisant aux communications, ils sont plus fréquentés et plus
productifs que les autres. Aussi remarque-t-cn que les
contrées qu'ils traversent sont très-florissantes , et que le
revenu foncier y est plus considérable que dans toute autre
partie de la France. L'bectare produit, dans le départe-
ment du Nord, 6g, fr. 56 c; dans celui de la Seine, 2i6fr.,
et, dans celui de la Seine-Inférieure, 67 fr. 85 c. Tandis
que ce revenu n'est , dans le reste du royaume, que de
28 fr., taux moyen.
Plusieurs difficultés se réunissent pour cmpccber !e com-
merce français de faire un grand usage du transport par les
rivières. Dans 1 été elles manquent d'eau, et en hiver el!e&
et des machines en France. 225
tlébordeut. Le Rhôuc porte des bateaux dont le tonnage
est de cent cinquante , et qui souvent , Iraîne's par trente-
six chevaux , mettent quinze Jours à remonter ce fleuve
de Marseille à Lyon. On en a vu qui ont employé six se-
maines à faire ce voyage. La navigation des autres rivières,
et même de la Garonne au-dessus de Bordeaux , et de la
Seine au-dessus de Rouen, offre des incouvéniens semblables.
L'auteur de cet article était à Paris au mois de juillet 1824.
Il s'est convaincu qu'à cinq milles au-dessous de cette ca-
pitale, le lit de la Seine n'avait, en été, que de seize
pouces à deux pieds de profondeur. Ainsi , à défaut de
canaux et de rivières navigables, les habitans delà plus
grande partie du royaume sont forcés d'expédier leurs
denrées par la voie de terre. C'est par cette voie que le
coton brut est transporté du Havre en Alsace , à une dis-
tance de quatre cent quarante milles ; et que les objets ma-
nufacturés reviennent de l'Alsace à Paris.
Les grandes routes elles-mêmes , si nécessaires aux be-
soins du commerce, ne semt ni aussi nombreuses , ni aussi
bien entretenues qu'on devrait s'y attendre. Les routes
royales qui conduisent direclenient de Paris aux principales
villes, sont en général fort larges , mais le milieu seul en
est pavé : la chaussée a rarement assez d'espace pour que
deux grosses voitures puissent y passer de front , et elle
décrit une courbe très-prononcée. Aussi, arrive-t-il fré-
quemment que des diligences très-chargées , ou des voi-
tures de roulage , versent en chemin ; parce que l'une des
roues pose sur la chaussée , tandis que la roue parallèle
s'embourbe dans les ornières qui sillonnent la partie qui
n'est point pavée ; celle-ci n'est jamais tenue en bon état, et
devient impraticable dans l'hiver ou par un tems pluvieux.
Les routes départementales et vicinales, entretenues, les
premières aux frais du département, les secondes aux frais
des communes qu'elles traversent, sont, eu général, fort
224 ^^s oiwrters
tlégradées . et ces ilernières presque toutes impraticables
pour les voitures.
M. Dupin , dans son ouvrage sur la force commerciale
de la Grande-Bretagne , affirme que la France, dont la sur-
face est à celle de notre pays comme trois est à un , pos-
sède trois fois moins de routes. Les conséquences qui dé-
coulent de ce fait n'ont pas besoin d'être énoncées.
Nous devons cependant avouer que le gouvernement
français a étendu sa sollicitude à tout ce qui pourrait amé-
liorer la situation du royaume et spécialement la naviga-
tion intérieure. Nous avons sous nos yeux un rapport
adressé au ministère par le directeur-général des ponts-et-
cliaussées. Ce rapport contient l'état de tous les canaux,
terminés, de ceux eu construction , et de ceux qui n'exis-
tent qu'en projet. Mais l'administration des ponts-et-chaus-
sées reconnaît que plusieurs de ces canaux ont été tracés
sur la carte , abstraction faite des difficultés locales quî
peuvent en arrêter l'exécution j d'ailleurs, le devis de ces
entreprises s'élève en totalité à un milliard de francs ; il est
donc évident que les intentions du gouvernement ne s'ac-
compliront pas de long-tems.
Les canaux les plus importans , qui aient reçu un com-
mencement d'exécution , sont :
i" Le canal de Charles X. Il doit faciliter l'exportation
des produits industriels de l'Alsace à Paris et à Marseille.
2° Le canal de Bourgogtie , qui joindra le canal de
Charles X avec la Seine , en passant par Dijon.
5" Le canal latéral de la Loire.
4° Le casai du duc de Berri , formant la corde de l'arc
décrit par la Loire, de Tours à NeverS; il traversera la
ville de Bourges.
5' Le canal de Bretagne.
6o Le canal du Nivernais; il traversera le département
de la Nièvre et ouvrira une communication avec des can-
et des machines eu France. Ci25
tons înclustrieux, mais tlonlles produits étalent transportés
jusqu'à ce moment à clos de cheval.
On conçoit à peine en Angleterre à quel point la France
a à souffrir du défaut de navigation intérieure. Les contrées
qui forment le centime de ce royaume , bornées au nord
parla Loire , à l'ouest par la route de Bordeaux, au sud
par le canal du Languedoc , à l'est par le Rhône , n'ont ,
sur une étendue de 200 à 2i5 milles de largeur , et de 220
à 290 milles de longueur, qu'une seule route royale (celle
de Paris à Toulouse, par Limoges et Cahors ) ; et l'on n'y
A'oit ni aucun canal ni aucune grande rivière navigable.
Quoique ces contrées soient riches en minéraux et en pro-
ductions végétales, l'industrie y languit, faute de débouches
et d'une consomniation intérieure suffisante. Il est très-peu
de riches propriétaires qui vivent habituellement dans
leurs domaines; aussi la consommation des produits du
pays est-elle livrée , presque exclusivement , aux classes
inférieures.
« Je parcours , dit M. l'ingénieur Cordier , dans sou
excellent ouvrage sur les ponts-et-chaussées , je parcoui's , r
après une longue absence, les départemens du Jura, de
l'Ain, de la Saône-et- Loire , du Rhône, et les provinces
intérieures du royaume. Je trouve les chemins vicinaux ,
les rivières , les fleuves , dans l'ancien état de nature 5 on
n'arrive d'une contrée à l'autre que par des directions for-
cées et difficiles. En s'écartant des grandes routes entre-
tenues , on entre dans des espèces de déserts j on ne dé-
couvre plus que quelques traces des familles qui ont
illustré ou enrichi la France; on n'aperçoit que les ruines
de leurs demeures ou des débris de domaines qui passent
de main en main , ou s'exploitent par procuration au
<lélriment du propriétaire. J'ai traversé plusieurs fois ,
dans dlfiféreus départemens , vingt lieues carrées , sans
rencontrer un canal , une route , une manufacture , et
226 Des ouvriers
surtout une terre habllée. La campagne semMe un lie»
crexil abandonné au malheureux cultivateur j ses Intérêts
et ses besoins sont méconnus, et sa détresse est toujours
croissante par le bas prix des profits et la difficulté des
transports. »
Le cabotage ne saurait suppléer en France au défaut de
navigation intérieure. Une partie des côtes est. séparée de
l'autre par des pays étrangers. Ainsi les produits du sud ne
peuvent arriver au nord du royaume, qu'en traversant
rinlérieur. Entre les côtes du Dauphiné de la Provence ,
du Languedoc et du Roussillon , et celles de l'ouest de la
France s'élève la barrière des Pyrénées. Aussi les trésor^
industriels et agricoles , qui sont particuliers à ces pro-
vinces , ne pourraient-ils , en cas de guerre avec l'Es-
jiagne ou avec l'Angleterre , être transportés dans le reste
du royaume , si les communications intérieures étaient
supprimées.
Les côtes de l'ouest ne sont pas favorables à la uavfgation.
Les tempêtes si fréquentes dans la baie de Biscaye , et le
peu de sûreté de ses ports la rendent très- dangereuse.
L'embouchure de l'Adour, obstruée par des bancs de
sables, est d'un accès difficile dans les gros temsj et, de
cette embouchure à celle de la Gironde, on ne voit pas
un seul port qui mérite ce nom. En remontant vers le
nord on trouve Rochefort , Nantes , Brest et le Havre qui
reçoit la presque totalité des cotons importés en France 5
mais , à l'exception de ces ports , tous les autres sont^
étroits , peu fréquentés , peu profonds , et destinés unique-
ment à recevoir de petits bâlimens.
A ces obstacles naturels, et qui ne pourraient être sur-
montés que par d'immenses travaux , le système de l'ad-
ministration française en ajoute de beaucoup plus graves.
La centralisation, telle qu'elle existe en France , esl surtout
nuisible à l'établissement des roules et des canaux. A l'ex-
et des machines en France. ii'j
ception des réparations les plus ordinaires , ou ne peut en-
treprendre aucuns travaux d'utilité pidilique , sans obtenir
rautorisation du gouvernement (i). IVai Heurs , les fonds
alloués par les chambres , et applicables à ces travaux , de-
viennent insuffisans après avoir été répartis sur tous les
départemens, dans les bureaux, du ministère. D'où il suit
que les grandes entreprises s'exécutent très-lentement , et
que les autorités locales cherchent plutôt à pourvoir à la
conservation des établissemens déjà existans qu'à en créer
de nouveaux.
Examinons maintenant quelles sont les causes de la supé-
riorité qu'à certains égards la France possède sur l'An-
gleterre :
D'abord, son climat est, en général , plus productif que
le nôtre. C'est à l'influence du climat que l'Alsace doit les
belles couleurs de ses tissus de coton , et Lyon , l'éclat de
ses soieries.
C'est au climat qu'il faut attribuer l'excellente qualité
des produits du sol français. Les grains de toutes espèces et
les pommes de terre y suffisent à l'approvisionnement de
l'intérieur et à l'exporlatlon. Ses pâturages sont couverts de
bestiaux et de bêtes à laines ; on y voit même de nombreux
troupeaux de mérinos. I^e vin , l'huile, la soie, sont des
productions indigènes. A l'exception du coton, il n'est peut-
être pas de denrée nécessaire aux besoins du propriétaire
foncier ou à l'industrie du fabricant , que la France ne
puisse fournir. Le combustible y est très- commun. Sur
plusieurs points les mines de charbon sont inépuisables.
Les grandes forêts du domaine et les forêts des particuliers
(i) U n'y a aucune exception ; les réparations les plus ordinaires ne
s<^ (ont jamais sans l'ordre du dirccleur-géne'ral des ponlsel-chaussccs ,
qui ne les donne le plus souvent qu'après la belle saison ; sur les roules
dites ferre'es , ces réparatioQS se bornent presque toujours à e'icndre des
pierres <lans la bouc.
228 Des oiwners
sont si heureusement réparties sur toute la surface du pays,
que le transport du ])ois n'est coûteux que pour Tappro-
visionnement des grandes villes. lie houblon , qui ne croît
en général que dans le Nord , est cultivé en grandes quan-
tités dans quelques parties du royaume. Enfin l'indus-
trie française est parvenue à extraire de la betterave un
sucre, au moius aussi beau que celui de la canne , quoique
d'une qualité inférieure ; et à faire de Tindigo avec du
pastel , cultivé à cet effet, sur une grande échelle , dans le
Languedoc et la Provence (i).
La situation topographique de la France ne lui est pas
moms favorable que son climat. Elle peut aisément faire
passer ses produits industriels dans toute rAllemagne j
située entre la Méditerranée, la baie de Biscaye et la Man-
che, elle communique avec l'Italie, Naples et TÉgypte,
pour l'importation des soies , des cotons ; avec l'Espagne ,
pour celles des mérinos ; eu un mot, elle peut facilement
faire le commerce avec toutes les parties du monde.
D'ailleurs , le sol et le climat y rendent les subsistances
très-abondantes 5 aussi les classes inférieures y vivent-elles
dans une sorte d'aisance , avec un revenu qui serait insuffi-
sant à la subsistance d'un Anglais. Dans quelques départe-
mens, tels que l'Allier, la Gironde, l'ouvrier peut vivre
cojifortahlenient ^ pour i4 ou i5 sous, au plus par jour-
Dans ceux où il n'y a point de manufactures et où les
mœurs des paysans n'ont pas subi d'altération , on vit à
niellleur marché encore. Toutefois , dans les districts ma-
jiufacturiers , les prix des denrées augmentent en raison de
(i) La fabrication du sncrc de betteraves qui avait e'te' picsque en-
tièrement abandonnée dans les premières années de la paix , s'est
relevée depuis trois ou quatre ans et promet des succès , car on a ob-
tenu d'assez grandes quantités de sucre ; mais il n'en est pas de même
de l'indigo qu'on n'a jamais fabriqué (]u'en (]uanti:é toul-à-fait iiisi—
guiriantc. C.
et des machines en France. 239
la population : on y vil en général pour i5 sous par jour;
mais à Paris, les droits tVoctroi et les taxes municipales
élaut très-élevés , la dépense journalière de Touvrler est
d'environ 26 sous.
Moins la subsistance de l'ouvrier est coûteuse, plus son
salaire doit être modique. A Paris , où la nourritui'e est
clière, il gagne environ 2 fr. 5o c. par jour; à Roueu et
dans les environs, il gagne de 5o à 56. sous. La journée
d'une femme se paie 10 sous de moins. En général, dans
tous les districts manufacturiers , le taux du salaire est par
jour de 3o ou /jo sous pour les hommes et de 1 5 à 20 sous
pour les femmes.
Dans les départemens où l'on se livre plus spécialement
aux travaux agricoles , le prix du travail varie en raison
de leur distance de la capitale ou des autres grandes villes
manufacturières; ce taux descend, suivant les localités,
de 56 à 20 et à 16 sous.
Ainsi il est évident que si les débouchés de l'intérieur
étaient ce qu'ils dcA-^ralent être , et si les fabricans français
possédaient l'habileté , l'industrie et l'expérience de ceux
de l'Angleterre , une grande partie de l'Europe deviendrait
tributaire de la France.
Mais par combien d'avantages , qui lui sont propres
notre patrie ne balance-t-elle pas ceux que la nature a pro-
digués à nos voisins ! Le plus important de tout est sa na-
vigation intérieure. Sans entrer dans des détails fastidieux,
qu'il nous suffise de citer parmi ses rivières la Tamise
l'Humber, la Mersey et la Saverne , toutes plus favora-
bles à la navigation qu'aucun des fleuves de la France
.'1 l'exception de la Gironde; parmi ses canaux, \e grand
ïrunk, qui, avec ses branches, a i8o milles de longueur;
le grand canal de Jonction , qui suit une ligue de l5o milles,
et celui d'Oxford, dont l'étendue est de 100 milles. Nous
ne parlerons pas de ceux qui sillouncnl lepavs dans tous
•i3o Des ouvriers
les sens et de leurs diverses ramifications. Il n'y a pas une
ville manufacturière, pas une mine en exploitation qui ne
commnniquent par eau avec tous les points où il est utile
que leurs produits soient transportés avec sûreté et célé-
rité. Ija France , au contraire , ne possède , proportiouelle-
nient à son étendue , qu'un vingtième de ces canaux.
Si la Grande-Bretagne est moins fertile que sa rivale
en produits agricoles , elle est infiniment plus riche en
minéraux. Elle fournit annuellement à la consommation
intérieure et au commerce d'exportation , une immense
quantité de fer, d'étain, de cuivre et de plomb. L'abon-
dance du charbon et la facilité des transports permettent
d'extraire ces métaux à si bon marché , que les frais ne
paraissent rien, si on les compare aux d('penses que font
en France les concessionnaires des mines.
L'abondance des capitaux qui existent en Angleterre ,
est aussi pour elle une source féconde de prospérité.
S'agit-il de creuser des canaux ou des ports , d'établir des
roules à rainures de fer, d'exploiter des mines? Quels que
soient les plans proposés , quelque éloignés qu'en soient
les avantages , s'ils paraissent en définitive réellement utiles
au pays, la somme nécessaire à leur exécution est fournie
à 1 instant. Ainsi, l'Angleterre compte, en ce moment ,
■22 compagnies pour la confection des routes en fer 5 12
pour l'éclairage par le gaz 5 18 pour l'exploitation des mines
étrangères; 8 pour celles desniines de Tintérieur ; enfin
55 pour diverses entreprises, La masse des actions fournies
par toutes ces compagnies , s'élève à la somme énorme de
120,000,000 liv. st. (trois milliards de fraxcs!)
On demandait deux millions sterlings pour l'exécution
des routes à rainures de fer, du nord de l'Angleterre. Eu
deux jours , on a offert six millions sterlings.
Tl n'est pas plus difficile d'obtenir des capitaux pour les
opérations ordinaires du commerce. liCS sommes considé-
et des machines en France t 'Ï5i
rablos versoos dans les manufaclures importantes en aug-
mentent tVaiitant les produits. ÏjC plus niiuce profit , sur
chacune des balles de marchandises qu'on y fahrirpie tous
les ans par milliers, suflit pour assurer, aux propriétaires de
ces ëtahllssemens , de très-grands bénéfices , et leur permet
de vendre presque au prix coûtant. Les mêmes causes foi--
cent chaque vendeur intermédiaire à se contenter d'un
])etit bénéfice sur chaque article , et, en définitive, le con-
sommateur n'achète jamais à un prix qui excède de beau-
coup celui de fabrique.
Dans ce parallèle entre les deux pays , il est essentiel
aussi de tenir compte du caractère des classes industrielles.
En Angleterre , les ouvriers employés dans les manufac-
tures montrent en général beaucoup de zèle dans Taccom-
plissement de leur tâche , stimulés qu'ils sont par l'espoir
de perfectionner leur instruction , ou d'obtenir une aug-
mentation de gages. Il en est plusieurs dont les connais-
sances scientifiques ne sont nullement à dédaigner et aux-
quels l'expérience suggère les inventions les plus utiles.
Beaucoup de perfectionnemeus ont été introduits dans les
machines -, par des ouvriers mécaniciens qui, après en avoir
remarqué les défauts , ont découvert les moyens d'y remé-
dier. Ces hommes aspirent , pour la plupart , à travailler
un jour pour leur propre compte j aussi commencent-ils
par acquérir, en cpialité d'ouvriers, une haute capacité.
Les ouvriers français, au contraire, manquent de persé-
véi'ancej ils suivent les vieux procédés que leurs prédéces-
cesseurs leur ont transmis, sans s'inquiéter des nouveaux
syslèines et des nouvelles machines dont ils pourraient faire
usage.
En Angleterre, Témulationdes classes industrielles ne
s'arrête Jamais. Les ouvriers croiraient leur honnt'ur et
celui de leur maître conipromis, s'ils ne travaillaient pas ,
sans relâche , à surpasser les rivaux qu'ils peuvent avoir à
'iîa Des ouvriers
l'étranger et dans leur propre pays. C'est une vérité tlonl
les Français conviennent eux-mêmes j car lorsqu'ils s'attri-
buent le mérite d'une invention , ils avouent que le procédé
primitif a été perfectionné par les Anglais.
En général , les ouvriers travaillent chez nous à tant la
pièce, et chez nos voisins , à la journée. Tandis que l'artisan
français ne s'attache qu'à faire tout juste ce qu'il faut pour
ne pas perdre ses gages, l'Anglais cherche constamment à
produire le plus d'ouvrage qu'llpeut dans un temsdouné(i).
liCs fahrlcans de France qui emploient des ouvriers appar-
tenant aux. deux pays , calculent que l'Anglais fait un quart,
s^ouvent même un tiers de plus d'ouvrage que le français.
Mais le premier, quoique fort habiie , est en général d'un
caractère détestable , après avoir quitté son pays. Buveur
et querelleur, il donne lieu aux plaintes les plus graves.
Puis donc que, loin de sa patrie, il est si supérieur en ac-
tivité aux ouvriers étrangers , nous laissons à penser , si
dans ses foyers , Une doit pas être plus laborieux encore.
Enfin , la supériorité de nos machines sur celles du
continent est Incontestable j nous eu appelons aux désirs
manifestés par tous les fabricans étrangers , de se les pro-
curer ou d'en faire coufeclionner sur leur modèle. C'est
donc une question très- grave que celle de savoir si nos
lois actuelles sur l'exportation des machines doivent être
modifiées au point de permettre à ces fabricans de les Im-
porter à un prix modéré , lorsqu'ils est constant que sans
(i) C'est là uns des plus puissantes causes du développement de
rindustrie en Angleterre. Les chefs d'entreprises ont pousse' très-
loin le système de travail à la tâche. Par exemple, daasl'exploitatiou
des mines de cuivre , de plomb , etc., le mineur reçoit en paiement
une partie du prix de la vente du minerai , et par là il se trouve
associé aux bénéfices de son maître ; cet accord des intérêts est as-
sure'ment la plus puissante condition du développement de l'iudustrie.
c.
et des tmichines en France. a35
Cf^ miportations , qui leur sont aujourtVliui presque impos-
sibles , ils seront toujours hors cFélat de rivaliser avec nous,
dans plusieui's branches d'industrie. Sauf quelques excep-
tions, les matières premières ne leur manquent pas ; ils
ont à payer des droits moins élevés, une main-d'œuvre
moins coûteuse j et cependant jusqu'ici notre concurrence
les a toujours écrasés. La liberté , dans l'exportation des
machines , va rétablir le niveau entre les fabricans des deux,
nations. Cette liberté profitera principalement aux mécani-
ciens de Londres , qui , seuls , ont paru désirer ardemment
que les lois prohibitives fussent rapportées. Ceux des di-
vers comtés qui travaillent pour les i;randes villes manufac-
turières, ont déclaré au comité de la chambre (\çs comniu-
lies qu'ils recevaient plus de commandes qu'ils ne seraient
en état d'en exécuter d'ici à quelques années ; et que les
propriétaires de mines se trouvaient dans le même cas.
Ainsi, les machines étant très-chères sur le continent, les
fabricans étrangers pourraient offrir à nos mécaniciens un
prix assez élevé pour les engager à travailler pour eux, au
mépris des commandes qui leur viendraient de l'intérieur.
Le manufacturier anglais éprouverait doue un double pré-
judice ; la confection des machines dont il a besoin serait
ajournée, et, en attendant , il verrait grandir et s'étendre
une concurrence, qui résulterait de ces mêmes moyens d'ex-
ploitation qu'on lui aurait refusés.
Le principal argument des défenseurs de l'exportation
consiste à dire , qu'en la prohibant, nous forçons les Fran-
çais à mettre toute leur liabileté à confectionner leurs ma-
chines, et qu'en définitive ils en feront d'aussi parfaites que
les nôtres. Nous répondrons d'abord, que jusqu'ici ils en
ont confectionné très-peu et d'une qualité bien inférieure ;
en second lieu , qu'en supposant même qu'avec le teras ils
acquièrent plus d'expérience et d'habileté , ce n'est pas \me
raison pour leur olïrir actuellement des avantages qu'ils
234. -^^ système
obtiendraient, tout au plus, d'une longue persévérance^
que TAugleîerre doit à des essais multipliés et à plusieurs
années de travaux constans ; et pour les placer en un jour
à une hauteur que nos fabricans n'ont su atteindre, qu'en
faisant une dépense énorme de tems et de capitaux.
La question , nous le répétons , est Irès-graA'e et très-
difficile. D'une part , nous adoptons sincèrement ces prin-
cipes de liberté commerciale , auxquels le gouvernement
s'est si libéralement conformé , et dont les conséquences
nous pressent. D'un autre côté , voici une circonstance re-
marquable , dans laquelle l'exception nous paraît réelle-
ment avantageuse , et où l'application de la règle ne serait,
au contraire , qu'un acte gratuit de générosité.
Au surplus , nous n'exprimons ici qu'une opinion. La
question sera bientôt jugée par un tribunal plus compétent.
Quant à nous, dans l'humble sphère de nos travaux, nous
n'aurons pas perdu notre tems , si, par la publication de
faits authentiques, nous ajoutons quelques documens à la
masse de previvessur lesquelles ce tribunal suprême fondera
sa décision. ( Qiiarlerly-Revie'W . )
ÉCONOMIE POLITIQUE.
DU SYSTÈ5IE DES DETTES FONDEES ( I ).
Il est rai'e que les dépenses qu'occasionne nécessaire-
ment te gouvernement d'un peuple civilisé, excèdent, en
(i) Note DU Tr. La publication de cet arlirlc est il<'jà assez an-
cienne, puis(]uc c'est en i8a3 qu'il a été insère' dans la liante d'E-
dinbourg- Mais la question qui y est discutée est si importante , que la
considération de sa date ne nous a pas paru suffisante pour nous cm-
nèflier d'en donner aujourd'hui la tiaduclion.
des dettes jbndédù. • 25")
lems de paix, le montant de son revenu ordinaire. Mais ,
eu tems de guerre, cela est très-diflérent. Lorsque Thon-
neur et rindépendance d'une nation sont en péril, il ne
laut pas hésiter 4 faire tous les sacrifices que récianient de
si grands intérêts. Tjcs agressions liostiles doivent être re-
poussées et punies. Mais il laut pour cela des fonds extraor-
dinaires i et c'est assurément une recherche fort impor-
tante que celle du meilleur moyen à employer pour se les
procurer.
11 était d'usage , dans Tantiquité , de pourvoir aux be-
soins de la guerre par les économies que le fisc avait faites
pendant la paix. L'argent thésaurisé était un moyen de
conquête ou de défense , et jamais on ne recourait , dans
des tems d'embarras et de désordre , à la ressource des
taxes extraordinaires , et bien moins encore à celle des em-
prunts (i). Cet usage a été loué par Humej mais il n'a-
vait pas calculé que , pour former ces trésors , il fallait
enlever des capitaux aux emplois productifs, et que cette
manière de procéder diminuait nécessairement l'industrie ,
et par conséquent la richesse , la population et les moyens
de défense des peuples qui l'adoptaient. Aussi cet ancien
(i) Note DuTr. Cette assertion est trop générale : il paraît constant
que plusieurs gouvernemens de l'antiquité avaient contracté Jes em-
prunts. La sagacité de Philippe de Macédoine, père d'Alexandre, lui
avait même fait pressentir tout le parti qu'on pouvait en tirer, comme
mojcn politique. Après lu spoliation du temple de Delphes, par les
Phocéens , une grande quantité de valeurs métalliques qui y étalent
accumulées depuis des siècles, fut répandue dans la Grèce. Philippe
ouvrit des emprunts dans les villes principales de ses différentes ré-
publiques, et, de cette manière , il intéressa la classe dos capitalistes
au succès de ses entreprises. Ces emprunts, en lui créant beaucoup de
partisans dévoués , riches, et qui jouissaient tous d'une influence plus
ou mt)ins grande, contribuèrent bien davantage à l'accomplisscnicni
doses vues politlijues que l'éloquence salariée de quelques oralcurs
«l'Athènes. S. V.
236 Du système
usage , fondé sur les principes les plus erronés , esl-il au-
jourd'hui généralement désapprouvé ", et tous les écono-
mistes conviennent que l'accroissement de dépenses qu'oc-
casionne la guerre , doit être défrayé , soit par une aug-
mentation proportionnelle dans les impôts , soit en partie
par ce moyen , et en partie par des emprunts.
On a long-tems et vivement discuté la question desavoir
quel est celui de ces deux modes qui doit être préféré ; et,
dans le cours de cette discussion, on a avancé les opinions
les plus opposées et les plus contradictoires. Suivant nous ,
à aucune époque, ces difléreuces d'opinion n'auraient dû
exister. Quoi qu'il en soit , les opérations financières des
dernières trente années nous fourniront les moyens de les
faire cesser, et de résoudre, d'une manière satisfaisante,
cette importante question. Nous croyons , d'ailleurs, que
le moment d'en reprendre l'examen est arrivé , non-seule-
ment parce que nous pourrons présenter à l'appui de la
théorie , les résultats d'une vaste expérience , naais aussi
parce qu'il existe plusieurs circonstances qui doivent faire
désirer que l'opinion publique soit enfin fixée à cet égard.
Si l'on ne connaît pas les principes sur lesquels est fondé
notre système de crédit, il est impossible de se rendre un
compte exact de la situation financière du pays , et d'appré-
cier la convenance des grandes mesures qu'on vient de
prendre relativement aux annuités et au fonds d'amortisse-
ment. Il ne faut pas non plus nous dissimuler que nous
n'avons aucune garantie de la prolongation de la paix j et
peut-être avant peu serons-nous dans le cas de décider si
c'est avec des emprunts ou des taxes extraordinaires , que
nous devrons supporter les charges d'une nouvelle guerre.
Mais ce n'est pas au milieu du trouble et du tumulte qui
suivent des préparatifs militaires, que la comparaison des
avantages et des inconvénlens de ces deux modes peut être
faite avec la maturité convenable j et c'est pendant les loi-
dts dettes fondées. i'5'j
sirs de la paix que de semblables questions doivent être
examinées et résolues.
Avant de commencer cet examen , nous dirons un mol
des étranges opinions qui ont été avancées sur les emprunts
des gouvernemens ; opinions qui ne sont pas encore entiè-
rement abandonnées. Levéque Berkley nous dit qu'il
considère les fonds publics comme une mine d'or. Me!on ,
écrivain français , auteur d'un livre intitulé Essai politique
sur le Commerce , ne va pas aussi loin que Berkley ; il
assure seulement, et cette manière de voir a été celle de
beaucoup d'autres , que les dettes publiques sont des dettes
de la main droite a'fa main gauche ; et que, par conséquent,
elles nauzuientent ni ne diminuent la richesse nationale.
Enfin , im négociant Juif qui vivait en Hollande, M. Piiito,
prétend, dans un livre, d'ailleurs ingénieux, sur la circula-
tion et le crédit, (\[\une dette publique accroît la richesse
nationale de tout le montant de son capital. Ce ridicule
paradoxe a été soutenu depuis par M. Hope , d'Amster-
dam , M. Gale et M. Spence j et , ce qui est plus extraordi_
naire, le juge Bayley en fut tellement séduit, qu'un jour,
dans un moment d'enthousiasme , laissant Blackstone pour
Pinto , il harangua le grand jury du Yorkshire sur les
immenses avantages d'une forte delte nationale. « Nous
aurions pu croire , dit Hume, que ces opinions n'étaient
que des jeux d'esprit, comme les discours de ces rhéteurs
qui faisaient l'éloge de la folie , de la fièvre , de Busiris ou
de Néron , si nous n'avions pas vu de grands ministres
s'en faire, parmi nous, les patrons. » La fausseté de ces
lapinions est cependant si évidente qu'il est étonnant qu'elles
aient jamais pu avoir des partisans. Nous conviendrons
avec Melon, car il est inutile de parler de ]M. Piuto, qu'une
dette publique est une dette de la main droite à la main
gauche : nous observerons seulement que ce n'est pas d(î
l'intérêt qu'il s'agit, mais du capital pour lecjucl cet iu~
a58 Du système
térct csl desservi. Or ce capital n'a pas été prête par une
fraction de la nation à une autre fraction , mais ou gouver-
nement qui Ta dépensé comme revenu. Il est entièrement
anéanti j] et les rentiers de TEtat , au lieu d'en touclier la
rente, tirent au conti'aii*e leur revenu des capitaux et de
l'industrie des autres classes de la société.
Afin de mieux faire sentir les effets des emprunts sur
la richesse nationale , supposons qu'un pays , avec deux
uiillions d'habitans et quatre cents millions st. de capital ,
se trouve engagé dans une guerre , et que le gouvernement
emprunte et dépense cinquante millions de ce capital.
Si le taux ordiuaii-e du profit qu'on en retirait était de
dix pour cent ^\^ rç.yenw du pays devait être de quarante
millions, antérieurement à la guerre j mais à sa conclu-
sion, après la dépense des cinquante millions, il n'aura
plus été que de trente-cinq. Il est évident cependant que
ce revenu, ainsi réduit, devra fournir des moyens de
subsistance à la totalité des deux millions d^habitans ; et
quoiqu'il soit vrai que le pays n'est pas privé de l'intérêt
de la dette, puisque cet intérêt est seulement transféré
d'une classe à une autre , il ne l'est pas moins qu'il est
privé du revenu des cinquante millions, et que le capital
qui servait jadis à alimenter et à vêtir un huitième des
habitans étant anéanti, il faut qu'ils tirent leurs moyens
de subsistance du revenu d^ ceux qui, probablement ,
avaient déjà beaucoup dé' peine à s'entretenir eux-
mêmes.
Ces courtes observations serviront à faire connaître la
véritable nature des dettes publiques ; mais elles ne sufli-
senl pas pour décider la question qui fait le sujet de cet
article. Chaque guerre doit nécessairement entraîner une
perte de capital plus ou moins considérable. Il est , par
conséquent, de la plus haule importance de savoir ce qu'il
faut faire pour que ces inconvéniens inévitables soient moisis
des dettes fondées, 23g
pernicieux. , et puissent être plus facilement réparcs ; et
c'est ce que nous allons osaminer à l'instant.
Si la facilité avec laquelle l'argent peut être obtenu
était la seule chose qu'on dût considérer , en comparant le
système des emprunts avec l'autre mode de pourvoir aux
besoins extraordinaires de l'Etat , par une augmentation
pi'oporlionuelle dans les taxes, il n'y a cucun doule que
c'est aux emprunts qu'il faudrait donner la préférence. Le
taux élevé de l'intérêt, l'exactitude avec laquelle il est
payé , et l'espoir que chacun entretient qu'il saura habi-
lement profiter des fluctuations du cours des fonds publics,
tout contribue à déterminer une classe nombreuse de ca-
pitalistes à prêter au gouvernement, qui peut, de cette
manière , se procurer , très-facilement et dans des délais
très-courts , des sommes considérables. Dun autre côté, la
masse des contiubuables se félicite également de ce système,
car, au lieu de prélever sur eux une forte somme par de
nouveaux impôts , on ne leur demande que ce qui est né-
cessaire pour payer l'intérêt de cette somme; et comme
une charge aussi modérée ne met personne dans la néces-
sité de réduire beaucoup ces jouissances, on s'y soumet
sans murmures. Tl n'est pas étonnant d'après cela que les
divers gouvernemeus aient souvent eu recours à un moyen
aussi facile et en même tems aussi populaire de se procurer
l'argent dont ils ont besoin.
Mais quoique le plus ou moins de facilité avec laquelle
l'argent sera obtenu , soit une considération importante ,
il y en a d'autres qui le sont bien davantage, l^es effeis
réels d'une opération financière ne peuvent pas être con-
venablement appréciés , en en examinant seulement les
conséquences immédiates. Nous devons porter noire vue
plus loin et tâcher de découvrir quelles doivent en être les
conséquences définitives. Si on procède de cette manière
et que l'on examine, non pas seulement les elfcls transi-
a^o -O" système
toires, tnaîs aussi les effets diu'ables clu système des em-
prunts , Ton se convaincra qu'au fond les facilités f|u'il
donne au gouvernement (ie se procurer de l'argent , loin
d'être un avantage , sont an contraire au nombre de ses
plus grands iuconvcnicns. Assurément il serait fort peu
raisonnable de croire que les dépenses d'une guerre puis-
sent être défrayées sans préjudice et sans pertes pour les
contribuables. Alors même qu'elle est juste et nécessaire,
la guerre est toujours un très-grand mal ; et les peuples qui
ont le malheur de la faire doivent souffrir plus nu moins
promptement des suites de la perte des capitaux, et par
conséquent de la diminution des moyens de production. Or
il est évident qu'un plan de finances est vicieux, quand il a
pour résultat de déguiser ces inconvéniens inévitables de la
guerre et de tromper !e public sur sa situation réelle ; et
c'est ce que font les dettes Jondées. Leurs apologistes disent
qu'elles n'imposent jamais aux contribuables, dans un tcms
donné, des sacrifices extraordinaires j à cet égard, elles
ressemblent à ces affections cbroniques qui s'introduisent
lentement et imperceptiblement dans le corps humain ,
et dont le danger ne se fait apercevoir que lors qu'elles ont
vicié toute l'économie animale et attaqué les jîrincipes
mêmes de l'existence. Les profusions de la guerre ne peu-
vent être contrebalancées que par les progrès de l'industrie
des particuliers et par leur économie 5 mais pour que
cette économie ait lieu, et que les contribuables cherchent
à augmenter leur industrie , ils faut qu'ils sentent l'in-
flueuce qu'exercent sur leur fortune les frais de la guerre.
Ce sont les illusions qu'il entretient qui constituent le
vice radical du système des emprunts. Ses progrès .sont
graduels et presqu'impeixeptib'.es 5 il n'exige, dans le
principe, que de légers sacrifices , mais jamais il ne cède
ce qu'il a une fois obtenu^ et l'ambition . l'injustice et l'a-
vidilé du gouvernement , aussi bien que celles des Etats
des dettes fondées. a4 1
voisins j ne lardent pas à commander des sacrifices nou-
veaux. Le public est, de cette manière, privé de ses
jouissances , les unes après les autres 3 et les contribuables
ne sont pas encore sortis de leurs rêves , que leur industrie
et leurs propriétés se trouvent grevées, par les intérêts de la
dette publique, d'une somme beaucoup plus considérable
que s'ils avaient satisfait immédiatement aux. frais de la
guerre.
On dira peut-être qu'en admettant que nous soyons en-
gagés dans une guerre qui coûte annuellement vingt mil-
lions st., ce sera tout-à-fait la môme cbose, pourvu que
l'intérêt soit à cinq pour cent , si nous payons ces vingt
millions tout d'un coup par l'augmentation proportionnelle
des taxes, ou si le gouvernement emprunteet rembourse les
prêteurs par un contrat de rente perpétuelle d'un million
par an j car l'intérêt étant à cinq pour cent, les vingt
millions et l'annuité perpétuelle d'un million représentent
absoluinent la même valeur. Mais c'est précisément parce
que la masse du public n'a jamais pensé el ne pensera ja-
mais ainsi, que le systèmes des dettes fondées est très-perni-
cieux. Supposons, par exemple, que Ton ait satisfait aux.
cbarges extraordinaires par des impôts levés dans l'année,
et que la part de chacun, dans ces nouvelles contributions,
soit de mille livres : le désir de se maintenir dans son an-
cienne situation et de conserver sa fortune intacte , désir
qui naît avec nous et qui ne nous quitte qu'au tombeau, en-
gagera certainement le contribuable à tâcher de s'acquitter
en donnant une impulsion pus active h son industrie,
ou en soumettant ses dépenses à une économie plus sévère,
afin que ses c.ipilaux ne soient pas entamés. Mais , sous
l'empire du système des emprunts, on ne lui aurait de-
mandé que de payer l'iulérct des mille liv, ou cinquante
' liv., et au lieu d'épargner les mille liv., il se serait contenté
d'en épargner l'intérêt. Les hommes se conduisent de cette
242 T)u systèniti
manière , parce qu'ils sont dans l'usage invariable de ne
considérer une guerre comme onéreuse, que dans îa pro-
portion des obligations auxquelles il faut qu'i's satisfassent
immédiatement, sans calculer la durée probable de ces
charges. Ce serait une tentative fort inutile de clierclier à
leur démontrer que le paiement d'une rente perpéîuelle de
cinquante liv. est aussi onéreux que le paiement unique de
mille liv. Nous sommes toujours disposés à croire que quel-
(praceident imprévu ou quelque révolution viendra à notre
aide, et dégagera noire fortune du fardean d'un paiement
perpétuel.
Nous calculons aussi que, dans tous les cas, la portion
la plus considérable restera à la charge de la postérité, ou,
ce qui est la luème chose , que ce paiement sera réparti en
un grand nombre d'années. Cette considération est même
un des principaux argumens des apologistes des dettes
fondées. Mais il serait facile d'en démontrer Soute la fai-
blesse, et de faire voir que ce que l'adminislralion a de
mieux à faire , c'est de protéger , le plus possible , les in-
térêts de l'avenir, sans blesser ceux du présent; et c'côt
précisément ce qu'on fait en levant, dans le cours de cba-
que année , tout l'argent nécessaire pour en payer la dé-
pense. Dans l'bypothèse même où ce système n'augmen-
terait pas l'esprit d'économie, l'adoption n'en serait pas
préjudiciable aux générations existantes, et les effets eu
seraient les inênjes pour elies et pour la postérité , que
ceux du système des emprunts ; car il est évident que ce
serait une chose tout-à-falt indifférente pour riiérilier
d'un individu , dont la quole part dans les dépenses d'une
guerre aurait été de 1,000 liv. st., si cet individu avait
payé tout d'un coup cette somme , et laissait 1,000 liv. de
moins, ou bien, s'il laissait ces 1,000 liv. grevées d'une
rente perpétuelle de 5o liv. C'est un des avantages par-
ticuliers du mode que nous voudrions voir préférer, qu'en
des dettes fondées. 245
même tems qu'il n'impose à personne de fardeau plus con-
sidérable que celui qui résulterait d'une dette fondée , et
qu'il laisse à cliacun la faculté de se soulager d'une partie
de ce fardeau, en le partageant avec la postérité, sa ten-
dance naturelle est cependant d'engager la masse du pu-
blic à ne pas user de cette facilité et à devenir plus active,
plus frugale et plus économe. Ce serait une erreur gros-
sière de supposer qu'il ne ménage l'avenir qu'aux dépens
(iu présent ; c'est en communiquant une impulsion plus
vive à l'industrie des contemporains, et en faisant mieiix
sentir les avantages de l'esprit d'accumulation, qu'il sert
la poslérilé. Sous l'empire de l'un des systèmes que nous
examinons , ou n'épargne juste que ce -qu'il faut pour payer
l'intérêt du capital j sous l'empire de l'autre, c'est le ca-
pital lui-même qu'on économise. Si donc on veut décider la
question par l'intluence qu'ils exercent respectivement sur
la richesse nationale, et cette considération, dit M, Genlz
doit toujours être la première et l'ejnporter sur toutes les
autres, il ne peut y avoir aucun doute sur la manière dont
elle sera résolue.
Mais ces raisons ne sont pas !es seules que nous ayons à
faire valoir. Nous devons aussi parler des dangers de 'a
facilité avec laquelle les gouvernemens se j reçurent de
l'argent par le système des emprunts. Celte facilité dép'o-
rable a été une des causes principales de ces innombrables
guerres qui ont désolé le monde, depuis la renaissance d s
lettres. C'est elle qui a déterminé les divers gouvernemens
à s'engager témérairement dans les entreprises les plus
ruineuses , tandis qu'en trompant les peuples sur les con-
séquences inévitables qu'elles devaient avoir, elle ne les a
que trop disposés à applaudir et à seconder les ambitieux
(Ti'ojels de louis cliefs. La loterie de la guerre est la plus
dangereuse de toutes les loteries : ses conquêtes ses
trionqîhcs , quelque séduisans et quel.'pie magnifiques qu'ils
a 4 4 ^" système
soient , ne sont cependant que des compensations miséra-
bles de l'or et du sang qu'il faut répandre pour les obtenir.
Le bon sens national se manifeste principalement eu évitant
toutes les guerres inutiles, et en terminant celles qui sont
nécessaires , aussitôt qu'elles peuvent l'être avec sûreté et
honneur. Mais pour que les peuples apprécient les ines-
timables avantages delà paix, il faut commencer par leur
faire sentir que la guerre est toujours un jeu ruineux,
même pour ceux qui paraissent y gagner , et qu'il n'y a pas
moyen de la faire, sans être forcé de renoncer à une partie
des aisances et des agrémens de la vie. Malheureusement
le système des emprunts cache, pendant quelque tems,
aux yeux des peuples , ces conséquences inévitables, et, en
leur persuadant qu'ils ne les ressentiront jamais , les
pousse à manifester des dispositions farouches et intraita-
bles dans les occasions les plus futiles. Tl en résulte , et ce
résultat est déduit des faits les plus nombreux et les plus
positifs, que tout État qui a eu recours , pendant un cer-
tain tems, aux emprunts, ne tarde pas à se trouver en-
aaeé dans une masse de dettes et de difficultés inextricables;
que les taxes qu'il supporte se maintiennent à un taux à
peu près aussi élevé en tems de paix qu'en tems de guerre ;
qu'il se trouve quelquefois forcé de rester neutre , lors-
que sou honneur , ses devoirs ou ses intérêts lui com-
mandent de prendre les armes, et que le fardeau sous lequel
il gémit devient la cause d'agitations convulsives qui se
terminenî; presque toujours par la banqueroute et par une
révolution.
C'est seulement pour un peuple qui satisferait à ses
besoins extraordinaires, par un accroissement correspon-
daiît dans ses taxes , qu'il serait vrai de dire, avec le poète,
que la paix apporte avec elle sous son aile la guérisou des
maux des nations. Aussitôt <jne la guerre serait terminée,
les taxes imposées pour en supporter les frais cesseraient
des dettes fondées. u^'j
également. Les prix descemlraient h leur véritable niveau,
cl rindiislrle dégagée du poids qui pesait sur elle, l'cpren-
drait un nouvel essor. Si nous nous étions toujours dirigés
d'après ces principes, nos taxes n'excéderaient pas aujour-
d'hui cinq à six millions st. ( 230,000,000 i'r. ), c'est-à-
dire à peu près la somme qui est nécessaire pour payer les
frais de perception de notre revenu actuel, et en même
tems, nous aurions en capital plusieurs centaines de mil-
lions que nous ayons dissipés. La Grande-Bretagne , plus
puissante , plus peuplée et plus riche , pourrait bien mieux
résister aux attaques dirigées contre son indépendance et sa
liberté , et elle serait plus à même de protéger efficacement
la liberté des autres.
Les objections que l'on nous fait , quoiqu'assez plausi-
bles, ne sont au fond d'aucun poids. On prétend d'abord
que le paiement immédiat des dépenses d'une guerre serait ,
dans beaucoup de cas, tout-à-fait impraticable, et que
dans les tems modernes, ces dépenses se sont tellement
élevées, qu'il n'y a guère d'autre manièi^e d'y satisfaire ,
que de partager le fardeau avec la postérité pac la voie
des emprunts. Le meilleur moyen de détruire l'argument
lire de V impossibilité , c'est de faire voir que la chose a réel-
lement eu lieu 5 or, avant de finir, nous espérons démontrer
à nos lecteurs que les sommes que le gouvernement s'est
procurées par 1 impôt, ont, à peu de chose près , égalé le
montant de l'énorme dépense que la guerre de 1795 à
18 16 a occasionée, et que nous avons ajouté plus de six
cents millions sterlings (quinze milliards de francs), à notre
dette fondée, pour éviter de lever une centaine de millions
de taxes additionnelles, pendant le cours de ces vingt-trois
années.
• .A.U fond , l'argument tiré de l'impossibilité se réiuità
ceci : que le mode de payer la totalité des dépenses d un
exercice, par les t;ixes qui y seraient alîectées , serait fort
246 Du xysthne
gênant pour les propi'iclairps ot ]ionr les fabricans qui, en
général, ont fort peu tVargent coinplant. Supposons , par
exemple, que la part d'un manufacturier, dans les frais
d'une guerre , s'élève à i,ooo liv., et qu'il ne puisse ni
économiser cette somme sur sa dépense personnelle , ni
la retirer de ses affaires , sans préjudice. L'avantage du
système des dettes fondées consiste, nous dit-on, à le
dégager de j' obligation de faire ce paiement , au moven
d'une petite réserve annuelle de 5o liv., qu'il pourra facile-
ment prélever sur ses bénéfices. Mais le plus léger examen
suffira pour faire voir que cet avantage n'est qu'apparent.
En effet , le fabricant en question ne se trouve dégagé de
l'obligation de payer immédiatement les i,ooo liv., que
parce que le gouvernement les emprunte lui-même , en
laissant l'intérêt à sa charge. Or, n'est-il pas évident qu'il
aurait pu faire directement ce qu'il fait, par l'intermé-
diaire des agens du fisc « Il est hors de doute, dit
M. Ricardo , qu'il existe des capitalistes disposés à prêter
aux particuliers , et la promptitude avec laquelle !e gou-
vernement remplit ses emprunts le prouve. Que ce grand
emprunteur se relire du marché, et les emprunts privés
se rempliront. Avec de bonnes lois et de sages réglemens ,
ces transactions particulières pourraient même se faire
avec la plus grande facilité. Dans l'état actuel des choses
A avance l'argent, et B paie l'intérêt au gouvernement, qui
le paie à A. Dans notre système B paierait directement
l'intérêt à A. »
..iais ce n'est pas tout. Si un particulier va sur la place
emprunter de l'argent pour son propre compte, il emprun-
tera à des conditions plus avantageuses que les agens du
trésor. Se procurer de l'argent, n'importe à quelles condi-
tions , est le but exclusif de ces derniers , tandis que ce
que les particuliers désirent par-dessus tout, c'est de s'en
proctn-er à bon marché. Une r/c^/eyo/zf/ee exige d'ailleurs
des dettes fondées- 2^7
t
un clispendieux établissement qui coûte au pays plusieurs
millions par an pour la perception des taxes destinées à en
payer l'intérêt. Ainsi il est évident qu'à tous égards il vau-
drait beaucoup mieux que les particuliers qui n'ont pas
d'argent comptant, empruntassent eux-mêmes, que d'em- i
prunier par l'intermédiaire du gouvernement.
Comme un accroissement subit et considérable des taxes
qui affectent les objets de luxe, en diminuerait la consom-
mation et rendrait par conséquent ces taxes peu produc-
tives , il serait indispensable , pour payer les dépenses ex-
traordinaires de l'année , d'imposer les objets de nécessité
ou bien le revenu des particuliers. Mais on observe que si
les choses nécessaires à la vie sont surtaxées, l'impôt pèsera
principalement sur la classe qui sera le moins en état de le
supporter, c'est-à-dire sur celle des prolétaires , et que si ,
au contraire , c'est à une taxe sur le revenu que l'on a re-
cours, elle ne pèsera pas d'une manière moins inégale et
moins oppressive sur les rentiers et sur ceux qui exercent
des professions libérales. Nous ne croyons pas cependant
que ces objections soient plus fondées que celles que nous
avons défà réfutées. C'est une erreur de supposer qu'une
taxe sur les objets de nécessité imposerait de plus grands
sacrifices aux classes ouvrières qu'aux autres ; car le prix
de la journée s'accroîtrait , après l'imposition de la taxe ,
de manière à les maintenir dans leur ancienne situation.
En effet , le produit de la taxe tomberait dans les mains du
gouvernement qui, par suite, se trouverait à même de
commander plus de travail; ainsi l'impôt qu'on aurait enlevé
aux ouvriers ne tarderait pas à leur être rendu par la hausse
que les demandes du gouvernement ou de ses agens produi-
raient dans les salaires.
Il n'est pas plus juste de prétendre que dans le cas où
l'on mettrait une contribution sur le revenu , pour défrayer
les dépenses de la guerre, elle pèserait trop inégalement
I. 17
248 Du xysième
sur ceux qui exercent des professions libérales. Ce nVst
pas, il faut Tavouer, sans quelque apparence de raison ,
qu'on se récrie sur l'extrême injustice qu'il y aurait à im-
poser l'homme de loi ou le médecin , dont l'industrie est
souvent l'unique moyeu d'existence d'une nombreuse fa-
mille, delà même manière que le capitaliste ou le proprié-
taire foncier. Mais 11 sera facile de faire voir que la condi-
tion des individus qui exercent des professions libérales, ne
serait pas moins affectée par les taxes qui frapperaient ex-
clusivement la classe des propriétaires ou des capitalistes ,
que si ces taxes pesaient en même tems sur eux.
En effet, lessalaii'es des médecins, des avocatset de tous
ceux qui se trouvent dans la même catégorie, dépendent .
en partie , des frais que leur éducation a occasioués , et , en
partie, des habitudes particulières de la société dans la-
quelle ils vivent et du rang qu'ils doivent y tenir. Si les
salaires n'étaient que la compensation des frais faits pour
leur éducation, ils ne seraient pas long— tems affectés par
une taxe sur le revenu , car aussitôt que cette taxe aurait
été imposée , on les trouverait insuffisans. Dès-lors les
jeunes gens seraient détournés de ces professions; et ceux
qui les exerceraient , fortement tentés d'y renoncer, elcetic
double action se prolongerait jusqu'à ce qu'eu diminurint la
concurrence, elle ramènerait les salaires à leur véritable
niveau . c'est-à-dire jusqu'à ce qu'ils se seraient augmentés
de tout le montant de la taxe.
La seule classe en faveur de laquelle il serait juste de
réduire le montant de la charge qui résulterait d'une taxe
sur le revenu , est celle dont les moyens d'existence pro-
viennent d'annuités qui doivent s'éteindre à des époques
fixes. H est évident qu'une taxe semblable pèserait plus
fortement sur cette classe que sur celle des propriétaires
fonciers ou des capitalistes, dont le revenu est tire de
sources qu'on considère comme inépuisables. Il serait donc
des dettes fondées. 249
lif'cessaire, pour ne pas surtaxer les possesseurs d'annuités
l\ terme, et pour les maintenir clans leur situation relative,
«le leur accorder un déi^rèvement qui devrait être en pro-
portion inverse de la durée de leurs annuités.
On obtieildrait deux avantages importans , en recourant
à une taxe sur le revenu, de préférence à des impôts sur
les objets de nécessité ou de luxe pour défrayer les dépenses
extraordinaires de Tannée. Le premier consisterait dans
l'égalité avec laquelle cette taxe afl'ecterait les différentes
classes de la société. Les impôts sur les consommations on
sur les marchandises pèsent , au contraire , trop fortement
sur ceux qui ont des familles nombreuses ou dont la situa-
lion exige une dépense considérable, tandis que les riches
avares , ou les personnes qui n'ont pas de famille, peuvent
presqu'entiérement se soustraire à ces charges.
Le second avantage d'une taxe sur le revenu consiste
dans le peu de changement qu'elle occasione dans la ma-
nière dont les capitaux sont distribués , et dans le prix des
marchandises. Quand un impôt frappe une classe particu-
lière de marchandises , les producteui's , afin d'en élever le
prix proportionnellement à cet impôt, diminuent la quan-
tité qu'ils étaient dans l'usage de mettre sur le marché , en
engageant dans d'autres affaires une portion plus ou moiiis
considérable du capital qu'ils employaient à produire l'ar-
ticle taxé. Mais une taxe sur le revenu opère comme un
impôt qui serait convenablement réparti sur les profits.
Or, si les profits étaient taxés avec égalité, il n'y aurait
pas d'avantages à transférer son capital d'une affaire à une
antre , et les producteurs n'auraient aucun moyen de faire
hausser les prix. Chaque individu continuerait à faire ce
(|u'il aurait fait , s'il n'y avait pas eu d'augmentation
dans les contributions,, et, comme par le passé, il s'occii-
])erait des opérations qui lui paraîtraient les plus avanta-
{^euses. Les capitatix et l'industrie ne seraient pas eu-
a5o Du système
traînés dans les voies artificielles. On nVlèverait pas la
paie des troupes et les trailemens des fonctionnnaires pu-
blics , à cause de l'augmentatiou des prix , produite par les
impôts. A la fin delà guerre, chaque chose serait à sa vé-
ritable place , et nous pourrions tirer immédiatement parti
de tous nos avantages naturels et acquis.
M. de Gentz prétend , et il compte beaucoup sur la force
de cet argument, qu'il est toujours an pouvoir des con-
tribuables de payer Tintérct des emprunts , tandis que s'il
fallait en payer le capital , il en résulterait une si grande
diminution dans leurs moyens de production , qu'ils fini-
raient peut-être par se trouver dans l'impuissance d'eu
payer même l'intérêt. En raisonnant ainsi, ou suppose
nécessairement qu'un individu qui est dans les affaires et
qui n'a pas de capitaux surabondans ne peut pas trouver
à emprunter pour payer ses taxes extraordinaires , et nous
avons prouvé que cela était au contraire très-facile. Ce
serait , d'ailleurs , une erreur de croire que l'avantage du
mode que nous voudrions voir préférer, résulte de ce qu'il
sauve la totalité de la dépense. Chaque guerre occasione la
perte d'un capital, et, comme nous l'avons déjà dit, toute
la question est de savoir si cette perte est plus prompte-
ment compensée par notre système que par celui des em-
prunts.
■Il n'est pas plus exact de dire qu'il est toujours au pou-
voir des individus de payer l'intérêt des emprunts par un
redoublement d'activité et d'économie. Ci :!a est générale-
ment vrai dans l'enfance du système , mais lorsqu'il a im-
posé sur la nation le fardeau d'une dette énorme, el qu'il
l'a privée delà plus grande partie c' ses ait- uces, l'activité,
l'économie ne sufHsent pas pour acquitter les arrérages
des emprunts. Comme il n'existe plus aucun principe qui
puisse balancer la perle du capital et par conséquent celle
du revenu, la richesse publique ne lardera pas à diminuer
des dettes fondées. 20 1
avec une effrayante rapidité. Dans l'origine, et lorsqu'il est
le moins nia'faisant, le système des dattes fojidées est un
système de déception et de prodigalités, et lorsqu'une fois
il a acquis tout son développement, non-seulement il dé-
truit une portion considérable des moyens de reproduction ,
malsj en maintenant les impôts au taux le plus élevé, pen-
dant la paix, il accable le peuple , il paralyse son énergie , il
excite fortement les capitalistes à transporter leurs capitaux
dans des pays moins malheureux, et 11 devient une source
active et féconde de ruines, de désastres et de révolutions.
Il est à peu près inutile de parler de l'étrange argument
avancé, en faveur des dettes fondées, par M. INecker. Il pré-
tend que lorsqu'une fols une nation a eu recours à ce
moyen, les antres doivent Templover également dans l'In-
térêt de leur sûreté. Mais si ce système appauvrit et épuise,
comme cela est Incontestable, tous les peuples qui le sui-
vent j il est évident que ce qu'un Etat a de mieux à faire
pour augmenter sa force relative, c'est d'y renoncer le
plus lot possible, et par conséquent il est indispensable qu'il
i'asse précisément tout le contraire de ce que conseille
M. Necker.
On nous répète sans cesse que notre dette Jojidée n'a pas
tu les conséquences funestes annoncées par Hume et par
Smith 5 que la richesse nationale s'est beaucoup accrue,
quoique le capital de cette dette soit augmenté de plus de
Ç)G0 p. "/oj depuis l'époque où ils écrivaient, et que par con-
séquent nous sommes autorisés à croire qu'il en sera de
même des prédictions sinistres qu'on pourra faire à l'avenir.
Mais les prodigieux progrès de la richesse nalioijiale, depuis
iG^a , époque à laquelle Hume publia son iJ^^a/ .y///- /e c/c-
dit public, ne prouvent nullement que notre système de
nuances soit moins malfaisant qu'il le suppose. Hume et
Smith n'avaient pas assez rélléchl à ce que les découvertes
mécaniques, et, en général, ramélioralion des divers moyens
I'
a52 Du système
de production pouvaient faire, pour réparer les portes oc-
casionées par ce système; ce qui n'empêche pas que leurs
observations ne soient d'ailleui'S très-justes, lies dilapida-
tions et les prodigalités dans lesquelles nous a entraînés
notre dette fondée ^ ont été contrebalancées par des choses
qui n'ont aucune connexion avec elle, et qui auraient
également existé si le gouvernement n'avait jamais con-
tracté d'emprunts , c'est-à-dire par les admirables décou-
vertes des Watt , des Arkwright , des Crompton , des
Wedgwood, etc. Sans ces dilapidations et ces prodigalités ,
les découvertes de ces bienfaiteurs de Ihumanité auraient
eu des résultats bien autrement utiles. Si nous avions cou-
vert les dépenses extraordinaii'es de l'Etat, par des impôts
levés dans l'année, nos taxes n'excéderaient pas le dixième
de leur montant actuel ; la diminution du prix des produits
de notre sol ou de notre industrie ne serait pas compensée
par des droits équivalens ou supérieurs; les ouvriers iudus-
trieux pourraient vivre sans réclamer les secours de leurs
paroisses, et le taux, des profits ne serait pas, parmi nous,
au-dessous de ce qu'il est dans la plupart des autres pavs.
Aussi, quand on réfléchit à ce que l'Angîelerre serait main-
tenant sans ce système fatal, on est tenté de croire que Hume
et Smith ont plutôt méconnu une partie de ses dangers
qu'i's ne les ont exagérés.
I/histoire de presque tous les Etals modernes atteste la
vérité des principes que nous avons cherché à établir. Le
système des emprunts a été presqu'univei'sellement adopté ,
et il a affaibli toutes les nations qui y ont tu recours. C'est
aux emprunts et aux taxes dont i's ont rendu la création
nécessaire, qu'il faut attribuer la décadence df s pêcheries,
des manul'actures et du commerce de la Hollande. Aussi ic
judicieux auteur d'un ouvrage sur la richesse de cette an-
cienne république, obscrve-t-il que celui qui, le premier,
a pensé à faire soutenir les dépenses de la guerre par les
des dettes fondées. 253
ressources tlii crctlit , ne pouvait pas invenlcr \\\\ aii plus
funeste pour riuimauitô.
Voler quels ont été les progrès de l'intérêt de !a dette
publique de la province de Hollande.
Florins.
En 1562 , avant le commencement des troubles, cet
intérêt e'tait de 78,100
En iSyg , à l'e'poquc Je l'union d'Utrecht 1 17,000
En 1671 , avant l'invasion de Louis Xl\ 5,5og,3ig
En 1678, à la pais de Nimcguc. 7,107,128
En 1G97 , à la paix de Ryswick 8,545,3or)
En I7i3 , à la paix il'Ulrecht i3,475,o2fj
En 1750 , à la paix d'Aix-la-Chapelle.' i^ 910,874
En 178g, au commencement de la révolution fran-
çaise 14,948)822
En 1791 i8,2 7G;Oi5
Cetle progression eût été beaucoup plus rapide sans les
réductions forcées d'intérêls. Le premier eut lieu , en
i655, sous radministration du fameux Jean de Witt, qui
lit réduire l'intérêt de la dette publique de 5 à 4 p- °lo- En
1795, plus de cinq millions de florins furent déduits des
intérêts payés par la proi>ince de Hollande j mais, malgré
cetle réduction, le fardeau était encore trop lourd pour
elle, et il devint Indispensable, pour la soulager, de con-
fondre sa dette avec celle des autres provinces. L'intérêt
de ces dettes réunies était de plus de vingt-cinq millions de
florins. En i8o4, il dépassait vingt-quatre millions, et
depuis, malgré tous les eflorts de son gouvernement pour
combler le déficit , et l'imposition de nouvelles taxes sur
les consommations et sur les capitaux, une autre ban-
queroute devint nécessaire. Telles ont été les conséquences
des dettes fondées en Hollande, et il en sera de mémo dans
tous les Etals qui , après ces eflVayans exemples, seront
a54 Du système
assez insensés pour se servir de ce moyeu de payer leurs
dépenses extraordinaires.
Personne ne met plus en doulc aujourd'hui que le mau-
vais état des finances, résultant de l'extension qu avait
prise la dette publique, a été la cause immédiate delà révo-
lution française. C'est un fait curieux que Colbert avait pres-
senti le danger du système des emprunts, et quil avait fait
tous ses efforts pour eu empêcher rintroduction. Nous em-
pruntons le récit suivant à un Mémoire très-eurieux sur l'état
des finances, présenté au duc d'Orléans, régent, en 1717.
« M. de Louvois, dit l'auteur du Mémoire , comme toul
le monde sait, n'était pas fâché de voir la guerre. Au com-
mencement de celle qui fut entreprise en iQ'j'i , il fallut
des secours extraordinaires. M. Coibert créa quelques nou-
veaux impôts, ce qui excita des plaintes dans le public,
et des représentations de la part des magistrats. M. de
Louvois, instruit de ces diflicuîlés, alla trouver le premier
président du parlement de Paris , homme d'un mérite dis-
tingué et d vine probité reconnue. Il lui dit qu'il rendrait un
service essentiel au roi, en lui représentant qu'au lieu de
ces impôts extraordinaires que le Parlement avait tant de
répugnance à enregistrer et qui étaient si insupportables
au peuple, il était bien plus simple de créer des rentes 5
qu'un million de rentes créées produirait tout d'un coup
ving^ millions, et que ce serait un petit objet, par rapport
au revenu si considérable de sa Majesté. Ce magistrat suivit
de bonne foi l'avis qui lui était donné. Le roi, ravi de cet
expédient, qui lui venait d'un homme si recommandable,
dit qu'il fallait créer des rentes. M. Colbert, (|ui en pré-
voyait les suites et les Inconvéniens , voulut, avant de ren-
dre l'édit, se donner la «atisfaction de parler au premier
président. Il lui fit sentir les conséquences du conseil qu'il
avait donné, et lui dit qu'il répondrait de^vant Dieu du
des dettes fondées. 255
préjudice qu'il causait à l'Etat , et du mal qu il liaisait au
peuple. »
La maison de Bourbon a payé cher le tort qu'elle a eu
de sacrifier les avantages durables et permauens du système
de Colbert, aux apparences trompeuses du plan suggéré
par Louvois. Si l'avis de Colbert eût élé suivi, les hon-
teuses banqueroutes de 1715 et de 17G9, et probablement
la révolution française n'auraient pas eu lieu.
Malheureusement pour nous , noire propre histoire ne
fournit pas des preuves moins concluantes, que celle de
France ou de la Hollande, du danger des emprunts. A
l'exception de 664,263 liv., données en compensation aux
négocians et aux autres personnes qui avaient souffert de
la spoliation de l'Échiquier, ordonnée par Charles II, en
1672, la dette de la Grande-Bretagne a été entièrement
contractée depuis la révolution. Au commencement du
règne de la reine Anne, le principal de la 'dette était seule-
ment de i6,4oo,ooo liv. , et l'intérêt de i, 5 10, 000 liv. A
l'avéuement de Georges P"^, en 171!», le principal montait
à 52,000,000 liv. et Vintérêl à 3, 35 1,000 liv. j et à l' avè-
nement de Georges II, en 1727, le principal montait tou-
jours à 52,000,000 liv. ; mais, par suite de quelques mesu-
res prises en 1716, l'intérêt était réduit à 2,217,000 liv.
Quoique les inconvéniens des dettes fondées eussent élé in-
diqués de bonne heure par les membres de la chambre des
communes et par des écrivains d'une habileté incontestable,
les facilités que ce système présenta aux ministres qui se
succéilèrent, de faire des dépenses considérables , sans
compromettre leur popularité par l'imposition de nouvelles
taxes , le firent prévaloir. Les ministres de Georges II et
de Georges III avaient tous été élevés dans les principes
de l'école de Louvois. Une saine politique et l'intérêt de
l'Etat leur commandaient impérieusement de se conduire
256 Du systèina
avec fermeté , et . en dcplt des clameurs des ign,oraiis ,
d'imposer toutes les taxes nc1cliliomiel\es nécessaires pour
couvrir les dépenses extraordinaires. Mais au lieu d'agir de
celte manière mâle, franche et énergique, soit pour obtenir
les applaudissemens éphémères de la multitude, soit par
des considérations encore moins élevées, ils persévérèrent
avec une déplorable obstination dans les voies funestes du
système des emprunts.
Nous avons déjà observé qu'à Tavénement de Georges II,
en «727, le principal de la dette était de cinquante-deux
millions st. . et l'intérêt de 2, '217.000. Trois ans après Tavé-
nement du feu roi, à la paix de Paris, le capital de la dette
s'était élevé à la somme de cent trente-huit millions, et
Tintérèt à celle de 47852.05 1 liv. , par suite des guerres,
de 1739 et 1756. Depuis, la dette s'est accrue avec une
rapidité qui n'a eu d'exemples dans aucmi tems et dans
aucun autre pays. Les tentatives faites pour contraindre
les colons de l'Amérique du Nord à payer des taxes qu'ils
n'avaient pas consenties, l'augmentèrent de cent vingt mil-
lions ( trois juilliards de francs ), et la croisade en faveur
de la maison de Bourbon, de six cents millions ( quinze
milliards de francs ). Le montant total de la dette fondée et
Jlottante qui n'avait pas été rachetée , était eu principal ,
au 5 janvier 17 17 ? de plus de huit cent quarante-huit mil-
lions st. ( environ ving-deux milliards de francs ), et, en in-
térêts, de près de trente-quatre millions st. ( environ huit
cent cinquante millions de francs ).
Mais le principal objet de cet article est moins de faire
voir quels ont été les effrayaus et rapides progrès de notre
dette, que démontrer combien d'argent a été inutilement
perdu , pendant le cours de la dernière guerre , par suite
tle l'adoption du système des emprunts ; et afin que l'on ne
puisse pas nous accuser de nous servir de moyens accès-
des dettes fondées. 2;' 7
soircs ou douteux, nous commencerous par faire une
£;rande concession à nos adversaires ; nous supposerons
donc, et certes le lauréat (i) lui-même ne pourrait pas
exiger davantage , que non-seulement cette guerre a été ,
comme ses apologistes le prétendent . juste et iiîdispen-
sable , mais aussi qu'on l'a conduite avec toute Véconomie
possible. Nous conviendrons , si^on le désire , qu'il n'y a
pas eu de subsides donnés en pure perte aux puissances
étrangères j qu'on n'a pas fraudé dans le commissariat ni
dans !es autres services ; qu'aucune somme n'a été folle-
ment employée à faire des casernes ou à élever d'auiros
constructions 3 que tous les changemens faits dans l'habillc-
(i) Note du Tr. C'est ainsi qu'on appelle ironiquement F<o-
hert Sontliey , l'un des e'crivains contemporains les plus odieux nu
parti VFhig. 11 est l'auteur de plusieurs poèmes où il a fait preuve d'un
talent supe'rieur , et d'une histoire de la guerre de la Péninsule n'-
dige'e sur les matériaux qui lui ont été' fournis par le gouvernement
anglais. Cette histoire contient, comme on peut le croire, un orand
nombre d.e faits curieux et peu connus. Malheureusement on y trouve
aussi beaucoup d'imputations odieuses contre une partie des officiers-
généraux de notre ancienne armée. 11 serait à désirer nue ce dernier
ouvrage l'ùt plus connu parmi nous', afin que ces imputations qui s'ac-
créditent en Europe , à l'insu des parties intéressées, pussent cire dé-
menties. Robert Southey s'était d'abord annoncé comme un turbulent
démagogue; il avait débuté dans les lettres par un petit drame in-
titulé U'att Tyler, qui n'a jamais été représenté et qui n'est pas sus-
ceptible de l'être. Ce drame , qui parut pendant les lems les phjs
orageux de la révolution française, est nul sous le rapport lilléiaire
et ne se fit remarquer, à l'époque de sa publication, que par l'exalta-
tion des scnlimens démocratiques qui y étaient exprimés. Mais Scu-
thcy a renoncé , depuis long-tcms , aux opinions de sa jeunesse cl il
est devenu le complaisant apologiste de toutes les mesures desdifrérens
ministères (jui sont sortis, en Angleterre, de l'école de ?vl. Pitt. Ce
sont ces complaisances qui lui ont valu !;• dignité de poîle-lniircni
du roi. Les fonctions du poèlciauréat consistent à faire Vi-Xo^v i\u roi
le jour de sa naissance.
358 Du système des dettes fondées.
ment et réquipement des troupes étaient indispensables , et
en un mot , que les opérations des ministres ont cons-
tamment été dirigées avec le même esprit d'économie que
si elles avaient dû être contrôlées par un comité de bourgue-
mestres hollandais. Mais, après avoir fait toutes ces conces-
sions , nous prouverons que si les dépenses extraordinaires
eussent été couvertes par des taxes levées chaque auuée ,
nous aurions dépensé CE^T quarante-six millions ster-
LINGS f 5, 65o, 000,000 fr. ) de moins ^ et tjiie nous aurions
accumulé CENT MILLIONS ( 2,5oo,ooo,ooo fr.), à cause du
développement qu'auraient pris nécessairement l'industrie et
l'esprit d'économie , quand chaque contribuable aurait su
quelle part il dei^ait supporter dans les frais de la guerre.
C'est ce qui résulte du tableau ci-contre , que nous avons
dressé d'après les pièces publiées par ordre de la chambre
des communes et d'après celles qui ont été insérées dans le
journal officiel. On peut donc compter sur sa parfaite exac-
titude. ( Voyez ci-contre le tableau N° I. )
La première colonne contient l'état de la dépense totale
relative à la dette fondée cl flottante , non rachetée, telle
que cette dette était le 5 Janvier 1795, et telle qu'elle se
serait trouvée les années suivantes jusqu'au 5 janvier i8i6
inclusivement , si elle n'eiàt pas reçu d'augmentation. Nous
avons compris l'année 1 8 16, parce que , quoique la guerre
ait été terminée en 181 5, les opérations financières aux-
quelles elle avait donné lieu , se sont prolongées jusqu'en
1816. Les réductions résultent de l'extinction des annuités
viagères ou à terme fixe. La deuxième colonne contient le
montant total des dépenses faites par l'Etat, pour toutes les
branches du service public , la dette exceptée , également
depuis 1793 , et y compris 18 16. La troisième colonne
contient l'addition des sommes portées dans la première
et dans la deuxième , et , par conséquent, elle fait voir ce
qui! aurait fallu lever annuellement par l'impôt, pour ne
Du système des dettes fondées.
N" I.
a5.j
TABLEAU 1° Du montant de la dépense occasionèe -par la dette publique , contractée antérieurement au 5 janvier lygS,
à partir de cette année jusqu'en 1 8 16 inclusivement ; 'i° du montant des autres dépenses de l'État, pendant le même espace
de tems ; 5° du montant total des dépenses publiques , y compris la dette ; 4° du revenu net perçu par le Trésor ; 5° de
l'excédant de la dépense sur le revenu ; 6° de l'excédant de la recette sur la dépense, '
,.
3.
4-
5.
G.
'•
Frais annnels de
la d
ette
Années.
fondée et flottante,
duc
Montant total des
lépe
■ises
Total des sommes
portées
Total du revenu net pe
'•';■■•
Exré.lant de la dépense
Excédant du icvenu sur la|
i)ar l'état, au 5ja
uv.t
793,
de l'état, la dette 'p
ibli-
dans les colonne
I et 2.
par le tréso
sur le revenu.
dépense.
à pavtii- de cette
jusqu'au 5 janvi
r°iTi6.'
que exceptée.
Livres.
Livres.
Livres.
Liv.es.
Livres.
Livres.
1793
9,208,495
16
1
12,058,424
16
4
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17,869,236
16
4
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revenu
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1 14,086,272 i3
84
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Du système des dettes fondées.
N» II.
r • r. , "/ „f A intérêt comvosé . des capitaïuv laissés aux contribuables par suite de la supériorité
Accroissement progressif , a J p. U , et a im re.. y , ,• v^ . i ^i
de la dépense sur la recette , et de ceux qu'on leur a eideves par la supériorité des taxes sur la dépense.
■79^
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Excédant de la dépense
5 p. o/n, ;
.■(.nipoj.
Excédant de la dépense
à 5 p. 0/0, à intérêt
I composé.
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Int. 9,530,078 7
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Int. 10,006,582 7
Excédant de la dépense
sur le reveau accumulé
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210, 1 38,236 6
Int. 10,506,911 8
220,645,148 4
Int. 11,032,257 4
2,190,580 6
233,867,986 4
Int. 11,693,399 3
8,970,730 2
254,532,115 9
Int. 12,726,605 8
12,225,175 2
279.453,896 9
Int. 13,974.194 8
18,194,842 6
311,652,934 3
Int. 15,582,646 7
327,235,581 o
Int. î6,36i,77g o
3^,597,360
i8o3
1804
i8o5
1806
1807
Excédant du
la dépense ,
à 5 p. oyo , à intérêt
composé.
1,296,042 7
Int. ô4>8oa 1
i, 360,844 8
Int. 68,042 3
1,428,887 o
Int. 71)444 3
i,5oo,33i 3
[nt. 75,016 7
2,go3,257 3
4,478,614 3
Int. 223,<)3o 7
5,945,485 9
io,648,o3t 9
Int. 532,401 6
4,272,684 2
15,453,117 7
Inl. 772,655 9
4,463,o3o 9
i8i3
1814
i8i5
1816
Excédant du revenu sur
la dépense , accum\ilé
à 5 p. 0^0 , à intérêt
composé.
20,688,804 5
Int. 1,034,44° ^
4,256,346 6
25,979,5gi 3
Int. 1,298,979 6
27,278,470 9
Int. 1,363,928 5
28,642,499 4
Int. 1,432,124 g
30,074,624 3
Int. i,5o3,73i 2
31,578,355 5
Int. 1,578,917 8
4,000,847 4
37,148,120 7
Int. 1,857,905 o
21,107,375 o
60,123,402
S s .-B
•S ^ °
-2. o ^ 2
Es ^^
= :ô "^ Q-
.-13 eu 3
g ^ 3 iJ
Du système des dettes Jondées. 26 1
pas augmenter la tletlc, depuis 1790. La quatrième colonne
fait connaître quel a été le revenu de l'Etat , pendant le
même espace de tems , et la cinquième et la sixième co-^
lonnes indiquent quand la dépense a surpassé la recette et
quand la recette a surpassé la dépense.
Il résulte de ce tableau que !a dépense totale de l'Etat ,
pour la guerre . l'intérieur , les colonies et la dette con-
tractée antérieurement à la guerre de la révolution fran-
çaise , n'a dépassé, depuis 1793 jusqu'en 181 8, QUE DE
114,086,272 (environ 2, 853,000, 000 fr.) les recettes pro-
duites par les différens impôts, pendant la même période.
Il en résulte également que ce déficit a entièrement eu
lieu pendant les dix premières années de la guerre , et
que le ret^enu . postérieurement à 1802 , eût été plus nue
suffisant pour défrayer la totalité de la dépense , sans les
charges provenant des emprunts contractés de \']C>1 à i8o3.
Ces résultats paraîtront probablement fort extraordi-
naires aux admirateurs des dettes fondées ; mais nous
défions tous les commis de la Trésorerie de prouver qu'ils
sont inexacts. Il est impossible de contester ce fait, que si
on eût levé la somme , comparativement peu considérable ,
de cent quatorze millions slerlings, pendant les premières
années de la guerre, la dépense annuelle de la dette pu-
blique ne monterait pas aujourd'bui à buit millions ster-
lings ( deux cents millions de francs ) , au lieu de dépasser
trente millions ( sept cent cinquante millions de francs ) ;
et toutes les taxes du pays s'élèveraient , au plus , à vingt-
quatre millions sterlings ( six cents millions de francs ) au
lieu de s'élever à la somme énorme de soixante millions
( quatorze cents millions de francs. )
Nous donnerions cependant une idée fausse à nos lec-
teurs', si nous leur disions , qu'à l'exception de cent
quatorze millions, la totalité des sommes empnuilées,
pendant la guerre, a été entièrement perdue. Quelque
I. i8
sGi Du système
grands que soient les inconvéniens tics dettes fondées .
ils ne vont pas encore jusque-là. Les cent quatorze millions
laisses aux contribuables ont pu être capitalisés , et par
conséquent augmenter leur revenu 3 et comme nous avons
supposé qu'il leur eût été possible de vivre cl de s'entre-
tenir sans ce capital , si Timpôt ne le leur eût pas enlevé ,
nous devons supposer aussi qu'ils l'ont placé à intérêt com-
posé, pendant la durée de la guerre, et comparer le pro-
duit de cette somme ainsi accumulée, avec le montant de
la dette contractée dans le même tems. C'est assurément
poser la question de la manière la plus favorable aux dettes
fondées. Ces calculs sont établis dans le tableau précédent,
n" Il , pag. -260. Le solde de l'excédent de la dépense et
celui de l'excédent de la recelte, tels qu'ils sont portés dans
le tableau n° I, pag. sSg, sont accumulés dans celui-ci , à in-
térêt composé, au taux de cinq p. %, et en les déduisant l'un
de l'autre, on obtient la somme réelle qu'il faut comparei"
avec le montant des emprunts faits pendant la guerre ,
pour connaître au juste les avantages ou les inconvéniens
du système financier que nous avons suivi.
La différence entre ces deux sommes, ou 285,470,958
liv. st. ( 7,o86,848,g5o fr.), est le montant exact des ca-
pitaux placés à intérêt composé qui sont restés aux con-
tribuables, et qui leur auraient été enlevés , si on eut dé-
frayé par l'impôt la dépense de chaque année. Si les em-
prunts contractés pendant la guerre s'élèvent à plus de
283,4.75,958 liv. , l'excédant , quel qu'il soit, sera le capital
détruit ou perdu par notre système financier, tandis qu'au
contraire si ces mêmes emprunts ne s'élèvent pas à cette
somme , la différence sera précisément ce que nous aurons
gagné en le suivant. On verra ce qui en est dans le tableau
n° III, ci-après , que nous avons dressé sur des documens
officiels produits au Parlement dans la session de 1822.
des dettes fondées.
^^ 111.
26:
liant: 1° des ejnprunts contractés chaque année , depuis lygS
isquen 181G inclusivement ^ 2° des intérêts annuels de chacun
fe ces emprunts ; 5° de la portion desdits emprunts remise aua:
ommissaires de l'amortissement ; [\° des intérêts des fonds ru-
hetés par ces commissaires.
Sommes remises , sur
nées .
Montanl des emprunts
contractes chaque
année.
Intérêts
de ces empru
nts.
le produit des em-
prunt.-. , aux commis-
sai.es du fond, d'a-
mortisscment.
Blontant des intérêts
des fonds achetés par
Liv.
.1.
Liv.
s.
d.
Liv. s. d.
Liv. s. d.
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Montant total du c
apital et des i uévéls
des cniiirunls contra
■tés piMlr dcfiayor la
i;>,c,TC.Ic.793a,8,(
'■
264 ^" sysif-i/ie
En effet, il résulte de ce tableau que de 1795 à 1817 ^^
le gouvcruement a emprunte 584;874:!^56 liv. 17 sh. i d.
( environ 14,621,863,900 fr. ) , dont rintérêt annuel , à la
charge du public , s'élève à 5o, 174,364 liv. 4 sh. 5 3/4 (en-
viron 754,359,100 fr. ). Mais sur cette somme on a remis
188.522,349 liv. 19 sh. 0 d. (environ 4,713, o58,7'.i5 fr. ),
aux commissaires de ramortissemeut , avec lesquelles ils
ont acheté des fonc^; produisant , par an , un dividende de
9,168,232 liv. 12 sh. 8d. (environ 229,205,800 fr. ). Si
nous retranchons de la première somme celle qui a été
remiseà l'amortissement, ilreste596,352,2o61iv. 17 sh. 7 d.
(environ 9,908,805, i5o fr.) , auxquelles il faut ajouter les
nouvelles émissions de billets de l'Échiquier , s'élevant à
35, 289,300 liv. (envii'on 852,232,5oofr. ), ce qui donne, en
principal, vme somme totale de 429,64 i,5o6 liv. 1 7 sh. 7 d.
(environ 10,741,0^37,650 fr. ), montant de l'argent réelle-
ment emprunté pour défrayer les dépenses de la dernièrf
guerre.
Mais nous avons déjà vu que le montant total des sommes
laissées aux contribuables par l'adoption de notre système
financier, et par l'accumulation de ces sommes à intérêt
composé , au taux de cinq p. °l^, montait seulement à
283,475,958 liv. Qu'on les retranche des 429,641 .507 liv.
que le gouvernement s'est procuré, au moyen de ses divers
emprunts , et l'on se convaincra que la somme perdue par
la nation, par suite de ce système fatal, est, en réalité ,
comme nous l'avons avancé, de cent quarante-six mil-
lions CENT SOIXANTE-SEPT MILLE CINQ CENT QUARANTE-
SIX LIVRES STERLING ( 5,634, 1 88,725 fr- )•
Cependant quelque considérable que soit celte somme
de cent quarante- six millions sterlings , ce n'est point ,
comme nous le savons déjà , à elle seule que se borne la
perte que nous avons éprouvée. Nous avons fait voir
qu'il est impossible de co'.ivrir , par des taxes , la totalité des
des dettes J'ondées . 265
dépenses de raniiée , sans augmenter Tindustrie et l'esprit
d'économie des contribuables ; et , par conséquent , quand
on veut apprécier les effets des emprunts , il faut jM^endre
en considération la manière dont ils affaiblissent le prin-
cipe d'accumulation. Malbeureusement nous n'avons plus
ici que des conjectures pour nous guider 5 mais nous ne
croyons pas exagérer en supposant qu'indépendamment de
la perte directe qui est résultée pour le pays de notre sys-
tème de finances , il a eu aussi l'inconvénient fort grave
d'empêcher l'accumu'ation d'une somme capitale de cent
millions sterliugs. Celle estimation peut être un peu au-
dessus ou un peu au-dessous de la vérité ; mais nous
croyons qu'elle en est fort rapprochée. Quoi qu'il en soit,
il est certain que si les frais de la guerre eussent été payés
par des taxes levées dans l'armée, la nation aurait évité la
destruction d'un capital de cent quarante-six millions ster-
lings , qui pouvaient produire une r^nte de "^,300,000 liv.
( i82,5oo,ooo fr. ). Il l'est égalemeiit que chacun aurait
cherché à s'aff^ranchir des charges que le paiement de sa
part dans les dépenses publiques lui aurait imposées, en
réduisant ses dépenses personnelles et en redoublant d'ac-
tivité 5 que de cette manière toutes nos pertes seraient
maintenant réparées ou près de l'être , et qu'aujourd'hui
nous n'aurions pas plus de vingt ou vingt-quatre millions
d'impôts (Sooou 600,000,000 fr.)
En faisant Texamen des inconvéniens des dettes fondées ,
ce n'est pas un texte à d'inutiles plaintes sur les fautes
commises que nous avons cherché. Nous n'avons d'autre
but que d'achever de dessiller les yeux du public et de dis-
siper des illusions qui ne ne le sont pas encore entièrement,
alin qu'on ne recourre plus à ce dangereux expédient, lors-
qu'il faudra de nouveau satisfaire à des besoins extraordi-
naires. Pour coni])létcr ce que nous avions à dire à c«; sujc(,
a66 Du syslènie
el mellrc dans sou véritable jour la situation financière du
pays , nous allons faire maintenant quelques observations
sur le fonds tramortissement. Nous ne négligerons rien pour
être aussi courts que possible.
Le plan pour l'extinction graduelle et progressive de la
dette nationale , en établissant une caisse constaiumeut
employée à racbeter des fonds publics , avec les excédans
de revenu provenant de la réduction des intérêts et autres
sources diverses , fut d'abord proposé par le comte Slan-
bope, et adopté, en 1716 , par sir Robert Walpole. Les
avantages attribués .à ce plan furent expo^s dans un écrit
rédigé avec soin sur la dette du royaume, publié en 1726,
et dont ou suppose que sir Natbaniel Gould est l'auteur.
Une des dispositions de l'acte qui créait le fonds d'amortis-
sement, portait que sa dotation serait entière?) leiit et exclu-
sivement consacrée à l'extinction, du principal et des in-
térêts des\dettes contractées par l'Etat ^ antérhiiremeni au
a5 décembre i']i6j et à aucun autre usage quel quilpût être .
Mais, en dépit d'une disposition aussi précise, le fonds
d'amortissement fut bientôt détourné de sa destination
originelle. Plusieurs infractions avaient déjà eu lieu d'une
manière déguisée, pendant le tems qui s'écoula entre
17*27 et 1732 j mais ce fut en 1735 que se fit la première
infraction manifeste. En 1752, la taxe territoriale avait
éprouvé une réduction considérable , et afin de combler
le déficit que cette réduction aurait fait éprouver au re-
venu , l'on emprunta vin demi-million , et pour en payer
rinlérèt , on fit revivre la taxe sur le sel , supprimée deux
ans auparavant. li'anuée suivante , il fut nécessaire de se
procurer une nouvelle somme de 5oo,ooo liv. st. , et sir Ro-
bert Walpole proposa de recourir au fonds d'amoi'tissement,
ajoutant que si sa proposition n'était pas accueillie , il serait
obligé d'élever la taxe territoriale d'un sbilling à deux
des dettes fondées. 267
shillings. En conséquence celle motion passa à une grande
majorité, et de i'j'5^ et lySô, le fonds d'amortissement était
détourné en totalité du but pour iequel on l'avait établi.
Les auteurs de V Histoire de la chambre des lords , obser-
vent, avec raison , que lorsqu'une nouvelle taxe est impo-
sée, les contribuables sentent le poids delà dépense qu'elle
est destinée à couvrir , ce qui les détermine à examiner si
cette dépense est nécessaire, et lorsqu'ils se sont convaincus
du contraire , ils murmurent , et leurs plaintes deviennent
dangereuses pour les ministres. Mais lorsqu'on a recours
au fonds d'amorti^ement, personne n'examine plus l'utilité
de la dépense. Aussi les ministres ont-ils toujours pensé
qu'ils pouvaient impunément mettre ce fonds au pillage.
Le docteur Price gémit , de la manière la plus lamen-
table, sur cet acte de l'administration de Roi>ert Walpole.
« Ainsi, dit-il, expira, après ime existence de quelques
années, le fonds d'amortissement, cet unique espoir de la
nation, prématurément et cruellement détruit par sou pro-
pre auteur. Si on n'eût pas spolié les valeurs qui s'y trou-
vaient, il nous aurait rendu l'envie et la terreur du monde;
car, aujourd'hui nos taxes seraient abolies, et nous aurions
un trésor plus grand , plus considérable qu'aucun peuple
n'en a jamais possédé. »
Mais quoique le docteur Price ait tout-à-fait raison ,
quand il blâme Robert Walpole de n'avoir pas établi une
nouvelle taxe pour couvrir le déficit , il se trom|.e complè-
tement sur les effets qu'il attribue au fonds d'amortisse-
ment. Jja vérité est qu'aucun fonds de ce genre n'a jamais
opéré à intérêt composé , même ceux dont la dotation est
le produit de l'excédant du revenu. Supposons, par exem-
ple, qu'il existe dans les coffres du trésor, un excédant d'un
million sterling , et qu'on en fasse un fonds d'amortisse-
ment. En premier lieu, les commissaires cljargc's de l'ad-
ministrer achelcrout des rentes jusf|u .î concurrence; (run
268 Du sysltinc
million, et, à la tin de rauuée , ils en toucheront le divi-
dende ou rintérèt. Ils feront ensuite de nouveaux achats
avec ce dividende, et s'il est de 80,000 liv. à la fin de Tannée
suivante, ils auront 52,5oo liv. disponibles; à la fin de la
troisième année, ils en auront 55,i25, et ainsi de suite.
Voilà ce cjuesir Nathaniel Gould, le docteur Priceet M. Pitt,
appellent racheter la dette publique avec un fonds d'amor-
tissement opérant à intérêt composé. Il est clair cependant
que les commissaires de l'amortissement ne disposent d'au-
cune somme qui produise réellement et par elle-même
un intérêt, et que les diminutions qui s'opèrent dans le mon-
tant de la dette, résultent de ce qu'on emploie à son ex-
tinction une portion des taxes. Les dividendes que touchent
ces commissaires, et qui, seuls, les mettent à même de faire
leurs achats, sont versés dans leurs mains par les percep-
teurs de l'impôt , et par conséquent ils sont uniquement
le produit de l'industrie du peuple. Pour qu'un fonds
quelconque soit placé à Intérêt composé, Il faut d'abord lui
trouver un emploi productif, et que les produits, au lieu
d'être consommés comine revenu , soient régulièrement
ajoutés au principal, pour foi'mer un nouveau capital. Or,
nous n'avons pas encore eu de fonds d'amortissement con-
duits d'après ce principe. Ceux qui ont existé ici et dans les
autres pays, n'ont jamais racheté un seul shilling qu'avec
une portion des Impôts ou des emprunts. Mais II faut bien
se garder de considérer comme sans conséquence les Illu-
sions entretenues sur les merveilleux effets qu'autrefois on
leur attribuait généralement , et qu'aujourd'hui certains
économistes leur attribuent epcorej car il n'est pas dou-
teux que c'est en persuadant au public qu'on pouvait étein-
dre les dettes les plus considérables, sans qu'il en coûtât
rien à personne, et au moyen de certaines opérations, pour
ainsi dire magiques, qu'on est parvenu à faire prendre une
si désasti'cuse extension au s} stème des dettes fondées.
des dettes fondées . 2G9
Quelque absurdes que fussent de pareilles suppositions,
les écrits du docteur Price leur donnèrent le plus grand
crédit, et ses calculs visionnaires sur les globes d'or qu'au-
rait produit un sou placé à intérêt composé, depuis la
naissance de Jésus-Christ jusqu'en 1772 , complétèrent le
charme. On vit les hommes les plus éclairés du pays croire
« que la dette publique pouvait être diminuée , quoique
Ton contraclâtdenouveaux emprunts, au moyen d'un fonds
d'amortissement; que la guerre augmenterait la puissance
de ce fonds au lieu de raifaiblir, et qu'en suspendre l'action
pendant la durée des hostilités , ce serait précisément lui
donner le coup mortel, dans le moment où il tendrait le plus
à se lapproclier du but de son institution. » Le fameux fonds
d'amortissement de M. Pitt , en 1786, fut établi d'après
les principes et les calculs du docteur Price. Le Parlement
dota cette caisse d'une somme annuelle d'un million ster-
ling qui devait s'accroître à intérêt composé , par l'addi-
tion des dividendes des rentes qu'elle rachèterait. En 1792,
on augmenta un peu cette dotation^ et on établit en même
tems , qu à l'avenir ou lèverait des tax.es additionnelles ,
pour constituer un fonds d'amortissement d'un p. °/° du
capital reconnu dans les nouveaux empi-unts que l'on con-
tracterait. Comme le revenu donna un excédant considé-
rable, dans le tems qui s'écoula de 1786 à 1792 , la dette
fut réduite d'environ dix millionset demi ( 262,000,000 fr.),
cl cette réduction fut attribuée à la caisse d'amortissement,
opérant à intérêt composé , quoiqu'il fût évident qu'elle
était uniquement le résultat de la supériorité de la recette
sur la dépense. Postérieurement à la guerre pour la restau-
ration de la maison de Bourbon, le revenu public fut tou-
jours au-dessous de la dépense, et la dette s'accrut rapide-
ment. Mais quoique le trésor n'eût plus de millions à verser
tlans la caisse d'amortissement , cette jonglerie fut encore
prolongée. Les emprunts pour le service de l'année s'ac-
270 Z)m système
crurent uniformément de tout le montant des sommes des-
tinées à l'extinction delà dette, de manière que, par un
jeu puéril, pour chaque shilling de rente transférée aux
commissaires de l'amortissement , l'Etat contractait une
nouvelle dette d'une somme égale , indépendamment de la
somme qu'il fallait^ en outre, pour payer les frais de cette
administration , et qu'on était aussi oblige d'emprunter.
Et cependant cette absurde combinaison d'erreurs et de
charlatanisme était vantée par tous les partis. C'était à qui,
de l'opposition et du ministère , en ferait l'cîoge. Le fonds
d'amortissement était considéré comme le boulevard du
pays, et la déception était si complète et si générale, qu'a-
près une expérience de quatorze années, pendant lesquelles
on aurait du acquérir la conviction de sa nullité absolue,
lorsque lord H. Petty , aujourd'hui marquis de Lausdowne,
proposa, en 1807, ^^^^ p'an de finance, il proposa en même
tenis des mesures pour modérer l'amortissement , « afin
que le pays ne fût pas inondé de capitaux surabondaus
par le remboursement trou prompt de la dette publique. »
Nous ne croyons pas que l'histoire du monde offre un
second exemple d'une illusion aussi extraordinaire. Si le
système de l'amortissement eût renfermé quelque dognie
obscur et mystérieux 3 qu'il eût parlé aux sentimens et aux
passions populaires , ou que l'idée de sa puissance fûl née
dans la multitude , ou pourrait s'expliquer cette espèce de
vertige. Mais , dès le principe , il fut considéré comme
une chose de calcul ; c'étaient les hommes les plus éclairés
du pays qui l'avaient conçu^ et, pendant un quart de siècle ,
ils crurent de bonne foi qu'ils diminuaient la dette publique,
tandis qu'ils ne maintenaient leur fonds d'amortissement
qu au moyeu des emprunts qu'ils contractaient chaque an-
née. C'est au docteur Hamilton (i ) qu'appartient l'honneur
(i) Note du Tr. L'ouvrage dudoclciu Hamillon, sur ladctti', publique
(le la Grande-Bretagne , a ele traduit enfraiii;ais par M. îîcnri Lasalle.
des dettes Jondées. 'l'jx
d'avoir dissipé ces prestiges. lia prouvé que la caisse tVa-
iiiortissemeut , au lieu do diminuer la dette publique, avait
été au contraire une des causes les plus actives de sou ac-
croissement, et qu'on ne peut réellement l'éteindre qu'avec
l'argent qu'on se procure par la supériorité du revenu sur la
dépense. « Augmenter la recette, observe-t-il , ou diminuer
la dépense , tels sont les seuls moyens, de rendre efficaces
les opérations de notre caisse d'amortissement , et tous les
plans pour racheter notre delte nationale par des fonds
de cette nature, opérant à intérêt composé ou autrement,
s'ils ne sont pas fondés sur ces principes, sont tout-à-fait
illusoires. »
Nous avons déjà vu que la portion des emprunts remise
aux commissaires du fonds d'amortissement, depuis 1795
jusqu'en 1817 , montait à i88,522,55o liv. Les frais d'ad-
ministration de cette caisse , pendant le même espace de
lems, s'élevèrent à 62,968 liv. , ce qui fait une somme to-
tale de i88,Ô85,5i8 liv. ; et comme cette somme a été en-
tièrement empruntée, il en est résulté, tous les ans, une
charge de 9,771,065 liv. Mais les fonds que les commis-
saires ont achetés avec les i88,585,5i8 liv., donnent seule-
ment un dividende de 9, 168, 253 liv. Ainsi, d'un côté, l'Etat
a contracté une charge annuelle de 9,771,065 liv, par les
rachats que les agens de l'amortissement ont faits sur la
place , et de l'autre côté , les rentes , qu'ils ont acquises ne
.produisent qu'un intérêt deg, i68,255 liv. 11 résulte de ce
calcul que les opérations qu'ils ont faites, pendant la gur^rre,
font perdre chaque année au pays une sommede6o2,85oliv.
( 15,070,750 fr. ), qui, placée à 5 p. % , représenterait
un capital de 20,894,555 liv. (environ 525, 000, 000 fr. ).
Depuis la paix , les opérations de l'amortissement n'ont
pQS été moins funestes , et un membre du Parlement ,
M. Hume, a fait voir qu'aujourd'hui la dépense annuelle
2^2 Du système
de la dette fondée serait moins considérable d'une somme
de 356, 1 55 liv. , si ce fonds eût été aboli en 1817.
Il n'y avait dans tout le plan de M. Pilt qu'une seule
disposition réellement calculée pour amener la diminution
de la dette puplique, c'est celle qui fut adoptée sur la pro-
position de M. Fox 5 et qui portait que les taxes addition-
nelles seraient imposées , non-seulement pour servir les
intérêts des emprunts qui seraient contractés à l'avenir,
mais aussi pour établir un fonds d'amortisscanentd'un p. °/^
destiné à éteindre les rentes créées à l'occasiou de ces em-
prunts. Si cette clause eût été observée, et qu'on eût ex-
clusivement appliqué le nouveau fonds d'anaortissemeut à
Tobjet pour lequel il avait été établi , il n'est pas douteux
qu'il aurait fini r.ar éteindre les dettes contractées pendant
la guerre j mais il faut bien se persuader que ce résultat
n'aurait pas été produit par la force de l'intérêt composé 5
mais seulement parce que les taxes auraient été supérieui'es
à l'intérêt des emprunts. Le capital reconnu de la nouvelle
dette /ondée , créée depuis 1795 jusqu'en 1817, s'élève à
879,290,042 liv. Un p. "/o de ce capital aurait donné une
somme de 8,792,900 liv., indépendamment du produit des
accumulations. Mais au lieu d'avoir, à la fia de la guerre,
un pareil excédent de revenu, tandis que le fonds d'amor-
tissement nominal était de plus de quinze millions stei'lings
( près de quatre cents millions de francs ) , i'excéd;int de
la recette sur la dépense ne s'élevait pas , en réalité , à deux
millions sterlings (cinquante millions de francs); les taxes
imposées pour raclieter le capital de la dette , ayant toutes
été détournées de cet emploi et alfectées au paiement de
l'intérêt des emprunts conti'acîés en 1807 , 1809 et 181 5.
Au reste, il était assurément bien absurde de supposer
qu'un excédant de revenu existant sous la i'ornie d'un fonds
d'amorlissemenl, serait toujours scrupuleusement employé
des dettes fondées. 2^5
d l'exllnction de la dette. Dans le principe, les choses se
passent rcgulicrement ; mais quand les gouvernemens coiu-
inencent à éprouver des difficultés sérieuses dans la levcc
des impôts qui doivent couvrir les dépenses extraordinaires,
les fonds d'amortissement, comme l'expérience le prouve ,
ne tafdent pas à être détournés de leur destination primitive.
Si M. Pitt a cru sincèrement que son fonds d'un p. "/o
serait plus respecté que les autres, c'était une illusion non
moins étrange que sa confiance dans les opérations de ce
sou magique du docteur Price , qui devait produire des
globes d'or. Mais les ministres sont aujourd'hui plus éclairés
ou plus sincères. M. Va usittart disait , en i8i5, que « le
fonds d'amortissement pourrait devenir un instrument d'une
grande force dans les mains du Parlement , et qu'il était
susceptible d'amener les résultats les plus imporlans « Or,
il est évident que !e Parlement ne peut exercer de contrôle
sur ce fonis, que lorsqu'on le détourne du but spécinl
pour lequel on i'a établi. A une époque raoins éloignée ,
lord Londonderry alla encore plus loin ; car il dit en
propres termes, à la cliambre des communes, it qu'il n'a-
vait jamais considéré le fonds d'amortissement comme une
épargne sacrée, mais seulement comme une réserve dis-
ponible que le Parlement pouvait employer, selon qu'il le
jugeait le plus convenable , soit aux exigeances du moment,
soit à assurer la sécurité de l'avenir, »
Les effets réels d'un fonds, tel que celui que l'on veut
lever aujourd'hui, ne sont pas de diminuer la dette, mais
d'encourager la dépense. « Il n'y a pas, dit M. Ricardo ,
de plus forte garantie de la continuation de la paix , que de
mettre les ministres dans la nécessité de s'adresser au peu-
. pie, afin d'obtenir de nouveaux impôts quand ils veulent
fairç la guerrj. La plus légère provocation suffira pour les
déterminer à s'engager dans une nouvelle lutte , si vous
consentez à ce que la caisse d'aniortissement accunml.-
2'j4 ■^'^ système
pendaul la paix une somme un peu considér.ible. L'un
d'eux disait dernièrement en demandant des taxes pour
constituer !e fonds d'amortissement destiné à remplacer
celui qu'ils ont dissipe , que l'étranger nous ménagerait et
nous redouterait . quand il nous saurait en possession d'une
aussi formidable ressource. Or, cette manière d'argumen-
ter prouve qu'à l'exemple de leurs devanciers, i's ne con-
si'lèrent ce fonds que comme une réserve pour la guerre.
Si , comme cela devrait toujours être , on levait des taxes
jiour couvrir les dépenses extraordinaires , une caisse d'a-
mortissement n'en faciliterait pas la perception. Aussi n'est-
ce point parce que les ministres pensent que cette institution
aiderait la levée des impôts additionnels, qu'ils en font
l'éloge , mais parce qu'ils savent qu'elle leur permettrait
de s'en passer, et que, comme ils l'ont toujours fait , ils se
serviraient du fonds d'amortissement, pour payer les inté-
rêts des nouvelles dettes.
Si celte gi'ossière jonglerie ne coûtait rien , on ferait
bien de la prolonger pour l'amusement et pour la conso-
lation des vieilles femmes , des babitués de la Bourse , et
des gentilsbommes de campagne. Malbeureusement elle est
tout aussi dispendieuse qu'elle est absurde. Tl résulte des
comptes officiels que , du 5 janvier 17 i6 au 5 janvier 1822 ,
la recette a excédé la dépense d'une somme de 7,528,869 l.
( environ 189,000,000 fr. ), et, dans le même intervalle,
rintérétde la dette flottante a été réduit dans la proportion
de 5 1/2 3 2. Si l'excédant du revenu eût été purement et
simplement appliqué à l'extinction de la dette, le principal
et l'intérêt en seraient aujourd'hui sensiblement diminués.
Mais cette marche simple et droite ne pouvait passe con-
cilier avec les vues et les habitudes de nos ministres. Ils
préférèreul suivre leur propre goût et peut-être aussi celui
du public, en faisant leurs tours de main et de passe-passe
ordinaires. En conséquence le reveiui de l'amortissement
des dettes fondées. 2^5
qui elalt de i,5o5,774 liv. ( pi'rs de Ircnle-huit raillons de
l'rancs), lut porté à cincj millions slerlings ( cent vingt-cinq
millions de fraucs ). L'argent nécessaire pour faire celte
somme fut emprunté à la Banque et présenté comme re-
venu. On fit, en outre, beaucoup d'autres opérations ac-
cessoires : on changea , par exemple , un fonds contre un
autre, et les comptes du trésor devinrent à peu près inintel-
ligibles. liC résultat de toutes ces belles opérations fut que ,
malgré la réduction de près de moitié de Tintérêt de la
dette Jlottante , la dépense annuelle relative à noire dette.
au lieu de diminuer, s'est considérablement accrue. Nous
ne croyons pas cependant que ces faits , irut prouvé.s, tout
concluans qu'ils sont, suffisent pour déterminer les minis-
tres à renoncer à leur système de jong'erie et de déception.
Il est fort à craindre que nous ne soyons destinés à être
encore, pendant quelque tems, les dupes des charlatans en
finances , et probablement nous ne tarderons pas à acquérir
de nouvelles preuves de la propriété qu'ont les fonds d'a-
mortissement d'augmenter les dettes et les embarras de
tous les gouvernemens qui ont eu le malheur d'en établir.
( Revue d'Edinhouro;. )
DES DROITS IMPOSÉS SUR LE CAFÉ (^l).
Une opinion assez répandue aujourd'hui , c'est que les
ministres ne sauraient opérer un dégrèvement plus utile ,
(i) Note DU Tr. Le numéro précèdent de la He^uie lirilaiiiiiinie
contient un article remarquable intitulé : Des produits com/iarcs tAs
inares élevées et des petites (axes. Les théories qui y sont exposées
sont confirmées dans celui qu'on va lire , jinr l'autorité de nouveaux
faits et de nouveaux exemples.
i-]0 Des droits
ilaus nos charges publiques, qu'en supprimant, ou da
moins en réduisant beaucoup les Uixes réparties ( assessed
taxes ). Tel serait aussi notre avis , si cette mesure ne
nous paraissait pas devoir entraîner la conservation d'au-
tres droits bien plus incommodes. Mais, dans la situation
actuelle de nos finances , le ministère a besoin de fortes
recettes , et ce qu'il importe de savoir , ce n'est pas si les
taxes réparties condamnent le contribuable à quelques
priA'atious , mais si elles sont plus onérevises que d'autres
classes d'impôts. Il est facile de répondre à cette question.
Les taxes réparties , depuis les dernières réductions f[u'elles
ont subies , n'ont plus rien d'oppressif, et la difficulté de se
soustraire à leur perception , le seul défaut qu'on leur
trouve, en justifie , au contraire, le maintien. Elles ne trou-
blent pas la circulation naturelle des capitaux ; elles ne dé-
tournent pas le commerce de ses canaux accoutumés ; elles
ne provoquent pas la contrebande , et elles se perçoivent
sans peine et à peu de frais. H y a beaucoup de taxes qu'on
pourrait supprimer de préférence. De ce nombre , sont :
l'impôt sur le cuir , qui est d'im produit très-faible et d'une
perception très-diffici e; celui qui pèse sur les polices «.Vas -
surance, et qui, au détriment d'une branche d'industrie
fort uti'e , ne permet pas de mettre à l'abri des chances de
destruction, une masse considérable de propriétés ; l'impôt
■sur le fer et le bois de construction , lequel , en haussant
le prix des maisons et des machines , nuit , non à une classe
d'intérêts en particulier , mais à notre commerce et à nos
fabriques en général. Ces impôts et quelques autres de
même genre, sont ceux dont nous désirerions d'abord l'a-
bolition, et lorsque en l'opérant on aurait donné une nou-
velle impulsion aux branches capitales de notre industrie,
et augmenté ainsi le produit des contributions indirectes ,
on pourrait, sans inconvénient pour le trésor, supprimer
les taxes reparties.
imposés sur le café, 2'j'j
Nous nous bornerons , dans ce moment , à demander,
rà regard des droits sur le café , une réduction qui , si elle
«tait des deux tiers ou même des trois quarts , contri-
buerait au bien-être d'une portion notable de la population,
empêcherait la falsification de cette denrée , pratiquée au-
jourd'hui avec un succès scandaleux , et tendrait , non à
diminuer , mais , en dernière analyse , à augmenter le re-
venu public.
Une réclamation semblable vient d'«tre soumise au mi-
nistère, par les principaux planteurs des Antilles anglaises
et par les maisons de commerce les plus recommandables
de Londres et de Liverpool. Dictée par Tintérêt privé des
signataires, et nullement par l'amour du bien public , elle
n'en est pas moins d'une importance nationale , et son suc-
cès intéresse également les vendeurs et les consommateurs
de café. Grâce à la concurrence , ressort puissant qui agit
sans cesse, le producteur est obligé de vendre son café, son
sucre , etc. , etc. , au plus bas prix possible , d'où il suit ,
qu'en diminuant le droit qui pesait sur une denrée, on en
diminue proportionnellement le prix, et qu'on en augmente
le débit en le mettant à la portée de classes nouvelles de
consommateurs, classes moins aisées, mais par cela même
plus nombreuses. Ainsi, Tavantage du producteur ne con-
sistera pas à s'approprier , en tout ou en partie , le montant
de cette réduction , mais à donner plu« d'extension à la
vente de ses produits. Il s'agit donc spécialement ici de
l'intérêt des consommateurs ou de ceux aspirant à le de-
venir. Aussi espérons-nous que les amateurs de café feront
cause commxme avec les planteurs des Antilles, afin d'ob-
tenir une réduction qui tnultipllera leurs jouissances, en
favorisant la prospérité publique.
Le ministère n'a pas encore statué définitivement sur
cette, réclamation ; mais les vues éclairées et philosophi-
ques qui distinguent M. Robinson et M. Huskisson, ne
I. 19
2 7 H Des droits
nous permettent pas de douter qu'ils ne raccueillent favo-
rablement .
Nous avons déjà démontré que toute diminution de taxes
sur des denrées d'un usage général a pour effet d'en aug-
menter la consommation (i). L'histoire du commerce du
café , depuis quarante ans , présente , à cet égard , des l'é-
sultats trop remarquables , pour que nous hésitions à les
soumettre à nos lecteurs.
Avant 1785, les droits de tout genre qui pesaient sur le
café importe- dans la Grande-Bretagne , étalent de 4B0 p. %
ad valorem. Qu'en résultait-il ? que presque tout le café
qui s'y consommait alors y arrivait par contrebande, et que
le produit annuel des droits n'était que de 2,869 1'^- ^^•
10 sh. 10 d. ( 71,7^8 fr. 20 c. )• En 1780, M. Pitt diminua
les droits d'environ un tiers , et cette mesure eut pour effet
d'en tripler le produit et de réduire presqu'à rien la con-
trebande. Preuve frappante et irrévocalîle , comme l'a dit
M. Bryan Edwards , dans son Histoire des Antilles , que
les droits exorbitans ont presque toujours un effet contraire
au vœu du législateur.
A dater de cette époque , la consommation du café et le
produit des droits firent des progrès lents , mais sensibles.
Depuis 1790 jusqu'en 1794 inclusivement, les droits
étaient de 11 d. ( i fr. 10 c. ) par livre. La consommation
anûuelle , en Angleterre , fut , dans cet intervalle , de
8; 1,000 livres , et le produit des droits de 09,875 liv. st.
( 996,875 fr. ). En 1 795 , les droits furent portés à i sh. 5 d.
( I fr. 77 c.') par lii're ; mais, malgré cette augmentation ,
leur produit pour cette année et pour les quatre années sui-
vantes, ne fut que de 58,74© iiv. st. (968, 5oo fr.) , et la con-
somniatlonde 548,000 livres. Durant les années i8o5,i8o6
Cl 1807, les droits furent élevés à 2 sh. 2 d. ( 2 fr. 71 c. ) ;
(i) Note nu Tu. Voir le numéro i"^"" de la Tin-i/e liritnrinique ,
pag. 39
imposés sur le café. 279
mais par l'eftet de la vigilance qu'on mit à prévenir la
contrebande , du goût toujours croissant pour cet article ,
et de l'acquisition que nous fîmes de quelques îles françaises,
qui nous en fournirent de meilleure qualité , la consomma -
lion fut de I , I i5,ooo livres , et le produit annuel des droits
de 121,698 liv. st. ( 5,042,45© fr.)
En 1808 , M. PerceA'al , chancelier de TEchiquier, tou-
ché de la position déplorable où se trouvait le commerce
des Antilles , réduisit à 7 d. ( 73 c. ) les droits sur le café ,
et permit de le rôtir dans les maisons particulières. Cette
mesure eut tout le succès qu'on devait en attendre. La
quantité de café, consommée à l'intérieur, de 1808 à 1812
inclusivement, s'éleva de i,ii3,ooo à 7,177,000 livres,
et le produit des droits de 121,698 à 209,554 liv. st.
( 55,255,550 fr. ). On ne trouverait pas , dans toute l'histoire
de l'impôt , un exemple qui prouve mieux l'utilité qu'il y
a à n'établir que des taxes modérées sur les objets de con-
sommation générale. Cependant M. Vansiltart, chancelier
de l'Echiquier, porta, en 181 5, les droits sur le café à
7 d. 5/4 (76c.), et, bien que la consommation eût déjà
diminué , par suite de cette légère augmentation, il ne crai-
gnit pas de les élever à i sh. ( i fr. aS c. ) , en 1819. Cette
mesure eut le résultat que tout homme sensé devait pré-
voir. De 18 ig à 1820, la quantité de café consommée an-
nuellement ne fut que de 6,692,000 liv. , et le produit des
droits de 554, 000 liv. st. (8,35o,ooo fr. ) , tandis que si la
consommation se fût accrue proportionnellement à la popu-
lation , elle aurait été annuellement de 8,4 19,000 liv.
Pour donner au lecteur une idée plus nette des divers
résultats produits par les changemens qu'ont subis , à di-
verses époques , les droits sur le café , nous lui soumettrons
le tableau suivant , dont les élémens ont été puisés à
des'sources officielles , et sur l'exactitude duquel il peut
compter.
Des droits
Tarif par
Consommation,
Produits des
livre.
année moyenne.
droits, annc'e
moyenne.
0 sh. Il
1 5
I 6
d. 871,000 liv,
348,000
8i3,ooo
"^ 39,875 liv. st
38,74o
6o,55o
2 2
1,1 13, 000
121,702
O 7
o 7
i o
7,177,000
3/4 6,73o,ooo
6,692,000
209,334
225,797
334,600
•jftu
De 1 791 a 1795 excl
De 1795 à 1800
De 1800 à i8o5
De i8o5 à 1808
De 1808 à i8r3
De i8i3 à 1819
De 1819 à 1823
Le produit tles droits s'élève annuellement , sur le café
consommé en Ecosse, à i5,ooo liv, st. ( 57 5, 000 fr. ) , et
sur celui consommé en Irlande , à une somme à peu près
égale.
/ La colonie de Saint Domingue , qui, antérieurement aux
troubles qui la désolèrent , exportait une immense quan-
tité de café ( de 1786 à 1789 , elle en expédia 7,480,000 li-
vres , année moyenne), cessa, dès 1795, toute expor-
tation de cette denrée. La hausse des prix , que sa rareté dut
causer à l'époque des troubles en question , en encouragea
la culture à un point extraordinaire dans les autres îles
de r Archipel américain, et surtout à ia Jamaïque, où
(luelques propriétaires de Saint-Domingue sétaient retirés.
La quantité de café exporté de cette île, en 1790, fut de
1,783,000 livres pesantj mais elle augmenta progressive-
ment depuis cette époque, et , en i8o6, elle fut portée à
v>.7,298,ooo livres \ accroissement sans exemple dans
l'histoire de l'agriculture coloniale. Cependant, cette vaste
extension donnée à la culture du café, à la Jamaïque, ne
suffit pas pour combler le vidi^ occasioné par la perte
de Saint-Domingue, et, en conséquence, les prix se sou-
tinrent assez haut, jusque vers la fin de 18:0. A cette épo-
que , les décrets de Napoléon ayant opposé de fortes en-
traves à notre commerce avec le reste de l'Europe, nos
imposés sur le ctijé. 28 1
în a reliés furent surchargés de café, et le prix en baissa ccu-
sttlérahlement. La paix, en rouvrant nos relations com-
merciales avec le continent , ramena la hausse dans les
ventes de cette denrée, et si une baisse de 40 à 5o p. °/o s'y
est fait remarquer Tannée dernière , elle n'est pas due à
une importation plus considérable du café de nos colonies ,
puisque leurs exportations ont diminué depuis quelques
années; il faut uniquement l'attribuer à l'immense quantité
qui, du Brésil, de Cuba et de Java, en a été expédiée dans
nos ports. Quant au café de nos colonies, il a été, en ma-
jeure partie, réexporté et dirigé vers les autres pays de
TEurope. Mais aujourd'hui que nous avons à soutenir la
concurrence du continent américain et des deux Indes ,
nous ne devons plus espérer de faire , avec un grand suc-
cès, le commerce de cet article; nous devons même crain-
dre que si on ne le dégrève pas sensiblement de ses
droits actuels , afin d'en favoriser la consommation à l'in-
térieur , la moitié , peut-être même les deux tiers de nos
plantations, seront abandonnées, comme étant de nulle
valeur.
On pense généralement que pendant tout le tems où les
droits exorbitans que nous venons de signaler ont été main-
tenus, à peu près la moitié du café consommé dans les îles
Britanniques était altère' ou de contrebande. Ce dernier
genre de fraude a été rendu, il est vrai, plus difficile de-
puis cette époque; mais, d'un autre colé, on a légitimé la
vente du café de fabrique, poudre qui imite assez bien celui
des colonies , et dont la composition est devenue mainte-
nant une véritable branche d'industrie. D'après une loi
faite dans le cours du dernier règne, toute matière destinée
à suppléer au café , et désignée sous le nom de café britan-
nique ^ est probibée, et les débitans de matières de ce
genre sont passibles d'une amende de 5o livres sterling
aSa Des droits
( i,25o fr. ). C'est en vertu de cette loi que fut d'abord
saisie la poudre inventée et débitée par le fameux Hunt ,
apôtre si connu du radicalisme. Cependant nue loi nouvelle
a autorisé la vente de cette poudre , sous le nom de graine
rctie, pourvu qu an moyen de quelque étiquette ou signe
visible , le chaland puisse la reconnaître. On ne saurait dire
au juste jusqu'où s'en étend la consommation , mais il faut
croire qu'on en débite beaucoup, puisque le seigle , à l'aide
duquel on la fabrique généralement , s'est élevé , il J a quel-
ques mois , à un prix très-haut , et que , vers la même
époque, l'usage de \di graine rôtie a pénétré jusque dans des
villages où le goût du café était jusqu'alors inconnu. S'il faut
en croire l'avocat de M. Hunt, dans une cause où ce der-
nier était demandeur, il paraîtrait qu'un boisseau de seigle
peut fournir la matière de 35 à 36 livres de graine rôtie ^ et
qu'au pris, où elle se vendait alors , les fabricans en reti-
raient un bénéfice de 5oo à 4oo pour èent. Ce calcul est
sans doute exagéré i mais toujours est-il que l'entreprise est
fort bonne, et fait honneur au génie industriel de M. Hunt.
On avait espéré que la baisse assez forte qui a eu lieu ,
l'année dernière, dans le prix du café en aurait augmenté la
consommation. En effet, les qualités ordinaires se sont
généralement vendues , abstraction faite des droils, au
prix d'environ 6 deniers la livre ( 65 centimes ) , tandis que
dans les années précédentes , à compter de 1 8 1 4 , elles
coûtaient de lo à 12 deniers ( i fr. à 1 fr. aS cent. ) Ce-
pendant il paraît, d'après une circulaire d'une des premières
maisons de Liverpool ( en date du 8 janvier dernier ), que
la consommation du café, loin de s'être augmentée en 1824?
a été, de 448jOoo liv. , moindre qu'en 1822. Il faut en
chercher la cause dans l'altération du café, provoquée par
le taux élevé des droits actuels, et par la tolérance du
gouvernement.
imposés sur le café. abS
Or , nous le demandons , y a-t-il rien de plus absnrde et
de plus impolitique que de forcer le public , par des droits
exorl)itans, à faire usage d'une denrée falsifie'e ? N'est-ce
pas nuire à la fois au producteur et au consommateur, au
cominerce , au revenu de TEtat et aux mœurs publiques? ï!
est reconnu qu'un tiers de la graine rôtie , qui circule dans
le commerce, est employé à l'altération du café des colonies.
Un tel état de choses ne peut durer, et il est impossible que
le gouvernement ne consente pas aux réductions deman-
dées. S'il diminue les droits en question à 5 ou 4- deniers
( 5o à 4o centimes ) la livre , il est très-probable que la
consommation s'élèvera au triple ou au quadruple de ce
qu'elle est aujourd'hui ; c'est-à-dire qu'elle passera de 7
millions 321 ou 28 millions de livres. Dans ce cas , le débit
du café fabriqué ou altéré diminuera beaucoup , et le re-
venu de l'État augmentera dans la même proportljn.
On a objecté que la réduction de l'impôt sur le café pour-
rait nuire à la consommation du thé et entraîner par là un
déficit dans les recettes j mais n'est-il pas évident que le
trésor a moins à redouter une diminution de droits qui
permet d'étendre la vente du café des colonies , que le défaut
de consommation de cette denrée, provenant de l'usage
général de la poudre qui l'a remplacée, et qui n'est grevée
d'aucune taxe? Au surplus, et ceci tranche la question, il
est constant que la réduction qu'on opéra en 1808 dans
l'impôt sur le café, et qui en sextupla la consommation,
n'empêcha point que celle du ihé n'augmentât aussi d'année
en année. Il n'est pas probable, d'ailleurs, que l'usage du
café rerap'ace celui du thé dans les classes inférieures;
quant aux hautes classes , elles consomment l'une et l'autre
de ces denrées. On n'a donc pas à craindre que l'extension
dans le débit du café nuise à celui du thé; mais, en fut-il
ainsi,. c'est un mal auquel le gouvernement pourra aisément
emédier, si, comme il eu a le droit, il oblige la Coni-
284 Amérique
pagnie des ludes à vendre ses thés à meilleur compte, afin
d'en accroître la consommation (i).
C'est donc une mesure sage et même indispensable que celle
réclamée par les planteurs de nos îles et par le commerce
de Londres; et il est hors de doute qu'un acte du Parlement
qui réduirait de beaucoup les droits actuels du café , contri-
buerait non-seulement au bien-être des familles, mais à
l'accroissement du commerce et du revenu public.
( Rsuue d'Edinbourg. )
VOYAGES.-STATISTIQUE.
AMÉRIQUE MÉRIDIONALE (2).
Tous les documens authentiques qui concernent la partie
méridionale du continent américain , doivent être néces-
(1) ÎNOTE DU Tr. Voyez à cet égard le i<^'" numéro de la Revue
Britannique, pag. i5g.
(2) Note DU Tr. Il serait difficile de peindre l'inlérêt qu'excite,
dans la Grande-Bretagne , l'Amérique du sud. Pendant que le gou-
vernement y envoie des ministres et des consuls , le commerce la fait
explorer par ses agens , dans toutes les directions. A leur retour, l.'i
plupart publient la relation des voyages qu'ils y ont faits , et ces pu-
blications ne soni; pas lues moins avidement, dans les différentes
classes de la société , qu'un roman de V\ alter Scott ou un poème de
lord Byron. On dirait que l'Amérique méridionale a été découverte
une seconde fois ; et , dans le fait , l'Espagne et le Portugal en avaient
rendu l'abord si difficile, qu'elle était eu quelque sorte perdue pour
le reste de l'Europe. L'instinct commercial de l'Angleterre l'a avertie
que celte partie du Nouveau-Monde, exploitée à l'aide dises capitaux,
par des hommes industrieux, deviendrait pour elle une source de
richesses incalculables. Déjà les spéculateurs ont commencé leurs Ira-
méridionale. 285
sairement bien accueillis , rlans uu moment où Ténergie ,
si lon^-tems comprimée, de tant de millions d'hommes,
se ranime, et où la société y prend une physionomie tout-
à-fait nouvelle. Une crise semblable ne peut guère arriver
sans des convulsions douloureuses 3 et rien, dans l'ancien
état de TAmérique du sud, ne nous autorisait à croire qu'elle
ferait , sous ce rapport , une exception dans l'histoire de
l'espèce humaine. Aussi, quelque triste qu'ait été jadis, sous
le régime colonial, le sort de ces belles et malheureuses
contrées , jamais probablement leur condition n'a été plus
déplorable que dans cet état intermédiaire qui, depuis
quinze ou vingt ans, a déchaîné toutes les mauvaises passions
du cœur de l'homme, engagé une lutte sanglante entre les
partisans de l'ancien gouvernement et ceux de l'indépen-
dance, et mis les Indiens en situation de venger , sur les
uns et sur les autres, leurs anciennes injures, eu profitant
des facilités que leur donnaient les chances alternatives de
revers et de succès des deux partis (i). Heureusement nous
vaux : les flancs des Cordillères et des montagnes du Bre'sil se sillon-
nent de profondes tranchées qu'on y creuse , pour aller à la recherche
des tre'sors qu'elles renferment. En même tems les villes de ces riches
contre'es s'e'tendent et s'embellissent. On dit qu'à ce dernier égard,
Buenos-Ayres pre'sente surtout un aspect remarquable : de tous côte's,
des entrepreneurs, venus de la Grande-Bretagne, y font construire
des habitations pour les populations à naître, et pour celles qu'on y
attend de l'Europe. Nous serons probablement plus d'une fois dans le
cas de diriger l'attention de nos lecteurs vers l'imposant spectacle que
pre'sente ce continent qui se re'vcille du long assoupissement dans le-
quel l'avaient plongé les Portugais et les Espagnols , et nous ne lais-
seroos rien échapper de ce qui sera propre, dans les écrits périodiques
anglais, à constater les rapides progrès que la civilisation doit ne'ces-
sairement y faire. S. F.
(i) Note DU Tr. La population cuivrée , improprement désignée
.sous le nom d'îi diens, est estimée par aperçu à dix millions d'amcs.
Sur ce nombre , près d'un nnllion , qut vit dans les villes ou dans
leur voisinage , s'est soumis aux habitudes de l'Europe, et a adopte l'u—
286 Amérique
sommes aujourd'hui en droit d'espérer que cette lutle, dont
l'issue n'est plus douteuse^ aura en définitive, pour résultat,
sage de ses langues. Le reste se partage en deux grandes divisions : les
Indiens du Mexique et du Pe'rou , (jui c'talent civilise's avant les con-
quêtes de Cortez et de Pizarre , et ceux du reste de l'Ame'rique, qui
vivent encore dans l'e'tat sauvage. Les flots de la population d'origine
europe'enne font, tous les jours, en s' avançant, reculer davantage
les Indiens de l'Ame'rique septentrionale. A mesure que les forêts
dans lesquelles ils trouvent leur subsistance , tombent sous la cogne'e
des pionniers , leurs chasses deviennent nécessairement moins abon-
dantes ; aussi leur nombre décfoît-il rapidement d'anne'e en anne'e, et
il serait facile de de'terminer, d'une manière à peu près exacte, l'é-
poque à laquelle cette malhi ureuse race sera entièrement e'teinte dans
cette partie du Nouveau-Monde. Les Indiens du Mexique et du Pérou
ont opiniâtrement conservé leurs habitudes et leurs langages , tout
en se soumettant aux pratiques extérieures du culte catholique. Ils con-
servent aussi le souvenir de leur indépendance et de leur ancienne
religion , quoique , depuis trois siècles , on ait fait disparaître tous les
signes propres à l'entretenir. I^a vivacité de ce souvenir se manisfeste
quelquefois par des traits touchans , dont il est difficile d'entendre le
récit sans en être ému, et souvent aussi par des actes cruels. En iSaS,
un voyageur anglais s'était rendu au INlexique , pour y faire des col-
lections de curiosités et d'histoire naturelle. Il avait appris qu'une idole
avait été enfouie, peu de tcms après la conquête, dans un lieu qui
forme aujourd'hui la grande cour du collège de Mexico. Il y fit faire
des fouilles , et effectivement on découvrit une statue monstrueuse en
basalte, celle de la déesse de la guerre, dont l'aspect terrible rappelait
les sacrifices humains qu'on faisait jadis sur ses autels. Les créoles de
Mexico virent cette idole avec horreur et dégoût ; mais c'était avec un
sentiment bien différent que la population indigène , accourue de tous .
les villages voisins , la considérait. Le lendemain du jour où on l'avait
tlécouverte , on la trouva couronnée de fleurs et environnée de guir-
landes. C'étaient de pauvres Indiens qui les avaient apportées , en esca-
ladant , pendant la nuit, les murs du collège. Quand le gouvernement
républicain vit la fermentation qu'excitait cette statue , parmi les indi-
gènes , il crut devoir la faire enfouir de nouveau. Le même voyageur ,
en s'enfonçant dans l'Intérieur du pays, fut témoin d'une autre scène
non moins remarquable. Gemme il n'était pas d'origine espagnole,
présence n'inspirait point de défiaïKiC. La veille de Noël , il arriva dan
méridionale. 287
ramélioration durable de la situation des divers pays qui en
ont été le théâtre.
M. Caldcleugh , qui a été secrétaire particulier de notre
ambassadeur au Brésil, vient de publier la relation des
voyagera qu'il a faits dans TAmérique du sud (i); et quoiqu'il
ait augmenté la luasse des renseignemens que nous avions
déjà sur plusieurs de ses parties , il n'a cependant qu'im-
narfaitement rempli les espérances que nous étions en droit
de fonder sur son ouvrage, surtout après les fonctions qu'il
a exercées au Brésil. Rien sans doute n'est plus difficile que
un village indien. On l'engagea à assister à une pantomime qui devait
avoir lieu dans l'ëglise. Il vit deux individus, l'un habillé comme un
Espagnol du tems de Charles-Quint , l'autre qui repre'sentalt l'empe-
reur Montezuma. Un combat s'engagea entre ces deux personnages ,
et , contrairement à la vérité' historique , ce fut à Montezuma que
resta la victoire ; ce qui excita une vive satisfaction et de bruyans
transports parmi les spectateurs. 11 s'est passé au commencement de
cette année un fait plus sérieux qui prouve encore d'avantage l'inimitié
des Mexicains pour les descendans de leurs vainqueurs. Le gouver-
nement avait envoyé , dans l'île des Sacrifices , un régiment Indien ,
commandé par des officiers créoles. Ces officiers ont tous été mas-
sacrés par leurs soldats. Les mêmes dispositions existent chez les
Indiens du Pérou. A une époque déjà ancienne, en 1780, plus de
vingt mille d'entr'eux avaient pris les armes, et, commandés par un
rejeton des Incas , ils avaient marché contre Lima. Comme celte
entreprise ne fut pas secondée par les créoles , qui s'en étaient alarmés,
elle échoua , et son chef fut condamné à mort et exécuté. Quelques
personnes qui ont récemment visité l'Amérique du sud, pensent qu'il
est difficile que d'ici à quelque tems il ne s'y engage pas une guerre
de couleur. Mais les Indiens y succomberont lafalUiblemenl ; car ,
dans le Nouveau-Monde comme dans l'ancien , toutes les chances sont
maintenant en faveur de la civlUsallon ; c'est elle qui donne la ri-
chesse, et aujourd'hui c'est la richesse qui fait la force.
(i) Travels in South America , during t/ic ycars iSi(>-:io-ii ," co/i~
taining art account of thc présent state of lîrasil , Bucnos-Ayres and
OUle. By Alexander Caldcleugb, csq. — 5 vol. , 1824-
288 Amérique.
de peindre avec des paroles, le caractère à la fois imposant
et paisible d'uu pajs de montngnes , paré de tout leluxe de
la végétation des tropiques. Mais il est impossible d'avoir
manqué plus complètement que M. Caldcleugh, la descrip-
tion qu'il a tenté de faire de la scène magnifique qui s'offre
aux regards , quand on arrive dans le grand port de la ca-
pitale du Brésil. Heureusement cette belle scène est pariai-
tement décrite dans la relation publiée par deux, voya-
geurs bavarois, MM. de Spix et de Martius. Cette grande
ouverture que la nature a pratiquée entre d'énormes ro-
ches de granit , à travers lesquelles les vaisseaux pénètrent
dans un bras de mer d'un bleu sombre, qui forme le port
de Rio-Jaueiro , et dont les flots, presque toujours paisi-
bles, ressemblent à ceux d'un lac 5 ces rivages, dont la
verdure forme un charmant contraste avec les murailles
blanches des maisons, des forts, des chapelles, des églises,
des couvens , construits sur leur inclinaison 5 ces monti-
cules boisés, qui se succèdent dans une étendue de dix-huit
à vingt milles , Jusqu'à ce qu'ils aillent se confondre avec un
amas de montagnes gigantesques qui s'élèvent à l'horizon :
tout, dans l'ouvrage de MM. Splx et Martius, est peint des
couleurs les plus vives, et eu même tems les plus fidèles.
C'est avec le même succès , la même chaleur d'expres-
sion , le même art de former des groupes , et une exac-
titude non moins minutieuse dans les détails , qu'ils ont
parlé des vallons délicieux qui se développent aux regards
lorsqu'on sort de la ville, et que l'on aperçoit cette végé-
tation si riche et si variée qui couvre la campagne. La
même scène, vue au milieu de la nuit , du penchant d'une
colline, n'est pas moins bien décrite j c'est aussi avec un
talent égal qu'ils ont peint cette multitude d'être vivans ,
qui animent successivement, pendant le cours de la journée,
la profondeur des forêts des tropiques. Cette dernière des-
méridionale. a.8g
cription rappelle même si parfaitement les meilleures pages
<le M. de Humboklt , que nous croyons faire plaisir à nos
lecteurs en la citant.
« Le naturaliste qui arrive ici pour la première fois, ne
sait pas ce qu'il doit le plus admirer des formes , des cou-
leurs ou des cris si divers des animaux. Excepté à~ midi ,
lorsque toutes les créatures de la zone torride clierclient
l'ombre et le repos, et qu'un silence solennel se répand sur
toute ia nature qu'illumine les rayons d'un soleil éblouis-
sant , chaque lieure du jour met en mouvement une race
dfférente d'animaux. Le matin est annoncé par lesglapissc-
meus des singes, les sons aigus que forment les crapauds et
les grenouilles, et le ramage monotone des cigales. Lors-
que le soleil a dissipé les vapeurs qui le précédaient , tous
les animaux se félicitent à la fois de la renaissance du jour.
Les guêpes quittent leurs longs nids suspendus aux brandies
des arbres. Les fourmis sortent des habitations singulières
qu'elles se sont consiruites, et s'avancent sur les sentiers
qu'elles ont elles-mêmes tracés pour leur usage. De char-
mans papillons , dont les couleurs sont aussi éclatantes que
celles de i'arc-en-ciel, tantôt iso'.és et tantôt réunis, vol-
tigent de fleurs en fleurs , ou vont chercher leur nourriture
sur les routes et sur les bords sablonneux des ruisseaux.
Le brillant Ménélas , Nestor , Adonis , Laertes , Ida et le
grand Euryloque , recherchent les vallées humides , et
planent comme des oiseaux au-dessus de leurs buissons. La
Feronie, toujours agitée, vole rapidement d'arbre en arbre,
tandis que la chouette , avec ses aîles étendues , reste im-
mobile en attendant l'approche du soir. Des myriades d'cs-
carbots bourdonnent dans l'air , ou étincellent comme des
diamans parmi les fleurs et sur la verdure. Dans le même
tems, d'agiles lézards , remarquables par leur forme, leur
dimension et la vivacité de leurs couleurs , sortent de des-
sous le gazon et des trous creusés dans le sol. Des serpens
2f)0 Amérique
venimeux (Vune couleur sombre, d'autres inoffensifs , plus
brillans que Fémail des fleurs, se glissent sur la tige des
arbres et guettent , en s'épanouissant au soleil, les insectes
et les oiseaux. A. partir de cet instant de la journée , tout
est vie et mouvement. Des écureuils et des singes , réunis
en troupes, sortent des forêts et se dirigent vers les planta-
tions, en sifflant , en s'appelant et en bondissant d'arbre en
arbre. Une multitude d'oiseaux , de formes singulières et
du plus beau plumage, voltigent ensemble ou séparément,
à travers les buissons. Des perroquets verts , bleus , rouges,
se rassemblent sur le sommet des arbres ou volent vers les
îles, en remplissant l'air de leurs cris perçans. Le toucam ,
posé sur l'extrémité des brandies, appelle la pluie d'un
ton plaintif avec son grand bec creux. Les loriots sortent de
leurs nids , auxquels ils donnent la forme d'un sac , pour
aller visiter les orangers, et leurs sentinelles annoncent
l'approche de l'homme par des cris aigus. Les mouche-
rolles , placés à l'écart eu embuscade pour surprendre
les insectes , s'élancent des arbres, et d'un vol rapide ils
saisissent les mouches qui viennent bourdonner près d'eux.
En même tems la grive , cachée dans l'épaisseur du
feuillage , témoigne sa joie par des cbants pleins de dou-
ceur et de mélodie. Le manakin, dont la voix ressemble à
celle du rossignol, s'amuse , en chantant dans les buissons ,
tantôt d'un côté et tantôt de l'autre, à égarer les chas-
seurs j tandis que le pivert fait au loin résonner la foret ,
en arrachant l'écorce des arbres. Mais quelque chose de
plus bizarre encore et qui remplit le voyageur de surprise,
c'est la voix de l'urapoiiga , dont les sons , pour ainsi dire
métalliques , ressemblent à ceux d'un marteau frappant
sur une enclume. Tandis que chaque créature vivante salue
de celte manière la splendeur du jour , le charmant oiseau-
mouche , dont la beauté et le lustre rivalisent avec ceux
des diamans, des émeraudes et des saphirs, se balance
méridionale. • 291
sur ses ailes au-dessus des fleurs. Loi'sque le soleil com-
meuce à baisser, la plupart des animaux se retirent et
vont prendre du repos 5 mais le daim , le timide pécari ,
le tapir , le craintif agouti , continuent à brouter sur le
gazon. Le uassua et Topossum , et tous les animaux rusés
de l'espèce du chat , se glissent à travers l'obscurité de la
forêt pour surprendre leur proie 5 jusqu'à ce qu'enfin les
glapissemens du singe, les cris du paresseux, qui ressem-
blent à des cris de détresse 5 ie coassem.ent des grenouilles,
le bruit monotone des sauterelles, terminent la journée.
lia nuit tombe , et la voix du raacuc et du capuera annonce
sou arrivée. Alors d'innombrables essaims de mouches et
de vers luisaus commencent à briller dans l'ombre, et
d'énormes chauve-souris voltigent comme des fantômes
dans l'épaisseur des ténèbres. »
Sous quelqu'aspect qu'on le considère , le nouvel empire
du Brésil est, sans contredit, un sujet séduisant pour les
pinceaux du voyageur , soit que l'on examine ses monta-
gnes ombragées depuis leur base jusqu'à la cime, pr.r
d'imposantes forêts, et qui cachent dans leur sein l'or , les
diamans, les topazes, en un mot presque toutes les pierres
et les métaux précieux i ses plaines spacieuses, couvertes
des plus riches pâturages i ses vallées si riantes, dont le
sol produit avec une étonnante profusion tout ce qui est
agréable ou nécessaire à la vie 5 ses rivières , qui commu-
niquent avec une côte remplie de ports sûrs et commodes ,
et si heureusement situés pour le commerce de toutes les
parties du monde ; ou bien enfin la salubrité de son climat,
dans tous les degrés de latitude, depuis l'équateur jus-
qu'au 55° sud. Sous ces différens rapports, comme sous
tous les autres, le Brésil doit èlre regardé comme une
des contrées les plus favorisées de la nature : bien peu
l'égalent, et aucune ne la surpasse.
Mais ces inappréciables avantages étaient en grande
UQa Amérique
partie perdus pour les habitans , lorsque le Brésil était
une colonie du Portugal , et qu'il se trouvait soumis h toutes
les restrictions imposées par la métropole. L'arrivée de la
cour dut être par conséquent considérée comme un évé-
nement fort heureux, et elle fut accueillie par de joyeuses
acclamations. Les ports , qui jusqu'alors avaient été sévè-
rement fermés, furent ouverts aux étrangers et au com-
merce extérieur. Selon MM. Spix et Martius , 24,000
Portugais arrivèrent avec la cour, indépendamment des
Anglais, des Français , des Allemands, des Hollandais et
des Italiens. A cette époque , la population de Rio-Janeiro
n'était estimée qu'à 5o,ooo âmes. Ces deux voyageurs
assurent qu'eu 1817 elle s'était élevée à 1 10,000, et M. Cald-
cleugli estime qu'elle montait, en 1821 , à 1 55, 000, dont
io3,ooo nègres et 4 >ooo étrangers. La population totale du
Brésil peut être de 5,5oo,ooo à 4>ooo,ooo d'ames; il n'est pas
facile (ie détermler la proportion des esclaves ; mais elle doit
être énorme , s'il est vrai que 20,000 nègres soient importés
annuellement à Rio-Janeiro , indépendamment de 10,000 ,
qui sont dirigés sur Babia et sur les autres ports , ce qui
doit faii'e perdre tous les ans , à l'Afrique , plus de
40,000 de ses malheureux habitans. Non - seulement ces
importations sont inutiles , mais elles sont nuisibles , et ne
peuvent être tolérées que dans un pays où les hommes
sont dépourvus de toute espèce d'énergie et livrés à des habi-
tudes de paresse et d'oisiveté. Ici du naoins les esclaves ne
sont pas conduits au travail avec le fouet ; au contraire ,
M. Caldcieugh nous assure que beaucoup d'entr'eux pa-
raissent faire tout ce qui leur convient , et même entière-
ment gouverner des maîtres indolens. Sans doute, ajoute-
t-ll , il ne faut pas en conclure que leur sort soit digne
d'envie ; mais en les voyant chanter et danser dans les rues
de Rio-Janeiro, on ne peut pas supposer qu'ils se trouvent
malheureux. Les voyageurs bavarois tiennent le même
méridionale. 295
langage à plusieurs reprises, cl ils cloniient une preuve
assez curieuse de la douceur des Brésiliens envers leurs
esclaves. Un nègre qu'ils avaient loué pour conduire leurs
mules , s'enfuit et se cacha : lorsqu'on l'eut découvert , et
qu'on le leur ramena, on les engagea , au lieu de le punir,
à lui parler avec douceur et à lui donner un hon verre
d'eaunle-vie ; ce qu'il dut plutôt considérer comme une
récompense de la faute qu'il avait commise que comme un
encouragement pour se corriger. On peut conclure de cette
petite anecdote que si les noirs ne mènent pas une vie trop
pénible , on ne fait malheureusement aucun effort pour
améliorer leur moralité et favoriser leur développement
intellectuel.
Nulle part les esclaves ne sont plus facilement affranchis 5
mais il est bien rare qu'ils aient lieu de se féliciter d'être
devenus libres ; car on observe que lorsqu'ils ont obtenu
leur liberté , ils sont en général paresseux et sans conduite,
et leurs désordres manquent rarement de plonger leuis
familles et eux-mêmes dans la misère. Comme ils n'ont pas
l'habitude de la réflexion , i's sont imprévoyaus, et nulle-
ment propres à conduire leurs affaires.
Il arrive cependant quelquefois qu'ils réussissent assez
pour avoir à leur tour des esclaves ; mais ce sont presque
toujours les plus durs et les plus cxigeans des maîtres.
« Jeter dans le monde un nègre dépourvu du sens néces-
saire pour s'y conduire , loin d'être , dit M. Caldclcugh ,
une action méritoire, en est au contraire une fort mau-
vaise. » Nous partageons entièrement son avis ; mais nous
sommes un peu surpris que ses réflexions s'arrêtent là , et
qu'il ne cherche pas à remonter à la cause de ce manque
de raison et d" intelligence. Nous ne supposons pas ce-
pendant qu'il admette la théorie des classes inférieures
des blancs du Lrésil sur l'origine primitive de cette race
infortunée.
i 'iO
294 Amérique
« A l'époque de la création d'Adam , disent-ils , Satan
pétrit aussi un homme j mais comme , en le touchant , il
l'avait rendu noir , il voulut le blanchir dans les eaux du
Jourdain. A son approche , le fleuve se retira , et tout ce
qu'il put faire fut de déposer son homme sur le sable que
Teau venait de quitter. La plante des pieds du nègre et Tin-
tcrieur de ses mains furent humectées de cette manière , ce
qui explique la blancheur de ces parties. Le diable fort
irrité donna nn coup sur le nez de sa créature et le lui
applatit. Alors le nègre réclama un peu d'iudulgence et ob-
serva humblement qu'il n'avait aucun tort. Satan , adouci
par ces observations , lui fit quelques caresses à la tète , et
par la chaleur de ses mains il lui frisa les cheveux. , et leur
donna cet aspect laineux , un des signes caractéristiques de
la race africaine. »
Si nous l'avons bien compris, M. Caidcleugh désirerait
que les Brésiliens conservassent leurs esclaves, et que , par
leurs rapports avec les négresses, ils produisissent une race
de mulâtres qui unirait l'intelligence européenne avec la
force musculaire africaine , et qui, étant propres à tous les
genres de travaux , ne tarderait pas à rendre inutiles les
importations de noirs. Nous ne dirons rien de la parfaite
moralité de ce plan 5 nous ferons seulement remarquer à
M. Caidcleugh qu'il a oublié que, dans tous les pays où
existe l'esclavage , les enfans suivent la condition de leur
mère , et lui-même cite , à cet égard , un fait assez plaisant.
Un certain Padre Cnnto avait eu quatre fils mulâtres ; il en
vendit deux , et ceux qui lui restaient remplissaient près
de lui le devoir agréable et iout-à-fait filial de le conduire
dans la ville en chaise à porteurs.
Il est fort à regretter que le comte de Linhares , en in-
troduisant, comme 11 Va. fait, différentes améliorations dans
l'administration du Brésil , n'ait pas profité de sa position
pour prendre des mesures contre la traite des nègres de
mêridionaie. aqS
manière dn moins h empêcher les nouvelles importations»
Mais, grâce au ciel , ce détestable commerce cessera avant
peu dans toute l'étendue de l'Amérique du sud. Environné
par les républiques de Colombie, du Pérou , de Buenos-
Ayres , dans lesquelles les esclaves ont été affranchis ou
sont sur le point de letre , le Brésil se trouvera dans la
nécessité de suivre leur exemple. Il eût mieux valu sans
doute donner de bonne grâce la liberté aux nègres , que
d'attendre qu'ils réclament eux-mêmes les privilèges ac-
cordés à leurs frères dans les états voisins. Le ministre
dont nous venons de parler , a encouragé la littérature et
favorisé la liberté de la presse , de manière qu'on publie
maintenant des pamphlets politiques ; et une gazette s^im-
prime à Rio-Janeïro , deux fois par semaine. L'empereur
Don Pè Ire paraît également disposé à protéger les lettres ;
mais comme c'est un Jeune homme d'un caractère vif et
léger, et que son éducation a été fort imparfaite, il est
capricieux, volontaire et despote , et dernièrement il a pris
une mesure envers quelques Allemands , qui , si elle eût été
étendue aux sujets de la Grande-Bretagne ou des États Unisr
aurait bien pu compromettre la stabilité de son nouvel
empire. Ces pauvres gens avaient émigré dans l'idée qu'ils
trouveraient utilement à s'employer , soit dans l'exploita-
tion des mines , soit dans la culture des terres j mais , à,
leur arrivée , on les enrôla de vive force dans l'armée bré-
silienne , et , pour les empêcher de fuir , on les signala
comme des déserteurs aux capitaines des bâtimens étran-
gers qui se trouvaient dans le port. Cependant des écoles
s'organisent sous les auspices de l'empereur. Il y a à Rio-
Janeïro une bibliothèque publique à laquelle son père a
donné 70,000 volumes, apportés du Portugal. On y a éga-
lement établi un muséum d'histoire naturelle et une école
de chirurgie. Un savant carmélite , le frère Léandro de
Sacramento , qui élève des plantes rares près de la ville ,
296 Amérique
fait des leçons sur l'histoire naturelle , et principalement
sur la botanique. Il y a , en outre, une académie des beaux-
arts avec une galerie de tableaux , un hôpital et plusieurs
autres établissemeus de charité. Lesliabitans paraissent fort
disposés à mettre à profit ces diverses institutions , et à les
encourager. La musique est très-cultivée par les dames ;
ily a un opéra ; mais les acteurs sont presque tous , dit-on ,
des hommes de couleur. On prétend que l'empereur est
si passionné pour la musique , qu'il lui arrive souvent de
diriger Ini-mcme rorchestre.
L'abolition de plusieurs restrictions qui gênaient la liberté
du commerce, a fait naître chez les habitans de Rio-Janeïro
nn goût d'entreprises et de spéculation qui n'y existait pas
ja'dis ; on remarque plus d'activité chez les marchands en
boutique ; les marchés se sont fort améliorés, et sont abon-
damment pourvus de viande de boucherie, de volailles , de
poissons , de fruits et de légumes. A Tégard des fruits en
particulier, aucun pays ne peut se vanter d'en offrir une
plus grande variété. L'orange, le citron, l'ananas, la pro-
lifi([ue et nutritive banane et bien d'autres encore sont ,
par la molération de leur prix, à la portée des plus pau-
vres habitans. Indépendamment de tous \es végétaux
d'Europe, le Bi'ésil en produit aussi qui lui sont particu-
liers. Le mandioca et le maïs sont les alimens ordinaires
des esclaves. Le cacao , l'indigo et le tabac sont au nombre
des articles de commerce ; mais les productions les plus
importantes du Brésil , celles dont il tire principalement
sa richesse , sont le café, le coton , les cuirs , le suif, les
drogueries , les bois de teinture , l'or et les pierres pré-
cieuses. L'exportation de ces articles a représenté , en 1820,
une valeur de 1.860,000 liv. (46j5oo,ooo fr.), et, en 1821,
ime valeur de 2,23o,ooo liv. (55,75o,ooo fr. ). Le revenu
public du nouvel empire est estimé à a,5oo,ooo livres
( 6a,5oo,ooo fr. ) , ce qui est à peu près le double de ce
méridionale. ag-]
qu'il était pendant la résidence du roi. Il résulte principa-
lement des droits imposés sur les exportations et les im-
portations, et An cinquième du produit des mines d'or. La
quantité de métal extraite annuellement de ces mines re-
présente, terme moyen, une valeur d'un million sterling
( 25,000,000 fr. ).
Cependant le gouvernement , qui n'était pas encore sa-
tisfait de tant de productions précieuses , avait calculé que
rintroduction de la culture du thé pourrait , dans un tems
rapproché, dispenser de l'obligation de faire le voyage de
la Chine , pour se procurer cet article 5 et eu conséquence
plusieurs centaines de Chinois furent recrutés dans les plan-
tations de thé et conduits au Brésil avec un certain nombre
de plantes. En 1820, cette enti'eprise avait si bien réussi,
que le nombre des plantes montait à environ six mille. Mais
quoique l'arbrisseau eût été cultivé comme eu Chine , et que
les feuilles en eussent été arrachées , séchées et préparées
suivant la méthode ordinaire , l'infusion n'avait pas cette
saveur si délicate des thés de la Chine, et avait, au con-
traire , un goûl désagréable de terroir. Bientôt le regret
d'avoir quitté leur pays fit tomber les Chinois malades ;
beaucoup d'entr'eul moururent ; les autres quittèrent le
jardin , et se rendirent à la ville , où on en voit encore
vendant dans les rues \eur tou Jbu , et quelques bagatelles
qu'ils confectionnent. Ce fut ainsi que se termina cette folle
tentative d'introduire au Brésil une culture dont il n'avait
pas besoin , et qui ne peut réussir que dans des pays
où la main-d'œuvre ne dépasse pas deux Ix trois pences
( 4 à 6 sols ).
I.e climat du Brésil est très-sain , au-delà comme en-decà
du tropique , et la population est en général bien por-
tante. Les maladies les plus ordinaires, disent les voyageurs
bavarois, sont les diarrhées ohi'ouiques, les fièvres iuler-
miltentes , la syphilis et l'hydrocèle. La dernière de ces.
298 Amérique
diverses affections peut seule être considérée comme en-
démique. Les fièvres ne sont pas aussi communes à Rio
qu'on est tenté de le supposer, en voyant un marais in-
fect qui s'étend jusque dans les faubourgs , et qui reçoit
les immondices de la ville. Des milliers de vautours , atti-
rés par les exhalaisons qui en sortent , se nourrissent des
abattis et des ordures qu'on jette hors des maisons , sans
être jamais troublés par les habitans , qui , de même que
les anciens Égyptiens , les considèrent comme fort utiles à
la salubrité. Sans doute ce marais sera un jour desséché ,
et la mer contenue par des digues ; mais les Brésiliens ne
paraissent pas encore avoir senti les avantages et l'agré-
ment de la propreté. Dans le bas des maisons , le bois de
chauffage et des débris de tous les genres , entassés en-
semble, deviennent des pépinières de puces, de mosquites,
de scorpions et d'autres insectes dangereux ou dégoùtans.
Les rats sont innombrables et ne témoignent pas de crainte
pour les chiens , car il n'est pas rare de voir différens ani-
maux manger très -amicalement sur le même monceau,
d'ordures. Les rues sont infestées de chiens qui y cherchent
leur nourriture , et qui sont en guerre continuelle avec les
nègres. M. Caldcleugh assure que l'hydrophobie n'est pas
connue à Rio Janeiro, et il paraît croire que l'usage d'c-
verrer ces animaux , en les privant d'un des conduits sali-
vaires , doit contribuer à les préserver de cette dangereuse
maladie.
Le Brésil a aussi d'autres inconvéniens très-graves. Les
fourmis et les termites foisonnent dans tout le pays , et ils
commettent de grands ravages dans l'intérieur des maisons
et dans les campagnes. Les teignes et les mosquites font éga-
lement beaucoup de raalj les scolopendres, les scorpions, les
grenouilles et d'énormes crapauds abondent dans les bois.
Les toiles d'araignées sont si fortes que plusieurs espèces
d'oiseauxs'y laissent prendre. On rencontre aussi des serpens
méridionale. 999
irès-varics, et dont la morsure a souvent des suites funestes.
Le boa y atteint de seize à dix-huit pieds , et sa peau y
lorsqu'elle est bien tannée , fait , dit-on , d'excellentes
l)ottes. Les serpens à sonnettes y sont nombreux et d'une
i>rande dimension : on assura à M. Caldcleugh que dans
plusieurs fermes le venin de ces reptiles faisait mourir tous
les ans deux ou trois esclaves. A cette occasion , il rapporte
le fait suivant , qu'on dit s'être passe dans la province des
Mines : « A San-Ioau del Rey , un jeune homme qui était
allé au bois, fut mordu au pied par un serpenta sonnettes.
En rentrant chez lui , il tomba malade et mourut bientôt
après. Comme le tems est très-précieux pour le beau sexe
du Brésil , sa veuve ne tarda pas à se remarier ', celui qui
l'épousa prit les habits du défunt , et entr'autres ses bottes,
mais il ne tarda pas à tomber malade , et il mourut pres-
que immédiatement. Un troisième mari eut le même sort.
Un quatrième , sans se laisser alarmer par ce qui était
arrivé aux autres , et probablement séduit par l'augmenta-
tion d'aisance de cette femme , ne craignit pas de l'épouser.
Il découvrit par hasard qu'une dent de serpent à sonnettes
se trouvait fixée dans le cuir d'une des bottes , ce qui avait
sans aucun doute causé la mort de ses prédécesseurs. »
Une chaîne de montagnes , dont l'élévation moyenne est
d'environ 4j000 pieds , et qui divise à peu près le Brésil
par le centre , se dirige vers le nord et le sud , parallèle-
ment H la côte dont elle est peu éloignée. Un grand nombre
de courans d'eau descendent de ces montagnes : ceux du
versant de l'est se jettent dans l'Atlantique 5 mais les plus
considérables et les plus nombreux soni de l'autre côté , et
vont enfler le cours du Parana, avant sa jonction avec la
Plata. Les rivières de l'est ne sont pas navigables , à l'ex-
ception peut-être de celle de Francisco, dont les branches
tributaires sortent du centre même du district des mines.
Le manque des routes est encore plus nuisible à la ri-
3oo Amérique
chesse et à la prospérité du Brésil que celui de rivières
navigables. Le district de Santo -Paulo communique avec
la baie de Santos , par une route sur les montagnes qui
n'est praticable que pour les mules. Le district très-peuplé
de Minas-Geraés n'a de communication avec la capitale que
par Estrella , oii commence une route qui conduit à Rio ,
mais sur laquelle les voitures ne peuvent pas passer: c^est
cepeiidant par cette route qu'est transporté tout l'or des
mines. Quoique la distance de Rio à Villa-Rica n'excède
pas 24.0 milles, il ne fallut pas ynoins de quinze jours à
M. Caldcleugb pour la parcourir. Il résulte du compte
qu'il rend du district des mines , et de celui de MM. Spix
et Martius , que l'or est répandu en abondance dans les
l'ocs des montagnes , la superficie du sol et le lit des ri-
vières 5 dans une é tendue de plusieurs milliers de milles
carrés ; mais généralement en si petites parcelles , qu'il
faut beaucoup de tems et de travail pour le recueillir.
Quelquefois on le trouve en cristal, souvent aussi sous une
forme dentelée , et plus rarement par bloc j une fois cepen-
dant on trouva un de ces blocs à Villa-Rica qui pesait seize
livres. Il paraît qu'il n'est pas rare non plus d'en découvrir
des monceaux, sous la racine des plantes déracinées par la
pluie. En voyant à quel point l'or est répandu dans la partie
centrale du Brésil , on est tenté de croire qu'il en est tombé
une pluie plus abondante que celle qui tomba jadis dans
le sein de Danaé. Même dans les rues de Rio , après les
fortes averses , on voit les enfans occupés à ramasser des
parcelles d'or.
Le lit et les bords de tous ces nombreux ruisseaux qui
descendent des montagnes contiennent de l'or : on le trouve
eu plus grande quantité dans ceux qui , lorsqu'ils sont
arrivés dans la plaine , ont un cours lent et fangeux. Mais
ce n'est point la seule richesse que possède le district de
Minas-Geracs : MM. Spix et Martius assurent que l'on y
méridionale, 5oi
trouve toutes les espèces de métaux , à l'exception de l'ar-
gent. Le fer forme un des principaux élémens de ces mon-
tagnes , et le minerai est si abondant qu'il contient 90 p. "/„
de métal. . Il j a du plomb au-delà de la rivière de Fran-
cisco ; du cuivre à Santo-Domlngos 5 du manganèse à
Paraopeba ; du platine dans le lit de plusieurs cours
d'eau 3 du vlf-argeut , de l'arsenic, du bismuth, de l'anli-
moine , près de Yilla-Rica j des diamaus , à Abaité et
à Téjuco ; des topazes blanches, jaunes et bleues, des
aiguës - marines , des grenats , des améthystes , etc. , à
Minas-Nova. Il faut aussi comprendre dans cette énumé-
ration un trésor plus précieux que tous les autres : c'est
un sol d'une fécondité prodigieuse , susceptible de recevoir
tous les genres de culture , et sur lequel , à cause de son
élévation , on jouit constamment d'une température douce
et agréable. Mais ici , comme ailleurs, \auri sacra famés a
exercé sa fatale influence. Les habitans ont négligé les
travaux agricoles pour s'occuper exclusivement de l'ex-
ploitation des mines , espèce de loterie , dans laquelle le
gros lot reste presque toujours au fond de la roue. C'est
un fait curieux , rapporté par [es voyageurs bavarois , qu'à
leur entrée dans le district des mines , ils ne trouvèrent
dans la circulation qu'un papier-monnaie déprécié , dont
beaucoup de billets étaieut faux. Voici en queis termes
M. Caldcleugh décrit la capitale de ce district.
R Villa- Rica peut être considérée comme l'entrepôt de
la province 3 et comme il faut la traverser pour se rendre
au district des raines de di amans et dans d'autres parties
de l'intérieur du Brésil , elle offre un aspect assez animé.
Mais ses maisons abandonnées , et d'autres signes encore,
annoncent qu'elle a perdu cette nombreuse populalion
dont jadis elle se faisait gloire. Aucun lieu du monde n'est
• plus propre à provoquer d'utiles réflexions. Une montagne
sillonnée d'un grand nombre de veines d'or attira une
5o2 Amérique
population de plus de 3o,ooo âmes , qui , dans soixante ou
soixante-dix ans, en épuisa entièrement la richesse. Comme
le sol de ce canton était d'ailleurs peu productif, et que
les liabitans , qui n'avalent pas de goût pour les travaux
agricoles , ne s'occupèrent pas de l'améliorer , dans moins
d'un siècle la population fut réduite au tiers de ce qu'elle
était autrefois , et les rues , les palais et les établissemens
publics sont les seuls vestiges de son ancienne prospérité.
La pauvreté règne maintenant à Villa- Rica; les rues y
foisonnent de mendians qui , lorsqu'ils sont malades , vi-
vent exclusivemefat de ce qu'on leur donne, et qui, lors-
qu'ils sont bien portans, vont alternativement réclamer les
secours de ceux qui sont plus riches et tenter la fortune
dans les ruisseaux aurifères. »
Il y a trois modes différens de recueillir les parcelles
d'or 5 savoir : i° eu ramassant , avec une écuelie en bois ,
le sédiment des rivières ; 2° en faisant éclater le roc
avec le feu ou la poudre, ou en broyant les fragmens dans
un moulin destiné à cet usage 3 3" en dirigeant des cours
d'eau le long des montagnes aurifères , dans des tranchées,
faites sur des terrains argileux. Le petit nombre de nègres
qui sont employés aux hueras, ou endroits de lavage , vivent
misérablement en gagnant , d'une manière incertaine ,
quelques vintems par jour. La montagne isolée sur la-
quelle s'élève Villa-Rica , depuis la base jusqu'au sommet,
offre absolument l'apparence d'un rayon de miel à cause
des trous qn'on y a pratiqués de tous les côtés pour attein-
dre les veines du métal. Tout Tor que l'on découvi'e est
porté d^v\ bureau d'enregistrement où on le fond et on 1 e-
pure, afin que l'empereur puisse prélever sou cinquième ^
et on prend toutes les précautions possibles pour empêcher
la fraude. Aux mines de diamans de Téjuco , les nègres
qui sont suspectés d'en cacher, sont conduits à une vieille
femme qui leur fait prendre de fortes décoctions de cer-
méridionale, . 5o5
laines plantes. M. Caldcleugli parle d'une de ces femmes
qui administra une décoction de ce genre h une dame qui
avait été arrêtée au registre , sur la route de Villa-Rica à
Rio , et qui, était fortement soupçonnée de cacher un dia-
mant d'une grande valeur. La vieille femme le lui fit ren-
dre et obtint une récompense.
Le procédé de l'amalgamation , sans lequel For ne
peut pas être convenablement séparé des corps étrangers
auxquels il se trouve associé , est ici imparfaitement connu
et peu en usage. En somme, la manière dont on traite le
métal et le mode d'exploitation des mines sont également
défectueux. •
On a établi sur les bords de ITpanema une fonderie de
fer qui est exploitée par des Allemands , après avoir été
abandonnée par des mineurs suédois que le comte de Lin-
bares avait fait venir. Ces pauvres gens avaient été promp-
tement dégoûtés par la paresse et les autres vices des mu-
lâtres et des nègres, et, comme les Chinois, ils n'avaient
pas tardé a regretter leur pays natal; plusieurs moururent
et les autres profitèrent de la première occasion favorable
pour s'en aller. Le rainerai est riche puisqu'il donne 90
p. "/o ; mais le fer est cassant , ce qui vient , à ce qu'on
suppose, de la qualité du charbon. S'il y avait de bonnes
routes de communication , cette fonderie pourrait , dit-on ,
fournir à toute l'Amérique du sud la totalité de fer dont
elle a besoin.
Les voyageurs bavarois assurent que le peu de profit ré-
sultant de la recherche de l'or a cependant déterminé un
assez grand nombre d'habitans du district des mines à s'oc-
cuper de l'exploilation de leurs excellentes terres , comme
un moyeu plus sûr de richesses; et qu'au dehors l'appa-
rence de leurs maisons , ainsi que la propreté qui règne
dans l'intérieur , forment un contraste frappant avec les
demeures de ceux qui conlinuenl à chercher de l'or. Celte
3o4 Amérique
sage délerminalion a sans doute contribué à raccroissement
rapide de population qui se fait remarquer depuis quelque
tems. Ainsi, en 1808:, Minas- Géra es contenait 437,049
individus, dont 180,972 nègres; et, en 1820, 621,885,
dont seulement i65,2io esclaves.
Ceux qui exploitent les mines auraient pu s'éclairer par
l'exemple de leurs voisins méridionaux du district de Santo-
Paulo , qui , avec la moitié cîe la population et moins d'un
tiers des GscXdiy es de Mùias-Geraës , obtiennent plus de vé-
ritaJjles richesses , de leurs bestiaux et de leurs travaus
agricoles, que For et les pierres précieuses n'en procurent
aux spéculateurs qui les reclierchent. Les cultivateurs, de ce
district jouissent aussi d'un degré de ci^iisation très-supé-
rieur à celui des habitans du canton des mines et d'un plus
grand nombre de commodités et d'aisances. Dans les plaines
qui s'étendent derrière la montagne, les fermes sont rem-
plies d'une quantité incroyable de chevaux et de bétes à
cornes, dont le nombre s'élève communément dans cha-
cune , de vingt à quarante mille. Ces fermiers retirent de
leurs bestiaux du lait , des fromages , de la viande sèche ,
du suif et des cuii^s qu'ils expédient au port de Santôs, sur
des chevaux ou sur des mules. I s ont à pou près tous les
fruits qui viennent sous les tropiques. L'ananas y croît na-
turellement , et souvent des terrains considérables en sont
couverts : lorsqu'il est cultivé, il acquiert une dimension
extraordinaire et une saveur déUcieuse; on en extrait un
vin irès-agréable et très-sain. Ou fait aussi un vin léger et
d'un excellent goût avec le fruit du Jabuticaba ( myrtus
cauliflora ) , l'un des meilleurs du pays : d'abord on ne re-
cueillait ce fruit que dans les bois; aujourd'hui l'arbre qui
le produit est généralement cultivé. Le mûrier prospère
également dans cette province , et le ver à soie y donne un
très-beau fil; on y trouve aussi en abondance, sur un ar-
brisseau qui a l'apparence d'uu palmier, un ver d'une
mcridionale . 3o5
espèce parlicullère qui donne un fil plus délicat et plus
brillant que le ver à soie ordinaire. La coclienllle et Tin-
secte y sont très- communs, mais ils sont entièrement né-
gligés ; l'indigo , qui y vient naturellement , n'a pas encore
été mis en culture.
L'esquisse rapide que nous venons de tracer de cette con-
trée magnififjue , si favorisée par son climat, sa fertilité et
la position qu'elle occupe sur le globe , est suffisante pour
faire voir à queldegré de prospérité elle pourrait s'élever
si elle était exploitée par une population active et indus-
trieuse , qui aurait un capital modéré , dont elle ferait un
usage judicieux. Maintenant qu'il existe une espèce de rage
pour placer les capitaux anglais dans des spéculations
étrangères, nous croyons qu'ils ne peuvent l'être nulle
part, dans l'Amérique du sud, d'une manière plus avan-
tageuse qu'au Brésil, ^oit en les employant à exploiter les
mines et à améliorer les cultures , ou bien à établir des
communications entre l'intérieur et ses ports , et entre les
différens districts qui le divisent.
Avant de visiter les mines , M. Caldcleugb s'était rendu
par mer dans la J'ivière de la Plala; l'aspect désolé de
Monte- Video contrastait avec ce qu'on lui avait dit de sa
prospérité prétendue; et, dans le fait, sa population , qui
était autrefois de quinze mille âmes, n'est plus que de dix
mille , ce qu'il faut attribuer à la situation incertaine et
agitée du pays. Cependant la tristesse de cette ville est un
peu tempérée pa'r un grand nombre de jolies femmes bien
vêtues que l'on rencontre dans les rues , spectacle nouveau
et fort agréable, après un séjour à Rio , où le sexe ne peut
pas se vanter de sa beauté , et où d'ailleurs on ne le voit
guère que dans l'intérieur des maisons. M. Galdcleugh se
procura, à Monte-Video, des renseignemens curieux sur le
Paraguay, jadis (lorissant et très-peuplé sous le gouverne-
ment des jésuites. Cette contrée, située sur la frontière
5o6 Amérique
occidentale ilu Brésil , entre le Paraguay , qui lui donne
son nom, et le Parana, a été insurgée de bonne heure
par un chef du pays nommé Francia, et qui , comme il a
pris un grade à l'université de Cordone , est communé-
ment désigné sous le titre du docteur Francia. Le gouver-
neur nommé par le roi , Vélasco , s'était joint au parti ré-
volutionnaire 5 mais Francia parvint bientôt à s'en défaire,
et il se proclama lui-même dictateur.
En 1810, une expédition fut envoyée par Buenos-Ayres
contre le docteur j et, comme elle était entrée dans le
pays , et qu'elle avait fait un chemin considérable à travers
les forêts, sans êtie attaquée, le commandant eu conclut
qu'aucun obstacle ne s'opposerait à ce qu'elle prît posses-
sion de V Assomption. Mais, une nuit que les troupes de
Buenos-Ayres bivouaquaient, elles furent tout-à-coup entou-
rées par de grands feux , et un trompette , envoyé par
Francia , déclai-a en son nom qu'il ne voulait pas répandre
de sang, et qu'il consentait à ce qu'elles se retirassent
paisiblement ; mais que si elles faisaient un pas en avant ,
elles en subiraient la peine. Le commandant, après quelques
hésitations, jugea à propos de profiter de l'avis, et il ré-
trograda. Tant qu'il se trouva sur le territoire de Francia, il
fut entouré, toutes les nuits, de la même manière,- et il
se félicita beaucoup d'être échappé au danger qui l'avait
menacé. Depuis cette époque , aucune relation n'a existé
entre les deux états. Artigas, après sa défaite, s'était
retiré dans le Paraguay , mais il y fut arrêté et mis en
prison. En i8'2o, Francia invita M. Bonpland, le com-
pagnon de voyage de M. Humboldt, h venir le voir et
à se livrer à son étude favorite, dans le pays qu'il gouverne.
Mais on l'engagea à nepas se fier aux promesses du docteur,
et , en conséquence , il alla se fixer dans l'Entre-Rios, entre
rUraguay et le Parana, au sud du Paraguay. Là, il s'as-
socia avec un Ecossais , et ils entreprirent de cultiver la
méridionale. 507
plante connue sous lo nom d'herbe du Paraguay ou matté.
A peine avaient-ils commencé , qu'une petite troupe , en-
voyée à rijnproviste par le docteur, se présenta pour les
enlever. L'Ecossais eut le bonheur d'échapper j mais le
malheureux Bonpiaud fut pris et n'a jamais pu revenir : il
paraît qu'il n'est pas emprisonné , et qu'il peut même ,
dans les limites du pays , faire toutes les recherches qu'il
juge utiles à la science qu'il cultive.
Une lettre de Rio- Janeiro, du 19 décembre dernier
nous apprend à cet égard les particularités suivantes :
u Bonpland, mande-t-on, est employé comme chirur-
gien par le tyran du Paraguay, qui l'a aussi chargé de
diriger la construction d'une grande route qui doit conduire
à un passage des Andes, par lequel on entre dans le Chili.
Le nouveau gouvernement du Paraguay ne paraît pas
devoir être moins bizarre que l'ancien ( celui des jésuites ).
Francia se montre rarement; c'est une espèce de prophète
couvert de voiles. Lorsqu'il sort , toutes les portes et toutes
les croisées se ferment, et personne ne doit le regarder
sous peine de mort. Il est à la tète de l'église et de l'état ,
et il se fait appeler simplement M. Francia; il ne permet
aucune communication avec les antres peuples. Il ne paraît
pas qu'il maltraite ses prisonniers : il les empêche seule-
ment d'entretenir des rapports au-dehors. M"'" Bonpland
est ici, où elle éprouve, ainsi que sa fdle , qui est avec
elle, de grands embarras pécuniaires : c'est une femme
agréable et une excellente musicienne. Il est certainement
fort affligeant qu'un homme tel que M. Bonpland soit
retenu prisonnier au milieu d'une population à demi-sau-
vage . et qu'il ne puisse pas pourvoir aux besoins de sa
famdle. Heureusement la science pourra le consoler, et il
connaîtra, nnieux qu'aucun Européen ne l'a fait encore,
l'intérieur de cet immense continent. »
Jl n'est pas facile de deviner les vues du dictateur. Le
5o8 Amérique
thé du Paraguay était un excellent article d'exportation :
la consommation en était si générale dans l'Amérique espa-
gnole , qu'on en expédiait par an 20,000 balles ; valant un
million st., rien qu'à Buenos-Ayres. Mais le docteur
Francia en a entièrement défendu la sortie , ce qui a déter-
miné les Brésiliens à cultiver cette plante, qui vient natu-
rellement sur le versant oocidental de leurs montagnes. Les
Espagnols prétendent que c'est un ancien jésuite , et qu'il
conserve le Paraguay pour le rendre au roi d'Espagne.
Quoi qu'il en soit, nous croyons qu'il fera bien de lâcher de
s'entendre avec les gouvernemens insurgés , car il ne peut
pas espérer qu'on le laissera encore long-teras fermer son
territoire à tous les étrangers sans exception , comme
un autre empereur de la Chine. On prétend qu'il suit le
système d'administration des jésuites j on dit aussi que les
Indiens et environ 200,000 blancs qui lui obéissent , se
montrent également satisfaits de son gouvernement. Le fait
suivant , s'il est exact , peut donner une idée de la manière
dont il conduit les affaires du peuple qu'il régit.
« Il y a quelques années , le dictateur employa un ex.-
pédient singulier pour apaiser un peu d'agitation qui s'était
manifestée dans son tei'ritoire II décréta que le pays serait
à l'avenir régi d'après les principes les plus démocrati-
ques ; qu'il y aurait un congrès de mille députés , choisis
dans toutes les classes de citoyens , pour conduire les af-
faires du pays et lui donner ime nouvelle forme de gouver-
nement. Les élections eurent lieu , et les membres nommés
furent obligés de se rendre à l'Assomption , où , après une
adresse de Francia , ils se mirent à l'ouvrage. Après trois
jours, qui s'écoulèrent sans qu'ils reçussent aucun traite-
ment ou indemnité quelconque, ils réfléchirent au préjudice
que leur absence ferait nécessairement à leurs fermes et à
leurs familles, et ils se rendirent tous chez le docteur pour
replacer le pouvoir souverain dans ses mains; ils lui décla-
mcridionale , Sog
i'èrent qu'ils étaient parfait f mont satisfaits de son système
tle gouvernement, et ils conclurent en lui demandant la
permission de retourner ches. eux. Francia , déguisant la
joie quil éprouvait du succès de son plan, répliqua qu'il
V consentait, mais qu'ilse réservait le droit de les réunir
de nouveau , et qu'il en userait si , à l'avenir , il entendait
d'autres plaintes, et que , le cas échéant , ils devaient s'at-
tendre à une session de six mois au moins.
» Des instrumens de mathématiques et d'astronomie ont
concouru à fortifier son ascendant sur le peuple. Toutes les
nuits il sort du palais dictatorial, et il va ohserver les étoiles.
I>orsqu'il a fait ses calculs, il se retire, et ce manège excite
l'admiration de la multitude. »
Si Buenos-Ayres se trouvait dans une haie dont la navi-
gation fut moins dangereuse que celle du golfe de la Plata,
celte ville serait éminemment propre à devenir un grand
centre de communication pour le commerce du monde. T.a
situation eu serait même, à quelques égards, préférable à
celle de Rio-Janeiro , qui n'a point de fleuve , tandis
que les deux grandes branches de la Plata , la Parana et
le Paraguay s'étendent au nord ie long de la frontière occi-
dentale du Brésil, et qu'au moven des rivières qu'ils re-
çoivent dans leurs cours , ils permettent de communiquer
par eau avec Cordova , San-Tago , Tucumau , Mendoza et
Saint-Juan situés à la hase orientale des Cordillères. Une
grande partie du territoire de Buenos-Ayrcs est occupée
par les plaines connues sous le lïom de Pampas , qui s'éten-
dent à l'ouest jusqu'au pied des Cordillères , et au sud
jusqu'aux montagnes des Paiagons : elles ne sont pas cul-
tivées, mais en beaucoup d'endroits elles sont couvertes de
riches pâturages, et elles nourrissent des troupeaux in-
nombrables de chevaux et de bestiaux. On ne trouve aucun
arlu'i"; ni même aucun arbrisseau dans ces plaines im-
menses, il l'exception do quelques saules , r,u de quelques
1. 21
5io Amérique
mimosas, qui croissent sur le bord d'un petit nombre d'étangs
d'eau bourbeuse ou sauniâtre. Aussi le combuslilde était-il
si rare à Buenos- Ayres , que les Espagnols furent obligés
de planter une grande quantité de pêchers d'Europe, pour
se procurer cet article indispensable. On y cultive aussi
d'autres fruits v-enus d'Europe , mais avec peu de succès.
Le seul bon fruit est le raisin ; les melons ont peu de
saveur ; les pommes sont tout-à-fait mauvaises ; le cerisier
n'y donne pas de fruits. Mais rien n'est plus beau que le
climat : la température de l'été excède rarement 80 deg.
de Farenheit, et celle de l'hiver ne tombe guère au-dessous
de 4o . Le froment est le grain le plus généralement cultivé ;
on recueille aussi l'orge et le maïs. La citrouille et la courge
sont les végétaux dont les habitans fout le plus d'usage.
Nous saurons bientôt si la colonie écossaise qui s'y est ré-
cemment rendue , pourra s'y maintenir : en général , nous
comptons peu sur le succès des entreprises de ce genre ;
des individus industrieux peuvent réussir, mais l'associa-
tiou a peu de chances en sa faveur. C'est une grandeerreur
de supposer que des hommes quitteront la terre nat^e ,
qu'ils feront un voyage de six à sept cents milles, qu'ils con-
sentiront à travailler paisiblement depuis le matin jus-
qu'au soir, dans un pays auquel leur constitution n'est point
faite , et tout cela dans le seul but de gagner un salaire.
Les planteurs qui ont conduit des prolétaires au cap de
Bonne-Espérance, n'ont pas tai'dé à reconnaître leur faute ,
et nous croyons qu'il eu sera de même de la colonie écos-
saise, à moins qu'on ne concède des terres aux individus à
des conditions tres-modérées , et (ju'ils puissent en faire
ce qu'ils jugeront convenable ; mais alors il n'y aura plus
d'association.
. On ne s'occupe guère dans les grandes fermes , et parti-
culièrement dans celle des Pampas, que d'élever des bes-
tiaux. Il y a , tlil-on , des fermiers qui possèdent six cents
mèndionale. 5ii
chevaux , outre un nombre immense de bêles à cornes.
C'était un usage sous le gouvernement espagnol , et cet
usage a été récemment renouvelé, de saisir a des époques
particulières tous les bestiaux qui n'étaient pas marqués,
et, après leur avoir coupé les oreilles, d'en prendre posses-
sion au nom de l'état. La plupart des cbevaux et toutes les
jumens ne sont guère estimés au-dessus de la valeur de \ç\\\-
peau. C'est à Buenos-Ayres une chose presqu'ignominicuse
de monter une jument. « Un Anglais , dit M. Caldcleugh,
qui voulut braver ce préjugé, et qui se présenta dans les
rues sur une jument, Tutsi mal accueilli par la populace,
qui lui jeta de la boue, qu'il se trouva promptement dans
la nécessité de rentrer. »
Lenombre des bêtes à cornes est vraiment inconcevable.
Un bœuf tout entier avec sa peau, sa graisse et ses cornes ,
ne se vend que cinq ou six dol'ars ( de 'i'] fr. 5o c. à 53 fr.
environ); la peau seule eu vaut trois ou quatre. Aussi l;i
viande de bœuf n'a, pour ainsi dire, aucune valeur, et on
en donne même à la volaille. La quantité des bêtes à cor-
nes a cependant diminué, à cause d£S achats considérables
que les Anglais ont faits en peaux et en suifs, dans le cours
de ces dernières années. Les relations commerciales entre
la Grande-Bretagne et Bueuos-Ayres deviennent tous les
jours plus importantes et plus étendues. En 1817 , la valeiu*
des marchandises anglaises expédiées dans cette ville s'é-
levait seulementà 388,487 liv. st.; mais en 1828, elle a été
de i,i64-,74-5 ( 29,1 18,625 ). En 1821 , le nombre des vais-
seaux anglais qui y vinrent n'était que de ii^. En 1822 ,
il monta à 167, et ils y chargèrent 957,600 cuirs de che-
vaux ou de bœufs. liCS provinces enfoncées dans rinlérieur,
produisent du coton ou du talxic ; les vallées abritées qui
sont au pied des Andes , sont très favorables à la culture
tl6 la vigne. Il paraît que Saint-Juan et Mendoza expédient,
tous les ans , 12,000 barils de vins et d'eau-de-vie , pour
?Sia Ajuêriqiip
lîncnos-Ajres, où l's sont (-changrs contre tles articles fabri-
qués en Angleterre. M. Caldclcugh trouva des articles de
cette espèce, clans les parties les plus reculées des Cordillères.
Buenos-Ayres et ses dépendances ne se sont jamais beau-
coup occupées des mines. Eni8i4.. quelqaes négocîans an-
glais conçurent le projet dafïermcr et d'exploiter la mine
de Fatamina, près de Sain-Juan; mais ils en furent en-
suite détournés par l'état d'agitation du pays. I\f. Cald-
cleugh présente un tableau intéressant des améliorations
progressives qui s^ sont opérées , depuis quelques années ,
dans cette république, et qui sont dues en grande partie
à rinHuence du secrétaire d'état Rivadavia.
«' Ce fut, dit-il, en juillet 1821, que M. Rivadavia fut
appelé aux fonctions de secrétaire d'état. A cette époque,
des discordes intérieures et rinhablleté de ses chefs
avalent plongé la république dans une situation déplorable,
mais sous son administration tout prit bientôt un nouvel
aspect. I/ordre fut rétabli dans la police intérieure et dans
les finances. D'anciens et dangereux préjugés furent com-
battus et déracinés. M. Rivadavia a été pendant quelque
tems chargé des affaires de Buenos-Ayres à Londres. Pen-
dant la durée de sa mission , il fit une étude approfondie
de nos admirables institutions , et il jugea avec discerne-
ment celles qui pouvaient être transportées avec avantage
dans sa patrie , et celles qu'elle n'était pas encore mure
pour recevoir. Il imite autant que possible l'Angleterre ,
et 11 est parfaitement secondé dans l'exécution de ses pro-
jets par tout ce qu'il y a d'éclairé dans le pays. »
Cet homme d'état a sagement commencé par diminuer
l'influence des moines et par réduire le nombre des couvens.
En même tems , il a transformé en églises de paroisse ies
chapelles de ceux qu"l! a supprimés, et a convenablement
pourvu au sort du clergé chargé de les desservir. Il a aussi
i-ecoiislitné les cours de justice, augmenté le traitement
méridionale . 5 1 5
Jes juges, el slalué qu'on dresserall tous les mois l'état des
procès civils et criminels qui auraient été jugés el de ceux
<[ui ne le seraient pas encore. Enfin il a soumis les militaires
à l'autorité Je la loi civile (i).
Dès les premiers tems de la révolution , le gouvernement
avait acheté plusieurs milliers de nègres k ieurs proprié-
taires, pour les enrégimenter, el cet usage fut suivi jus-
qu'en iS'2'i, où l'on fut obligé d'v renoncer à cause de lé-
puisement de cette partie de la population. Une autre
cause qui a aussi diminué le nombre des esclaves, c'est
qu'en i8i5 , le congrès a décidé que tous les enfans qu'ils
auraient à Favenir seraient libres. Aussi, suivant les ren-
seigueniens que M. Caldcleugh s'est procurés, n'y a-t-il
(i) Note du Tr. Don Bernardino Rivadavia, qui a rempli les
fonctions de secre'taire-d'ctat des affaires étrangères el de l'intc'rieur
de la république de Euenos-Ayres , et qui depuis a été sou mi-
nistre à la cour d'Angleterre , rappelle , par ses qualités éminentcs ,
\e souvenir de ces grands citoyens qui ont honore le berceau de quel—
•jues-unesdes républiques de l'antiquité. Il a autrefois vécu en Europe ,
pendant plusieurs années , alternativement à Paris et à Londres.
Lorsqu'il partit, ceux qui l'avaient connu et chéri durent se con-
soler de son éloignement , en pensant à l'influence salutaire que sa
])résencc ne pouvait pas manquer d'exercer en Amérique. La liberté
naissante de Buenos-Ayres avait été signalée par de fréqucns orages :
il y avait eu quaU'e-vingt-trcize changemens de gouvcrnenient dans la
seule année qui précéda immédiatement le retour de M. Rivadavia.
Mais sa voix puissante , ausslsôt qu'il la fu entendre à ses concitoyens,
calma ces agitations , d'une manière pour ainsi dire magique. Lin
esprit d'ordre et de paix y succéda , et , depuis, la tranquillité de la ré-
publique n'a guère été troublée que par quelques mouvemens d'in-
diens. M. Rivadavia est revenu en Europe pour négocier le traité par
lequel le roi de la Grande-Bretagne a reconnu l'indépendance de sa
patrie, et certes la personne du négociateur aura eu beaucoup d'in-
fluence sur les déterminations du ministère anglais. Lorsqu'aprcs la
signature de ce traité , il est retourné en Aniériijue, ses concilojcni
Tont clcvc à la dignité suprênic de président de la ccniédcialion d<;
la Plala. S. l'\
5 1 4 Aniêriijue
pins qu'un esclave sur neuf hommes libres. Il estime la
population totale de toutes les provinces de la Plata à
45o,ooo 5 mais il ne comprend pas les Indiens dans son
estimation. La seule province de Buenos- Ayres contient
8o,ooo habitans , dont 65,ooo vivent dans la ville.
La dilatation du corps humaiiï , causée par Texcès de la
cbaleur explique et excuse jusqu'à un certain point l'ab-
sence d'énergie qui se fait généralement remarquer chez
les peuples des tropiques \ mais les habitudes molles de
toutes les classes de la société à Buenos-Ayres sont inexcu-
sables dans un climat si tempéré. C'est à qui tâchera
d'éviter de iTavailler. Les chevaux sont si nombreux. , et
oa peut s'en procurer à si bon marché , que chaque habitant
en possède au moins un et ordinairement plusieurs. A^ous
voyez un de ces animaux attaché près de la porte de la
plupart des maisons , toujoui's prêt à être monté , et son
maître s'en sert lors même qu'il n'a que la rue à traverser.
Ce qui est encore plus bizarre , c'est que les mendians qui
vivent de la charité publique , la demandent presque tou-
jours à cheval. M. Caldcleugh parle avec éloge du bon ca-
ractère et de l'honnêteté de la population ; mais malheu-
reusement les classes inférieures ont un goût passionné
pour le jeu. Jouer dans un ynlperia (espèce de cabaret) .
à quelque jeu qui exige un peu de mouvement ; boire
quand la fortune est contraire, et, dans un moment de
colère , poignarder celui qu'elle favorise , telle est , dans ce
pays , îa manière dont beaucoup de gens du peuple em-
ploient leur journée, A la plus légère contestation, le
créole tourne son poncho ou manteau autour de son bras
gaviche , et saisit son couteau de la main droite y mais le
meurtre prémédité est très-rare.
La classe éievée a, en général , de très-bonne manières ^
et M. Caldcleugh assure qu'il n'est pas possible de parler
trop favorablement des fcnniies qui appartiennent à cette
jnértdhriule . 5i 5 ■
classe 5 elles commeaceiit à suivre les modes anglaises.
Cljaque famille aisée a ses tertulias ou soirées . et les
étrangers y sont accueillis avec beaucoup de 'cortlialilé et
de grâce : on y fait de la musique ", on danse des menuets ,
des Avalses et des danses espagnoles. M. Caldcleugli parle
d'une manière fort animée de Télégance et de la politesse
exquise des dames j politesse qu'il assure être plutôt le ré-
sultat de la bouté de leur cœur que de leur éducalion. Il
paraît cependant qu'on n'a pas négligé les moyens de
répandre l'instruction : on a même établi , pour les classes
inférieures , plusieurs grandes écoles dont l'état paie la dé-
pense . Il y a une académie de musique et de peinture , et
uue bibliothèque publique qui avait déjà iSjOOO volumes ,
il y a quelques années, et qui en a bien davantage depuis
que les livres peuvent être introduits sans payer de droits.
Il y a deux ans, M. Rivadavia a institué une société litté-
raire , et il a fait imprimer , aux frais du public , une col-
lection de poésies nationales. On publie plusieurs gazettes ,
qui sont convenablement, rédigées ; et les représentations
d'un nouveau théâtre , qu'on vient de construire , sont fort
suivies.
L'aspect uniforme des grandes plaines nommées Pampas,
ne permet pas sans doute d'en faire une âescription étendue
et variée \ mais M. Caldcleugh aurait pu nous donner
quelques renseignemens intéressans sur les productions
végétales qu'on y rencontre. Il mit seize jours pour les
traverser , depuis Buenos-Ayres jusqu'à ?»Iendoza : cette
distance est de plus de mille milles (i). Les articles d'un
grand poids qui sont expédiés aux provinces de l'ouest ,
situées aux pieds des Andes , ou ceux qui en viennent, sont
(juclquefois transportés dans des chars traînés par des
(i) "Note uu Tr. Nous avons dt-jà dit que trois milles anghiis fai—
sa.l3aient un peu pUu d'une lieue ordinaire de France.
3 1 6 Amérique
bœufs j mais le mauvais état des roules , les ruisseaux bour-
beux et les étangs rendent ce mode de transport excessi-
vement long, et on se sert de préférence des mules et des
chevaux de bât. Les maisons de poste que l'on trouve de
distance en distance , sont de misérables chaumières dont
les toits et les murs sont remplis de trous et de crevasses ;
la malpropreté en est excessive , et elles sont infestées de
punaises , de puces et de tous les insectes insupportables
qui volent , sautent ou rampent. Les habitans que l'on
rencontre sont en général doux et obligeans , mais d'une
extrême pauvreté. LVau dont ils se servent , soit qu'ils la
puisent dans des étangs ou dans des ruisseaux , est saumâtre
et bourbeuse. Jamais il ne mangent de pain , et ils ne
vivent que de lait et de bœuf. Un pevi de yer-ha , ou thé de
Paraguay , est pour eux un grand luxe qu'ils se permettent
rarement. A l'extrémité des Pampas, précisément à l'en-
droit où le sol s'élève en se rapprochant des montagnes , on
commence à voir d'épais buissons de cactus et de mimosa
épineux. Les villages deviennent moins rares, et les mai-
sons sont un peu mieux bâties j des sources d'eau vives
ruissellent des hauteurs ; et, à, cinq ou six lieues de Meu-
doza , des enclos et des champs cultivés, annoncent l'ap-
proche d'une ville considérable.
Mendoza est située au pied des Andes; vis-à-vis le grand
passage d'Upsalata. Il est Inen bâti ; ses maisons sont en
briques; ses rues , très-larges, sont parcourues par des ruis-
seaux d'eau vive. Une alameda ou promenade publique ,
dans laquelle ou se réunit, pour manger des glaces et des^
confitures, jusqu'à une heure trés-avancée, et six ou sept
églises sont les principaux objets qui attirent Pattention de
l'étranger. La ville contient , à ce qu'on assure, 20,000 ha-
bitans, qui sont presque tous blancs, attendu que les
nègres sont en grande partie entrés dans les armées de la
république, (.lelte ville , qui se trouve sur la route directe-
méridionale. 5i^
lie Buenos-Ayres au Chili , fait , par celle raison , un com-
merce considérable. Le principal produit de son sol est un
vin qui a beaucoup cFanalogie avec le vin de Malaga, quoi-
qu'il soit d'une qualité inférieure. Plusieurs vignes n'ont pas
moins de 60,000 plants. On y récolte en outres des melons
d'une saveur délicieuse, des figues, des poires et des coings :
ces derniers fruits sont très-supérieurs à ceux d'Europe.
Les exportations deMendoza consistent principalement en
vins , en eaux-de-vie , en fruits secs ; il reçoit en échange
Yyerha et des articles manufacturés , qui viennent presque
tous d'Angleterre. Ces articles s'y vendent à un bon marché
qui confond : par exemple, M. Caldcleugh y acheta un
canif de Birmingham qui lui coula moins d'un shilling
( 24 sols ) , et cependant ce canif avait été transporté à une
énorme dislance, à travers les mers et un continent im-
mense , et il avait procuré quelque profit à tous ceux par
les mains desquels il était passé. Les habitans se procurent
aussi un revenu considérable en élevant des mules, qui, à
cause de la sûreté de leur marche , sont les animaux qui
conviennent le mieux pour traverser les Cordillères.
Le climat de Mendoza est excellent; quoique cette ville
soit située à 454oo pieds au-dessus de la mer, et que der-
rière elle s'élèvent des montagnes couvertes de neiges éter-
nelles, l'hiver n'y est guère que de trois mois, et pendant
sa durée il y neige et il y gèle rarement. La température
du reste de l'année est douce et agréable^ la société y est plus
avaiicée que dans les autres parties de l'Amérique du sud
visitées par M. Caldcleugh ; suivant lui , les dames y sont
parfaitement bien élevées , et elles cultivent avec succès la
musique et la danse. Le seul inconvénient de ce beau pays,
dit notre voyageur , c'est que les goitres y sont fort com-
muns. Les habitans emploient, avec beaucoup de confiance,
_ vu remède qu'ils appellent \cpalo di goia : c'est la lige d'une
5 ! B . Amérique
plante qui vient de la côte ài\ Pérou, et qui est vraisem-
blablement une espèce d'algue; niais on est tenté de mettre
en doute l'efficacité de ce remède, quand on voit le grand
nombre de personnes affectées de la maladie qu'il est des-
tiné à guérir. M. Caldcleugh vit une mère de cinq enfans
qui, comme elle, avaient tous des goitres , et qui de plus
étaient sourds. Cette maladie règne , dit-on, dans toute la
longueur de la chaîne des Andes, sur le côté oriental ;
tandis qu'au Chili, sur le versant occidental, elle est
très-rare.
Il y a quatre passages différens dans cette partie de la
Cordillère méridionale ; celui qui est le plus au nord se
nomme Palos^- il est vis-à-vis de la ville de St. -Juan j le
second est le grand passage d'Upsalata , en face de Men-
doza; le troisième, le Portilla, est à trente lieues an sud de
Mendoza, dans un endroit où la Cordillère se divise en deux
branches; le quatrième, l'El Planchon, est situé vis-à-vis le
port chilien de la Conception : il est assez large pour que
les chars puissent y passer avec facilité. M. Caldcleugh
choisit le passage de la Portilla : l'entrée offre , à dislance,
l'aspect d'une sombre caverne creusée dans la montagne :
une rivière , qui s'appelle également la Portilla, s'y pré-
cipite comme un torrent , et elle y roule ses ondes avec
un bruit horrible. Lorsqu'on s'approche du point le plus
élevé du passage , toute trace de végétation disparaît , à
l'exception d'une seule plante qui est une espèce dej'rcigosa.
Lorsque M. Caldcleugh fut arrivé à cette hauteur , il
commença à voir de la neige qui , dans plusieur.s endroits,
avait une épaisseur de trois pouces , et lorsqu'il fut encore
plus haut, il aperçut de nombreuses carcasses de mules,
dont plusieurs s'y trouvaient au moins depuis un siècle , et
<[ui semblaient n'y être que de la veille, tant elles étaient
entières et bien conservées. Notre voyageur n'avait pas de
méridionale. 3 19
baromètre, mais il estime, d'après plusieurs données,
que la partie la plus élevée de la route était à 12,800 pieds
au-dessus du niveau de la mer. Eu descendant vers une
vallée, lui cl ses compagnons de voyage furent assaillis par
une tourmente de neige pendant la nuit, et ils se mirent à
couvert sous quelques rochers. Le lendemain niatin , la
neige continuant à tomber; ils ne firent que fort peu de
chemin pour arriver à àes grottes mieux abritées ; le ton-
nerre gronda pendant la nuit qu'ils y passèrent. Lorsqu'ils
se mirent de nouveau en marche, la neige était si épaisse,
que les mules étaient presque dans l'impossibilité de s'avan-
cer ; ce qui obligea M. Calcdleugli de passer une troisième
nuit à couvert sous un rocher, dans un endroit où la fragosa
était la seu'e plante qui commençât à reparaître. Le jour
suivant , il arriva à un corps-de-garde appelé St. -José, situé
sur la frontière du Chili. Il y a dans ce même endroit un
établissement pour extraire l'argent du minerai , que l'on
lire d'une mine qui se trouve dans la montagne à six lieues
de distance.
A la sortie des montagnes , la chaleur était intolérable ;
il n'y avait guère d'autre végétation que quelques mimosas
épineux d'une apparence chétive 5 mais le nombre des
cabanes isolées commençait à s'accroître et l'on apercevait
des clochers dans l'éloignemenl. M. Caldcleugh entra dans
la capitale du Chili huit jours après son départ de Mendoza.
San-Iago a un aspect très-pittoresque. L'olivier, le figuier,
les mimosas, les algarobas , confondus avec ses églises et
ses maisons , forment une masse de verdure qui contraste
avec la nudité de la plaine dont celte ville est environnée.
Le Maypocho la divise en deux parties qui sont réunies par
un pont. Les rues sont larges^ et la plupart des maisons n'y
ont qu'un étage à cause des Iremblemeus de terre. Le palais
. du directeur suprême et la cathédrale occupent les deux
côtés delà grande place. Ou a planté une promenade sur le
3'20 Amérique
bord delà l'ivicre. Il y a plusieurs églises, un collège et une
bibliothèque publique où se trouvent des livres et des ma-
nuscrits qui appartenaient aux jésuites , et qui sont, dit-on ,
l'orl curieux. Il y a aussi une imprimerie j mais ou n'y a en-
core im[;rimé que des gazettes et des pamphlets politiques.
Le Chili s'étend depuis le 26° jusqu'au 5'^'' degré de lati-
tude, et sa largeur moyenne entre les Cordillères et la mer
Pacifique est seulement de deux degrés. La tribu indienne
des Araucaniens vit au sud du Chili. Elle continue à dé-
fendre son indépendance avec cette même intrépidité que
don Alonzo de Ercilla a jadis célébrée dans son poème de
\ Araticana. IjC capitaine Basil Hall a recueilli quelques
renseigneraens intéressans sur cette nation. Le récit qu'il
fait de la coalition de Bonavitès avec les Araucaniens contre
les patriotes, difïcre beaucoup de celui de M. Caklcleugh ;
mais le premier de ces voyageurs a un peu trop d'ima-
gination et le second n'eiva pas assez. On assure qu'il existe
parmi les Araucaniens une tribu de blancs : quelques per-
sonnes supposent qu'ils sont les descendans de passagers et de
marins naufragés^ d'autres disent qu'ils descendent de fem-
mes créoles enlevées par les Indiens dans leurs excursions.
La population du Chili est, dit-on, déplus de6oo,ooo âmes,
indépendamment des Indiens et des nègres qui y sont en
petit nombre. Comme un décret du congrès a statué que
tous les enfaus naîtraient libres , avant qu'il soit peu , il n'y
aura pas un seul esclave dans toute l'étendue du terriloire
de la république. On suppose qu'environ les deux cin-
quièmes des habilans sont occupés de Texploilation des
mines : ils forment une population mobile qui élève des
villes et qui les abandonne, selon les résultats qu'ont leurs
travaux.
Lorsqu'une veine est découverte , on demande au gou-
vernement l'autorisation de l'exploiter, et il est très-rare
qu'il la refuse. Aussitôt qu'elle est accordée, un certairv
méridi'on aie . j ■>. i
«ombre de mineurs se dirigent vers la mine , pour y com-
mencer les travaux. Un alcade y arrive pour maintenir
l'ordre ; on y élève une petite église , et une nouvelle ville
se trouve fondée. Si la veine est riche, la population s'aug-
mente et acquiert quelque étendue; si la veine s'apauvrit,
la popxdation se retire , abandonne aux élémens ses fragiles
habitations , et va chercher quelque district où le mé-
tal soit plus abondant. L'existence de ces villes est par con-
séquent très-éphémère.
Le sol n'est pas d'mie très-bonne qualité , et une portion
considérable en est inégale et raboteuse. Le froment , l'orge
et le mais sont les principaux produits qu'on en lire. Le
raisin y est bon, et le vin ressemble à celui de Mendoza.
Les figues, les olives, les pèches, les fraises, les pastèques
et les melons y sont parfaits. On extrait d'une espèce de
palmier une liqueur qui a le goût dn miel. Ou fait du savon
avec rëcorce du quellaii , et on obtient une belle couleur
écarlate d'une plante qui ressemble au séneçon. Le Chili
abonde en mines d'or et d'argent : les deniièrrs sont toutes
dans les Cordillères. Plusieurs d'cntr'elles contiennent du
pur sulfure d'argent qui donne 80 [;our °/o de métal. Ce
n'est pas le manque de combustible qui doit faire mettre
en doute la possibilité d'extraire l'eau des mines au moven
de la machine à vapeur. Il paraît que l'on a trouvé du
charbon de terre d'une excellente qualité près de Talca-
huana ; mais il y a certaines parties de la machine , les
cylindres, par exemple, que nous ne croyons guère que
des mules , quel qu'en fût le nombre, puissent jamais traus-
porler à une élévation de douze ou treize mille pieds, par
des routes telles que celles qui existent aujourd'hui.
()uoif[ue les mineurs soient la classe la plus pauvre des
habitans , leur déraison est telle , qu'ils aiment mieux re-
chercher les métaux précieux , que de s'occupei- des Ira-
vaux moins |'éuihles et plus producliCs de l'agricu^lure. C'( st
522 Amérique
à tort que M. Caklcleugh prétend que le Chili est la seule
contrée de l'Amérique du sud oii ces métaux se trouvent
dans un sol susceptible d'être cultivé , et que , partout
ailleurs , on ne le rencontre que dans des territoires sté-
riles. Il est inconcevable qu'il ait avancé une pareille pro-
position , après avoir visité le Brésil, où des fleuves, des
rivières , des ruisseaux , qui roulent Tor avec leurs ondes ,
arrosent des champs couverts de toutes les richesses du
rèfi^ne végétal. Il y a au Chili de grandes fermes dans les-
quelles on s'occupe exclusivement d'élever des chevaux et
des bestiaux. On tue ces derniers en automne , et, après en
avoir retiré la graisse , on en découpe la viande en mor-
ceaux, on la sale et on la fait sécher. C'est un des princi-
paux articles de commerce du pays , qui en expédie des
quantités considérables au Pérou , et qui reçoit en échange
du sucre, du cacao , du café. Mais , depuis la révolution,
des bâtimens venus directement des Indes-Orientales , ont
apporté ces mêmes articles, et les ont livrés à bien meilleur
marché ; ils ont apporté également des nankins et d'autres
étoffes de coton de l'Inde et de la Chine, ce qui a dû nuire
à notre commerce direct avec le Chili. En 1818, les expor-
tations de l'Angleterre à Valparaiso ne s'étaient élevées
qu'à 52,000 livres sterl. ( 800,000 francs) ; mais eu i8?,5,
elles s'élevèrent à i65,ooo livres st. ( 5,075,000 fr. ").
M. Caklcleugh parle en général avec éloge du caractère
des habitans de cette partie de l'Amérique du sud j mais ,
avec sa courtoisie ordinaire, il fait plus particulièrement
l'éloge des dames.
Les classes supérieures vivent dans l'aisance , et elles
aiment extrêmement les plaisirs de la société ; de manière
qu'il ne se passe guère un seul jour, sans qu'il y ait un bal
ou un concert. lia musique est universellement cultivée , et
elle Test avec beaucoup de succès. Les paysans habitent des
maisons de roseaux et de bois , dont les portes sont en
méridionale. 5a5
peaux : un lit , deux chaises et une vieille table , en com-
posent tout le mobilier. Le lit est occupé par le plus âgé de
la maison , et à sa mort , celui qui vient après après lui en
bérile ; ainsi on peut , à proprement parler , l'appeler un lit
de mort. Les autres personnes se couchent sur des peaux
étendues par terre ; et c'est de cette manière que des fa-
milles très-nombreuses vivent en communauté. Ijcurs ali-
mens ordinaires sont la A'iande de leurs bestiaux , le mais
et les courges. Le prix du thé du Paraguay , depuis que
l'exportation en a été défendue par le docteur Francia , est
beaucoup trop élevé pour eux , car il se vend au Chili
presqu'aussi cher que le thé de la Chine en Angleterre. Le
goût du tabac est général , et celui du jeu ne Vest pas moins ;
on voit des jeunes gens du peuple passer des journées entières
avec des à^s, et des cartes. Les fruitières, au coin des rues,
sont ordinairement entourées de joueurs qui parient que
Tintérieur d'une pastèque est blanc ou rouge.
Après avoir visité le Chili, M. Caldcieugh se rendit à
Lima, capitale du Pérou. La multiplicité des tremblemeus
de terre a aussi déterminé les habitans à ne donner à la
plupart de leurs maisons qu'un étage de haut Quoique celte
ville ait extrêmement souffert par la révolution , cependant
elle conserve encore plusieurs traces de son ancienne ma-
gnificence. La cathédrale, qui occupe un des côtés d'une
grande place carrée, a un caractère noble et inijjosant : les
richesses prodiguées pour la décoration de son intérieur
paraîtraient inconcevables partout ailleurs que dans une
ville qui , pour fêter l'arrivée d'un nouveau vice-roi, pava
jadis une de .ses rues avec des lingots d'argent. INl. Cald-
cieugh raconte que trois semaines avant son airivée , on
avait recueilli dans les différentes églises un tonneau et demi
d'argent ( 5,000 livres pesant d'Angleterre) pour les em-
ployer aux besoins de l'état. Il y a beaucoup de monastères
et de couvens 5 on on compte quatorze , rien que pour les
3^4 Amérique
femmes. Il y a en outre plusieurs casas de exercicio , dans
lesquels les clames se mettent en retraite pendant quinze à
vingt jours, et où elles observent des pratiques religieuses
plus sévères que dans l'intérieur de leurs familles. lies
dames ont cependant tant de bonnes qualités, au dire de
notre voyageur, qu'on serait tenté de croire que ces austé-
rités volontaires sont parfaitement inutiles , malgré les
jupes de soie qui dessinent si bien leurs formes , et qui les
serrent tellement à la cbeville, que c'est avec peine qu'elles
traversent les ruisseaux qui circulent dans ies rues ; et
malgré l'usage des tapadas ou déguisemens abolis , dans
ranclenne Espagne , par plusieurs édits , à cause des scan-
dales et des désordres dont cet usage était la source. Pro-
bablement nos lecteurs seront un peu cboqués , en appre-
nant que ces dames, si belles, si aimables, et d'une propreté
si rechercbée qu'elles prennent tous les jours un bain froid,
fument, même lorsqu'elles sont au tbéâtre , et paraissent
avoir un goût décidé pour le tabac.
La population totale du Pérou est estimée à i,4oo,ooo
anies, dont 800,000 Indiens. Celle de Lima est d'environ
70,000 âmes ; savoir: 25,000 créolesj <i,5oû prêtres sécu-
liers, moines ou religieuses; i5,ooo mulâtres libres , et
12,000 métis ou Indiens. fiCS nègres sont principalement
employés à la culture du sucre , du café et du cacao ; et les .
Indiens travaillent en général dans les mines. On assure,
et ce fait, s'il est exact , est bien extraordinaire , que depuis
quatorze ans il n'est pas tombé de pluie à Lima , et cepen-
dant son territoire , déjà si rapproclié de Téqualeur , con-
tinue a produire quelques-uns des plus beaux fruits et des
plus belles moissons de l'univers. Cette fécondité si remar-
(luable s'explique par les brouillards humides dont le ciel
est ordinairement chargé , pendant une partie considérable
de l'année. Le meilleur fruit qu'on récolte dans le voisinage
de la capitale du Pérou , est le cbirimoya , espèce d'an-
méridionale., 5a5
viona , dont M. Caldcleug fait la plus brillante description
et dont il compare la saveur à celle de quelques-mies des
meilleures pâtisseries anglaises.
En retournant à Yalparaiso, il vit plusieurs condors
d'une énorme dimension , et il en a rapporté un en An-
gleterre. Ce dernier s'était précipité sur un grand albatros
que ses compagnons de voyage avaient pris, et après lui
avoir percé un œil avec son bec, il l'avait entièrement dé-
voré , car il en avait même avalé les plumes et les griffes.
Ces oiseaux redoutables saisissent et enlèvent des agneaux,
des chevreaux , et jusqu'à des enlans.
M. Caldcleugb repassa les Cordillères à la fin de mai,
par le passage d'Upsalata, le seul qui soit praticable pen-
dant l'biver. O'Higgins y a fait construire quelques buttes
en briques, pour !a commodité des voyageurs. IVeuf jours
après son dépai't de San-Iago , il arriva à Mendoza , sans
avoir éprouvé d'autre accident que la perte d'une mule qui
avait roulé dans un précipice. Quand il fut daiîs cette der-
nière ville, il apprit que les Indiens ravageaient, les Pam-
pas. Il prit en conséquence la direction du noi-d , et il se
rendit à Cordova, par \a pzmia de San-Liiis. Il fait un ta-
bleau intéressant de la simplicité des populations qui vivent
le long de la base orientale des Andes. Le curé de Morrode
San José lui donna un souper excellent, servi par deux
jolis enfans. Sou presbytère était ime cbétive cabane qui
ne contenait qu'une seule chambre. IjC gazon en formait
le toit; la terre, le plancher-, et elle était fermée avec une
peau. Une autre peau pour se couclier, deux chaises, une
table qui, ayant perdu deux de ses pieds, était appuvée
contre le mur, une terrine en cuivre , \\n vase à boire, en
corne, et un missel , composaient tout le mobilier du pauvre
curé. Heureux et content de l'amour que lui portaient ses
paroissiens , il n'avait aucun besoin qu'ils ne fussent dis-
posés à satisfaire ; unr* vieille femme faisait bouillir l'eau
I. •.'■).
526 Amérique méridionale.
de son matté ; une autre préparait son dîner ; une troi-
sième, sou souper. IjCs Rieilleures pièces de viande, les
meilleurs grains et les meilleurs fruits lui étaient réservés ;
et les muletiers des caravanes lui laissaient toujours un peu
Xyerha^ de vin et d'eau-de-vie.
Cordoue est une ville bien bâtie 5 sa population est d'en-
viron 14,000 âmes ; mais elle a beaucoup soufFert depuis
la révolution ; son commei'ce a été détruit et son territoire
pillé par les Indiens. Son université , jadis si florissante , est
aujourtVbui dans une situation déplorable j son revenu
actuel permet à peine d'en entretenir les bdtimens. Les
églises, qui ont été bâties sous la direction des jésuites, sont
toutes d'un excellent goût , et celle de l'université est ma-
gnifique. M. Caldcleugli trouva, dans les appartemens du
collège , quelques instrnmens de pbvsique dans le plus mau-
vais état. Une presse, qu'on y avait antérieurement décou-
verte, avait été transportée à Buenos-Ayres , où elle avait
servi à imprimer les diatribes et les pampblets politiques
des différens partis qui s'y sont successivement emparés du
pouvoir.
Mais , il faut l'espérer , ces malbeurs ne se renouvelle-
ront pas , et un jour plus pur luira bientôt sur le nouvel hé-
misphère. Déjà le tems et la mauvaise fortune ont adouci
l'âpreté des haines de parti, et toutes les classes commen-
cent à apprécier les bienfaits d'un commerce libre et d'une
justice impartialement rendue. Sans doute on ne parvien-
dra pas tout de suite à substituer un esprit actif et indus-
trieux , aux habitudes molles et indolentes qu'une population
esclave ne peut pas manquer defaii'e naître. Mais cet heu-
reux changement sera nécessairement accéléré par des re-
lations suivies avec !a Grande-Bretagne, et surtout par l'é-
tablissement et les exemples d'un certain nombre de ses
habilans dans les diverses contrées du continent américain,
( Quartcrl) Recicw. )
îfOUVEL ETABLISSEMENT ANGLAIS DANS L AUSTRALIE ,
OU NOUVELLE -HOLLANDE.
Le gouverneur de la prcsidence de Bombay a publié ,
le *2i janvier iSaS , une noie officielle portant, qu'en exé-
cution des ordres du gouvernement de Sa Majesté Britan-
nique, le capitaine Bremer, commandant de la frégate
Je Tamar , a pris possession de la portion de la côte sep-
tentrionale de la Nouvelle - Hollande , ou Australie, qui
est comprise entre les 12g et i.55 degrés de longitude orien-
tale 3 et quau port de Cochbnrn , situé dans le détroit
d'Apsley . entre les îles Bathurst et Melville, il a établi une
colonie qu'il a laissée sous les ordres d'un capitaine - com-
mandant (i).
Le Tamar , qui fut expédié de la métropole en fé-
vrier 1824., l'elaclia au port Jackson ( Nouvelle-Galles
méridionale ) , d'où il repartit le i[\ août suivant, emme-
nant à sa suite un détachement du S** régiment de ligne ,
un grand nombre de condamnés et des munitions de tout
genre.
Après avoir pris possession, au nom du roi , de la por-
tion du nouveau continent , oi!i il établit sa colonie, le ca-
pitaine Bremer se rendit au port de Bombay, près du gou-
verneur de cette présidence.
(1) Note DU Tr,. Observons ici avec quel soin les Anglais clier-
chcntj jiar le choix même de leurs colonies, à favoriser les proJjfrieux
(Ic'veloppemens de leur puissance commerciale. Au moyen des îles
Bathurst et DIcIville , ainsi que la nouvelle colonie qu'ils viennent
(ie fonder au port de Cotliburn , ils doniinciil l'tiitre'c du dc'troit de
'i'orres, et se ménagent des relations faciles avec Java, Sumatra, les
îles iN.'oluques, el , en gt'ne'ral , avec tout l'Ardiipel des Indrs orien-
tales.
5si8 Noiwelle colonie
Voici quelques détails sur TexpcMlilion , fournis par nti
journal de Bombay.
« Après avoir quitté le port Jackson , elle traversa le
détroit de Torrès , naviguant entre la grande barrière à
bancs de corail et la côte; cette navigation était très-péril-
leuse, tant à cause des bancs de corail qui, en certains en-
droits, laissaient à peine aux bâtimens l'espace nécessaire
pour passer , que par la force extrême des vagues qui ,
soulevées par le mouvement du grand Océan Austral , ve-
naient se briser contre ses bancs et contre les bâtimens
eux-mêmes. Ayant franchi ce détroit, dont l'étendue est de
plus de 280 lieues, l'expédition arriva le 21 septembre au
port d'Essington , dans une presqu'île appelée Cobourg.
Ce port est un des plus vastes, des plus beaux et des plus
sûrs qu'il y ait au monde; mais il perd beaucoup de son
prix , par l'impossibilité oii on a été Jusqu'à présent d'y
trouver de l'eau douce.
» Le 26 , l'expédition gagna le détroit d'Apsley , où elle
prit possession des îles Batliurst et Melville. Le 37, on en-
vova de tous côtés pour faire de l'eau, et^ après quelques
recliercbes , l'on découvrit une petite rivière , dans luie
anse, située à deux lieues du point où on avait jeté l'ancre.
Le site environnant étant élevé , sans être trop couvert de
bois, on le jugea favorable à un établissement, et l'on se dé-
cida à y placer le siège de la colonie. Les bâtimens vinrent
donc mouiller dans cette anse, qu'on nomma Ki'ng's-Çoce.
On donna le nom de Barlow à la place même où s'établit la
colonie , et, au mouillage , celui de Port Cochburn.
» On s'occupa sur-le-champ de construire un fort. Cha-
cun se mit à l'ouvrage, et, le 21 octobre , le côté faisant
face à la mer et un bastion étant achevés , on y hissa le
pavillon britannique , au bruit des pièces de canon qu'on
y avait montées.
» Le fort, après avoir été achevé, reçut le nom de Fort
établie en AuslnUia. 5.2g
Dundas. H est conslrull en bois fort dur , sa tonne est
carrée ; il a soixaute-quiiize pieds de long sur soixante
de large, et il est entouré d'un fossé de quinze pieds de
profondeur et quinze de largeur. On y a construit un petit
môle et des magasins pour les munitions. Près du fort, les
troupes et les condamnés oat établi des cabanes. \
» Ce ne fut que le aS octobre qu'on eut occasion de voir
quelques naturels du pays. On les aperçut en remontant
une petite rivière dans l'île Bathurst. Ils étaient armés de
javelines , qu'à notre vue ils posèrent à terre en signe de
jjaix.. On essaya d'entrer en communication avec eux, mais
ils ne voulurent s'avancer qu'autant qu'il le fallait pour
prendre un mouchoir et quelques bagatelles , qu'on leur
tendit au bout d'une rame. Ils se retirèrent en paraissant
satisfaits de cette première rencontre. Dans la soirée
du même jour , quelques-uns descendirent vers la plage ,
comme pour reconnaître la petite colonie. Ils surprirent
nos travailleurs qui abattaient du bois et leur enlevèrent
quelques haches . dont ils semblaient connaître l'usaî^e.
Après leur reii-aite , plusieurs de nos gens firent une
course dans l'intérieur, et parvinrent à les attirer près du
fort ; mais on ne put les faire entrer dans la ligne des
cabanes. On ne leur témoigna aucun mécontentement du
vol qu'ils avaient commis : on leur donna même trois au-
tres haches, qu'ils emportèrent dans le bois. Mais, deux
jours après , ils surprirent de nouveau nos travailleurs, el
leur prireiit encore une hache et une iaucille. Alors on
leur lit entendre que leurs vols ne seraient plus tolérés ,
ce qui parut les mécontenter beaucoup et leur inspirer le
dessein de commettre quelque acte d'hostilité. Depuis e«i
jour, on ne les vit plus jusqu'au 5o. Ils se présentèrent
alors en plus grand nond)re el tentèrent de s'emparer d'un(^
de nos barques, qu'on avait détachée pour faire de IVau.
\}\\ c.q)oral lira au-dessus de leurs tètes j à l'instant ils lau-
.)")0 Noui'cllt' colonie, établie en Australii;.
cèreut conlrc nous plusieurs traits, dontrim blessa un as-
piraut de marine. Ce dernier ayant distingué le chef de la
tronpe , tira sur lui et Tétendit mort. Ils prirent sur-le-
champ la fuite, emmenant leur chef, et depuis ce moment
aucun d'eux n'a reparu.
» Ces sauvages sont au-dessus de la taille moyenne , h\e\\
faits et d'une extrême agilité. Leur teint est presque noir ,
et ils ont, pour la plupart, le corps tatoué à la manière
des sauvages qu'on rencontre partout ailleurs 5 leurs che-
veux sont durs sans être laineux. Les hommes marchent
tout-à-fait nus ; les femmes portent une petite ceinture de
natte, tressée avec de l'herbe ou du jonc. Les armes dont
ils se servent sont, la javeline, sorte de perche durcie au feu
qui a environ dix pieds de long, et un bâton court qu'ils
lancent avec une a Iresse telle , qu'ils atteignent un oiseau
perché à la cime de l'arbre le plus élevé.
» Les naturels de cette partie de la Nouvelle-Hollande
ressemblent à ceux de la Nouvelle-Galles méridionale. Ils
occupent , toutefois , un degré supérieur dans l'échelle de
l'espèce humaine. L'idée d'un Etre Suprême et d'une au-
tre vie, paraît leur être moins étrangère qu'aux premiers.
Ou rencontre, dans Fîle de Bathurst, un tombeau qui, par la
simplicité de sa forme et l'état soigné dans lequel il est tenu,
ferait honneur même à un peuple civilisé. Ce respect pour
les morts est fort rare chez les naturels de l'Australie.
n Le sol de cette nouvelle colonie , autant qu'on a pu
en juger, est très-fertile : on pourra y cultiver tous les
fruits et les arbustes qui viennent dans les îles orientales.
Les plantes apportées de Sidney y réussissent très - bien ,
eL, en remontant la petite rivière dont nous venons de par -
er, on a aperçu plusieurs marais, où il serait facile d'éta-
blir des rizières.
n Les bois de ce pays oflrent des arbres d'espèces très-
variées. On y remarque entr'autres le ligiiuin nia' , le pal-
De Vcschwage dans les Antilles anglaises. 53 1
mier à choux et le palmier à sagou. On eu distingue un
surtout qui produit un coton particulier, dont on a envoyé
des échantillons en Angleterre.
» Les animaux qu'on trouve dans le pays sont , le kan-
garou , le chien sauvage , le houdicourt , l'apossum , le rat-
kangarou et l'écureuil volant. Les oiseaux sont, le fai-
san , la caille , le perroquet , le pigeon et une sorte de
bécassine ; quelques reptiles du genre venimeux s'y font
remarquer j ou y voit des centipèdes et des scorpions.
» Le climat est , h. tous égards , aussi hon qu'aucun de
ceux situés entre les tropiques. Le thermomètre ne s'élève
pas au-delà de 88" ( Fahrenheit ), même à l'heure du jour
oi\ la chaleur est la plus forte. » ( Asialic Journal. )
DE L ESCLAVAGE DANS LES COLONIES BRITANNIQUES DES
INDES OCCIDENTALES ,CO M PARE AVEC l'eSCLAVAGE
CHEZ LES AUTRES NATIONS ANCIENNES ET MODERNES.
Par J. Stcphcn , Esq. — Vol. icr (i).
De tous les ouvrages qui ont paru depuis peu sur cet
important sujet, celui de M. Stephen est le plus précis et
(i) The slavery of thc Jiritish West India colonies dcllncnted ,
as it cxists hoth in law and practire, and contpnred withthc slavery
vf others cuuntrics ancient and inudern , ]>y James Stephen, Ksii.
vol. i" , London , Butterworlh , 1H24 {*).
(*) Note dks KnirtURS. Pour rnitellii^ciirc Je l'article qu'on va lire , il est important de
savoir (jue, le i5 mai iSîS, Bur la motion de M. Buxton , amendée par M. Canniug , U
< haiiibre <\ei eommuiic. adopta à l'unanimité la résolution .suivante :
•• Art. i«r. U est urgent iju'il suit adopté des mcuircs e^/r.'cf(V« pour améliorer l.i eon-
(liiiiiii de la population esclave dans les colonies Britanniipies.
'. <. est par rmllucnie de pareilles mesures exécutées avec pprscTéranoe , mai» d'iuir
353 D(; l'tisclai'u^e
le plus recommandable. L'auleur n\i trouve aucun adver-
saire assez intrépide pour contester les bases de ses raison-
uemens. Les défenseurs pruden s et réservés de lesclavai^e
évitent , en effet , toute allusion à un écrit auquel ils ne
peuvent opposer d'objection sérieuse , tandis que les cbam-
pions les plus ardens de la servitude domestique , sans
prétendre le réfuter, bornent leurs réponses à de violentes
déclamations. ,
Quant à nous , pour faire ressortir le mérite du livre de
M. Slephen , il nous suiïira de l'analyser sommairement,
avant de soumettre au lecteur les réflexions que sa lecture
nous a inspirées.
On suppose communément en Angleterre , qu'une loi
spéciale rendue hors des termes du droit commun , a intro-
duit et défini Tesclavage des noirs. II n'existe point de loi
sem])lable : nul colon r. 'aurait osé la proposer à un sou-
verain anglais. L'état actuel des nègres est une création
des conquérans espagnols et des pirates des Antilles, et les
Anglais qui y sont établis ne seregai'dent que comme les
représentaus des spoliateurs primitifs de l'Amérique. Tous
manière judicieuse et prudente, que cette chambre espère qu'un jour le caractère de I3
population esclave s'améliorera au point qu'elle sera préparée à jouir des mêmes droite et
privilèges civils dont jouissent les autres sujets du roi.
*» 3. La chambre désire que ces objets s'accomplissent à l'épo(iue lu plus rapprochée qui
sera reconnue compatible avec le bien-être des esclaves , rinlérêt des colonies , et la con-
sidération impartiale des intérêts de toutes les parties. •
Cependant, anx Antilles anglaises , les planteurs se sont presqu'insurgés contre la réso-
lution du i5 mai 1823 ; il paraît qu'ils ont réclamé, non sans amertume, la conservation
de leurs privilèges actuels ; leurs plaintes ont été l'occasion de l'ouvrage de M. Slephen ,
et de l'article ou plutôt du discours très-remarquable auquel cet ouvrage sert de texte.
W est inutile de faire observer ici que les auteurs de la Berne Britannique , n'acceptent In
responsabilité d'aucun des articles qu'ils y insèrent ; celui-ci d'ailleurs est spécial aux Antilles
anglaises, à l'égard desquelles le gouvernement britannique , avec ses possessions de l'Inde ,
de la côte d'Afrique , de la Méditerranée, et à l'aide des traités récens qui lui ouvrent les
trésors inépuisables du continent américain, se trouve dans une position telle , qu'il serait de
son avantage que ces îles n'existassent point. Il n'est donc pas étonnant qu'il désire modi-
fier le système qui régit ses colonies. D'ailleurs, 11 faut le reconnaître, malgré quelques nbus
récens, le système colonial des autres uation.s européennes, et surtout de la France , est
beaucoup mnins rigoureux.
dii/is les jJ II tilles anglaises. 515
leurs droits sont définis par cette courte et terrible niaxlnie,
« Tesclave est la propriété absolue de son maître. » Il faut
qu'on sache que cet odieux principe , malgré les restrictions
qu'il a reçues dans un petit nombre de statuts récens , est
encore la base de toute notre législation dans les Indes oc-
cidentales; et que tons ces statuts ne sont que l'exception
de la règle générale dont ils supposent l'existence. Le
nègre n'a aucune part aux bénéfices du droit commun
des Anglais j son maître peut légalement le traiter comme
il lui plaît, excepte dans les points expressément réglés
par une disposition spéciale.
Après une lumineuse discussion sur cette matière ,
M. Stephen examine la nature légale des rapports existons
entre le planteur et l'esclave.
L'esclavage du nègre est un service forcé et sans salaire.
Dans certaines colonies , des réglemeus illusoires déter-
minent le leras du travail et la quantité de subsistance qui
sera fournie en retour. En d'autres îles, ces réformes no-
minales n'ont pas même été proposées, et le planteur peut
donner à l'esclave autant et aussi peu de nourriture qu'il
lui plaît.
Mais partout, dans nos Antilles , il a le droit de l'empri-
sonner et de le faire battre de verges , et, dans quelques-
unes, il peut lui infliger ce châtiment à discrétion. Le
meilleur des statuts restrictifs promet peu, et tient moins
encore qu'il ne promet. Les uns disposent que l'esclave
ne sera pas livré au fouet, jusqu'à ce que les blessures,
dont une flagellation précédente a sillonné son corps ,
soient cicatrisées; les autres , qu'il ne recevra en un jour
qu'un certain nombre de coujis. Ces lois ne sont pas ob-
servées; mais elles pourraient l'être, tandis qu'il en est
d'autres qui ajoutent la dérision à la cruauté ; tel est ce
'statut qui porte textuellement que VescUwc ne recei>ra.
qu'un CERTAIN nombre de coups à la fois pour une mciiic
354 De V esclavage
Jante. Où est la fixation tlii tems ? quels sont les juges de la
faute ? S'il plaît au maître de faire un crime à resclavo
d'avoir le poil laineux , où sera son contradicteur légal ?
Le meurtre d'un esclave est aujourd'hui , il est vrai, un
crime capital ; mais le mode d'instruction criminelle, suivi
clans nos colonies , rend le châtiment presqu'impossihle.
D'ailleurs les plus horribles mutilations , même celles
qu'on punit de mort en Angleterre , commises sur sa per-
sonne , n'entraînent qu'un court emprisonnement ou une
amende. A la Dominique , le maximum de l'amende est de
loo liv. st. ; celui de la détention est de trois mois. A la
Jamaïque , l'amende est la même , et !a détention ne peut
excéder un an. Dans les cas les plus atroces, le juge peut
affranchir l'esclave. Cette mesure est un bienfait pour co
dernier : quant au maître , elle ajoute tout au plus quel-
ques livres sterling à son amende ; souvent même elle lui
est profitable , en le débarrassant d'un instrument coûteux
qu'il a mis bors de service.
Si le pouvoir terrible du maître n'était exercé que par
lui, la condition de l'esclave, toute déplorable qu'elle est ,
éprouverait quelque allégement. A défaut d' humanit('' , l'in--
térèt pécuniaire porterait le planteur à adoucir le sort de
ses nègres, à leur épargner ces tortures que la loi laisse
toujours impunies. En son absence , ils jouiraient au moins
de quelques instant de sécorilé. Mais les' codes coloniaux
permettent à tous ses agens l'exercice de son autorité ! —
Meuble ou immeuble , au gré du colon , l'esclave lui
appartient , corps et biens. Il peut être vendu ou légué ;
il peut être hypothéqué , exproprié , mis à l'encan , et
arraché pour jamais ;\ ses compagnons d'infortune et à ses
enfans , au profit des créanciers de son maître. Toutefois
l'usage de battre monnaie sur cette espèce de propriété ,
favorisé par les lois coloniales , est également fatal au
propriétaire et à l'esclave ; au propriétaire , en l'invitanl .'i
daus hs Aiitîlles i:7ng/tiises. ^35
risquer, le capiu.l tVaûtrui dans le commerce du sucre aux
Indes occidentales , qui nVst qu'une véritable loterie ; ù
l'esclave , en le privant du droit d'être affranchi , et en
Tencliaînant au travail , tandis que le propriétaire, sachant
(ju'il ne peut le garder longtems , cherche à utiliser ses
sueurs le plus qu'il peut, mais au moindre marché possible.
Tels sont les rapports légaux du nègre à son maître ;
voici quels sont ses rapports aA'ec les personnes libres en
général.
Il ne peut ni ester en jugement, ni se porter dénoncia-
teur ou poursuivaut contre une personne de condition
lihre. Il est protégé comme l'est chez nous une béte de
somme. Son maître ne peut que poursuivre eu dommages-
intérêts celui qui l'a privé du produit de ses services , et
seulement h raison de la perte qu'il en souffre. lies crimes ,
considérés comme les plus atroces s'ils sont commis sur
un blanc , restent impunis si c'est un nègre qui en est la
victime. Par exemple, kii voler un objet , n'est pas même
une chose blâmable aux yeux de législateurs qui le consi-
dèrent comme la propriété du maître , pour qu'il en soit
opprimé , et non pour qu'il en soit protégé ; cependant ,
(juelques statuts restrictiis punissent ce vol d'une amende
qui ne peut excéder 5 livres st. , s'il est commis sur un
grand chemin.
Ce n'est pas tout : le droit de la défense peisonnelle est
dénié à l'esclavej s'il l'exerce contre un blanc, qui n'aurait
même aucune autorité sur lui, il sera puni de mort.
Autre abus non moins révoltant : le témoignage du
nègre contre un blanc est inadmissible dans tous les tribu-
naux civils ou criminels , et cette règle n'a été légèrcnu'ul
modifiée que dans quelques petites îles. Aussi n'est-il [)oint
de crimes qu'on ne puisse commettre sans danger , eu des
contrées dont un seul habitant sur dix peut être entendu
vonune téuujiu. Le gouvernement a smunis !a répression
s.") 6 Da l'eiclaçage
de cel alnis à l'examen des assemblées coloniales. Celle de
la Jamaïque a voté son maliuien à la majorité de trente-
quatre contre un. Même décision a été prise à la Barbade.
Partout on a motivé le rejet des mesures proposées , en
disant que les nègres ne sentent pas la force d'un serment.
Mais comment les législateurs de la Jamaïque ont -ils pu
donner une pareille raison , eux qui punissent de la même
peine que Tesclave condamné et exécuté , le nègre qui s'est
rendu coupable de parjure en déposant contre lui ? S'il ne
sent pas la force d'un serment, comment se fait -il qu'il
soit produit comme témoin contre une créature liumaine,
et puni de mort , en certain cas , pour un délit qui n'ex-
pose qu'à la déportation ses maîtres plus éclairés que lui ?
iS'il possède la dose d'intelligence exigée de tout témoin \
pourquoi ne peul-il déposer contre un Européen ?
Poursuivons : l'esclave privé de la protection des lois est
soumis à toutes leurs rigueurs. Assujéli aux dispositions
pénales ordinaires , il gémit encore sous un code injuste et
cruel rédigé contre lui. S'il veut fuir de la colonie, Il est
mis à mort 5 un cbàtiment sévère lui est réservé pour des
actions Innocentes en elles-mêmes j comme si , sans la per-
mission écrite du planteur , il dépasse les bornes de l'ba-
bitation, s'il achète ou vend quelqu'objet en plein marché ,
s'il cueille cerlalns fruits, s'il possède certains articles de
consommation ; la permission écrite du maître ne l'excuse
même pas dans quelques îles. Il est puni de verges pour
avoir battu du tambour , donné du cor, danse , joué à la
palette , tiré des fusées ou quelque autre pièce d'artifice.
Qu'on juge, par ces traits, de la pitié qu'il a droit d'at-
tendre s'il se rend coupable de délits réels? Les lois pro-
diguent le dernier supplice pour des faits qu'un blanc peut
commettre impunément, ou du moins sans encourir d'autre
peine que remprisounemcnt : tes^s sont le vol, ou la tenta-
tive de vol , ne fùl*ce que pour uno valeur de 12 deniers , la
dciri'i h'S Afdîlhs (tnghn'si-s. 55*7
mort (Vuiî animal de la valeur de 6 shillings, des expres-
sions peu mesurées , des menaces, etc. , etc. Non-seulement
le complot, mais la simple idée de tuer un blanc , est con-
sidérée coriime un crime capital.
Tel est le code pénal des esclaves. La procédure suivie
contre eux est plus déplorable encore. Un seul juge instruit
et décide les affaires où leur vie n'est point compromise ;
dans les autres , on en convoque plusieurs. Quelque-
fois on rassemble un simulacre de jury j mais point d'in-
formation préalable devant un grand jury (i) , point d'acte
d'accusation. Dans plusieurs îles il n'y a pas même de
procès-verbal de débats ; dans d'aulies , l'exécution doit
suivre immédiatement le jugement. Il suffit aujourd'hui
que l'esclave soit mis à mort. Auparavant on lui infligeait
quelquefois ce que les codes coloniaux appellent une puni-
tion exemplaire. Elle consistait à ie brûler vif, à le sus-
pendre à des barreaux de fer , pour l'y faire mourir de
soif, à le faire mourir de faim dans une cage. Ces sup-
plices étaient réservés communément pour ceux qui avaient
cédé à la tentation diabolique de s'insurger contre le juste
et paternel gouvernement dont nous venons de tracer le
tableau.
Dans nos colonies, Fesclavage est héréditaire ; les lois
mêmes tendent à le perpétuer, malgré les désirs du maître :
dans quelques îles , en imposant une taxe sur les afifranchis-
semens ; dans toutes , eu encourageant l'hypothèque des
noirs.
Un des maux les plus cruels attacîiés à l'esclavage dans
nos Antilles, c'est qu'il ne l'rappe que sur les noirs et sur
les hommes de couleur. Les particularités physiques qui
distinguent la race africaine , sont considérées, par les co-
lons , comme la livrée éternelle de la plus abjecte servi-
(i)lSoT'îDU Tr. Le grand jury est ce quVtait en l'rance, il y a
quelque» années, le jury d'accusation.
538 De l'esckwagc
lude. Il suit de là que les noirs et les mulâtres , libres ,
iraînaot partout avec eux le poids d'une incapacité légale,
et la fatale expérience des mépris dont on les a abreuvés ,
n'attaclient de prix à leur sort actuel qu en le comparant à
riiorrible condition qu'il a remplacé. Ainsi , par exemple,
un principe reçu dans les Indes occidentales , est que tout
nègre ou mulâtre doit être considéré comme esclave jus-
qu'à pi-euve authentique du contraire. "Vainement il prou-
verait par la notoriété publique qu il est entré et qu'il a
toujours vécu libre dans la colonie , et qu'il a résidé vingt
ans en Angleterre , qu'il est citoyen d'Haïti ou de Co-
lombie , s'il ne produisait un acte matériel d'affranchisse-
ment , il serait veudu à l'encan !
Nous n'avons pas suivi l'auteur ilaus ses digressions sur
l'état déplorable de la législation , relativement à l'instruc-
tion religieuse. Le mal a été généralement reconnu , et on
a cherché à y porter remède, en créant dans nos colonies
des établissemens ecclésiastiques. Cette mesure est bonne ;
mais elle sera inutile , nous en sommes convaincus ; si on
ne ia combine avec d'autres réformes. L'immoralité et
Virréligion des esclaves , sont les conséquences nécessaires
de leur dégradation civile et politique. Les lois ne les con-
.sldèrent pas comme des créatures humaines ^ en effet, sous
<:ertains rapports, ils sont hors de Thunianilé : il faut qu'ils
deviennent hommes avant de devenir chrétiens. On a vu
parmi eux des conversions isolées j mais vouloir les con-
vertir en mosse, ce serait tenter l'impossible. Un prédica-
teur peut-il exhorter ses auditeurs à remplir strictement
leui-s devoirs de famille , dans un pays où l'homme et la
femme peuvent être séparés pour toujours , au gré du
maître ou des tribunaux ? Peut-il leur persuader de consa-
crer le dimanche au repos et à la prière, tandis que ce jour-
là est précisémeiit un jour de marché ?
La masse des colons s'oppose , avec raison , à i'iastruc-
dans les Antilles un glaises, SSq
jîon religiGuse du nègre. Elle sait , quoi qu'on tllsont ses
imprudens amis iVAnglclerre , que la religion du Clirisl et
Tesclavage ne sauraient long tems subsister ensemble. Iju
révolte des noirs serait sans doute un ïnalbeur eflroyable.
Mais il sera éternellement vrai , et l'histoire de tous les
pays nous enseigne que partout , et dans tous les lènis, des
([ue l'esprit du christianisme a prévalu , iLa inspiré la iiaine
de l'oppression et l'amour de la liberté. Son effet serait le
même dans les Antilles anglaises. Les colons l'ont bien
senti , et nous sommes convaincus qu'ils ne souffriront ja-
mais qu'une instruction religieuse , sans restriction , soit
donnée aux esclaves (i).
Depuis quelques années, nos Antilles ont un clergé ; qu'a-
t-il fait pour les nègres? En quoi a-l-il contribué à leur
l)ien-etre spirituel ou temporel? 11 y a pourtant dans son
sein plusieurs hommes respectables. Mais u'est-il pas no-
toire que les bénéfices, dans les colonies, ont été souvent
donnés à des gens qui étaient le rebut de la société an-
glaise ?
liCS nouveaux établissemens, nous dit-on, sont meilleurs
(0 Note du Tr. «Hier, «lit le Courrier anglais du i{\u\n,
M. Fawcl Biixton a fail à la chambre des communes une motion au
sujet de M. Shrewsbury , missionnaire de la société' africaine, dont l.i
vie a été' mcnacc'e et la chapelle détruite, en 1828 , à la lîarbadc , par
les planteurs auxquels il avait déplu en adressant en Angleterre une
lettre dans laquelle il faisait le tableau de la position des esclaves.
M. Shrewsbury , après s'être échappé de l'ile , porta plainte et demanda
justice; mais les principaux colons firent circuler un écrit dans lequel
ils déclarèrent qu'ils se vengeraient de tous ceux qui déposeraient .'i
charge dans cette affaire , et qu'il serait impossible de faire condamner
les coupables.
» M. Buxion demandait que la chambre manifestât son élonncment
d'une vi(dation aussi scandaleuse des lois , et suppliât S. M. d'ordonner
la reconstruction de la chappollc, etc. M. Canning a fait substituer
dans le texte de la motion qui a été adoptée, le mol indiguatUm au
mol t'ionncmcnt. »
54© De Vcsclaçiage
que les anciens ; el en quoi? le danger du séjour aux îles
n'esl-il pas pour les nns ce qu'il a été pour les autres"?
Nos îles ont leurs évèques ; mais lorsque nous vei'rons que
de ce côté de l'Atlantique , les évêques ont sur les âmes
une influence plus efficace que le reste du clergé , nous
pourrons espérer qu'il en sera de même dans l'autre hé-
misphère.
Nos réformateurs ont commencé par où ils devaient
finir, et Dieu , dit M. Hooker , qui certes n'est point un
ennemi de l'épiscopal. Dieu donna à l'homme la vie et des
forces pour la conserver, avant de lui imposer des lois. »
Notre gouvernement aurait dû imiter l'exemple offert par
l'éternelle sagesse , et assurer la sécurité de l'esclave ,
avant de lui envoyer des évéques , des archidiacres , des
chanceliers et des chapitres.
Le livre de M. Stephen a fait justice des principaux argu-
mens employés par les défenseurs de notre système colonial.
Tl en est d'autres qui ne mériteraient pas même une réponse.
Ainsi quand on leur cite quelques exemples de l'oppression
exercée sur les noirs , ils s'écrient : « Ce sont là des cas
« individuels ; on ne peut on tirer des conclusions géné-
« raies. Que diriez-vous si nous hasions notre estime pour
» la société anglaise , sur dfs rapports de police ou sur le
j) calendrier de Newgate ( i ) ^ Ne confondez pas l'exception
» avec la règle. » La règle , nous l'avons montrée dans
la consécration légale d'actions qu'on punirait ailleurs
comn\e des crimes , dans rimpunlté universellement ac-
cordée à des atrocités dont les greffes de nos assises n'offrent
pas d'exemple, et quon laisse exercer en plein marché sur
des individus qui n ont été ni jugés, ni condamnés. Qu'on
nous montre l'exception !
On ajoute : «La métropole n'a-l-elle pas aussi ses crimes?»
(i) Note mi Ti\. ^^aison de dclcnllon qui existe à LoiiJics pour
l<'S condamnés.
dans les Anîilles anglaises. Dji
Oui, sans doute 5 sous les systèmes les plus sages, dans
les teins les plus heureux , les passions de riiomme le por.
tent au mal. La police la plus vigilante, les tribunaux, les
plus rigides, le Codé le plus sévère, répriment faiblement
la cupidité et Fesprit de vengeance. Que sera-ce donc si ces
barrières sont renversées? En Angleterre, la loi assigne' sa
' peine à chaque délit. Si le premier prince du sang traitait
le plus pauvre habitant de la rue Saiut-Gilles , comme le
meilleur de nos codes coloniaux permet au maître de
traiter sou esclave, il A'audrait mieux pour lui qu'il ne fût
pas né. Ici cependant il existe des abus de pouvoir 5 ici les
magistrats qui ne redoutent pas la censure de la cour da
banc du roi (1), commettent quelquefois des actes injustes
et arbitraires j ici des pareus peuvent torturer, égorger
l'être sans défense qui leur doit la vie ! ]N'est-il pas évident
que là où il y a moins de répression", il doit y avoir plus
de cruauté?
ce Des mœurs nationales et Topinion publique, nous dit-
on encore, produisent plus de bien que les lois écrites.
Celles des Antilles anglaises sont, en théorie, cruelles et
Injustes sitr plusieurs points j mais l'humanité des colons
adoucit ce que leur système a d'acerbe. )>
Nous répondrons que l'opinion publique, destinée à prê-
ter aux lois son appui , a été et sera toujours pour elles un
pitoyable et mutile remplaçant. La règle de ses jugemens
est défectueuse. Trop souvent ses décisions, dictées parle
caprice , absolvent le coupable et condamnent l'innocent •
si les cœurs généreux et sensibles les redoutent , elles sont
foulées aux pieds par ceux dont la perversité obstinée a
besoin d'une répression plus sévère. Ainsi , lorsque l'opi-
nion publique n'est point fortifiée par des lois positives, on
commence par la braver et ou finit par la corrompre.
(i) Note du Tk. Cctlc rour juge, tous les cas d'abus.
34'-i -^e l'esclat^age
Faible tl'abord , sinon impuissante, contre le crime, elle
en devient enfin le plus terrible auxiliaire.
L'opinion est surtout inefficace contre les maux qui ré-
sultent de Tesclavage , et voilà pourquoi celle des es-
claves n'est comptée pour rien. Le désir que nous éprou-
vons d'obtenir l'approbation d'autrui, la crainte de sa
censure, ne sont pas des sentimens innés et universels :
ils prennent toujours leur source dans l'intérêt personnel.
Ainsi la bienveillance des classes populaires n'est recherchée
que dans les pays où elles possèdent des privilèges politi-
ques. Ij'importauce de leur opinion est proportionnée à
l'étendue de leurs droits légaux. Mais un bouvier de Smith
field attache- t-il du prix à l'amour ou à la haine de ses
bestiaux? Eh bien! depuis le bill de M. Martin (i), les
bœufs sont protégés à peu près commCiles noirs de nos îles.
L'opinion qui défend les esclaves de l'oppression de la
caste privilégiée, est celle de cette caste même. Elle a sur
eux un pouvoir immense, à peine modéré par les lois, et
ou nous persuaderait que les sentimens généreux de ceux
qui participent à ce pouvoir , et qui sont livrés à son en-
traînement, suppléeront à toute mesure répressive.' Cette
raison peut être bonne à Kingston ( Jamaïque "); mais nous
doutons qu'elle soit goiitée à Westminster.
Les blancs de nos Antilles ne sont ni plus cruels, ni plus
sensuels que nous-mêmes ; mais ils sont hommes , et ils
voudraient être considérés comme des anges ! « Ne vivons-
» nous pas au milieu de vous? nous disent-ils complaisam-
» ment. Ne participons-nous pas à vos travaux et à vos
» plaisirs, le matin à la Bourse, le soir dans vos bals?
« TS'avons-nous pas des manières polies, et d'excellens
w cuisiniers? Ne sommes-nous pas bons amis, négoclans,
(i)NoTE bU iR. On sait (jue M. Martin a fait adojiler , par le
Parlement anglais, un bill contre le» mauvais trailcmcns auxquels les
animaux domestiques sont eupose's.
dans les Antilles anglaises. 5^?}
» hoiuiôles, bîenraiteurs généreux? Nos noms ne figurent -
» ils pas dans vos souscriplions de charité? Croyez-vous
» que nous devenions des monstres en traversant l'Atlan-
» tique? »
Nous répondrons : Vous êtes hommes comme nous ; vous
avez vos passions, mais avec moins de moyens de les
réprimer j vos délits peuvent donc cire plus graves. liCs
souverains despotiques ont-ils un cœur plus dur que leurs
sujets? Sont-ils inaccessibles aux passions généreuses , aux
charmes de l'amitié? le supposer serait un blasphème. Il
en est un grand nombre qui se sont élevés au sublime de
la magnanimité et de rhéroïsme 5 plusieurs dont le gou-
vernement, consacré au bonheur public, a été un modèle
de sagesse; mais il en est peu qui n'aient point terni leur
vie par quelque acte de cruauté , dont ils se seraient
épargné le remords s'ils s'étaient imposé le joug salutaire
des lois. Henri VIII; simple citoyen, aurait battu sa femme j
il était roi, il l'envoya à Téchafaud. Ses passions n'étaient
pas plus brutales que celles de ses sujets; mais nul frein ne
les retenait. On vante la piété et la magnanimité de Théo-
dose, et ce prince, dans un moment d'humeur, fît
massacrer plus d individus iniiocens que tous les brigands
de l'Europe n'en ont assassiné en un demi-siècle. Tel est lai
maître dans les colonies. Il est bon,, mais sa passion l'en-
traîne. H donne un ordre qui n'est point ou qui est mal
exécuté : en Angleterre, il s'emporterait d'abord et s'apai-
serait ensuite: dans n,os Antilles la loi l'autorise à fustieer
sévèrement le coupable; est-ce une calomnie que de sup-
poser qu'il profilera quelquefois de la permission.'' Être
humain en Angleterre ne prouve donc pas qu'on le sera
aux Indes.
Les colons veulent-ils nous convaincre que leur conduite
est inspirée par l'humanité? qu'ils introduisent l'iiumanité
dans leurs lois. En vérité, nous ne pouvons comprendre
544 ^^ l'escltwage
qu'ils tienaent si opiniâtrement à un pouvoir qu'ils n'ont
pas les moyens d'exercer. Si leurs privilèges oppressifs n'ont
rien de réel dans la pratique, qu'ils y renoncent, et la
calonanie se taira pour toujours. Qu'ils cèdent pour leur
honneur aux vœux du peuple anglais. Leur demauder l'a-
brogation de lois en désuétude , la répression de crimes
imaginaires, est-ce trop exiger d'eux en retour de la prime
annuelle de 1,200,000 1. que le gouvernement leur accorde
au détriment des fabricans anglais et des planteurs de l'In-
dostan , en retour des charges qu'il s'impose pour entre-
tenir, dans ses possessions des Antilles , une armée qui n'a
d'autre objet que de sauver d'une ruine inévitable la vie et
les possessions des colons.
Chaque pays, on le répète, a ses vices et ses crimes
particuliers; mais lorsqu'un peuple ne fait rien pour les
prévenir, il en devient le complice. La punition d'un
forfait ne frappe que le coupable,* sou impunité est une
tache pour la société entière; or, c'est uniquement sur l'im-
punité des crimes commis chez les colons que porte notre
accusation. Faut-il justifier nos observations par des exem-
ples? nous en citerons deux, l'un puisé dans le calendrier
de New^gale, et l'autre dans les annales de nos Antilles.
M. Wall, étant gouverneur à Corée, fit battre de ver-
ges , au point de le tuer sur place , un individu qui avait
méconnu son autorité. A son retour en Angleterre il fut
poursuivi comme meurtrier; il s'échappa , et il séjourna
vingt ans sur le continent^ mais pendant vingt ans l'hor-
reur de son crime resta gravée dans le cœur des Anglais.
Errant de ville en ville, sous des noms supposés et sous
divers déguisemeus , l'œil de la justice le suivait partout;
il crut enfin qu'il pouvait sans danger rentrer dans son
paYS; mais il fut mis eu jugement, condamné à mort et
exécuté aux acclamations d'une multitude innombrable.
Edouard Huggins, de Nevis, fit fustiger, il y a quatre
I
dans les Antilles anglaises. 545
ans, sur la place du marché, vingt esclaves avec tant de
cruauté, qu'un d'eux en mourut et que les autres en furent
estropiés pour la vie. Poursuivi par l'officier delà couronne
( le ministère public ) pour avoir enfreint la loi locale, qui
assigne des box'nes à ce châtiment , il s'était avoué cou-
pable, et cependant on le renvoya absous. Ce n'est pas
tout : quelques membres de l'assemblée coloniale en furent
exclus lors de l'élection suivante, pour avoir déposé contre
lui. On punit un imprimeur, comme llbelliste, pour avoir
publié le bulletin officiel des débats que l'autorité lui avait
transmis. Eu un mot, Huggins fut considéré connne un
martyr de la cause commune, et il acquit dans sa caste
une influence et une popularité extrêmes, tandis qu'un
citoyen, aussi sage qu'éclairé, M. Tobin., qui avait appelé
l'attention du gouvernement sur un si affreux scandale , fut
calomnié et persécuté.
Certainement Wall et Huggins se sont montrés également
cruels; mais le crime de Wall n'a influé en rien sur le
caractère du peuple anglais, tandis que celui de Huggins a
fait le plus grand tort à celui des habltans de Nevis, qui
en ont assumé sur leur tète toute la responsabilité morale.
En vain les avocats de l'esclavage traitent ces récits de
contes absurdes. Le peuple en garde au fond du cœur le
souvenir impérissable.
Voici la vérité : les mauvaises lois et les mauvaises
mœurs ont donné aux blancs, dans nos colonies, un carac-
tère despotique en effaçant celui qu'ils avaient dans la mère
patrie. Ce despotisme se distingue par l'emportement et le
mépris avec lequel les colons reçoivent les ordres , et même
les simples conseils qui leur viennent de l.'i métropole. La
Compagnie des Indes orientales s'esl-elle conduite ainsi
lorsque le parlement a restreint son pouvoir territorial et
son 'monopole 7 Les puissances étraugères nous trailenl-
elles de cette manière? Les conseils quo nous avons donnes
346 De l*L'Sclaçage
aux principaux souverains du coulineut ont été méconnus',
éludés; mais quel est celui d'entr'eux qui a insulté notre
gouvernement et notre nation 7 L'outrage n'est venu que
de ces hommes qui doivent leur fortune à nos bienfaits , et
leur vie à nos troupes. Aux avis les plus doux , les plus mo-
dérés , qui leur. ont été donnés, même par des planteurs
très-respectables qui résident en Angleterre, ils n'ont ré-
pondu que par des calomnies et des injures. Si la Société
contre l'esclavage se bornait à publier un recueil sans com-
mentaire des articles capitaux que renferment cinq ou six
numéros de la gazette de la Jamaïque, elle aurait trouvé le
meilleur moyen de faire connaître ses adversaires. Celte col-
lection révélerait à la nation le véritable caractère de ces
hommes qui ont bauni Salisbuiy , conduit Smith au tom-
beau, et déchiré ie cœur honnête de Ramsay.
Il est remarquable que les défenseurs les plus ardens dé
, rcsclavage sont pour la plupart sans intérêt dans la ques-
tion; si nos colonies étaient ruinées, ia perte tomberait non
sur les teneurs de livres et autres employés subalternes qui
composent les cercles de la Jamaïque, mais sur les Ellis ,
les Hibbert, les Manning, les hommes les plus respectables
et les plus éclairés du pays. On pardonnerait à ces der-
niers un langage Tiolcnl, si en effet il était excusable; mais
ils se sont conduits, sinon comme nous l'aurions désiré,
du moins comrne des hommes sensibles et raisonnables de-
vaient le fiiire. Pourquoi cela? parce qu'ils vivent au
milieu de nous , et qu'ils ont le cœur anglais. Qu'on ne s'y
trompe pas; le cri qui retenlitdans nos AntlUes est poussé
par des gens qui tremblent moins pour leur propriété que
pour les privilèges de leur caste. C'est pour lui-même qu'ils
aiment l'esclavage; aussi ne sont- ils point touchés des dé-
clarations faites si souvent par le parlement , par les minis-
tres , parles amis des noirs , lesquelles portent qu'à mesure
que le sort des esclaves sera amélioré , on balancera les
dans les Antilles anglaises. 547
intérêts respectifs de toutes les parties , et que toutes les
fois qu'il V aura lieu à une juste compensation, elle sera ac-
cordée au maître. Ils n'ont point de plantations, mais ils ont
la peau blanche : si Ou accordait une compensation, peu
d'eulr'eux recevraient six pences, mais ils perdraient le
pouvoir d'opprimer impunément tout homme dont l'épi-
dermeest noir. Et de pareils personnages, qui n'ont d'autre
intérêt que celui de leur tyrannie , somment le Parlement
britannique d'abandonner les droits incontestables de sou-
veraineté qu'il possède sur chaque partie de l'empire? S'ils
le demandaieutà titre de grâce, ou de convenance, on devrait
sans doute en être surpris; mais ils le réclament comme un
droit constitutionnel !.. . Sur quoi donc repose ce droit ? sur
quel statut? sur quelle charte? sur quel précédent? sur
quelle analogie? ils ne nient point que tous les anciens pré-
cédeus repoussent leurs prétentions. Diront-ils qu'ils ne
peuvent reconnaître pour leur législateur un parlement
dans lequel ils ne sont pas représentés? Nous laissons au
Çuarterly Rei^iew et au journal le John Bull le soin de les
éclairer sur l'étendue d'une représentation virtuelle. Si
cette expression a quelque justesse, c'est évidemment dans
le cas actuel, car il n'y a pasd'intéi'éLs plus complétemeut
représentés dans le Parlement que celui des propriétaires
coloniaux. Mais nous leur dirons à notre tour: De quel droit
vous emparez-vous de telles doctrines': Si vous adoptez les
principes de la liberté, adoptez-les dans leur entier. Chacun
des argumens dont vous chfrchez à étayer vos prétentions,
peut être victorieusement rétorqué contre vous et en faveur
de l'émancipation de vos esclaA'es j lorsqu'elle sera con-
sommée, vos demandes pourront être examinées ; ce que
vous réclamez maintenant n'est, sous le nom de liberté ,
qu'un pouvoir d'oppression sans limites.
« M*ais nous nous révolt'rons ! » A ces mots, qui ne croit
voir le capitaine Gulliver, au moment où, élevé à soixante
543 De l'esclavags
pieds Je terre sur la main du roi de Brobdignag , il lire
son épée en s'écriant qu'il saura bien se défendre ? Vous
TOUS révolterez! voilâdelabravourej... mais rappelez-vous
la sage remarque de lord Blessington : Le courage sans
pouçoïr , dit cet illustre exilé , rassemble à un coureur
poitrinaire. Quels sont vos moyens de résistance ? Y a-t-il
dans toutes nos Antilles dix mille blancs en état de porter
les armes ? Les forces que vous possédez ne sont-elles
pas divisées au point de ne pouvoir jamais agir de concert ?
Etes- vous en ce moment capables de vous défendre contre
les esclaves sans notre secours? Si vous pouvez veiller et
dormir tranquilles , assembler vos petits pai'lemens^ y lire
vos petits discours, y développer vos petites motions,
si vous pouvez impunément outrager le Parlement et la
nation britannique, à qui le devez-vous? à notre dédai-
gneuse pitié. Suspendons notre protection, rappelons nos
troupes , et dans buit jours le couteau est sur votre
gorge!....
Prenez garde que nous ne vous prenions au mot ! Et en
effet quel intérêt avons-nous à vous défendre ? Si l'Océan
engloutissait vos îles, et en effaçait la trace, que per-
drions-nous? ne trouverions-nous pas d'autres cultivateurs
qui accepteraient de nous une prime énorme sur le su-
cre (i)? d'autres régions pestilentielles où nous enverrions
les soldats conquérir la fièvre jaune 5 d'autres pays sur
lesquels nous verserions notre sang et nos millions , sans
autre résultat que des calomnies et des outrages? Quel bien
nous avez-vous fait? Si l'Angleterre ne doit plus être la
souveraine de ses colonies, mais seulement l'esclave de ses
(i) Note du Tr. L'Angleterre a juscju ici soumis les sucres du
BcDgal et du continent ame'ricain à des droits d'entre'e très-clcve's ,
afin de ne pas c'craser le commerce de ses colonies sous une concur-
rence d'autant plus fâcheuse que les sucres du Bengal sont d'une Jrès-
bonne qnaliic.
dans les Antilles anglaises. 349
plaisirs, ou la complice de ses excès , elle peut du moins
demander, comme esclave, quel sera son salaire; comme
complice, quel sera sa part du Lutin? Si la justice , la
pitié , la liberté , les lois divines , le bonheur des hommes
sont des mots vides de sens , raisonnons par livres , sols et
deniers •
Réduisons à leur juste valeur les pompeuses déclama-
lions des colons. « Les Indes occidentales sont, nous dit-on,
» une source féconde de richesse nationale; elles allnien-
» tent notre marine; elles consomment une grande quan-
» tité des produits de nos manufactures ; elles ajoutent à
j) notre importance politique. Ce sont pour nous des postes
» utiles en tems de guerre. « Ces absurdités ont été si
souvent répétées que les imposteurs qui les ont imaginées
ont fini par y croire. Examinons-les brièvement.
Voici quels sont nos rapports commerciaux avec les
Antilles : nous y achetons le sucre à plus haut prix qu'en
aucune autre partie du monde. Les colons exportent le
sucre qui leur reste, sur le continent, où le prix en est moins
élevé , et nous soldons la différence de nos deniers. Les
dépenses de notre commerce avec eux se composent de
tous les frais de leurs établissemens civils et militaires , et
de plus, d'une prime de 1,200,000 liv. que nous leur
payons. Si nous défalquons ces dépenses de la somme de
ces profits dont on fait tant de bruit, la différence sera bien
chétive; déduisons encore de ce qui restera les avantages
commerciaux auxq\iels nous renonçons pour l'obtenir ,
c'est-à-dire les profits du commerce libre du sucre, que
nous pourrions faire sur tous les marchés du monde , et
nous serons alors en état d'apprécier l'utilité si vantée d'une
coimexité d'iutéréls, à laquelle nous avons sacrifié les
nègres dans un hémisphère, et les Hindous dans lautre.
<c Mais les colons consomment une grande quantité de
nos produits industriels ! -> Ces produits , ils ne peuvent les
35o De r esclavage
prendre qu'eu retour des denrées qu'ils nous envoient, et
il nous est loisible de faire le même échange avec tout autre
pays. Pourquoi donc aujourd'hui les demandes sont-elles si
Lornées dans nos possessions de l'Inde? C'est uniquement
parce qu'il n'y a point de balance établie entre les produits
que nous en retirons et ceux que nous pourrions y envoyer.
Grâce aux droits élevés qu'en faveur des Antilles , nous
avons imposés sur les sucres de Tlnde , nos fabricans sont
exclus en grande partie de ce marché immense , auquel
cent millions de consommateurs viendraient s'approvi-
sionner.
« IMais nous tirons un grand revenu du commerce de
nos colonies d'Amérique. » C'est encore une erreur. Tant
qu'on importera en Angleterre la quantité de sucre qu'on y
expédie aujourd'hui, et qui ne provient pas de cette source,
notre revenu ne souffrira point, et, au contraire, plus le prix
du sucre diminuera , plus la consommation et par consé-
quent le revenu devront augmenter.
« Mais notre commerce avec ces îles occupe un grand
nombre de vaisseaux et de marins ! « Ce commerce avec
toute autre partie du monde ne produira-t-il pas le même
effet ? Plus son activité s'accroîtra , plus on emploiera de
vaisseaux et de marins ; mais aussi plus notre coiiuiierce
sera libre , plus il aura d'activité 5 c'est l'alphabet de la
science économique.
Enfin , l'on soutient que sous le point de vue politique et
militaire, les Antilles sont pour nous d'une haute impor^
lance. Cette erreur, pour être commune, n'en est pas moins
monstrueuse. Nous osons affirmer que les possessions colo-
niales ont été un des grands fléaux de l'Europe moderne*.
(Quelle nation ont-elles rendue plus puissante et plus riche?
Quels fruits ont- elles produits? des guerres fréquentes et
ruineuses 5 uu commerce sans liberté, d'excessives dé-
penses, d'éternels conflits de juridiction ; la corruption
dans les Antilles anglaises. 55 1
ilans le gouvernement , et l'indigence dans la masse du
peuple. Qu'ont fait le Mexique et le Pérou pour l'Espagne ,
le Brésil jour le Portugal, Batavia pour la Hollande?... Si
Texemple des autres nations est perdu pour nous, ne sau-
rions-nous du moins profiler de notre propre expérience ?
Que n'avons-nous pas sacrifié à notre engouement pour les
possessions transatlantiques? C'est lui qui nous a si souvent
fait risquer nos riantes campagnes et nos pénates cliéris ,
pour quelques déserts glacés , ou quelques marais infects
d'un autre hémisphère ; qui nous a inspiré le projet de con-
quérir l'Amérique dans les plaines de laGermaniej qui nous
u engagés à renoncer à tous les avantages de notre position
insulaire, à nous plonger dans un cahos d'intrigues ; à guer-
royer sur la moitié du continent , à former des coalitions
qui étaient à l'instant dissoutes , à donner sans cesse de
nouveaux subsides à des nations qui ne s'en rendaient jamais
dignes. C'est cette passion funeste qui a enfanté notre guerre
fratricide contre la liberté américaine , avec toutes ses
défaites honteuses , toutes ses victoires stériles, tous ses
massacres exécutés par la hache du sauvage indien, ou par
nos stipendiés de la Hesse. C'est elle qui , durant la guei're
que nous avons déclarée à la république française , nous a
fait envoyer l'élite de nos troupes chercher la mort par
milliers dans les hôpitaux des Antilles, lorsque les armées
de l'ennemi traversaient les Alpes et le Rhin. Toutes les
fois que nous avons désiré l'acquisiliou d'une colonie, nous
n'avons trouvé aucune dépense extravagante, aucune in-
tervention périlleuse. Nous avons prisé notre or comme de
la boue, et notre sang comme de l'eau. N'apprendrons-
nous donc jamais à être sages, ne cesserons-nous point de
poursuivre une chimère plus extravagante que toutes les
rêveries des alchimistes, avec toute la crédulité et la pro-
dîgalité de sir Epicure Mammon?
Soutenir que des établissemens si éloignés sont favorables
Soi Ce Vesclcwa^a
G
àla puissance militaire ou maritime des nations, c'est donner
un démenti à l'histoire. Les colonies espagnoles étaient beau -
coup plus vastes et pins populeuses que les nôtres : TEspa-
gne, dans les deux derniers siècles, s'est-elle jamais montrée
redoutable à l'Angleterre sur terre ou sur mer? Il y a
cinquante ans que nous possédions des coloniesplns étendues,
plus florissantes que celles qui nous restent ; depuis cette
époque, notre influence politique , notre opulence , noti'e
sécurité se sont-elles affaiblies? ou bien dirons-nous que la
Virginie et Massacbusset sont des possessions moins pré-
cieuses que la Jamaïqxie et les Barbades ?
11 est incontestable que tous les maux de noire système
colonial sont immensément aggravés dans les Indes occiden-
tales, parles caractères particuliers que présente l'esclavage
des noirs. Nous n'avons à défendre nos autres établisse-
mens que de l'invasion étrangère j ceux-ci , nous avons à
les protéger contre la haine acharnée de misérables es-
claves , qui sans cesse épient le signal de la liberté , de la
•vengeance peut-être. Nous pouvons établir dans les autres
possessions des rapports commerciaux avantageux aux deux
parties 5 mais nos Antilles languissent dans im état de
pauvreté absolue j et en effet les primes d'importation
et les prix forcés ne sont-ils pas une taxe des pauvres dé-
guisée
Tels sont les bienfaits en retour desquels nous souffrons
qu'unepoignée d'agens et de faiseurs d'affaires Insultent le roi,
Icslords, les communes d'Angleterre dans l'exercice de droits
aussi anciens, aussi sacrés que tous ceux que noti'c consti-
tution peut leur conférer. Si les plus fiers potentats de l'Eu-
rope, si le roi de France ou l'empereur de toutes les Russies
avaient traité notre gouvernement comm^ront fait ces hom-
mes qui lui doivent tout, n'aurions-nous pas pris contre eux
des mesures énergiques, lancé des manifestes, proposé aux
deux Chambres une déclaration de guerre ? Le Parlement
dans les Antilles anglaises. 355
i/eiil-il pas retenti des discours véhémeos de tous les par-
tis ? Des adresses unanimes , votées sur tous les points de
l'empire, n'auralent-elies point offert à la patrie la fortune et
le sang de tous ses enfans? Si un rassemblement tumultueux,
des disciples de Payne ou de Carlisle eût , en Angleterre ,
détruit un édifice consacré à des exercices religieux, chassé
le ministre de sa résidence, et menacé de mort quiconque
chercherait à le remplacer , à l'instant Xayeomanry n'eûl-
elle pas été mise en mouvement , le Parlement convoqué ,
des enquêtes produites, des comités secrets réunis, enfin
Yhaheas corpus suspendu? Eh bien ! tous ces excès ont été
commis à la Barbadej ils l'ont été ouvertement, et ils sont
restés impunis ! —
Il existe une grande différence entre les propriétaires
des Antilles qui y résident et ceux qui habitent en An-
gleterrej parmi ces derniers il en est un grand nombre que
distinguent des sentimens généreux et une ame élevée j
ceux-ci ont beaucoup fait pour adoucir la condition de
leurs esclaves , et ils verraient avec joie que les mesures ,
tendantes au même but , proposées par les ministres de
S. M., fussent adoptées par les législateurs des Indes
occidentales. Ils n'ont rien de commun avec les pamphlé-
taires qui sont aux gages des autres colons. S'ils ont pris
part à la controverse, ils l'ont toujours fait avec loyauté et
courtoisie. Toutefois leur influence s'exerce aujourd'hui en
faveur de l'esclavage, non par amour pour lui , mais parce
qu'ils croient leur caractère compromis jusqu'à un certain
point par les attaques qui sont dirigées contre le système
colonial , et parce qu'ils craignent que leurs intérêts ,
comme propriétaires , ne soient lésés par suite de mesures
que réclame l'opinion générale de notre nation.
Sur ces deux points, ils sont dans l'erreur j nous sommes
convaincus que nulle part iln'cxiste contre eux de sentiment
lioslilc , que partout on est disposé à donner une altenliou
554 De Vesclai>age
sérieuse à leurs intérêts. Le zèîe peu éclairé de quelques
individus peut bien, à leur égard, s'échapper en expressions
répréhensibles ; mais la nation les estime et ne les confond
pas avec Técume de nos colonies.
C'est eux que nous défendons en ce moment comme nos
alliés naturels. En effit, ils sont insultés chaque jour par
les orateurs de la Jamaïque , avec presqu'autant d'amer-
tume que les ministres de la couronne et même que les
partisans de l'abolition de l'esclavage.
Nous adjurons donc ces hommes respectables de réfléchir
sur l'état précaire de leurs propriétés. Si la question de
l'esclavage cessait de nous occuper, se croiraient-ils à
l'abri de toute catastrophe? Ne voient-ils h l'horizon
aucun nuage précui'seur de la tempête ? Comment peu-
vent-ils s'aveugler sur les tems où nous vivons ? L'ancien
édifice de notre empire colonial s'écroule; le vieil équilibre
des pouvoirs a été détruit par l'introduction d'une foule de
ncfiiveaux étals dans noti'e système politique. Les Anlilles
sont cernées aujourd'hui par des républiques guerrières ,
dans toute la vigueur de la jeuuesse. Nous avons défendu
nos colonies contre l'Espagne : s'cnsuil-il que nous puissions
les défendre contre le Mexique ou Haïti? En cas d'invasion
de la Jamaïque , l'Angleterre engagerait-elle la guerre à
une si grande distance, sous un climat aussi meurtrier? ne
tiendrait-elle aucun compte du sort de la formidable expé-
dition qui périt à Saint-Domingue? Supposons néanmoins
que le champ de bataille reste à nos troupes , avons-nous
oublié avec quelle longue ténacité quelques bandes d'esclaves
marrons défendirent les montagnes centrales de cette île
contre tous les efforts du coui'age et de la discipline ? Une
lutte semblable, sur une grande échelle, pourrait, pendant
cinquante ans , absorber toutes nos forces j et, avant qu'elle
fut terminée, la nation anglaise y aurait dépensé cinquante
mille hommes et cinquante millions sterlings. Ce n'est pas
/
da?is les Antilles anglaises. 355
tout ; dans une guerre d'esclaves , c'est toujours le maître
qui perd le plus , car ses ennemis étaient sa propriété i
vainqueurs ou vaincus, ils sont anéantis pour lui. Cepen-
dant le sol reste sans culture, les machines sont brisées, et
lorsque le planteur rentre dans ses possessions il n'y trouve
qu'un désert.
Ainsi , si nous voulons conserver nos colonies , nous de-
vons prendre des mesures promptes et efficaces pour amé-
liorer la condition des esclaves ; nous devons les soumettre
à des règles qu'ils ne soient pas tentés de changer. Nous
avons gouverné les Canadiens avec douceur ; aussi avons-
nous pu leur remettre le soin de leur propre défense contre
la puissance la plus redoutable qui ait jamais attaqué nos
possessions coloniales ; agissons de même, et nous sauverons
nos possessions des Antilles.
Quant à l'esclavage, le peuple anglais l'a toujours détesté j
jusqu'ici il s'était caché dans un coin de ses vastes domaines;
mais il vient d'èlre découvert, et forcé de paraître au grand
jour. C'en est fait , son arrêt est porté , et il sera irrévo-
cable. ( Renie d'Edinhourg. )
LITTÉRATURE.
Discours prono^icé par m. h. brougham , membre du
parlement , lors de son installation dans les
FONCTIONS DE LORD RECTEUR DE L'uNIVERSITÉ DE
GLASGOW.
HoBBES observe, dans un de ses ouvrages, queriiomme
qui aspire sérieusement à anéantir la liberté civile , devrait
commencer par détruire tout ce qui reste des monumeus
littéraires de l'antiquité. En eiftt , c'est là un préliminaire
indispensable à l'accomplissement d'une telle entreprise.
I.e Ion d'une dignité sentie , luie liaine implacable contre
la tyrannie , et un attachement non moins vif pour la li-
berté , l'amour de la patrie et de la gloire , le mépris de
la mort , la conviction profonde que le prix de la vie est
moins dans ses jouissances matérielles que dans l'indépen-
dance et la dignité de notre condition ; de tels sentimens
qui percent à chaque page de ces écrits immortels sont
le mobile le plus puissant des belles actions. Les palmes
dont une éloquence touchante a si souvent chargé le front
des bienfaiteurs de l'humanité , ont la vertu d'exciter une
Émulation salutaire parmi les générations futures , et
comme les lauriers de Miltiade troublaient le sommeil de
Thémislocle , elles ne permettent pas aux âmes élevées et
aux cœurs généreux de céder à un lâche repos. Aussi ,
tant que les auteurs , les hisloriens , les poètes de Rome ,
et surtout de la Grèce, vivront au milieu de nous par leurs
chefs-d'œuvre ; tant qu'il restera assez de goût pour en
apprécier le mérite , nous pouvons être assurés que l'exé-
cution du projet auquel le pbilosophe de Malmesbnry
Discours inaugural de M. Broiigham. 867
( Hobbes ) fait allusion , éprouvera d'immenses difiBcultés.
L'ensemble de ces écrits forme une chaîne de forteresses^
d'où l'esprit humain fera des sorties continuelles conlre la
tyrannie.
Telles sont les premières réflexions que nous a inspirées
le nouveau discours de M. Brougbam. Le lieu et la cir-
constance dans lesquels il a été prononcé nous fournissent
l'occasion de le signaler à l'admiration publique. Pour ne
pas faire violence à la modestie de M, Brougham , nous
gardons le silence sur ses droits à des fonctions auxquelles
■ sa haute réputation, l'éclat de ses talens, et l'extrême va-
riété de ses connaissances lui donnaient tant de titres. Mais
nous observerons que la publication du traité qui est sous
nos yeux nous paraît un véritable pbénomène physique
et intellectuel. Quand et comment M. Brougham a-t-il pu
se livrer aux recherches et aux études qu'il suppose? Quelle
heure du jour ou de la nuit a-t-il dérobée, dans ce but,
au cours inévitable des travaux qu'il s'est imposés ? Si l'on
considère le travail quotidien qu'une activité ordinaire est
capable d'accomplir , on se refusera à croire que la même
personne puisse passer la journée à la cour du banc du
roi, dans l'exercice de la profession la plus laborieuse qu'il
y ait au monde , d'une profession sous laquelle les constitu-
tions les plus robustes peuvent succomber ; et de là , passer
la nuit dans la chambre des communes à discuter sur toutes
les questions à l'ordre du jour ; plaider souvent à la cour de
l'Echiquier; aussi souvent devant la juridiction des lords j
paraître au conseil privé toutes les fols qu'il s'assemble ; se
montrer constamment dans les clubs , et trouver encore
du tems à consacrer aux sciences , aux lettres, aux lectures
les plus variées et à de nombreuses compositions. Tel est ce-
pendant le tableau fidèle des occupations multipliées de cet
homme extraordinaire; aussi remarquons-nous que son dis-
cours d'inauguration a été composé au milieu des exigeances
I. ^ a4
558 Discours inaugural
dm voyage le plus occupé qu'on ait jamais fait dans les trois
royaumes.
Les discours adresse's au corps savant, à la tête duquel
est aujourd'hui M. Brougliam , avaient été jusqu'ici impro-
visés. Le sien était écrit j cette innovation a été couronnée
du plus grand succès j d'abord elle a été considérée comme
un compliment délicat pour l'auditoire , ensuite comme un
exemple offert à l'appui du précepte donné par l'orateur.
Le sujet du discours est très-heureux ; c'est l'utilité des
modèles de l'antiquité dans Tart oratoire ; aucune matière
plus importante ne pouvait être traitée devant l'université
de Glasgow ; dans aucune, M. Brougliam ne pouvait pro-
duire plus d'effet.
L'orateur débute par l'appel le plus touchant à ses jeunes
auditeurs ; il leur retrace la valeur inappréciable de cette
portion de la vie qui s'écoule pour eux dans les travaux du
collège , et l'influence qu'elle doit exercer sur leur des-
tinée et sur leur caractère futur. Ce sujet n'était pas neuf j
mais ou ne saurait trop répéter aux élèves , que chaque
heure qu'ils dérobent aux plaisirs peut , sinon devenir pour
eux une source de gloire, du moins contribuer à embellir
leur âge mûr , et leur offrir les plus nobles jouissances
dans cette période de l'existence où ils doivent dire adieu à
Tambition. Écoutons à ce sujet M. Brougham :
« On a dit souvent , parce que c'est une vérité éternelle,
que la jeunesse est le tems le plus propre au perfectionne-
ment des facultés intellectuelles , et que l'asile de nos col-
lèges est le seul où 1 on puisse se livrer à de fortes études.
A l'âge heureux où vous eles , tout a l'intérêt et la fraî-
cheur de la nouveauté , mieux que dans les autres saisons
de la vie , l'attention est soutenue par la curiosité , et la
mémoire l'etient fidèlement les diverses impressions qu'elle
reçoit. Les fatigantes distractions et les vains plaisirs du
monde respectent le seuil de ces paisibles retraites ; son
de M. Brougham. SSg
brayant tumnlte vient y mourir ,• les murs qui vous en sé-
parent ne laissent arriver à vos oreilles qu'un faible mur-
mure qui ajoute au cbarme de votre solitude, et les com-
bats que se livrent les mortels qui s'agitent sur cette mer
orageuse , vous les contemplez du haut d'une émiuence ,
où votre sécurité puise un charme nouveau dans le spec-
tacle lointain que vous apercevez. Quelques Jours encore , et
vous serez en hutte aux mêmes tempêtes , et vos yeux ,
comme les miens aujourd'hui , s'attacheront avec regret
sur ces tranquilles rivages que vous aurez quittés pour
toujours. Membres de la société tel est votre sort. Mais si
sur ce nouveau théâtre , la honte ou le repentir vous sui-
vent , ne vous en prenez qu à vous-mêmes : soyez bien
convaincus que toutes les heures que vous aurez perdues
dans l'oisiveté vous coûteront un siècle d'amers et d'inu-
tiles regrets. Enrichissez donc votre esprit , je vous en
conjure, des trésors de l'antiquité , et vous posséderez tou-
jours en vous-mêmes une source intarissable de jouissances
nobles et pures , qui vous apprendront à dédaigner ces
plaisirs grossiers dont la chaîne honteuse abrutit les hommes.
Pénétrez-vous aussi de la saine philosophie des tems mo-
dernes j formez vos âmes aux. vertus dont elle est îa noble
source; alors vous sortirez vainqueurs des épreuves qui vous
sont réservées, et vous contemplerez à vos pieds Tignorance
et l'erreur , non avec ces regards hautains et dédaigneux
des sages de l'antiquité , mais avec cette volonté vive et ar-
dente d'éclairer les hommes qui s'égarent dans les ténèbres,
et qui vous deviendront d'autant plus chers que vous leur
deviendrez plus utiles. »
M. Brougham s'occupe ensuite de la nécessité des com-
positiofis écrites : « C'est , dit-il , une règle générale et
» ,sans exception , que, plus un orateur se sera exercé à
» écrire, mieux il parlera. A égalité de talent, celui-là
» improvisera le mieux dans l'occasion , qui , dans les cir-
36o Discours inaugural
1» constances ordinaires, aura mis le pins de soin à méditer
» ses discours, n Ce précepte est d'une haute importance.
Eu effet , l'on pense assez communément , et c'est là une
opinion aussi dangereuse qu'erronée , que Tessentiel est
d'acqaérir une élocntion facile, et que le comble du talent
est de proférer dans un lems donné un certain nombre de
mots , sans hésitation , à rexemple de ce poète dont parle
Horace, qui se croyait un grand mérite , parce qu'il pou-
vait écrire cent vers au pied levé. Nous regardons cette ha-
bitude, ou, si l'on veut, ce tour d'adresse, comme un véri-
table défaut. Celui qui est trop tôt salisfait de lui, n'arrivera
jamais à la perfection ) au contraire, se défier de soi-même,
se montrer plus soucieux des progrès qui restent à faire ,
que content de ceux, qu'on a faits , c'est annoncer , non
qu'on occupe par ses talens un rang distingué , mais du
moins qu'on y arrivera un jour. Sans doute le type de la
perfection est imaginaire ; lorsqu'il peut être fixé , on doit
le placer à une hauteur désespérante pour la médiocrité 5
mais les auteurs qui travaillent sans réflexion , et qui ne
châtient pas leurs ouvrages , sont si éloignés de le voir à
une distance raisonnable , qu'ils ne savent pas même s'il
existe. Une infirmité physique empêcha Addisson de de-
venir même un orateur médiocre j peut-on raisonnable-
ment en conclure que , s'il eût vaincu sa timidité , l'on
n'eût point trouvé dans ses discours au moins une portion
Je la grâce , de la facilité et de l'élégance qu'on admire
dans chaque page de ses écrits? Nous pensons que , sur des
sujets convenables au genre tempéré , et qui n'auraient
point comporté un ton élevé ni véhément (tels, par exem-
ple, que les motions que prépare M. Wilberforce ) , il eût
ressemblé à ce sénateur que Cicéron , dans son Traité
sur la Vieillesse , a si bien caractérisé en ces termes :
Facit sibi audientiam diserti senis compta et mitis oraiio
( l'éiocution aimable et châtiée de ce vieillard suffit pour
de M. Brougham. 36 1
lui former un auditoire). Johnson s'était de bonne heure
fortement appliqué à éviter ce qu'il considérait comme un
iStjle vulgaire, et commun, et, de cette manière, il s'était
fait une diction peu naturelle et guindée , dont il serait su-
perflu de relever aujourd'hui les défauts. Toutefois , cette
habitude d'une composition laborieuse, quel qu'en fût le
vice, avait communiqué j, s'il faut en croire M. Boswell ,
une énergie extraordinaire à ses discours improvisés et à
sa conversation. On eût dit que, lorsqu'il parlait, il n'avait
pas le tems de gâter ce qu'il voulait exprimer, et qu'il
était forcé de mettre de côté quelques-uns de ses défauts
habituels. Aussi, sans sa taille démesurée, et sans la gau-
cherie de son maintien, il aurait pu être ua orateur très-
remarquable.
Les discours des anciens qui sont parvenus jusqu'à nous
ont été, pour la plupart, composés par écrit j souvent
même les orateurs prenaient soin de retoucher ceux qu'ils
avaient déjà prononcés ; aussi , Cicéron fait-il dire à Ca-
ton que ce soin était l'occupation principale et le délasse-
ment le plus agréable de sa vieillesse : Causarum illustriurn
quascumque defendi nunc quani maxime CONFICIO oratio-
ncs ! L'extrême application d'Isocrate sur ce point est pas-
sée en proverbe. En lisant son fameux panégyrique , il
n'est pas très-facile de concevoir comment la composition
de ce discoui's a pu lui coûter dix ans de travail. Mais
quand on pense qu'un homme si versé dans toutes les res-
sources de l'art de parler et d'écrire , élaborait ses haran-
gues avec tant de peine, combien l'on doit se défier de ces
discoureurs qui se reposent sur leur facilité ? Périclès , qui
exerça un si prodigieux ascendant que l'on a dit de lui
qu'il éclairait , qu'il foudroyait et qu'il ébranlait toute la
Grèce ; Périclès , qui n'était pas seulement un orateur, mais
qui était aussi un homme d'affaires fort habile , comme l'ob-
ùG'i Discours inaugural
serve avec raison M. Home, se préparait, lorsqu'il devait
parler en public, par des composltious écrites. Qu'on nous
permette de reproduire ici une autre remarque fort ingé-
nieuse de M. Hume. Il ue faut pas croire, dit-il, qu'un orateur
exercé qui introduit dans le plan de son discours des pas-
sages entiers, qu'il a médités et écrits d'avance, doive, après
les avoir récités , être comparé à ce nageur qui tombe au
fond de l'eau du moment oii il perd le liégc qui le soute-
nait Nahi't sine coriicel L'esprit, excité par le ton vi-
goureux et le style élevé d'une composition , où chaque
pensée, chaque impression a été mûrie d'avance, se sou-
tient à la hauteur où il a été lancé , et conserve son essor,
même après avoir perdu sa force motrice j ainsi lord Ers-
kine, sans nuire à son plaidoyer pour le libraire Stock-
dale, a écrit mot pour mot sou épisode du Sauvage (i).
(i) Note du Tr. Le libiaire Stockdale, à l'époque du fameux
procès de M. Hastings, avait mis en vente, en qualité d'éditeur, une
réponse aus charges dirigées contre ce gouverneur de l'Inde, contenant
des observations sévères sur ses accusateurs. M. Fox , alors ministre ,
l'ayant dénoncée à la chambre des communes, ]M. Stockdale fut rais
en jugement, et prit pour défenseur ]\I. Erskine, l'un des amis les
plus distingués de M. Fox, et l'aigle du barreau anglais. Dans cette
cause , l'avocat se trouvait placé entre les devoirs-de sa profession, et
son attachement au parti de l'opposition qui avait suscite l'aLCusation
de M. Hastings et la poursuite de INI. Stockdale. Il se tira avec un
rare bonheur de celle position difficile, et il sut avec habileté lier la
défense de son client à celle du gouverneur de l'Inde.
Voici le passage que lîl. Erskine crut devoir écrire ; nous le citons
d'après la traduction de. chefs-d'œuvre du barreau anglais, publiés
par M. Panckoucke.
« Les malheureux peuples de l'Inde, amollis par les douceurs du
climat , vaincus par les artifices et les forces de la civilisation , sentent
renaître quelquefois dans leur ame un reste d'énergie que l'oppression
réveille : il faut donc les gouverner avec une verge de fer. Dès long-
tems , l'empire et les possessions de l'Inde seraient perdus pour la
Grande-Bretagne , si cette autorité que le ciel désavoue , l'habileté
de M. Brougham. 565
« Après avoir ëpuré son goût par une étude assidue des
modèles de l'antiquité, dit M. Brougham, il est nécessaire,
pour s'habituer à écrire correctement dans notre langue ,
de traduire en anglais les morceaux les plus remarquables
de la littérature grecque , et surtout d'étudier nos meillelirs
écrivains. C'est à ces exercices si utiles que J2 me suis livré
pour châtier ma diction et pour éviter le style lâche et
monotone des compositions moderfies. Les auteurs anglais
qui nous ont ouvert ces sources inépuisables d'une élocu-
tion élégante et pure , sont ceux qui ont brillé depuis la
fin du règne d'Elisabeth , jusqu'à celui de la reine Anne •
civile et les talens militaires , ne se fussent re'unis pour la soutenir par
des agens qu'il reprouve.
» Messieurs , je crois observer que cette manière de conside'rer la
cause vous touche , et j'en puis dire la raison : je ne l'ai point envisage'e
à travers les froids principes des commentateurs , mais j'ai parle' de
l'homme , de sa nature , et de la puissance humaine , d'après ce que
j'en ai vu moi-même chez ces nations qui ne subissent qu'en fre'missant
le joug de notre autorité. Je sais quels sentimens elles nourrissent , et
quels sont les senls moyens de les réprimer. Jeune encore, je les ai
entendues toutes s'exprimer par la bouche d'un sauvage nu ; c'était un
prince au milieu de ses sujets , qui , tenant en sa main un faisceau de
baguettes , pour fixer le souvenir de sa mâle et rude harangue , s'a-
dressait, plein d'indignation , au gouverneur d'une colonie anglaise :
<( Quel est, lui disait ce fier dominateur des déserts envahis par nos
» infatigables aventuriers , quel est celui qui fait sourdre ces rivières
» sur les hautes montagnes et dirige leurs flots vers l'Oce'an ? quel est
» celui qui anime le souffle impétueux des vents de l'hiver et l'apaise
» pendant l'été ? quel est celui qui étend sur la terre l'ombre de ces
» grandes forets , ou la chasse à son gré devant la lumière ? C'est le
)> même cire qui vous donna une patrie de l'autre coté des mers , et
" qui nous a donné la nôtre. C'est à ce même titre que nous la défcn-
» dons , » dit le guerrier, jetant son calumet et entonnant le chant de
guerre de sa nation. Tels sont les sentimens qui, sur tout le globe,
vivent dans le cœur de l'homme soumis au joug. Et comptez sur ce
«juc je vous dis : on ne peut régner que par la crainte là où l'on vou-
drait en vain régner pur l'amour. >»
364 Discours inaugural
Ils se servaient du dialecte saxon, mais ayec aisance, cor-
rection, et clarté. Ils puisaient dans les classiques anciens ;
mais c'était pour enrichir la langue nationale de Tatticisme
qui pouvait lui manquer, et non pour l'étouffer sous une
profusion pédantesqne de mots étrangers. Ils suivaient
dans leurs compositions la méthode synthétique , qui per-
met à l'auteur d'unir le nombre et la variété à l'harmonie,
de développer ses idées naturellement et avec simplicité ,
même à travers tous les replis de l'inversion , ou de passer
du style abondant au style ell'ptique , sans être jamais ni
redondant ni obscur. Ces grands écrivains ne prévoyaient
pas qu'au siècle illustré par leurs chefs-d'œuvre en succé-
derait un autre , où un nouveau style prévaudrait sur la
pureté et le naturel des modèles antiques ; tantôt prodiguant
les ornemens , surchargé d'expi'cssions et de tournunes
françaises, et sacrifiant le sens à un amas de figures fan-
tastiques; tantôt lourd, monotone, compassé, disposant
la phrase pour l'œil plutôt que pour l'oreille, et remplaçant
par un luxe outré d'expressions et de tours anciens - notice
idiome national, au lieu de se borner à remédier à ses dé-
fauts. Ces flambeaux de l'éloquence britannique n'auraient
pu imaginer qu'il paraîtrait parmi nous de prétendus pro-
fesseurs de l'art d'écrire, qui en ignoreraient toutes les règles
et ne sauraient pas en sentir les beautés j que ces hommes,
redoutant le véritable génie de notre langue , traiteraient
tous les idiotismes comme autant de négligences, appren-
draient à leurs élèves à corriger dans Addisson des fautes
d'anglais, et chercheraient à réduire le nombre et Iharmo-
nie inimitables qui distinguent Bolingbroke, au niveau du
rhythme mécanique de Johnson. »
D'après la citation que nous venons de faire , on peut
croire que M. Brougham n'a pas manqué de designer à son
auditoire les modèles qu'il considère comme les plus dignes
d'être médités , et nos lecteurs , qui savent que son élo-
de M. Broiigham. 565
quence se distingue surtout par Ténergie , ne seront pas
surpris de sa prédilection pour les orateurs grecs, et spé-
cialement pour le plus énergique de tous , pour celui qui, *
d'après l'observation de Longin, est resté sans rival par la
vigueur et l'ascendant de son génie : nous voulons parler
de Démosthènes. M. Brougham observe , comme un trait
caractéristique de la perfection de l'orateur athénien , que
cliez lui la passion et le raisonnement se confondent 5 qu'il
ne semble pas dire comme Cicéron : « Ici , je vais parler à
votre raison 5 plus loin, je m'adresserai à votre cœurj
enfin , je chercherai à plaire à votre esprit ; » mais que les
ressources oratoires pénètrent , en quelque sorte , la subs-
tance du discours , forment avec lui un seul tout, et con-
courent sans cesse à un but unique , celui de persuader et
de convaincre tout à la fois. Cette observation est d'une
vérité si absolue qu'elle s'applique , sans exception, à toutes
les harangues de Démosthènes 3 aussi est-il à remarquer
que les anciens critiques qui ont commenté ses ouvrages ,
les ont toujours considérés sous le même point de vue
que le nouveau recteur de Glasgow.
M. Brougham arrive ensuite à un point fort délicat,
indiqué par ce précepte d'Horace :
Sunt cerli deniffue fines ^
Quos uhra cilraque nequit consistere rectum.
Il considère l'ignorance des limites posées par le bon
goût , comme le défaut capital de notre époque , et il
exhorte avec chaleur la jeunesse à s'en garantir. Il cite
quelques passages de Démosllièncs , pour prouver qu'il sa-
vait produire de grands effets en peu de mots, et que , lors-
qu'il avait frappé un grand coup sur l'ame de ses auditeurs,
•il passait de suite à la conclusion sans compromettre -, par
de fastueuses amplifications , le résultat qu'il venait d'ob-
tenir et sans courir le risque de distribuer, eu petite mou-
566 Discours inaugural
naie une pièce de la plus haute valeur. M. Brougham
cite ensuite, comme contraste, un passage justement cé-
lèbre du discours de x\L Burke, sur le paiement des dettes
du nabah d'Arcate. Ce morceau est la description de l'in-
vasion du Carnate, par Hjder-Ali. M. Brougham pense
que le tableau est outré, sent trop le travail, et qu'ainsi
il manque son effet; mais il ci-oit aussi que si M. Burke
avait donné suite à sa aictaphore, en respectaut les règles
de Tunité, s'il avait peint la nuée aux flancs orageux,
roulant au-dessus des montagnes , se déchirant avec fracas
et vomissant la désolation et la mort , et s'il s'était borné à
cette description , en choisissant les traits les plus vigou-
reux pour lui donner la couleur convenable , ce passage
eût été meilleur et eût produit plus d'effet. Démosthènes
a traité un sujet analogue, et l'a fait avec un goût exquis.
Pour s'en convaincre , il suffit de iire la description des
désastres qui fondirent sur la Phocide, et de la dévastation
complète de ce pays, malheurs que l'orateur attrilme à
Eschine, en l'accusant de s'être laissé corrompre, pour
livrer les Phocéens à la cruauté et à la vengeance de leurs
ennemis les plus acharnés.
M. Brougham s'est bien gardé dépasser sous silence une
des plus hautes recommandations que l'on puisse faire aux
hommes qui étudient l'art oratoire. Cet art divin n'a pros-
péré et ne prospérera que dans un pays de liberté. Jamais
l'esclave , docile aux moindres gestes d'un maître , jamais
le favori du pouvoir n'éprouveront , ou du inoins ne pour-
ront exprimer ces nobles sentimens qui émanent autant du
sens intime de l'indépendance que des leçons de l'éducation.
« La liberté, dit Mllton dans son Aréopagitique y est la
» mère nourricière de tous les grands génies ; c'est elle qui,
» semblable à un rayon céleste, a porté la lumière dans nos
» esprits; c'est elle qui les a affranchis, agrandis, et qui
» a élevé notre intelligence au-dessus d'elle-même. » Mais
de M. Broitgham. 567
s'il est vrai que la liberté est la mère Je réloquence, il est
également certain qu'en fille respectueuse et reconnais-
sante, l'éloquence doit défendre et ranimer , s'il le faut ,
les jours de sa mère. C'est là, en efîet, la meilleure et la
plus haute destination de l'art oratoire ; et , sous ce rapport ,
ses résultats sont aussi beaux eux-mêmes que son exercice
est glorieux. On peut réduire la liberté au silence ; on
peut, suivant l'expression de Crassus , lui couper la lan-
gue , sans mettre sa vie en péril. Les dernières vibrations
de l'organe expirant , rendront un son terrible à l'oreille, et
funeste aux projets de la tyrannie.
JNous terminerons l'analyse du discours de M. Brou-
gham en transcrivant sa péroraison :
« J'aime donc à espérer, dit l'orateur, que, parmi les
jeunes illustrations qu'a produit cet ancien royaume ( l'E-
cosse ) si renommé par les lumières et par le caractère
élevé de ses habitans , peut-être même parmi mes audi-
teurs , il se rencontrera un homme , un seul me suffit , qui
voudra offrir un brillant exemple aux autres nations dans
une route jusqu'ici inconnue, et qui cherchera à se placer
à la tête de ses concitoyens , non par de frivoles occupations
ni par les menées honteuses d'une ambition vulgaire, mais
en remplissant la noble tâche d'éclairer la masse de ses
compatriotes. Je le vois jaloux de laisser un nom cou-
ronné, non d'une splendeur barbare, ni des roses éphé-
mères d'une futile galanterie, mais de palmes plus dignes
de la raison humaine; un nom inséparable des progrès de
la civilisation et de la diffusion des lumières ; un nom qui
traverse les âges , soutenu par la reconnaissance de plu-
sieurs raillions d'hommes que ses sages bienfaits auront arra-
chés au vice et à l'ignorance. C'est à lui que je dirai avec
l'orateur romain : Hommes ad deos nulla re propius (icce-
dunt quam salulcm hominihus dando; niliil habet nec
fortuna tua majus quam ut possis , nec melius quam ut
368 Discours inaugural de M. Brougham.
relis serpare quani plurimos. Ces expressions sont la de-
vise de tous ceux, qui tiennent à Jouir d'une félicité pure,
et qui sentent le prix d'une haute renommée et d'un nom
sans tache. Mais si les. hienfaiteurs de riiumanité , après
l'accomplissement de leurs pieux travaux , ont , en récom-
pense de leurs vertus , l'heureux privilège de savourer les
bénédictions que , dans un autre âge , ils ont payées de tant
de fatigues et de souffrances , loin de vous la pensée que les
fondateurs des plus puissantes dynasties, les conquérans
qui ont créé de nouveaux empires , non pins que l'essaim
vulgaire de ces êtres pervers qui ont sacrifié à leur agran-
dissement le bonheur de leurs semblables, éprouvent quel-
que satisfaction à contempler les monumens de leur injuste
renommée! Ce triomphe sera réservé à ceux qui pourront
suivre les effets de leurs efforts éclairés, pour l'amélioration
de l'espèce humaine. Ils trouverout leurs délices dans la
réflexion que le protligieux changement qu'ils aiment à
contempler, que la révolution sublime qui a fait de l'ins-
truction un pouvoir , de l'autorité l'apanage de la vertu ,
qui a foulé aux pieds la superstition , et banni de l'univers
la tyrannie, sont les fruits précieux, mais lents, mais
chèrement achetés, des fatigues qu'ils ont souffertes et des
périls qu'ils ont su braver. » \
( Reçue d'Edinbourg. )
MELANGES.
DIT PROJET d'unir , PAR UN CANAL , l'aTLANTIQUE ET LA
MER PACIFIQUE 5 PAR M. BIRKS PITMAN.
Il y a quelques mois qu'une compagnie a conçu le pt-o-
jet d'ouvrir un caual de communication entre les mers
Atlaiilique et Pacifique , par le grand isthme qui les sépare j
projet gigantesque qu'on devi'ait ranger peut-être parmi
les spéculatious chimcriques si communes de nos jours.
M. Pllman a réuni dans l'ccrit que nous annonçons une
foule de remarques précieuses sur la topographie de Tisthme
et sur les pariicularités locales qui la distinguent, telles
que les vents, les marées, les climats et autres circons-
tances physiques, nécessaires à connaître, avant de com-
mencer des travaux qui, par leur nature même, offrent de
prodigieuses difficultés. Toutefois, après avoir examiné ces
difficultés avec attention dans Técrit de M. Pitman, nous
ne sommes pas disposés à regarder Texéculion de ce caual
comme absolument impossible.
Nos lecteurs n'ignorent pas sans doute que ce projet
n'est pas nouveau. Dès l'année i528, on soumit à la cour
de Madrid un plan tendant à unir, dans l'isthme de Darien,
la rivière de Chagres avec le golfe de Panama. D'autres
plans de ce genre ont été proposés à diverses époques , tant
au gouvernement espagnol qu'à celui de la Grande-Bre-
tagne; mais le premier de ces gouvernemens, si jaloux de
ses possessions d'Amérique, n'y a donné que le degré
d'attention nécessaire pour les rejeter j le second, ne pou-
vait disposer du territoire compris dans les plans qui lui
étalent soumis , n'a pu s'en occuper sérieusement.
5^0 Canal entre r Atlantique y
Les avantages qui résulteraient de communications plus
directes entre l'Orient et l'Occident, au moycm d'un déti'oit
artificiel pratiqué entre l'Atlantique et la nier Pacifique ,
sont trop évidens , pour que nous ayons à les développer.
Ce qu'il s'agit avant tout de déterminer, c'est la possibilité
d'ouvrir ce détroit. Tel est l'objet spécial des recherches
de M. Pitmau \ pour en donner une idée, 11 suffira de citer
les faits suivans que nous puisons dans son aperçu.
Parmi les divers points du grand isthme , qui ont jus-
qu'ici paru plus ou moins propres à l'établissement d'un
canal de communication entre les deux mers, M. Pitman
n'en distingue que deux qui méritent de fixer l'attention.
li'un est situé svir l'isthme de Darien, et l'autre sur celui de
Nicaragua. Le premier de ces isthmes possède de ])ons
ports sur chacune de ses côtes, et il oflre , sur une largeur
de 60 milles, une étendue de 20 milles déjà navigable.
Il n'en resterait donc que 4o ^ creuser : toutefois, cette
entreprise , en la supposant exécutable , réclamerait des
sacrifices immenses à cause de la nature du sol.
D'excellens ports bordent aussi l'isthme de Nicaragua; il
est borné au midi par mi grand lac qu'on dit navigable,
et qui communique avec l'Atlantique au moyen de la rivière
de San- Juan. On pourrait aisément rendre cette rivière
propre à la navigation , et d'ailleurs la langue de terre
située entre le lac et l'Océan Pacifique serait beaucoup plus
susceptible d'être creusée , que l'isthme de Darien. C'est
tlonc sur l'isthme de Nicaragua que l'entreprise pourrait,
dans l'opinion de M. Pitman , s'exécuter avec le plus de
chances de succès , si jamais on s'en occupait sérieusement.
Cependant , il ne suffit pas de s'être entendu sur le choix
des lieux, pour commencer ces travaux , il reste à savoir
à qui rexccutionen sera confiée 5 sera-ce à une seule com-
pagnie ou à plusieurs? une ou plusieurs nations y concour-
ront-elles? Antres questions non moins importantes : quel
et la mer Pacifujue. 3^i
sera l'effet du choc des deux mers qui se heurteront ,
lorsque la digue qui les contient maintenant sera enlevée?
quels ravages incalculables ne causeront-elles pas avant
d'avoir repris leur niveau? Il résulte , de l'aveu même de
l'auteur , que ce projet , tout simplifié qu'il est par la
manière dont il l'expose, est plus facile à concevoir qu'à
exécuter. En admettant en effet, que la conformation phy-
sique de l'isthme de Darien ou de celui de Nicaragua se
prête à son accomplissement, il ne faudra rien moins que
les richesses entières d'une natioa pour triompher des obs-
tacles résultans des localités , et le développement de toutes
ses forces morales et politiques , pour apaiser les jalousies
des puissances que son exécution pourra intéresser i il sera
aussi bien difficile d'obtenir des immunités pour la naviga*
lion du détroit, et des garanties pour en assurer le libre
accès à toutes les nations.
M. de Humboldt, en traitant de ce projet, objecte que,
« chaque nation serait dans la dépendance des maîtres de
l'isthme et du canal. » Il remarque aussi que, « si le canal
vient à s'établir, il en résultera de grands changemens dans
l'état politique de l'Asie occidentale 5 et en effet , l'isthme
qui sert de barrière aux flots de la mer Atlantique, est
depuis bien des siècles le boulevart de l'indépendance de la
Chine et du Japon. »
Pour écarter vme partie des obstacles que nous avons ra-
pidement indiqués, il faudrait que ce canal fût la propriété
collective des nations qui auraient consenti à participer à
son exécution. Sans doute ce serait avec peine que l'on ob-
tiendrait le concours des divers gouvernemens de l'Europe,
pour établir cette espèce de sanctuaire ouvert à tous les
peuples, et dont la paix, déclarée inviolable, serait placée
sous leur garantie commune. Probablement, il serait aussi
très-difficile de déterminer les nouveaux états du Mexi-
que à faire les concessions de territoire nécessaires pour
S^a Canal entre VAtlantiquo
l'achèvement de ce grand ouvrage. Cependant , comme on
l'a déjà observé , les projets gigantesques séduisent davan-
tage l'imagination des peuples dont la civilisation est ré-
cente , que les plans d'une exécution plus simple. D'ail-
leurs , ces concessions s'obtiendraient moins difficilement si
on convenait que le territoire cédé , et le canal lui-même ,
seraient régis par une commission mixte, composée des dé-
légués des nations qui auraient concouru à cette superbe
entreprise. L'institution de cette espèce de diète, investie
d'un pouvoir si élevé et si utile, ferait une ère nouvelle
dans l'histoire de l'espèce humaine.
Les Hindous , les Egyptiens, et d'autres nations de l'an-
tiquité, ont élevd des constructions qui nous étonnent en-
core par une exécution hardie et par des proportions co-
lossales. Il serait beau de voir les peuples modernes , plus
riches, plus éclairés, et qui disposent de ressources bien
autrement étendues , s'entendre pour laisser un monument
impérissable de leurs efforts réunis et combinés , et sacri-
fier les misérables rivalités qui les divisent , à l'établisse-
ment d'une paix perpétuelle qui , quoique locale, n'en au-
rait pas moins des avantages immenses et communs à tous.
Ce quiaugmenterait encore l'utilité du canal projeté, c'est
qu'aucune découverte future dans le domaine de la géogra-
phie , ne pourrait diminuer l'importance de cette vole nou-
velle ouverte au commerce du mondej car elle offrirait une
réunion d'avantages qu'onn'obtiendrajamais de ces passages
qu'on a si îong-tems et si vainement essayé d'ouvrir par le
nord vers l'Océan Pacifique. Ajoutons que l'exécution de
celte entreprise par les Européens serait une sorte de ré-
paration faite à l'Amérique, pour les désastres qui suivirent
immédiatement la découverte de cet immense continent.
Eu un mot, le projet de creuser l'isthme de Panama ne
cède en grandeur et en utilité qu'à la découverte même
du Nouveau-Monde. (^Monthly Reçiew,)
\
Suifvégétaf. 3^5
Recherches sur ux produit végétal particulier ,
possédant les principales propriétés du suif; par
M. Benjamin Babington,
Dans le cours de ma dernière excursion, dit ce voyageur,
tandis que j'étais à Mangalore, dans la province du Carnate,
j'appris d'un habitant de cette ville que \e Satcria-indica,
arbre très-commun de ces contrées , fournit une subs-
tance qui n'a encore été indiquée par aucun Européen ,
quoique ses propriétés puissent en faire un article très-im-
portant de commerce, et semble mériter, sous ce rapport,
<le fixer l'attention de mes compatriotes. Le produit dont
je parle est un composé inflammable, qui tient de la nature
de la cire et de l'huile , et qui a l'apparence du suif. On
ne s'en sert que dans la ville Je Mangalore ; on l'y emploie
comme topique dans les contusions et les douleurs rhuma-
tismales ; fondu avec une résine que fournit ce même arbre,
il tient lieu de goudron pour enduire les bateaux. On ob-
tient cette substance, en faisant simplement bouillir dans
l'eau le fruit du sateria. On voit le suif fondu s'élever à la
surface, et, par le refroidissement , il prend la forme d'un
pain solide.
Ce suii végétal est ordinaiï'ement blanc, quelquefois
jaune , onctueux au toucher, presque sans goût, d\me
odeur assez agréable , et assez semblable au cérat ordinaire.
Il fond à la température de 97 1/2 degrés, et conséquem-
ment reste solide dans le climat des Indes. Sous ce rapport,
ce suif diffère de l'huile de palmier et de cacao. S'il est
enveloppé dans des feuilles de papier brouillard, et soumis
à une forte pression, !'!uiile qu'il fournil suffit à peine pour
tacher la première feuille. Il est si compact et si solide que,
quand il est sous la forme de petits pains ronds, du poids de
neuf livres, deux hommes très-forts nepeuvent pas le couper
I. 25
374 Suif répétai.
avec un fil d'arcbal, et môme ce nVst pas sans peine qu'où
en vient à bout avec une scie. Sa cassure présente une struc-
ture cristalline, formée tle la réunion tle petites sphères
composées elles-mêmes de ravons qui partent d'un centre.
liC suif animal, lorsqu'il est fondu en grands pains et re-
froidi lentement , présente, dit-on, le même caractère.
I/état de concrélion de celte substance combustible est
sans doute ce qui l'a empêchée d'être connue plus générale-
rnent , même des habitans des contrées où l'arbre est in-
digène : car cet état s'opposait à ce qu'on en fît usage pour
s'éclairer, puisque les habitans de l'Inde, comme on le
sait , ne se servent pas de chandelles; mais de lampes, et que
la nature leur fournit, avec profusion, plusieurs espèces
d'huiles végétales fluides.
Voici le résultat de quelques expériences faites sur le suif
végétal, pourGndéterminerl'utilitéainsi que la composition.
Sa pesanteur spécifique à 97 1/2 Fahrenheit, est deSg, 65,
et à 60°, de 99., 60. Combiné avec les alkalis tises, il forme
un composé savonneux., mais qui ne paraît pas [ onvoir faire
un savon propre à entrer dans le commerce; et, sous ce rap-
port , il semble plutôt participer de la nature de la cire
que de celle du suif.
Si on en fait des bougies , il se détache faci'ement du
moule , et diffère ainsi de la cire que l'on a tant de peine à
mouler. Il donne une lumière aussi brillante que celle du
suif, et l'emporte sur ce dernier, en ce qu'il ne répand
point d'odeur désagréable, et que, quand on l'éteint, il ne
donne pas une vapeur infecte. Il se mélange, dans toutes
ses proportions, à la cire, au blanc de baleine et au suif.
Voulant connaître la combustibilité comparative du suif
végétal, je fis des bougies de suif de pin, de suif animal et
de cire : elles furent faites dans le même moule, et les
mèches furent composées d'un nombre égal de fils. Après
U'S avoir pesées avec soin , je les fis briilor pendant inie
Suif végétale SyG
heure, dans un appartement où Taîr n'était point agité, et
à la température tie 55 degrés; j'obtins les résultats sul-
vans :
Perle.
Poids en
grains
Poids au bout
avant
d'être
allumées.
d'
une heure.
Cire
84o
719
Suif animal
8ii
7o3
Suif végétal
8ici
-JOI
Je ne dois pas oublier de dire que, dans cette expérience,
la mèche de la bougre de cire était beaucoup plus petite ,
ce qui n'empêche pas qu'il n'ait été brûlé une plus grande
quantité de cire que de suif, résultat contraire à l'opinion
générale. Dans une seconde expérience , je comparai de
nouveau le suif végétal à la cire, ayant eu soin de ne pas
laisser subsister la différence que nous venons d'indiquer ,
et j'obtins le résultat suivant , les mèches étant composées
de douze fils, comme dans les bougies de cire que l'on em-
ploie habituellement :
Poids en grains Poids au boul Perle,
avant d'être allumées. d'une heure.
Cire 7.30 5o4 i38
Suif végétal 77^ 68^ 90
Cette expérience , qui s'accorde bien avec la première ,
prouve que le suif végétal se rapproche plus, pojpr la com-
hustion, du suif animal que de la cire. D'autres expériences
ont encore produit les mêmes résultats.
Il paraît qu'en ce moment ou ne pourrait pas trouver
plus de deux tonnes de suif végétal dans la ville de Manga-
lore , que l'on aurait à 2 d. 1/2 ( 5 sous ) la livre j car,
comme nous l'avons dit, on ne l'y emploie que comme mé-
dicament , et ce n'est que dans la ville qu'on le prépare.
Mais l'arbre qui le produit est si commun sur la côte occi-
dentale de la péninside de l'Inde, au moins jusqu'au nord
3n6 Coalitions d'ouvriers.
des confins de la province du Carnate , que , Ijlen que le
fruit soit complètement négligé, les habitans le recueille-
raient avec soin, si on leur faisait des demandes de ce pré-
cieux produit.
COALITIONS D OUVRIERS.
Les lois spéciales relatives aux. coalitions d'ouvriers et à
rémigration des artisans , ont été rapportées par le Par-
lement, dans le cours de sa dernière session. Les ouvriers
sont rentrés dans le droit commun : ils peuvent se réunir^
débattre entr'eux leurs intérêts , et prendre, à cet égard,
teile résolution que bon leur semble. La loi ne s'interpose
que lorsqu'une portion, qui a voiontalrement interrompu
ses travaux, veut aussi, par des moyens violens , empêcher
les autres de travailler. C'est a'ors que, sur la déposition
d'un seul témoin , un magistrat quelconque peut entamer
des poursuites judiciaires.
Les coalitions des charpentiers de vaisseaux et des ma-
telots se trouvent en quelque sorte paralysées par une ré-
solution du Parlement qui modifie singulièrement le fameux
acte de navigation. Par cette résolution , le conseil privé
peut permettre aux armateurs de faire réparer leurs na-
vires dans les ports étrangers , quand les ouvriei's anglais
refusent de travailler j et aux navires anglais, de prendre à
leur bord autant de marins étrangers qu'ils en veulent ,
quand ceux de la Grande-Bretagne ne consentent pas à
s'embarquer.
Malheureusement, il ne sera pas aussi facile d'empêcher
les coalitions des autres classes d'ouvriers : ces ccalilions se
soutiennent , et en voici un exemple récent. Il résulte d'un
rapport lu dans un des clubs des ouvriers charpentiers de
Nouvelles des sciences , du coinruerce , etc. 3'j'j
ia marine, que, pour ai'river au but de leur coalition, ils
ont employé , pendant ce dernier trimestre, 2,600 liv. st.
( 65, 000 francs ) , pris sur les fonds de leur société, et qu'il
reste en caisse 54o liv. st. ( 8,5oo francs) disponibles.
Les tisserands de la ville de Bradfort, ayant demandé à
leurs maîtres une augmentation de salaire, et ne l'ayant
pas obtenue, leurs confrères de Huddersfield, ville voisine,
sont venus à leur secours, et leur ont envoyé 5oo liv. st.
( 7,5oo francs), en leur en promettant 5, 000, s'il était néces-
saire, pour appuyer leurs prétentions.
NOUVELLES DES SCIENCES,
DE LA LITTÉRATURE, DES BEAUX- ARTS, DU COMMERCE,
DES ARTS INDUSTRIELS, DE l'aGRICULTURE , ETC.
ASTRONOMIE
Taches solaires. — Le faisceau de taches solaires qu'on
a observé depuis quelque tems, a présenté des phénomènes
très-remarquables dans le cours de cette semaine. Lors-
qu'on aperçut d'abord des taches, le 1 2 de ce mois ( juillet ),
elles n'étaient qu'au nombre de sept; la supérieure était
un peu plus grande que les autres, et elles projetaient une
ombre très-forte autour d'elles. Le 1 3 et le i4, on en
observa une ou deux, de plus. Le i5, devenues très- nom-
breuses, elles occupaient un espace assez grand sur le dis-
que solaire, espace égal à 57,128 lieues ( environ quatorze
fois le diamètre de la terre ). Le même jour, à cinq heures
de l'après-midi, et pendant les trois jours suivans , ces
taches n'en formaient plus qu'une seule, slluée dans la
3^8 Nouvelles des sciences ,
partie du disque solaire, de fornie«elliptic]ue , et placée
verticalement à droite.
Herschell attribue les taches qui se forment sur le
disque du soleil à l'émission d'un fluide aériforme, non
encore en combustion , qui déplace le gi'and atmosphère
lumineux, et qui doit ensuite servir lui-même à entretenir
la combustion j il considère les taches de ce genre, comme
annonçant de fortes chaleurs à la surface de la terre, et il
appuie cette opinion d'exemples historiques. II est certain
que les chaleurs que nous éprouvons cette année , se ren-
contrant avec le phénomène en question , tendent beaucoup
à confirmer cette théorie.
— On lit dans les journaux allemands , que le docteur
Fischer, de Konenherg, eu Autriche, a prédit , il y a quel-
que tems , un été chaud et sec , par la raison que le soleil
se trouvant sans taches , doit envoyer à notre planète
une dose plus forte de calorique et de lumière.
Lequel de Herschell ou du docteur Fischer a le mieux
observé le soleil ?
HISTOIRE NATURELLE.
Neige lumineuse. — Vers la fin du mois de mars der-
nier , il tomba , à Lochawe , dans l'Argyle-Shire , une
certaine quantité de neige qui étonna ou alarma les habi-
tans , suivant qu'ils cédèrent aux impressions diverses de
la curiosité ou de la superstition. Quelques personnes qui,
le matin même , avaient traversé le lac , furent mieux à
même d'observer le phénomène. Pendant le four, toute la
nature avait été dans un calme parfait , et ils s'en retour-
naient chez eux, après avoir quitté Ben-Cruachan, lors-
que, voyant le ciel se couvrir subitement de sombres nuages,
ils ramèrent avec plus de force afin d'atteindre le rivage
avant de voir éclater la tempête qui les menaçait^ mais, au
bout de quelques minutes, ils furent surpris par la neige,
du commerce , de l'industrie , clc. 3'jq
el aussitôt après, le lac qui , un instant plus tôt , était calme
et unij ne présenta plus, cle même que leur bateau, leurs
habits et tout ce qui les environnait, qu'une surface lumi-
neuse, formant une immense nappe de feu. Les parties de
leur corps, qui étaient exposées à Tair , ne furent point
exceptées : ell<?s paraissaient toutes en feu , quoiqu'elles
ne fussent le siège d'aucune sensation de chaleur. S'ils pre-
naient dans leurs mains la neige , déjà fondue à moitié ,
toutes les parties qui en étaient luiniectées devenaient lu-
mineuses, et la neige conserva cette propriété pendant au
moins douze ou quinze minutes. Le soir, la température
s'adoucit, le tems s^ calma j mais il resta trcs-sombre. Les
habitans, qui voyaient pour la première fois ce phénomène,
le regardèrent comme l'avant-coureur de quelque grande
catastrophe.
LITTÉRATURE, ÉDUCATION, INSTRUCTION RELIGIEUSE, elC.
Manuscrit sur papyrus de /'Iliade d'Homère^ troupe
depuis peu en Egypte ■, et appartenant à M. Bankes. — Nous
avons pu examiner ce manuscrit et nous avons reconnu ,
en le coUatlonnant avec les éditions imprimées d'Homère,
que ces dernières sont conformes aux manuscrits les plus
anciens de ses poèmes.
Le manuscrit en (piestion est écrit sur un papyrus de la
couleur jaunâtre accoutumée. 11 est eu lettres majuscules
bien faites, et semblables, pour la forme , à celles usitées
en Egypte, vers la fin de la dynastie des Ptolémées. Comme
on l'observe dans les plus anciens manuscrits , les mots
ne sont séparés l'un de l'autre par aucun intervalle^ mais
les vers sont rangés en colonne, sur des lignes assez es-
pacées. Chaque colonne contient de (juarante-deux à qua-
rante-quatre vers qui occupent la largeur du rouleau, à
l'exception d'une petite marge en haut et en bas. Ce ma-
^
58o Noiii'elles des sciences y
nuscrit (saus doute le dernier de vingt-quatre rouleaux , ou
volumes distincts ) ne paraît avoir contenu que le vingt-
quatrième chant de \ Iliade. Les plis extérieurs du papyrus
ayant été détruits par le frottement et par le tems, les
premiers cent vingt-six vers du chant manquent. Les traces
du pouce appliqué au volume pour le dérouler, sont visi-
bles sur les autres plis ou pages, où il y a quelques mots
effacés. Le reste est complet jusqu'à la fin du chant. Ce
papyrus donne lieu d'espérer que l'on pourra découvrir ,
en Egypte, d'autres manuscrits contenant des productions
de la littérature grecque plus intacts et moins illisibles que
ceux d'Herculanum. Il ne serait pas impossible, par exem-
ple, qu'on y retrouvât un jour les annales rédigées par
Manethon, qui jetteraient un si grand jour svir l'histoire
primitive du monde en général, et en particulier sur celle
de l'Egypte.
— Il nous est parvenu de l'Inde quelques exemplaires
d'un ouvrage imprimé avec un grand luxe et intitulé : Les
Sept Mers, ou Dictionnaire et Grammaire de la langue per-
sane, par S. M. le roi d'Aoude. Cet ouvrage qui forme sept
volumes in-folio, sort de l'Imprimerie Royale de la ville
de lAicknovï^. Les six premiers volumes contiennent le
dictionnaire, et le septième la grammaire de cette langue.
Depuis le tems du savant Abulfeda, prince de Haraah, de
la dynastie d'Ejub, qui mourut en i552, et qui est cé-
lèbre, moitié en Europe, comme historien et géographe,
aucun prince d'Asie n'a rendu aux lettres un aussi grand
service que le rajah d'Aoude , par la publication de ce Dic-
tionnaire de la langue -persane. Il en sera rendu compte
par un orientaliste qui s'occupe dans ce moment de l'exa-
miner, et qui se propose défaire connaître les rapports qui
existent entre cette langue et celles de l'Europe, et surtout
la langue allemande.
du commerce , de l'industrie , etc. 38 1
Journaux à Calcutta , en langue bengali. — Nos feuilles
du Bengal annoncent qu'on vient de créer à Calcutta un
]'ournal hebdomaxlaire, écrit en bengali, et rédigé par un
savant hindou. Le premier numéro contient un article sur
la liberté de la presse dans l'Inde, et le second en renferme
un autre sur le jugement par jury. Ils ont été lus -avec une
telle avi lité, que l'édition de ces deux numéros a été épui-
sée. Ce journal est intitulé : Sunghand Cowt7iuddy , ou la
Lune des Nouvelles.
Ecole des Arméniens à Calcutta. — On désire vivement
ici le succès de cette école 5 ce qui vient en grande partie
de Tintérêt qu'on prend aux Arméniens, à cause de la reli-
gion chrétienne qu'ils professent. Rien ne peut se comparer
à l'état de servitude et d'avilissement où les tiennent les
musulmans , si ce n'est celui oii les Grecs gémissent éga-
lement sous les mêmes maîtres. C'est pour se dérober à
une condition si déplorable , qu'à l'exemple des enfans
d'Israël, ils se répandent sur la face de la terre, cherchant
quelque protection chez les princes de la chrétienté. Les
Arméniens sont actifs 01 iutelligens , et leur aptitude au
commerce est universellement reconnue. Napoléon avait
formé le projet d'en établir une colonie en France et il avait
protégé ceux qui s'étaient fixés en Italie. L'empereur
Alexandre s'est montré aussi très-favorable aux Arméniens j
il a permis à ceux d'entr'eux qui sont dans ses états de
bâtir une cathédrale à Pétersbourg , et un collège à Mos-
cou : il a ensuite décoré le patriarche d'Arménie de la croix
de Saiat-André , le premier ordre de Russie. Dès les pre-
miers tems de sa domination dans l'Inde, la Compagnie
anglaise a protégé les Arméniens, et les a employés prin-
cipalement comme facteurs ou agens commerciaux. Ce qui
dojinc une idée trcs-avautagcuse de leur caractère, c'est
([uc, tout voués qu'ils sont ici au commerce, ils ne laissent
582 Noiwe/Us des sciences ,
pas de cultiver leur esprit par l'étude de nos sciences, e'
«le leur propre littérature , qui est très-riche et qui contient
des ouvrages fort curieux.
Le i4 janvier dernier, l'examen des élèves a été ter-
miné par une distribution de prix. Les élèves arméniens
ont récité, avec une énergie et une justesse remarquables,
le discours des ambassadeurs des Scythes à Alexandre-le-
Grand, le plaidoyer de l'apôtre Paul devant le roi Agrippa ,
et le dialogue entre le roi Canut et ses courtisans ; ils ont
aussi prononcé quelques discours en langue arménienne ,
qui ont été très-applaudis.
Collège dans l'Inde pour l'étude du samskrit. — La dis-
tribution des prix remportés par les étudians tie ce collège,
a eu lieu ces jours derniers. Les examens préliminaires
avaient occupé les sept jours précédens. Les élèves s'y sont
fait généralement remarquer par leurs progi'ès , d'autant
plus dignes d'éloges, que l'institution est toute nouvelle.
Ce collège , le premier de ce genre qu'on ait encore établi
dans le Bcngal , ne peut manquer d'être fort utile au peuple
hindou. On y enseigne la grammaire, la logique, les
belles-lettres, la législation et la théologie. Tous les mem-
bres du comité d'iifctruclion publique ont assisté à cette
séance. L a été adressé aux élèves et aux. professeurs un
discours en langue samskrite, tendant à développer le but
de l'institution. Trente prix ont été distribués j leur valeur
s'élève en tout à la somme de 55o roupies.
Education des femmes dans l'Inde. — Il résulte du
dernier rapport fait à la Société jjour l' Encouragement
de l'Instruction à Calcutta, que les écoles actuellement
sous sa direction, tant dans cette ville que dans les en-
virons , sont au nombre de deux cents , et que les enfaus
(les Hindous qui s'y instruisent dans les connaissances de
TEuropo, sont au nombre de cinq cents.
du coriuiitfrce , de l'industrie , etc. 383
Une circonstance qui indique un grand changcmenl dans
les préjugés des Hindous, c'est que plusieurs d'entr'eux
font élever leurs filles dans nos institutions. A la dernière
réunion annuelle de la Société protectrice des écoles pour
l'instruction des femmes à Calcutta, on a lu un rapport
qui nous apprend que ces écoles sont fréquentées main-
tenant par des jeunes filles hindoues de tous les rangs ; qu'on
y remarque, par exemple, deux Brahmines, quatre Hayns-
thus et sept Vîshniihiennes ( ce sont les noms des premières
castes de l'Inde). Le rapport ajoute qu'un savant du pays
a publié un écrit en bengali , tendant à prouver qu'il était
anciennement d'usage parmi les Hindous d'instruire leurs
femmes , et que l'éducation de ces dernières , loin d'être
une chose nuisible ou déshonorante, comme on le suppose
communément, pourra devenir fort utile, si elle est con-
venablement dirigée (i).
Sociétés Bibliques. — Une de ces sociétés, établie à Londres ,
a tenu une réunion , ces jours derniers , où l'on a recueilli
les faits suivans :
Dans l'Amérique du sud , des prêtres catholiques con-
courent avec les missionnaires protestans à répandre la
connaissance du Lit^re sacré. Un dépôt de Bibles a été établi
dans un couvent de franciscains , situé au pied du grand
volcan de Cotopaxi , et il s'est vendu cent exemplaires
(i) Note du Tr. Nos lecteurs auront sans doute remarqué l'en-
semble des petits faits rapporle's ci-dessus et qui sont empruntes aux
journaux anglais qui paraissent dans l'Inde : des rois de l'Orient qui
composent des grammaires et des dictionnaires; des Hindous qui pu-
blient des journaux , et qui dissertent sur l'institution du jury et sur la
liberté de la presse ; de jeunes brahmines que leurs ^arcns font élever
.dans des écoles Instituées par des Européens, etc.; tout annonce que
de grands changemens se préparent ou s'opèrent dans le» opinions et
dan» les habitudes de l'Asie.
384 NmiDelles des sciences ,
dans l'espace de deux heures. Un descendant des Incas ,
habitant de Cusco , vient d'en achever une traduction eu
langue péruvienne. A Santa-Fé de Bogota , capitale de la
république de Colombie, il s'est formé une Société biblique,
qui a pour président un des secrétaires d'état. Dans un
discours qu'il a adressé à la Société, le jour de son installa-
tion , on remarque le passage suivant : « Le concile de
» Trente a interdit aux laïques la lecture de la Bible , et le
» pape régnant réitère cette défense dans une bulle ré-
» cente ; mais , à mes yeux , le jugement des anciens pères
» a plus d'autorité que celui des pères modernes. » Deux
prêtres seulement se sont prononcés contre cette Société ,
l'un parce que les Bibles qu'on distribue n'ont pas de com-
mentaire, et l'autre parce qu'il croit plus utile que le peuple
ne connaisse pas la Bible. Heureusement assez d'autres
prêtres favorisent le système contraire.
Sur les côtes de la Méditerranée , la Bible a des succès
extraordinaires j 10,000 exemplaires, imprimés en di-
verses langues, ont été vendus dans l'espace de trois mois.
Le dépôt de l'île de Malte, qui les a fournis , a été épuisé
par ce rapide écoulement. Sur les 10,000 exemplaires , il
y en avait 'joo en langue hébraïque , pour les juifs qui
sont l'épandus dans les divers états de la Méditerranée ;
1 ,000 eu langue syriaque , pour les habitans de la Pales-
tine , et 5oo en arabe , pour les tribus diverses qui parlent
cette langue.
Il s'en est vendu en outre 3,000 à Constantinople , l'an-
née dernière 5 celles-ci étaient presque toutes imprimées
en langue turque. Une circonstance singulière , c'est que le
sultan avait rendu un firnian pour en défendre la lecture ,
prescfu'eu même tems que le pape rendit sa bulle i mais la
bulle et le firmau ont été également sans effet.
En France, vingt -trois nouvelles Sociétés bibliques ont
été créées dans le cours de l'année dernière.
du commerce , de l'industrie , etc. 585
■ — La Société biblique de Calcutta vient de tenir sa troi-
sième séance annuelle 5 on y a fait lecture du rapport de son
comité. Il résulte de ce rapport que, dans le cours de Tan-
née dernière , il a été distribué , au nom de la Société ,
4,147 exemplaires de la Bible, en diverses langues, et
que, depuis sa fondation, la Société en a distribué eu tout
1 1 ,573 exemplaires.
Les Cjpa.yes qu'on a fait marcber depuis peu contre
Tempire des Birmans ont été pour la plupart pourvus de
Bibles. Il eu est arrivé fort à propos quelques caisses d'Eu-
rope , un peu avant leur départ. On en a répandu égale-
ment dans les casernes et les prisons isolées des divers
cantonnemens. Les exemplaires vendus se composent prin-
cipalement d'Evangiles isolés et de portions détachées de
l'Ecriture, traduits en bengali ; ils ont été achetés par les
missionnaires pour le compte des écoles indigènes.
Bénéfices attachés à l' enseignement de la médecine à
Londres. — Il est dit, dans un journal anglais de médecine .
qu'un professeur d'analomie qui a une classe de deux cent
cinquante élèves , retire de son cours un revenu annuel
de 2,5oo ilv. st. (62,500 fr. ). Ce cours ne l'occupe que
pendant six mois de ranuéè, et les frais qu'il entraîne pour
les achats de cadavres et autres objets ne se montent ras
au-delà de 5o liv. st. Ce même professeur fera deux cours de
chirurgie dans la même année , qui ( en lui supposant cent
cinquante élèves , payant chacun 5 gulnées) lui rapporte-
ront i,boo autres liv. st. Sa part dc^s rétributions payées
par les élèves qui suivent les hôpitaux , est aussi d'environ
i,5oo liv. st. : ainsi 11 aura, pour l'enseignement seule-
ment, un revenu d(^ 5,45o liv. st. ( i46,?,5o fr.).
COMMERCE.
Commerce du port de Calcutta. — I,e eominercc, îanl c\ié-
586 Noiwelles des sciences ,
rieur qu'intérieur , qui se fait annuellement clans la prési-
dence tle Calcutta , s'élève à la somme de 14,000,000 liv. st.
(55o,ooo,ooofr. ) , année commune. Une portion de ce
commerce appartient , sans doute , aux entreprises des
particuliers 5 cependant , la compagnie conserve encore de
grands avantages sur ces derniers. Elle fait des réglemens
locaux, qui tendent à neutraliser la liberté de commerce
quelle a concédée. Il en résulte que, sur certains objets, les
particuliers ne peuvent soutenir sa concurrence , et que
bien des entreprises qui eussent été bonnes pour elle , ont
été ruineuses pour eux. Tous les ans, il sort du port de Cal-
cutta , ou il y entre plus de 600 navires et bàtimens de tout
genre. Le fleuve parcourt une étendue de trente lieues ,
pour arriver du port à la mer. Qu'on se figure le coup-
d'œil que présente un pareil mouvement dans ce court
espace.
Calcutta, situé sur la rive orientale du fleuve, n'était,
en 1717 j qu'un misérable village , environne de forets et
de marais. Celte ville s'étend maintenant à plus de deux
lieues le long du fleuve. Ou y compte 100,000 maisons ha-
bitées par 600,000 âmes, dont 8.000 Anglais, Portugais et
Arméniens. La population comprise dans un rayon de sept
lieues de cette vdle, réunie à celle de la ville même , est
estimée à 2,225,000 âmes (i).
Vaisf^eaiLT à r(ipein\ — Une nouvelle compagnie vient
de se former à l'effet d'établir une ligne de navigation par
des bàtimens à vapeur, entre la Grande-Bretagne et les poris
principaux des îles et du continent d'Amérique. Aux termes
du prospectus , que nous avons sous les yeux , les ducs
d'York et de Wellington sont à la tête de cette entre-
prise , dont les résultats seront aussi avantageux au com-
(i) Voy. une description charmante de Calcutta dans les Tlsquisses
de rinàe , insertîes daii.s le numéro prcce'dent.
du comniei-c» , de l'industrie, etc. 387
raerce anglais , qu'au gouvernement. Les bâtiniens par-
tiront de Va'.encia , petit port de mer , au sud-ouest de
l'Irlande, celui du royaume-uni qui paraît le plus conve-
nable pour celle navigation.
INDUSTRIE.
Un journal anglais qui nous arrive à l'instant , annonce
que le projet colossal d'unir l'Atlantique et la mer Paci-
fique, par un canal accessible aux vaisseaux de mer, projet
dont nous avons parlé plus haut, va être sans délai mis à
exécution.
Emploi du chromate de plomb dans les arts.— M. Badams
décrit , dans un article des Annales de philosophie , le ré-
sultat de plusieurs expériences sur la composition de l'é-
carlate, ou sous - chromate de plomb, et du chromate
jaune, et il recommande fortement l'usage du premier ,
soit dans la peinture , soit dans l'impression sur calicot.
M. Badams prépare le chromate rouge en faisant bouillir
du chromate jaune avec de la potasse, d'après le procédé
de Grouvelle. Après avoir écrasé et fait tremper, pendant
une demi-beux'e , cent grains de ce chromate ccarlate ,
dans de l'acide acétique étendu, et l'avoir remué constam-
ment, on le voit se teindre d'un jaune pur, et quand on l'a
lavé il ne pèse plus que soixante grains , l'acélate de plomb
restant on dissolution. Au contraire, si l'on écrase soixante
grains de chromate jaune avec quarante grains d'oxide do
plomb , et que l'on verse de plus , de tems en tems , une
petite quantité d'eau chaude , on obtiendra de nouveau le
sous-chromate rouge.
Selon M. Badams ,
Le cliroiTiale jaune Le chromate rouge
• ^ l Aculc chromiquc i atome iq,02 i atome J9,o!»
Ksi composé \ -^ ■ , , , , /" ,1 » o ,-
' I Oxide de plomb 1 ^o-O" o atomes 81. <)<>
M. Bndanis conseille à l'imprimeur sur calicot de faire
588 Noiwelles des sciences,
pénétrer clans les pores de Tétoffe qu'il veut teindre , un
sel de plomb insoluble , afin que la couleur soit plus solide.
Mais, dans tous les cas, il est bon de renforcer les couleurs
en les faisant passer par l'eau bouillante.
Lesous-cliromate de plomb est très-beau , quand il a été
brossé à l'huile ; il ne se décolore pas comme le vermillon ,
lorsqu'on le mélange avec du blanc de plomb , et sa cou-
leur ne paraît pas susceptible de s'altérer, même après
avoir été long-tems exposée à l'air. Le sous-cliromate n'a
point été suffisamnrent essayé avec l'eau pour qu'on puisse
assurer qu'il ne noircira pas. Mais déjà plusieurs feuilles
de carton et de papier qui ont été peintes de cette manière,
et suspendues dans des lieux où les sels de plomb peuvent
s'altérer, n'ont rien perdu de l'éclat de leurs couleurs.
Procédé de M. Dalton pour déterminer la bonté de Vin-
dicro. — M. Dalton détache duu échantillon d'indieo un
grain qu'il pèse avec soin,- après Tavoir pulvérisé; il verse
dessus deux ou trois grains d'acide sulfurique, concenlré ;
ce mélange bien trituré, il y ajoute de l'eau , et transvase
le liquide coloré dans un cylindre de verre dont l'intérieur
a environ un pouca de diamètre. Lorsque le mélange est
assez étendu d'eau pour qu'on puisse apercevoir au travers
la flamme d'une bougie, il y verse de la solution de chlo-
rate de chaux , en ayant soin de n'en ajouter d'autre que
lorsque l'odeur de celle qu'il y a versée d'abord s'est éva-
nouie : il agite lentement le vase , et liieutôt le liquide de-
vient transparent , et prend une teinle d'un beau jaune
verdàtre. Lorsque l'écume a disparu , on peut transvaser
la partie limpide du liquide et verser de nouveau un peu
d'eau sur le sédiment qui est resté au fond du vase , avec
quelques gouttes de chlorate de chaux et une goutte d'acide
sulfurique étendu ; si le liquide se teint encore en jaune ,
c'est à l'aide de particules d'indigo, qui avaient échappé
du commerce , da l'industrie , etc. 38g
d'abord à Tactioa du cliiorate , et l'on doit ajouter ce liquide
à celui qu'on a déjà retiré. La pureté de l'indigo, selon
M. Dalton, doit être estlmje en proportion de la quantité
de chlorate de chaux qu'il faudra employer pour détruire
sa couleur. Il croit aussi que l'on peut faire la même éva-
luation pour la quantité et l'intensité du liquide de couleur
d'ambre, donnée par l'opération, sans s'occuper de la
quantité de chlorate de chaux que l'on a employée.
Machine pneumatique de Brown. — Le principe qui fait
agir cette machine paraît ne dépendre que de l'expansion
subite et de la condensation , non des gaz employés dans
l'opération , mais de la petite quantité d'eau qui se forme
par la combustion . de l'hydrogène avec l'oxigcne de i'alr
atmosphe'rique qui est introduit dans le cylindre à chaque
coup de piston. Lorsque !a combinaison de ces deux gaz
se fait à une température très-élevée, comme cela a lieu
dans le modèle que M. BroAvn a exposé à Londres dans le
Printing-house Square , l'eau qui en est le résultat se con-
vertit aussitôt en une vapeur douée d'un haut degré d'élas-
ticité, et qui remplit la capacité du cylindre d'un fluide
élastique susceptible d'être instantanément condensé parle
froid. Cette expansion subite de la vapeur cliasse du
cylindre une grande portion des fluides gazeux qui ne sont
pas susceptibles de se condenser. Ce mode d'action est si
semblable à celui de la vapeur dans les machines ordinaires,
qu'on peut raisonnablement donner le nom de machine à
vapeur à cette invention de M. Brown, avec cette diffé-
rence cependant que , dans celle-ci , le fluide élastique et
condensable est formé sous une haute température par les
fluides introduits dans le cylindre lui-même. L'étendue de
la force ou le vide qui se fait doit dépendre de la tempé-
rature à laquelle la combustion a lieu ; une combustion
lente produit une vapeur qui n'a qu'un faible degré d'élasti-
I. 2G
3g0 Nouvelles des sciences ,
cité , tandis qu'une combinaison rapide des gaz raréfiera
prodigieusement la vapeur , et reproduira , par la conden-
sation de cette même vapeur, un vide dout retendue dé-
pendra de Texpausion qu'elle avait auparavant.
Sur l'im>ention , les progrès et les avantages de la gravure
en demi-teinte sur acier. Par Ch. Turner. — On peut, à
juste titre, regarder comme l'une des plus heureuses
époques de Thistoire des beaux-arîs celle où l'on a dé-
couvert l'art de gr;iver en demi-teinte ( niezzo tinto ) sur
acier. L'auteur de ce procédé, et ceux qui depuis ont
cherché à l'améliorer, ont heureusement surmonte les
difficultés qu'ils avaient eues d'abord à combattre ; aussi
l'art dont je vais tracer la marche en peu de mois , est-il
arrivé à un point de perfection très-satisfaisant.
a En 1812, dit M. Turner, feu M. James Watt, cet
homme qui a fait la gloire et le bonheur de sa patrie, m'ins-
pira l'idée qu'il serait possible de graver en demi-teinte sur
acier. Mes premiers essais furent infructueux 5 la dureté de
l'acier me fit complètement abandonner ce métal. Je ne
réussis pas mieux dans les expériences que je fis ensuite sur
des planches de cuivre jaune j ces dernières étaient d'une
trempe trop inégale pour se prêter à l'usage que j'en
voulais faire.
5) L'art de la gravure en demi-teinte, sur acier, ne date
réellement que de l'époque toute récente où M. Perkins,
dont tout le monde connaît les longs travaux et le génie
inventeur , produisit des blocs d'acier assez mous pour être
entamés par nos burins , et pour recevoir l'empreinte de
quelque dessin que ce fût.
» M. Say fit, en janvier 1820, une gravure sur acier, qui
est certainement son meilleur ouvrage. En février 1821 .
je gravai un portrait sur la première planche d'acier que
j'eusse encore vue 5 elle m'avait été donnée par M. liOwrj,
du commerce , de l' industrie , etc. 5g r
et cet essai fut si heureux , qu'il obtint l'approbation de
sir Thomas LaAvrence.
» Le 3o mai 1822 , la Société des Arts décerna la médaille
d'or à M. Lupton , pour son admirable gravure de TEnfance
de Samuel. D'après les heureux succès qu'ont obtenus les
derniers essais , on voit que les planches d'acier méritent
une préférence marquée sur les planches de cuivre ; il suf-
fit, pour s'en convaincre, de voir les belles gravures exé-
cutées par MM. Ward, Reynolds , Lupton et autres ar-
tistes. Dans la gravure en demi-teinte sur acier, les tons
sont beaucoup plus tranchés que ceux que l'on pourrait ob-
tenir sur le cuivre. L'extrême densité cîu premier métal
permet de porter à une perfection beaucoup plus grande la
clarté des teintes les moins foncées 5 et la même cause
permet de donner aux ombres ime richesse étonnante, qui
leur mérite une préférence décidée. Sous ces différens rap-
ports , les avantages sont si nombreux , qu'aujourd'hui on
peut éviter tous les défauts qui autrefois étaient insépa-
rables de la gravure en demi-teinte ; et les nombreuses dif-
ficultés contre lesquelles l'artiste était sans cesse obhgé de
lutter, ont entièrement disparu. Quoique le travail soit plus
long et plus pénible sur l'acier que sur le cuivre , cependant
lorsqu'il est achevé , la satisfaction qu'il procure compense
le surcroît de peines qu'on a éprouvé. Les instrumens qu'on
emploie sont les mêmes que ceux adoptés dans la gra-
vure sur cuivre. On prépare si bien les planches d'acier,
et elles sont devenues si communes , que tous ceux qui en
désirent peuvent eu obtenir. Ijes meilleures sont celles que
fabriquent M. Rhodes et AL Hoob de Sheflield. Ou peut
aussi en trouver chez M. Harrls, Shoe-Lane, à Londres.
» Je ne crois pas me tromper en assurant que c'est à
rintroducllon de la gravure sur acier, dans ce pajs, par
M. Pcrkius, que nous devons les progrès que fait de jour
en jour la gravure en demi-leinte. Je crois devoir terminer
5g2 Nouvelles des sciences ,
pai' un avertissement que !a nouveauté du procédé exige
absolument : c'est de préserver l'acier de la rouille , en
chauffant la planche; en la frottant avec du suif de mouton,
et en la tenant dans un appartement sec. Si l'on ne prend pas
cette précaution , la rouille peut lui faire le plus grand
tort. »
Gravure sur zmc. — Leske , libraire , à Darmstadt , a
publié depuis peu le premier grand ouvrage dont les plan-
ches soient de zinc. C'est une collection de monumens d'ar-
chitecture qui sera composée de vingt livraisons. On
exécute le travail sur le zinc comme sur la pierre , et l'on
évite ainsi la dépense delà gravure i aussi l'éditeur a-t-il pu
donner la livraison , composée de douze planches in-folio ,
sur papier ordinaire, pour cinq francs. Sous le rapport
de l'économie, cette méthode mérite donc d'être recom-
mandée. Les journaux allemands nous apprennent que
M. Eberhard, auteur de cette collection, a publié depuis
peu un petit ouvrage sur Tusage du zinc , afin de remplacer
les planches de cuivre et les pierres lithographiques , pour
la gravure et le dessin. ( In-8° avec dix planches , Darm-
stad, 1824- )
Relief sur bois. — M. J. Straker a découvert une mé-
thode ingénieuse de travailler en relief sur bois , qu'en
peut employer isolément ou faire concourir avec le pro-
cédé ordinaire. Elle est fondée sur ce fait : c'est que si
l'on creuse la surface du bois avec un outil sans tranchant ,
la partie ainsi déprimés reprendra sou premier niveau ,
lorsqu'on la plongera dans l'eau.
On travaille d'abord le bois dont on doit se servir, on
lui donne la forme convenable , et on le prépare à recevoir
le dessin du modèle : quand le dessin est appliqué , on
appuie successivement lui instrument sans trancbant , ou
bien un brunissoir sur toutes les parties que l'on veut
du commerce , de l'industrie , etc. 5g5
sculpter en relief. On retire l'instrument avec beaucoup de
précaution , en ayant soin de ne pas briser les libres du
bois avant que la profondeur de la dépression soit égale à
la hauteur que l'on veut donner au relief des figures. On
réduit , à l'aide du rabot ou de la lime , le fond de la sur-
fiice du bois, au niveau des parties déprimées ; on plonge
ensuite la pièce de bois dans de l'eau froide ou chaude, les
parties qui avaient été déprimées reprennent leur premier
niveau et forment ainsi un relevé en bosse que l'on pourra
achever parles procédés ordinaires.
AGRICULTURE.
Récolte dujroment en Angleterre. — La récolte du froment
se fait depuis quinze jours dans nos provinces méridionales
et commence maintenant dans toutes les parties duroyaume.
Les nouvelles qui nous parviennent sur cette récolte impor-
tante sont partout favorables. La Providence a départi à
la plus précieuse de nos céréales la faculté de supporter les
plus grandes sécheresses. Cette graine tire sa nourriture de
sources que le soleil ni le veut ne peuvent tarir j ses racines
fibreuses pénètrent souvent dans la terre à une profondeur
de six pieds. Pour ne laisser aucun doute sur ce phéno-
mène, le feu président de la Société Royale, sir Joseph
Banks, conservait dans son cabinet un échantillon complet
de froment , avec les racines , le chaume et l'épi , dans un
tube de verre hermétiquement fermé. On ne doit donc
pas s'étonner que la chaieur et la sécheresse du mois de
juillet n'aient fait qu'achever ce que !a belle saison de juin
avait commencé, et qu'elles nous aient donné une récolte
abondante et substantielle, récolle exempte de bonissure et
de nielle et qui n'est pas dépourvue de chaume. S'il y a des
exceptions, elles ont été causées par quelques gelées sur-
venues pendant les nuits de juin. La <leur, dans ces cas, ne
s'est pas développée, et la capsule de l'épi se trouve vide.
594 Nouvelles des sciences , du commerce , etc.
Mais la conviction générale paraît être que la réculte de
froment de cette année est très -supérieure à celle d'une
année commune.
BOURSE DE LONDRES.
Cours des fonds publics anglais et étrangers, depuis le 'xl^
août jusqu'au 5o septembre i8a5.
Banck Stock, 8 p. "/q iZ\ .... 228 3/4- aai
3 p 0/0 consol g I .... 89 3/4 . 89 7/8
3 p. 0/0 réduits 91 3/4 . 90 1/2 . go 5/8
3 1/2 p. % réduits 99 •••• 981/8. 983/8
Nouveau 4 p- °/o ï^i ••• 'o^ •••• Jo3 1/4
Longues annuités expirant en 1860 .. 22 7/16 22 3/i6 22 5/i6
Fonds de l'Inde 10 1/2 p. 0/0 2^3 3/4- 270 1/2. 271 ....
Obligations de l'Inde , 3 p. "/o 53s.... 44 * 44 * • • •
Billets de rÉchiquier , 2 1/4 p. °/o. . . . 3os..... i6s.... 17 s....
FONDS ÉTRANGERS.
Plus liaut. Plus bas. dein. cours.
Obligations autrichiennes, 5 n. 0/0. . • 99 .. . . 98 1/8.. 98 i/4
Id. du Brésil Id 82 i/4 . 791/2. 79 1/2
Id. de Buenos-Ayres , 6 p. °Jo. . . 90 3/4 . 90 ... . 90 ... .
/rf. du Chili Id 81 1/2. 793/4.. 80 1/4
//f. de Colombie, 1822. /rf. 861/4.843/4. 85...,
Id. /J. ,1824. /J 85 1/8. 83 5/8. 85 5/8
Id. de Dancmarck , 5 p. °/o.... 100 3/4. 100 1/4. 100 3/4
Rentes françaises, 5 p. 0/0 io3 1/4. 102 .... 102 1/2
Obligations grecques, /</. ^2 . . . . 35 . , . . ^i . . , .
Id. du Mexique , Id 76 1/2 . 73 5/8. 74 5/8
/</. de jSaples , Id. yS 7/8. yS 73 ....
/J. du Pérou. 6 p. 0/0 88 3/4. 88.... 87....
/(/. du Portugal, 5 p. 0/0 102 ... loi 1/2.. 102....
Id. de Prusse, 1818, Id 100 ... 101 1/2 . 100 3/4
Id. 7J. 1822, Id 100 3/4. 96 1/4. 100 3/4
/rf. de Russie, Id 97 'A • 967/8. 97 •/«
A/. d'Espagne , Id. 22 3/4- '-»i ^'A- '^'^ «A
FIN DU pni:niiER volume.
TABLE
DES MATIÈRES DU PREMIER VOLUME.
Pag.
Préface 5
Economie politique.' — 'Produit comparé des taxes
élevées et des petites taxes. (i?ew/e d'Edinbourg.) 49
Essai sur l'administration intérieure de la Prusse.
( Quarterly Rsmew. ) i ig
Des dettes fondées. ( Rei>ue d'Edinbourg. ) S'y 5
Du produit des droits imposés sur le café ( Reoue
d'Edinhoiirg. ) aijS
CoBiMERCE — Observations sur le commerce avec
la Chine et sur le monopole du thé. ( Rev. d'Édiii.) 1 4o
Indust ie. — Du transport par les canaux , les l'oules
à rainures de fer et les voitures à vapeur. ( Quar-
terly Reciew. ) ii
Des ouvriers et des machines en France. ( Quar-
terly Repi'elP. ) I qg
Littérature. — De la poésie en France. ( Revue
d'Edinbourg. ) i6 1
Discours de M. Brougham , à l'Université de Glas-
gow. ( Remie d'Edinbourg. ) 179
Souvenirs de Sir Egerton Brydges. ( Blackwood's
Magazine . ) 1 ^q
Voyages. — Statistique. — i. Esquisses de l'Inde,
par un officier anglais. ( Revue d' Rdinbourg. ). . ^5
•1. Voyage au Pérou par la Cordillère des Andes ,
en 1823 et 1824, par Robert Proclor. ( Z^V.
Gaz. ) y9
5. Aperçu de la situation commerciale et agricole de
la république d'Haïti. ( Revue d'Édinhnur'r. ). . . lofi
ÔgÔ TABLE DES MATIERES.
Pag.
4. Amérique méridionale. ( Quarterly Remew. ). . 284
5. De Tesclavage clans les Antilles anglaises. ( Revue
cT Edùihoiirg . ) 55 1
6. Nouvelle colonie anglaise établie dans l'Austra-
lie. ( Asiatic- Journal. ) 527
MÉLANGES. — I. Observations sur réducation du peu-
ple , par M. Brougham. ( Revue d'Édinbourg. ) . 556
2. Extrait de l'enquête sur l'état de l'Irlande 182
5. Propositions de M. Huskissou, sur la réduction
des droits de douanes 187
4. Du projet d'unir, par un canal, l'Atlantique et
la mer Pacifique. ( Lit. Gaz. ) SGg
5. Suif végétai 5
6. Coalitions d'ouvriers 5^6
Nouvelles des Sciences, delà Littérature, des
Beaux-Arts, du Cojoierce, des Arts indus-
triels, DE l'Agriculture , etc., etc. 191 et 077
FIN DE la table.
^ÎMKn- • ^^^:^
. fs^.cf